Chapitre 26 : A pas de mouche

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Après la semaine bien pourrie que je viens de passer, je suis plus que ravie qu'elle se termine enfin.

Avec Robin, nous avons occupé ces derniers jours à éplucher le dossier patient de Dimitri, dans l'espoir de trouver le moindre petit indice qui nous permettrait de comprendre ses résultats sanguins, mais rien. J'ai comparé les stocks médicamenteux, les consommations habituelles et les prescriptions médicales de tous les enfants, mais là encore rien. L'enquête commence lundi et nous n'avons même pas une once d'explication à propos de ce qui a pu se passer. Dimitri, de son côté, se porte comme un charme. Bien que cela soit une bonne nouvelle, cela ne nous aide en rien. Un simple petit symptôme aurait pu nous permettre de faire des liens, mais là c'est le néant.

— Cette histoire est tout bonnement incompréhensible, commence Robin, complètement dépité, en pleine réunion. On a tout repris, avec Roxane, et on n'a rien. Il ne manque pas de stock, Dimitri est tout à fait alerte et le dossier ne comporte pas d'anomalies. Je propose de faire une nouvelle prise de sang, au moins pour voir l'évolution en une semaine.

— C'est impossible, tranche Lucas. Le début de l'enquête est prévu lundi et, maintenant que tout est enclenché, on ne peut pas faire machine arrière. Avons-nous au moins envisagé que ça ne vienne pas de chez nous ?

Je suis toujours penchée sur le dossier du jeune garçon, espérant trouver l'indice qui nous as échappé.

— Bien sûr ! Nous y avons pensé aussi. Seulement, si le surdosage se produisait sur le week-end, Dimitri montrerait des signes de souffrance en début de semaine. Or, ce n'est pas le cas.

— Mais en suivant votre logique, intervient Leya, attirant ainsi mon attention. S'il était surdosé en semaine, le Foyer nous aurait sollicité car Dimitri serait vraiment au plus mal le week-end.

Elle marque un point. Retour à la case départ, encore une fois.

"Cette histoire est vraiment louche" s'impatiente ma conscience.

Alors que les discussions vont de bon train dans la pièce, je relève les yeux du dossier et mon regard passe d'un collègue à l'autre. Tous attablés autour de cette grande table ovale, chacun tente d'élucider le mystère Dimitri. Leya, Vanina et Eugène semblent tout trois en grande conversation, à voix basse. De là où je suis, je n'en perçois même pas des brides mais, à leur mouvement corporel, je peux vous dire qu'elle est agitée. Elise est en train d'expliquer à Astrid comment se lit une feuille de résultats sanguins. Robin, Lucas et François échangent autour de l'enquête à venir. Le beau brun tente par tous les moyens de la repousser pour gagner du temps.

"Et dire que c'est lui qui a précipité les choses en début de semaine" peste ma conscience, d'incompréhension.

C'est alors que le dragon du service intervient.

— On dirait bien que Robin et Roxane ne sont pas de bons enquêteurs, balance Marina sans gêne, un rictus au coin des lèvres. Il faudrait peut-être envisagé de changer le binôme, car il semblerait qu'il ne fasse pas bon ménage. Je veux bien m'en charger avec Robin.

Son attitude hautaine, associée à sa proposition complètement inadaptée, m'irrite largement. La situation est bien trop préoccupante pour s'en servir dans un conflit entre collègues. Je serre les poings sous la table pour me retenir d'exploser. On serait en tête à tête, je lui aurais déjà sauté dessus. D'un mouvement délicat, Robin, qui se trouve à ma droite, pose sa main sur mon poing comme pour me montrer son soutien. Ce geste à la fois doux et rassurant, me calme instantanément.

— C'est hors de question, s'emporte François, jusqu'alors très silencieux dans les échanges. Robin et Roxane ont fait du très bon boulot toute cette semaine. S'ils ne sont parvenus à aucune conclusion c'est peut-être qu'il faut à présent chercher ailleurs. C'est là tout l'intérêt de l'enquête qui va être menée.

Il marque une pause et s'adresse de nouveau à ma collègue. C'est bien la première fois que son regard bleu azur est aussi sombre. Cela ne présage rien de bon.

— Maintenant changeons de sujet, déclare-t-il sèchement, à l'intention de la rousse. Puisque vous tenez tellement à vous faire remarquer, Marina, avez-vous eu les parents de Kimberly pour leur proposer la date que nous avons fixée pour l'entretien ?

Elle vire au gris. Elle ne s'attendait certainement pas à être prise de court de la sorte. Intérieurement, je jubile.

— Non, répond-t-elle honteuse, en enfouissant sa tête dans ses épaules.

C'est bien la première fois, depuis que je suis arrivée, que je vois la dragonne faire carpette devant quelqu'un.

— Bien, alors avant de vous occuper des références des autres, commencez par vous occuper des vôtres, la tacle le pédopsychiatre. En plus, ce n'est même pas comme si votre comportement était irréprochable.

"Et bah dis donc, il n'y va pas de main morte quand il est furax le toubib", constate ma conscience abasourdie.

Un silence de mort enveloppe la pièce. Plus personne n'ose intervenir, même pas Lucas. Il est bien rare de voir le psychiatre aussi virulent envers quelqu'un. Habituellement, il est plutôt proche des soignants et anti-conflit. C'est le genre de médecin qui a totalement confiance en son équipe et qui nous laisse pas mal de liberté. Les relations avec lui sont de l'ordre d'un échange mutuel : il nous explique en fonction de ce qu'il a appris mais, il accepte que notre pratique soit différente de la sienne. C'est vraiment très formateur d'avoir François comme médecin car, de part son expérience multiple et longue, il a beaucoup de chose à partager.

— Bien la réunion est finie, annonce-t-il finalement. Marina je veux une réponse avant votre départ. Et inutile de compter les heures supplémentaires que vous allez faire pour passer cet appel.

Elle acquiesce et sort de la pièce à pas de mouche. Quand je vois les mines satisfaites de Leya et Astrid, je me dis que je ne suis pas la seule à me délecter de cette situation.

— Roxane, attends, m'interpelle Robin en me retenant par le bras alors que je m'apprête à partir.

Il veille à ce que tout le monde ait quitté la pièce, ce qui n'annonce rien de très professionnel.

— Un verre ce soir, toi et moi ?

Hein ? Il est sérieux ?

"Attend, il a passé des jours à t'ignorer, et là il veut que tu sortes avec lui ? Il est dingue ou quoi ?". Ma conscience s'offusque, laissant ainsi tombé le sachet de pop-corn qu'elle avait sorti pendant le remontage de bretelle de Marina.

— Je... Je ...

Sa proposition me met tellement mal à l'aise, que j'en perds les mots. Après tout ce que l'on s'est dit mercredi, je croyais que la situation entre nous était enfin claire.

— Roxane, commence-t-il doucement, comme s'il comprenait mes pensées. On peut être des collègues et aller boire un verre quand même. C'est bien ce que tu fais avec Astrid, Leya et Vanina ?

La petite pointe d'espoir que je perçois dans sa voix installe le doute dans mon esprit. Ce serait mentir que de dire que je n'en n'ai pas envie, j'ai bien reçu les signaux que mon corps m'envoie constamment quand je suis en sa présence. Seulement, je sais où cela risque de nous mener et, franchement, ce n'est pas raisonnable. Je sais pertinemment que je serais incapable de lui résister s'il me fait des avances, et au final, on retomberait dans le cercle infernal qui s'impose à nous depuis notre rencontre.

Je me risque à croiser son regard, ce qui n'est clairement pas une bonne idée. Ses yeux sombres me fixent intensément, espérant une réponse favorable. Je lutte intérieurement contre toutes ces sensations qui naissent au creux de mon ventre.

— Ce n'est pas une bonne idée, réponds-je, presque désolée de décliner son offre. J'aimerais simplement passer un week-end sans cris, pleurs ou coups de théâtre. J'ai assez donné la semaine dernière.

J'aurais bien pris les jambes à mon cou, mais, encore une fois, son corps fait obstacle entre la sortie et moi.

En un pas, il comble le peu de distance qu'il restait entre nos corps.

— S'il te plait, souffle-t-il dans mes oreilles, profitant ainsi de notre proximité. C'est l'histoire d'une demi-heure.

Son parfum enivre mes narines et ma conscience joue de la flûte. Comme elle est aussi douée que la Dame des Portraits dans Harry Potter, elle me file la migraine.

Si proche de Robin, je m'apprête à flancher. Mes lèvres sont à deux doigts de prononcer ce petit mot de trois lettres qu'il attend.

— Vous avez vu François, nous interrompt une voix, je le...

Rapidement, nous nous éloignons d'un pas chacun, aussi inquiet l'un que l'autre, en constatant que notre chère collègue Marina nous dévisage maladroitement. J'espère sincèrement qu'elle n'a rien remarqué. Ce serait le pire des scénarios.

— Oh mais dis donc, poursuit-elle amusée. Un interne et une infirmière seuls dans une pièce. Il y a de quoi se faire des films.

"Vite, Roxane, trouve une excuse" m'encourage ma conscience.

— On parlait de Dimitri, répliqué-je habilement, on a encore pas mal de choses à voir avant l'enquête de lundi.

Robin m'adresse un regard fier, semblant satisfait de la réactivité dont j'ai fait preuve. Je danse sur un pied, puis sur l'autre, nerveuse à l'idée qu'elle n'y croit pas. Elle nous toise de plus belle mais, ne semble pas vouloir nous fausser compagnie.

— François est dans le bureau, lui répond Robin sèchement. Tu vois bien qu'il n'est pas ici. Si tu veux bien on a d'autres chats à fouetter.

Elle nous lance un dernier regard suspect avant de nous quitter. Je souffle, comme si la terre s'était arrêtée de tourner le temps un long moment.

— Je ferais mieux d'y aller, dis-je en me dirigeant vers la sortie, à la hâte. Toute cette situation va finir par nous causer des ennuis.

En un rien de temps je me retrouve dans le couloir, accélérant le pas pour qu'il ne m'interpelle pas une nouvelle fois.

Ce n'est que lorsque je suis enfin cramponnée à mon volant, que je me décontracte. Cette histoire va finir par m'avoir à l'usure. J'ai l'impression d'être dans une des intrigues des « Feux de l'Amour », ou d'une autre de ces séries à l'eau de rose que je n'ai jamais supportées. Moi qui ai toujours veillé à ne pas mélanger travail et vie privée, même au lycée, l'univers me le rend bien. Je suis tout de même soulagée de savoir qu'un répit de deux jours s'annonce pour moi.

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