Chapitre 1

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Ceci est une fiction, ayant pour décor un des plus beaux villages de France, à la fin du siècle dernier. En conséquence de quoi seuls les lieux sont authentiques. Tout le reste n’est qu’invention, pure invention et aucun habitant de Gerberoy ne saurait s’y reconnaître.

I

Il est en Picardie, aux confins nord du pays de Bray, une petite cité d’une centaine d’âmes du nom de Gerberoy. Assiégée et incendiée plusieurs fois depuis sa fondation en 946, de son château ne subsiste plus aujourd’hui qu’une tour-porte et de ses murailles quelques modestes tronçons. C’est le prix que lui fit payer Henri IV durant les guerres de religion.

Isolée sur son ancienne motte féodale, ses rues pavées, ses maisons à colombages, en briques rouges ou en tuffeau, couvertes le plus souvent de tuiles, lui donnent aujourd’hui le charme suranné d’un refuge protégé des assauts du temps comme des drames de la vie. Telles sont du moins les apparences.

Là vivait, il y a peu encore, une jeune fille qui s’était promis un bel avenir. Elle avait pour nom Rose-Adélaïde Foulques de Tinville. Fille unique de noblaillons désargentés, après le décès de ses parents dans l’incendie jamais élucidé de leur gentilhommière, il lui fallut rapidement songer à s’établir.

Intelligente, mais rétive à l’étude, comme à toute autorité, après trois échecs successifs au baccalauréat, son bagage se réduisait à un certificat de fin d’études secondaires. Cependant, avec ses vingt ans, sa jambe bien tournée, sa taille cambrée, son joli minois et ses attaches nobiliaires, elle s’imaginait la tâche aisée.

C’est donc d’un cœur léger qu’elle s’inscrivit, sous le pseudonyme de « Rose de G. », sur l’un de ces sites de rencontres dites sérieuses qui commençaient à remplacer les agences matrimoniales d’antan.

Les prétendants ne se firent point attendre. Il faut dire que la photographie qu’elle avait fournie la mettait à son avantage : vêtue d’un simple pull en cachemire bleu échancré à souhait et qui laissait pointer deux fiers tétons, souriant de toute la blancheur d’une dentition parfaite, elle fixait l’objectif d’un vif regard pervenche. Une cascade de cheveux châtain clair bouclait sur ses épaules.

N’était le style télégraphique de son « profil », on l’eût pu croire rédigé par un contemporain de Voltaire et Rousseau, tant son vocabulaire vieille France détonnait avec le parler des jeunes d’aujourd’hui : « Gerboréenne. Vingt ans, bien née, orpheline. Des rêves plein la tête, souhaite croquer la vie tant qu’il en est temps. Toute disposée à quitter sa bourgade natale. Cherche compagnon un peu plus âgé, physique agréable, situation confortable, libre d’attaches, toutes régions ».

Tous les mâles inscrits sur le site, des jeunes puceaux boutonneux aux vieillards cacochymes, tentèrent aussitôt d’entrer en contact avec elle sans avoir, pour certains, compris la totalité du message.

Moins d’une semaine après son inscription, leur nombre s’élevait déjà à plusieurs centaines et Rose passa le reste du mois à écrémer ces candidatures spontanées pour n’en retenir qu’une dizaine, de tous âges, de toutes origines, mais avec deux points communs : apparence avenante et situation assise.

Encore fallait-il vérifier ces deux points, sur lesquels les forums de discussion lui avaient appris que les arnaques étaient fréquentes. Oui, mais comment ?

Commença alors pour Gerberoy une étrange période où le village entier se passionna pour l’entreprise de Rose, qui ne se cachait de rien, mais ne confiait rien non plus. Et chacun d’épier de son mieux les allées et venues de l’infortunée héritière, obligée depuis l’incendie de loger à La Rose de Picardie, l’unique hôtel-restaurant de cette « plus petite ville de France », selon le titre conféré par Philippe-Auguste en 1202.

C’est donc là qu’elle convoqua, étudia et départagea les dix impétrants retenus, à raison d’un par week-end, car en semaine, Rose-Adélaïde Foulques de Tinville, était employée au MacDo de Ferrières-en-Bray, à dix kilomètres de son domicile. Il faut bien vivre !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, mars 2012.

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