Un beau rêve
Mbarom, Adama et Hawa étaient mes compagnons de jeu. Mbarom était le plus âgé, il avait environ dix ans de plus moi bien qu'il ne fût pas le plus mature, loin de là, il avait une personnalité quelque peu spéciale, je dirais.
Adama avait deux ans de plus que moi; il était le plus vif et mon meilleur ami. Il était bien plus agile que moi et ne cessait de courir, tandis que j'essayais en vain de le suivre.
Hawa, la seule fille du groupe, jumelle de Adama, était comme sa version féminine, tant physiquement qu'énergiquement. Ensemble, nous passions des heures à jouer, à inventer des histoires, à construire des forts et à explorer les environs. Nos rires résonnaient à travers le village alors que nous courions pieds nus le long des chemins poussiéreux, jouant à cache-cache entre les cases et grimpant aux arbres pour cueillir des fruits. Nos après-midis étaient souvent remplis de jeux de Mbégué, consistant à faire rouler un pneu de vélo avec un bâton en bois, ou de football, et parfois, nous nous réunissions pour écouter les histoires inventées par Mbarom, captivés par son imagination débordante.
Ces moments passés avec mes cousins, à jouer et à explorer, restent de loin, les souvenirs les plus précieux de mon enfance.
Malgré la chaleur accablante sous le soleil brûlant, nous jouions sans relâche toute la matinée. Mon ombre formait un cercle rond sous mes pieds lorsque l'appel de Mamo résonnât de loin.
-"Dembaaa!" Je savais que c'était l'heure du déjeuner grâce la forme de mon ombre qui indiquait infailliblement qu'il était midi.
Avec un grand creux dans l'estomac, je laissais mes cousins derrière moi et courais vers Mamo, assise autour d'un grand bol. Mame Laba était déjà à ses côtés, faisant semblant de manger précipitamment.
-"Dépêche-toi! Ton grand-père va tout finir," me prévenait-elle. Je m'asseyais sur mon petit banc tandis que Mamo me tendait le savon pour me laver les mains que je frottais à la hâte pendant qu'elle versait de l'eau dessus. Au menu, il y avait mon plat préféré: le mafé, du riz avec une sauce à base de beurre d'arachide, de viande et de légumes.
Nous mangions tous avec nos mains, savourant les saveurs riches du mafé. La sauce crémeuse au beurre d'arachides se mêlait parfaitement à la viande tendre et aux légumes sur le riz.
Alors que je mangeais avidement, mon grand-père ne pouvait s'empêcher de me taquiner.
-"Ralentis, ! Si tu manges plus vite, tu risques de finir tout le bol tout seul," plaisantait-il, les yeux pétillants de taquinerie. Je riais, manquant de m'étouffer, tandis qu'il continuait ses plaisanteries.
-"As-tu entendu parler du garçon qui a tellement mangé de mafé qu'il s'est transformé en cacahuète ?" disait-il, un large sourire aux lèvres. Ses blagues étaient interminables et chacune rendait le repas encore plus agréable. Entre les bouchées et les rires, je ressentais un profond sentiment de bonheur. Manger ensemble, partager le repas dans le même bol avec nos mains, était bien plus qu'un simple repas. C'était un rituel familial précieux rempli d'amour, d'humour et de réconfort d'être chez soi.
-“Devine qui vient nous rendre visite demain ?", me demanda Mamo en même temps qu'elle me lavait les mains pleines de sauce. "Ton père !" ajouta-t-elle.
À ce moment précis, je réalisai que je n'avais aucun souvenir de mon papa avant ce jour. Je ne me rappelais ni de mon père ni de ma mère. Pour moi, Mamo Penda et Mame Laba étaient tout, et j'étais plus que comblé avec eux, mais l'idée que quelqu'un vienne nous rendre visite était très excitante, surtout parce que les visiteurs apportent toujours des cadeaux pour les enfants.
-"Est-ce qu'il va m'apporter des caramels ?" demandai-je avec impatience.
-"Bien sûr, mon chéri. Il apportera des bonbons, des chaussures et beaucoup d'autres choses pour toi," ajouta Mamo en me tendant un verre d'eau à boire.
"Chouette," m'exclamai-je avec enthousiasme.
J'avais passé tout l'après-midi à imaginer toutes sortes de bonbons que mon père allait m'apporter. Je planifiais déjà comment j'allais en distribuer une partie à chacun de mes cousins.
Les après-midis étaient réservés à la sieste, une tradition que j'essayais de suivre du mieux possible ce jour-là. Le "Tisbar", ce moment de la journée où la chaleur était plus la accablante, était interdit aux jeunes de se promener dans les rues. La légende racontait que c'était l'heure à laquelle le diable rôdait, prêt à s'emparer des âmes des enfants qui désobéissaient. Cette histoire inventée par nos ancêtres, jouait un rôle crucial dans notre société, où contes et légendes étaient des piliers de l'éducation des jeunes . La légende du “Tisbar" n'était pas une exception, au contraire, elle avait, pendant des siècles, protégé les plus petits d'une chaleur certainement fatale. Pendant ces heures calmes de la journée, toute la famille se rassemblait sous le grand arbre au milieu de la cour.
Le margousier, avec son ombre rafraîchissante, était idéal pour se reposer dans cette région aride. Le doux bruissement des feuilles et la légère brise passant sous l'arbre rendaient l'endroit agréable et frais malgré la chaleur étouffante.
Tandis que Mamo essayait de dormir, je ne pouvais m'empêcher de lui poser des questions sur ce père oublié.
-"Mamo, comment est-il ? Est-ce qu'il me ressemble ?" demandai-je, jouant avec une feuille tombée de l'arbre.
-"Patience, mon cheri," répondit-elle doucement, les yeux à demi-clos. "Tu le verras demain. Ton père est un homme bon, et il t'aime beaucoup."
-"Mais pourquoi n'est-il jamais venu me voir?" insistai-je, mon impatience et ma curiosité prenant le dessus.
-"Bien sûr qu'il est venu te rendre visite, mais tu ne t'en souviens pas, tu étais très petit, et il n'a pas pu revenir depuis. Ton père est très occupé par son travail, mais l'important, c'est qu'il vienne te voir maintenant," répondit-elle en caressant ma tête.
Je restai silencieux un moment, observant les ombres danser sous l'arbre. Mame Laba et tonton Karim, allongés autour de nous, semblaient aussi essayer de trouver un peu de repos malgré la chaleur.
-"Penses-tu qu'il va rester longtemps?" demandai-je encore, incapable de contenir ma curiosité.
-"Nous verrons bien," répondit Mamo avec un sourire. "Pour l'instant, repose-toi et sois patient." Je m'étira sous l'ombre de l'arbre, essayant d'imaginer ce que ce grand jour serait.
Le chant des pigeons sauvages, le murmure des feuilles et la chaleur oppressante rendaient l'attente encore plus insupportable mais aussi plus excitante.
Je finis par m'endormir, la tête plus remplie de questions que mon ventre de mafé. Pendant mon sommeil, je rêvais de mon père arrivant avec de grands sacs remplis de bonbons de toutes sortes. Il portait un grand boubou blanc rayonnant sous le soleil, un grand sourire de bonheur sur le visage, impatient de retrouver son fils bien-aimé. Je courais vers lui, excité de bonheur. Il m'attendait à l'entrée de la maison, les bras grands ouverts. Il me prit dans ses bras et m'embrassa longuement. Après les retrouvailles, il me donna 2 grands sacs pleins de cadeaux. Je rêvais de manger des bonbons au chocolat, caramel, vanille, mangue... qui dégoulinaient de ma bouche. Quand soudain, j'entendis la voix de Mamo qui m'appelait: Demba! Demba, jusqu'à ce que je finisse par me réveiller.
-"Réveille-toi, mon chéri! Viens manger ta bouillie avant qu'elle ne périsse."
"Où sont les bonbons?" demandai-je à Mamo, perplexe.
-"Quels bonbons, hahaha, mon chéri? Tu rêvais des bonbons de la blague de ton grand-père? Ne t'en fais pas, ton père t'en ramènera demain."
Ma déception était grande de constater que j'étais dans un rêve, mais elle s'évanouit à l'idée que mon père viendrait demain quand même.
-"Tiens, mon chéri," dit-elle en ajoutant plus de yaourt et de sucre. "Manges!"
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