Mamo
Je suis né au début des années 80 à Linguère, une petite ville du centre du Sénégal, un pays situé au nord-ouest de l'Afrique, également connu comme pays de la Teranga, qui signifie hospitalité. Le pays était une jeune république affranchie de la colonisation depuis deux décennies à peine.
J'avais cinq ans lorsque mon père m'a emmené du village de mes grands-parents, Barkedji, un village peul au cœur du Sénégal, où je vivais avec eux depuis l'âge d'un an et demi, pour me ramener à la maison avec mes 17 frères et sœurs.
Avant ce jour, j'étais l'objet de beaucoup d'attention et certainement l'enfant le plus gaté du village.
En plus de me donner toute son attention, Mamo Penda veillait à ce que je mange bien. Elle ne voulait pas que quiconque pense qu'elle ne me donnait pas à manger suffisamment. En fait, je mangeais très bien, sans doute un peu trop.
Mes premiers souvenirs remontent à la case en paille de ma grand-mère. Je peux encore sentir le lait aigre fermentant dans des calebasses posées sur le sol dans un coin de la hutte. L'arôme du beurre de lait de vache stocké dans des bouteilles en plastique recyclées d'huile d'arachide me revient également, mêlé à la chaleur étouffante du Djolof, mais plus que tout, je me souviens de l'odeur du lait frais que Mamo venait de traire de l'une des vaches de la famille. Mame Laba, mon grand-père, s'occupait des vaches, tandis que Mamo Penda me réveillait chaque matin pour s'assurer que je buvais tout le lait de la calebasse sans même sortir du lit. Après un effort final pour finir le litre de lait, je me couchais de nouveau, le ventre plein, et je me rendormais malgré le chant incessant du coq annonçant l'aube et le meuglement des vaches affamées.
Mamo Penda ramassait ensuite des œufs du poulailler et les laissait cuire dans une marmite à moitié pleine d'eau, bouillant sur un feu de bois à côté de la hutte, tandis qu'elle faisait sa prière du matin.
Ensuite, elle me préparait de la bouillie de mil. Après sa prière, Mamo me réveillait de nouveau pour la deuxième partie du petit-déjeuner. Toutefois, comme le voulait la coutume, elle aspergeait de l’eau sur mon visage quelle frottait doucement, prenant soin d'enlever les crottes d'œil. Puis elle versait de l'eau dans la paume de ma main droite, que j'apportais à ma bouche pour me brosser les dents avec mon index. Enfin, elle me donnait du savon, que je frottais paresseusement sur mes deux mains avant de les rincer avec les dernières gouttes d'eau de la “satala”.
Six œufs durs et épluchés m'attendaient sur une assiette en acier inoxydable devant la case, à côté d'un petit banc où je m'asseyais encore à moitié endormi. Sous la supervision de Mamo, je luttais pour avaler les œufs un par un. Je me souviens encore du goût de ces œufs, une saveur que je ne peux plus supporter de nos jours.
Je peinais toujours à manger tous les œufs, mais je les finissais quand même. Je tombais à chaque fois dans le piège de Mamo, qui me disait après chacun d'eux que c'était le dernier. Parfois, elle menaçait même d'amener le lion qui avait mangé l'une des vaches la nuit précédente si je ne les avalais pas tous.
-"Tu es un bon garçon," disait-elle toujours quand j'avalais la dernière moitié des œufs. "Maintenant, va aider ton grand-père avec les vaches. Je t'appellerai quand la bouillie sera prête."
Je me levais encore plus nonchalamment que je ne m'étais assis, une main reposant sur le banc et l'autre aidée par le bras de Mamo.
Le troupeau était de l'autre côté de la maison. En face de la hutte de Mamo se dressait un bâtiment en briques, le seul du village, que Mame Laba avait fièrement construit. Le bâtiment avait une façade ocre et des murs intérieurs jaune clair. Il se composait de trois pièces : un salon au milieu et deux chambres de chaque côté, parfaites pendant la saison plus fraîche des alizés continentaux, mais trop chaudes pour dormir pendant le climat torride de l'harmattan.
Deux autres cases étaient disposées autour d'une grande cour sablonneuse, le tout entouré d'une clôture faite de bois tissé avec du fil de fer. Deux cases étaient occupées par mon oncle Karim, sa femme Sira et leurs 3 enfants Mbarom, Adama et Hawa.
Le soleil était déjà haut et frappait fort alors que je traversais la cour pour rejoindre Mame Laba, une autre journée chaude commençait.
-"Bonjour, Demba," dit Sira, "viens prendre le petit-déjeuner avec nous."
Elle était assise devant sa case, entourée de mes cousins.
-"Bonjour, tante Sira," répondis-je, "j'ai déjà mangé." Je me glissais aussi vite que possible pendant qu'elle insistait jusqu'à ce que j'atteigne enfin l'enclos des vaches. Une centaine de taureaux et de vaches, plus ou moins qui, pour tout notable peul, constituent la richesse se mesurant au nombre de têtes de bétail. Mame Laba était en effet l'un des hommes les plus respectés du village. Je le trouvais en pleine besogne, comptant les animaux pour s'assurer que son troupeau était complet.
-"Mbassou, as-tu bien dormi ?" Mbassou était le surnom qu'il m'avait donné, signifiant "sac de couscous." Il avait un surnom pour chacun de ses petits-fils. "Viens ici, j'ai besoin de ton aide ! J'avais des bonbons au caramel dans ma poche trouée, et ils sont quelque part dans l'enclos. Aide-moi à les trouver, et je te donnerai la moitié."
J’étais soudainement éveillé et concentré sur ma tâche du jour. Mame Laba était un grand farceur et avait toujours une blague en réserve. Après un moment, il me dit de continuer à chercher et qu'il reviendrait dans une minute. Je continuais à chercher sans relâche, la bouche salivante à l'idée du trésor caramélisé.
Alors que je continuais à chercher, j'entendis des rires fous au loin sans me soucier de rien, je ne voulais pas non plus attirer l'attention de mes cousins qui pourraient trouver le trésor avant moi.
Après une bonne vingtaine de minutes, je décidais d'abandonner et d'aller demander à grand-père l'endroit précis où il pensait avoir perdu les bonbons.
À peine sorti de l'enclos et à ma grande surprise et déception, toute la famille était tournée vers moi. Ils éclatèrent tous de rire me pointant du doigt.
Encore une autre des farces de Mamo Laba, et dont j'étais une fois de plus la victime. Je riais avec eux en courant après grand-père Laba avec un caillou. Mamo Penda, ignorant ce qui se passait, m'appelle depuis sa case.
-"Dembaaa! Viens! La bouillie est prête".
J'abandonnais la poursuite de mon grand-père et courais lourdement vers la case de grand-mère Mamo.
C'était pile à l'heure car je commençais à avoir faim après une longue chasse au faux trésor.
Dans la même calebasse remplie de lait à l'aube, je pouvais sentir l'arôme de la bouillie de mil encore chaude et du lait caillé sucré. Mamo ne se souciait pas des inconvénients du sucre ; elle en mettait beaucoup dans tous les plats sucrés. Devant sa case, le même petit banc m'attendait à côté de la calebasse, une cuillère en bois plantée au milieu.
-"Mange, mon garçon," disait-elle, assise à côté de moi comme d'habitude en rôle de superviseur, tandis que j'engloutissais la bouillie.
Après une bonne dizaine de cuillerées, sous l'insistance de Mamo, j’abandonnais, l'accusant d'essayer de me tromper comme grand-père. Elle finit par abandonner pour le moment.
-"Va jouer avec tes cousins et reviens quand tu auras faim." Avec son aide, je me levais difficilement et rejoignais mes cousins au milieu de la cour.
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