Les bonbons

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D'habitude, j'avais un grand appétit, mais aujourd'hui était différent. Entre l'impatience de voir mon père et le rêve des bonbons, mon appétit s'était évaporé. J'essayais tant bien que mal de manger ma bouillie sous la supervision de Mamo comme toujours, mais après quelques cuillères, je repoussai la calebasse vers elle. Elle s'inquiéta, les yeux écarquillés.

-"Qu'est-ce qui t’arrive, mon chéri? Tu as mal au ventre? Ou bien tu veux plus de sucre?"

-"Non Mamo, je n'ai pas faim."

-"Comment ça? Tu es malade, qu'est-ce qui ne va pas, mon chéri," me questionna-t-elle 

-"Rien Mamo, je n'ai simplement pas faim. En plus, mon père me ramènera beaucoup de bonbons demain, alors je veux laisser de la place dans mon ventre pour les manger tous."

Elle éclata de rire, ce doux rire que j'entendais très souvent et qui faisait mon bonheur. Ce tendre rire que, sans le savoir, j'entendais pour la dernière fois.

-"Mon chéri! Hahaha, bien sûr que ton père te ramènera des bonbons, mais d'ici là, il faudra que tu manges."

Elle tenta de me convaincre en vain. Mon estomac semblait fermé, comme si je venais juste de manger mes six œufs durs et ma bouillie du matin. Je me leva et courus vers Adama et Hawa qui étaient assis avec Mbarom, probablement en train d'écouter une de ses folles aventures inventées. J'étais impatient de leur raconter la raison de mon excitation, qui serait sûrement plus intéressante que les histoires de Mbarom entendus plus d'une fois.

-"Vous savez quoi? Mon papa vient me rendre visite demain, et il me ramènera plein de bonbons."

-"Waaaw, chouette!" dirent-ils tous ensemble, sauf Mbarom qui me regardait avec mépris.

-"Tu mens, ton père ne vient jamais te voir, il ne viendra jamais, il t'a abandonné."

-"C'est toi le menteur," me défendit Adama comme toujours. "Tu mens tous les jours avec tes aventures."

Et moi de rajouter: Je ne te donnerai aucun bonbon. J'en donnerai seulement à Adama et Hawa.

-"N'importe quoi, tu verras, personne ne viendra te voir," répliqua Mbarom avec encore plus de mépris.

Je courus en pleurant vers la case de Mamo, où elle était assise avec grand-père.

-"Qu'est-ce qu'il t'arrive, mon chéri? Tu t'es fait mal?"

-"Non, c'est Mbarom, il m'a traité de menteur."

-"Comment ça? Pourquoi te traite-t-il de menteur?"

-"Je leur disais que mon père vient me rendre visite et qu'il me ramènera des bonbons. Il a dit que j'étais un menteur et que mon père m'a abandonné, qu'il ne viendra jamais."

-"Ne l'écoute pas, c'est lui le menteur. Il ment quand il mange, quand il dort, quand il boit, même quand il respire."

-"Haha, comment peut-on respirer et mentir?"

-"Ne t'en fais pas pour lui, il est jaloux.”

-“Je ne lui en donnerai aucun “

-“Exactement! Et ce sera bien fait pour lui."

Renforcé par Mamo, je retournai retrouver mes compagnons de jeu. Nous continuâmes de jouer comme si de rien n'était, mais sans Mbarom, qui grognait de jalousie.

Le crépuscule s'annonçait lentement et la chaleur s'évanouissait petit à petit. Les oiseaux volaient en file indienne pour retrouver la sécurité de leurs nids, laissant place à leurs semblables nocturnes.

Le soleil descendait vers l'ouest, peignant des couleurs rosâtres sur le ciel. Hirondelles et chauves-souris volaient de partout, apeurées par le chant du muezzin venant de la mosquée du village.

L'appel de Mamo se fit entendre une nouvelle fois. Si le "Tisbar" était un danger, le “Timis” l'était encore plus. La légende raconte que les monstres nocturnes mangeurs d'humains se réveillaient et rôdaient dans les rues à la chasse de leur dîner du soir.

-“Dembaaa! Dépêche-toi!” criait Mamo comme d'habitude.

-"A plus les gars," criai-je en courant vers Mamo, tandis que Adama et Hawa se dirigeaient vers la case de leur mère.

Grand-père Laba était assis sur sa natte, chapelet en main, chuchotant des sourates du Coran. Il me fit un signe de tête comme pour dire de le rejoindre. Je m'assis à ses côtés. Il se mit debout après un court instant, suivi de Mamo, pour commencer la prière du crépuscule. J'en fis de même, suivant tous leurs gestes à la lettre.

Ces moments de spiritualité en famille étaient d'une grande importance, obligatoires pour les adultes, mais aussi inculqués aux plus jeunes dès le plus jeune âge.

À la fin de la prière, mes grands-parents récitaient des prières supplémentaires en soufflant sur ma tête, me faisant sentir protégé et béni. Après cela, Mamo se dirigea vers la marmite qui mijotait sur le feu à côté de la case, dans notre cuisine à ciel ouvert, d'où émanait une succulente odeur de sauce à base de feuilles de moringa, de poudre de cacahuètes et de poisson fumé, servi avec du couscous de mil, c'est le plat par excellence de notre tribu peule,

D'habitude, à cette heure-là, je me trouvais à côté de Mamo, l'empressant à servir le dîner, mais aujourd'hui, ma faim s'était transformée en pensées. Mon impatience de voir mon père grandit de plus en plus. De nombreuses questions me venaient à l'esprit.

-"Et si Mbarom avait raison? Est-il vrai que mon père m'a abandonné? Sinon, pourquoi ne suis-je pas avec lui? Va-t-il vraiment venir? Peut-être a-t-il perdu les sacs de bonbons en cours de route?"

Les questions défilaient dans ma tête comme des nuages orageux dans le ciel.

-"Dembaaa!" m'appelait Mamo.

-"Han!” Répondis-je pensif.

-“Qu'est-ce qui t'arrive aujourd'hui? Tu n'as pas faim, je m'inquiète pour toi."

-"Je vais bien, Mamo."

-"Viens manger alors!"

Grand-père, qui venait juste de finir sa prière, nous rejoint, l'air préoccupé.

Je reconnaissais ce regard qu'il avait lorsqu'il était inquiet, comme quand je m'étais cassé le doigt en essayant de casser des miettes du bloc de sucre d'antan. Il avait ce même regard lorsqu'il avait vu mon pouce ensanglanté et tordu.

-"Mbassou, tu es malade? Ou as-tu mal?"

-"Je vais bien, Grand-père."

-"Tu es sûr?"

-"Oui."

-"Bien alors, mangeons!"

Le dîner sentait très bon. L'odeur du couscous mélangé à celle de la sauce moringa était très bonne, mais comme pour le déjeuner, je n'avais pas trop faim. Je mangeais lentement, imaginant tous les scénarios possibles de l'arrivée de mon père.

J'entendais Grand-père raconter ses blagues habituelles sans vraiment y prêter attention. Après quelques bouchées, je me tournai vers la ‘satala” pour me laver les mains.

-"Où vas-tu?" demanda Mamo, l'air préoccupé.

-"Je n'ai pas faim."

-"Tu es malade, mon chéri? Dis-moi la vérité. Est-ce c'est parce que tu as peur des piqûres du docteur? Dis-moi la vérité, mon chéri."

-"C'est la vérité."

-"Il est malade, il a de la fièvre," dit Grand-père en posant sa main sur mon front. "Mbassou, il faut le dire si tu es malade."

-"Je ne suis pas malade et je n'ai pas faim; en plus, il faut que je garde de la place dans mon ventre pour les bonbons que mon papa m'apportera demain."

-"Haha haha haha," éclata de rire Grand-père, au point de s'étouffer. "Tu m'en donneras, j'espère?" me demanda-t-il, encore amusé par ma réponse.

-"Non, parce que tu t'es moqué de moi en me faisant chercher des bonbons dans l'enclos des vaches."

-"Et pour toutes les autres fois où je t'en ai donné alors?"

-"Ok! Je te les rendrai. De toute façon, il m'en ramènera beaucoup."

-"Bien alors," dit-il pendant que Mamo lui versait de l'eau sur les mains qu'il se lavait.

Adama, Hawa et Mbarom avaient eux aussi fini de dîner et se dirigeaient vers nous.

C'était l'heure des innombrables contes de Grand-père et des concours de pets qui l'amusaient tant, le gagnant, celui qui faisait le plus grand bruit, remportant des bonbons comme prix. Le gagnant était toujours Mbarom ou moi-même. Grand-père s'installa confortablement sur sa chaise pliante et nous nous asseyâmes autour du feu qu'il ravivait avec du bois.

-"Il était une fois," dit-il, la voix grave. Il nous embarqua une fois de plus dans un monde merveilleux où les personnages étaient des animaux sauvages de la savane. Un monde rempli de sagesse et d'apprentissages pour les enfants. Ces histoires finissaient toujours par une anecdote et en annonçaient une autre pour le lendemain.

Adama et Hawa suppliaient Grand-père d'en raconter une de plus lorsque je me rendis compte que je n'avais rien écouté. J'étais encore perdu dans mes pensées.

-"Il est tard les enfants, allez vous coucher! On continuera demain. " insista Mame Laba.

-"A demain les gars"

-"A demain Demba" dirent-ils tous en chœur. Je me dirigeai vers la case de Mamo, pensif. La nuit était sombre et le ciel étoilé. La lueur de la lampe à pétrole éclairait faiblement la case de Mamo qui préparait le lit pour moi. Elle avait gardé les restes du dîner pour moi, mais ma faim n'était toujours pas au rendez-vous. Je sautais sur le lit pendant qu'elle m'offrait la calebasse.

-"Mange un peu mon chéri"

-"Non, je n'ai pas faim." Tout ce qui m'intéressait, c'était de faire passer le temps le plus vite possible et quoi de mieux que de dormir. Je me couchai sur le dos confortablement.

Cette nuit-là me parut la plus longue de ma vie. J'avais passé toute la soirée à penser à tous les cas de figures du lendemain. Le sommeil ne me venait pas et les bruyants ronflements de Mamo le rendaient encore plus difficile à trouver.

Les hululements d’hiboux s'entendaient de temps à autre. Des hyènes hurlaient au loin régulièrement suivis de leurs ricanements diaboliques qui    rendaient la nuit encore plus insupportable.

Je finis par m’endormir sous les chants inlassables des grillons.

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