Un pénible voyage
Le trajet vers ma ville natale fut long et pénible. C'était la première fois que je montais sur ce tas de ferraille qui me terrifiait tellement que je courais me réfugier dans la case de Mamo lorsqu'il passait devant la maison. Je tremblais de peur quand mon père me forçat à rentrer dans cette vieille Renault Estafette. Le car rapide, comme on le surnomme ici, était rafistolé, bricolé, et ressoudé de partout. Peinte de couleurs jaune et bleu, des décorations pittoresques donnaient à la vieille voiture une allure d'œuvre d'art tout droit sortie du musée des Arts Nègres. Le toit était surchargé de bagages de toutes sortes, le nombre de passagers excédant largement celui du maximum de places. Des animaux domestiques étaient entassés ça et là sous les sièges et entre les jambes des passagers. Les derniers arrivés n'ayant plus de places où s'asseoir restaient debout, accrochés à une barre de fer longeant le plafond du car. Mon père et moi étions assis devant à côté du chauffeur. Il me prit sur ses genoux pour faire place à un vieillard qui venait juste d'arriver. Ma terreur s'accentua davantage quand le conducteur démarra le moteur et me fit sursauter d'effroi. J'étais encore plus pétrifié quand l'autocar commença à rouler et je m'aggripa sur le boubou de mon père. Une fumée noire dégagée par le moteur faillit m'étouffer. Une sensation de nausée faisait remonter mon petit-déjeuner à la gorge.
Le car s'engagea bientôt sur une piste sablonneuse, chaque secousse amplifiant mon malaise. Les arbres bordaient la route, leurs branches semblant former un tunnel oppressant. Le sable soulevé par le passage du véhicule créait un nuage dense qui s'infiltrait par les vitres, s'ajoutant à mon inconfort. La chaleur était étouffante et l'air difficile à respirer. Très vite, la nausée monta en moi, me donnant des sueurs froides. J'essayais de me concentrer sur autre chose, mais chaque cahot du car rendait la situation plus insupportable. Mes mains moites agrippaient le boubou de mon père de plus en plus fort, mes jointures noircies par la pression.
Le malaise devint si intense que je ne pouvais plus le contenir. Soudain, sans prévenir, je vomis sur le tableau de bord du véhicule, provoquant une exclamation de dégoût du conducteur. Il arrêta immédiatement le car sur le côté de la piste. Mon père tenta de me rassurer tandis que je descendais précipitamment pour respirer l'air frais et me calmer. Les vieux passagers, malgré son inconfort, étaient compréhensifs, proposant de l'eau pour me rincer le visage. Le chauffeur attendait patiemment que je me sente mieux avant de reprendre la route, la vieille Renault Estafette recommençant son périple cahoteux vers notre destination.
Alors que le car reprenait son trajet, la fatigue commença à me gagner. Les cahots du véhicule, qui m'avaient tant effrayé au départ, devenaient une sorte de berceuse monotone. Mes paupières étaient lourdes, et je luttais pour rester éveillé, mais le sommeil finit par l'emporter.
Je m'endormis contre mon père, bercé par le ronronnement du moteur et le mouvement constant de la route. Les conversations des passagers et le chuchotement du vent à travers la vitre se mêlaient dans un brouillard sonore apaisant. Malgré l'inconfort du voyage, je trouvai un certain réconfort sur les genoux de mon père qui me rappelait ceux de mes grands-parents.
Lorsque je me réveilla, le paysage avait changé, les habitations étaient faites de murs et de bâtiments au lieu de cases en paille et de clôtures en bois. La route semblait moins cahoteuse et c'était transformée en une piste noire qui brillait sous les rayons du soleil telle une ligne droite qui continuant infiniment vers l'horizon. Une tranquillité nouvelle régnait dans le car. Mon père me sourit doucement, et je compris que nous étions enfin arrivés à Linguère.
Le chauffeur fit tourner le car dans une ruelle ensablée où un groupe d'enfants jouaient au ballon. Ils se mettèrent tous de côté pour laisser le passage, mais le chauffeur freina brusquement .
-”On est arrivé!” s'exclama mon père, l'air soulagé.
Le groupe de gamins avaient abandonné leur partie de football et entouraient le car leurs yeux braqués sur moi pendant que je descendais du véhicule, les jambes lourdes. Deux d'entre eux, coururent vers nous criant de joie: Babaa, s’adressant à mon père qui les accueillit souriant.
Après de brefs accolades, il leur tendit sa mallette et deux sacs de fruits secs qu'il avait acheté en cours de route.
-”C’est qui lui?” demanda l’un d'eux.
-”C’est votre petit frère Demba”
Ils me lancèrent un regard bizarre qui me rappela Mbarom.
Mon père me prit par la main et se dirigea vers la maison devant laquelle on venait de descendre. Mes deux frères nous suivaient et ne quittaient pas les yeux de moi.
Un mur haut de deux mètres et une porte métallique cachaient une jolie maison blanche au milieu d'une grande cour parsemée d'arbres fruitiers et d'un énorme margousier. Une femme très élégante, portant un bébé sur le dos, sortie de la maisonnette suivie de plusieurs filles et garçons pour nous accueillir. Tout le monde me regardait intrigué, comme si je venais d'un autre monde.
-”Bonjour Sow, tu as passé un bon voyage ? dit la dame, s'adressant à mon père sans me quitter du regard.
-”Bonjour Coumba, oui Dieu merci” répondit-il.
-"C'est qui ce gros” demanda une fille un peu plus agée que moi.
-"C'est votre petit frère Demba, je le ramène de chez sa grand-mère qui l'a presque détruit “ dit-il.
-”C'est mon frère ça” s'exclama une autre. Et tous les enfants commencèrent à rire et à chuchoter.
-”Il est trop gros. On dirait une boule. Regardez ses joues!
Tout le monde s’écarta pour nous laisser entrer enfin. Je me sentais humilié et rejeté pour la deuxième fois depuis ce matin là. Je n’avais qu’une envie, m'échapper et retourner chez mes grands-parents. Je ne savais pas quoi dire, ni quoi faire et je restais là sans bouger, encore plus pétrifié que lors du voyage.
Une autre femme surgit de l’intérieur de la maison et salua: Bonjour Sow,tu as passé un un bon voyage?
-Bonjour Aminata, oui Dieu merci” répondit mon père qui ajouta: Regarde ce que ta mère a fait de ton fils.
Elle tenait un bébé à la main qui me regardait aussi mais d’un regard plein d'innocence. Elle me lança un regard rempli peine en se couvrant la bouche de la main.
Malgré la gêne et l'humiliation que j'avais ressenti, je commençais à sentir une lueur d'espoir. Peut-être que ce nouvel environnement ne serait pas si mauvais après tout. Mon père posa sa main sur mon épaule et me guida à l'intérieur. L'intérieur de la maison était frais et accueillant. Les murs étaient décorés de photos de famille et de peintures colorées. Une douce odeur flottait dans l'air, promettant un repas délicieux après cette longue journée.
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