4. Un 14 juillet

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« Il y a des jours où l'on se demande si le soleil se lèvera encore. »

Le 14 juillet s’était levé sous un ciel bleu éclatant, annonçant une journée radieuse. Nous avions décidé de suspendre, l’espace d’un instant, nos préoccupations et de faire abstraction des ombres des événements récents. Le jardin était rempli des éclats de rire des enfants, courant et jouant dans une insouciance totale. Leur joie, simple et pure, était un baume, un répit bienvenu au cœur de cette tension omniprésente.

Chaque éclat de rire, chaque mouvement joyeux, était un rappel que la vie continuait malgré tout, même si l’angoisse, sourde et persistante, demeurait là. Nous nous demandions, sans le dire, si la réponse des parents finirait par arriver, si lui réagirait. Mais pour l’heure, nous choisissions de laisser ces pensées de côté. Chaque minute de tranquillité était précieuse, chaque seconde de paix, un moment à savourer.

Dans l’entrée, la caméra restait allumée, surveillant l’entrée et capturant les moindres détails. Nous restions sur nos gardes, jetant de temps en temps un œil à l’écran, mais nous nous efforcions de vivre, de ne pas laisser cette menace invisible nous priver de cette journée.

La chaleur du soleil caressait nos visages, et l’air embaumait le parfum des fleurs. Autour de nous, tout semblait réaffirmer la beauté simple de la vie. Là, ensemble, nous partagions des sourires, des mots légers, comme pour préserver, ne serait-ce qu’un peu, cette normalité qui semblait nous échapper. Mais sous cette légèreté, une tension persistait. Je sentais le poids de l’inquiétude qui pesait sur nous.

Les enfants, eux, ne se rendaient pas compte de tout cela. Absorbés par leur monde, leur insouciance nous apportait une bouffée d’air frais, presque un antidote à la lourdeur de nos pensées. Ils portaient déjà tant de fardeaux à cause des actes insensés de cet homme, mais dans leurs yeux brillait encore cette lumière pure, cette énergie effaçait l’obscurité autour de nous. Leurs rires résonnaient comme un défi à la nuit. C’était un rappel essentiel : même au cœur de la tempête, il fallait préserver ce qui était léger, ce qui était beau.

Même si nous étions trop épuisés pour organiser des jeux, leur énergie était contagieuse. Nous nous accrochions à ces instants comme à des bouées de sauvetage dans un océan d’inquiétudes.

La journée passait, entre la simplicité des rires d’Alice et Paul, et la lourdeur de nos pensées au-dessus de nous. Ce jour-là, sous le soleil de juillet, nous décidions de croire, un peu plus fort, à la possibilité d’un avenir meilleur.

En soirée, après un repas tranquille, les enfants étaient affalés sur le canapé, les yeux fixés sur l’écran de télévision, absorbés par le film. Leur sérénité apportait un réconfort inattendu dans ce contexte lourd, un contraste presque cruel face aux tensions qui nous rongeaient. Matthieu avait disparu un instant. Je ne savais plus où il était allé, peut-être faire quelques courses ou à un rendez-vous, mais je savais qu’il devait revenir rapidement.

Je décidai de profiter des derniers rayons du soleil, m’octroyant un court moment de tranquillité. Je sortis sur le toit-terrasse, où la chaleur du jour commençait à se dissiper, cédant la place à une brise douce. Je m’assis, décidée à me détendre un peu, et à vernir mes orteils. La lumière dorée caressait ma peau, apportant une chaleur réconfortante.

En vernissant mes ongles, je remarquai, contre toute attente, que l’angoisse habituelle ne m’envahissait pas. Le soleil et la tranquillité environnante semblaient dissiper mes inquiétudes. Juste pour un instant, je me sentais apaisée. Je regardais les couleurs du ciel, laissant mes pensées se perdre dans cette lumière calme. C’était une pause bienvenue après la nuit précédente, aussi tumultueuse qu’épuisante. Je savourais chaque instant de calme, le chérissant avant que la nuit ne ramène son flot de doutes.

Mais cette paix ne dura pas. Mes pensées glissèrent vers le drone. Il n’était pas là aujourd’hui, et l’absence de son bourdonnement me rendit curieuse. L’air semblait trop calme, presque trop silencieux. Était-ce un répit, ou bien se cachait-il quelque part, prêt à surgir à tout moment ? Je scrutai l’horizon, cherchant le moindre signe. L’Autre était-il là, invisible, tapi dans l’ombre, nous observant silencieusement. L’idée qu’il puisse se trouver à quelques mètres augmenta lentement la pression en moi.

Je tentai de me concentrer sur la lumière du soir, mais cette pensée glissait, insidieuse, pour s’installer au creux de mon esprit. Même dans ce moment de paix, la menace restait présente. Cette sérénité me semblait soudainement une illusion passagère. Je savais qu'il ne fallait pas baisser la garde.

Une idée saugrenue me vint à l’esprit. Pourquoi ne pas aller jeter un coup d’œil dans les jardins voisins ? Cela pourrait m’apporter un indice, une piste. Cette maison en vente juste à côté... Et si c’était là qu’il avait dissimulé son drone ?

Je me levai soudainement, le cœur tambourinant. Alice et Paul étaient à l’intérieur, et cette pensée me serra la gorge. Je ne pouvais pas les laisser seuls, mais cette idée… Elle était trop captivante pour que je l’ignore. Une excitation intense me parcourut, comme un frisson de vengeance imminente. C’était une aventure furtive, un risque à prendre. Une occasion de retrouver le contrôle.

En y réfléchissant, je ressentais le besoin que l’Autre soit là, quelque part. Qu’il apparaisse enfin, de manière tangible, pour qu’on en finisse. Que je puisse l’affronter, me défendre et me battre réellement et non caché derrière un écran. Mon esprit s’emballa. Je n’étais plus dans l’angoisse mais dans une impatience grandissante. Je pris une grande inspiration, me forçant à garder mon calme, et sortis, décidée à faire un bref tour du quartier

Je longeai les jardins, scrutant chaque recoin.

Rien.

Juste la tranquillité apparente des lieux... Mais je ne m’arrêtai pas. Je continuai, les yeux fixés sur chaque détail. Plutôt que de revenir sur mes pas vers l’arrière de la maison, je décidai de faire le tour et de rejoindre la rue parallèle qui menait à notre entrée, pour voir…

Et là…

Là, sur la marche de la première maison de la rue, à 100m de notre perron.

C'était lui.

C’était...

Incroyable.

Surréaliste.

Comme si je l'avais pressenti, avec une intensité bien plus grande qu'une simple intuition.

Il était là, en plein jour, sans se cacher, comme s’il attendait quelque chose. Ou quelqu’un.

Mon cœur s’emballa.

Un sourire insensé naquit sur mes lèvres, comme une certitude secrète murmurée à mon oreille : tu vas réussir.

Je devais agir. C’était une question de nécessité. Ma colère, ma frustration, tout ce qui bouillait en moi m'envahissait. Je n’avais plus peur. Je n'étais plus la même.

C’était le moment que j’attendais.

Je fixai sa silhouette, sans détourner les yeux.

Était-il au courant de la lettre ? Était-il là pour ça ?

Peu importe, ce soir, tout allait changer. Je n’étais pas là pour discuter. Il était là, en face de moi, et je devais inverser la situation.

Je pris une profonde inspiration, ressentant l’audace me monter dans la gorge. Je ne pouvais pas reculer. J’avais été passive trop longtemps. Cette fois, il n’aurait pas le contrôle. Je n'allais pas fuir.

Je m’avançai vers lui, sans hésiter, le téléphone serré dans ma main. Je devais filmer, capturer ce moment. Je fis comme si j’écrivais un texto et enclenchai le mode vidéo. C’était le moment de la confrontation. Je n'avais pas de plan précis, juste l’intuition qu'il était temps.

Mon téléphone en main, je me rapprochais, dissimulant l’écran mais orientant l’objectif vers lui Je savais ce que je voulais. Chaque mot qui sortirait de ma bouche serait soigneusement mesuré pour le pousser à avouer. Il fallait qu'il paie pour ses actes, pour tout ce qu’il nous avait fait subir.

La colère bouillonnait en moi, alimentée par chaque souvenir, chaque frayeur, chaque larme versée à cause de lui. Ce n’était plus un simple règlement de comptes. C’était vital. Je n’avais plus de place pour la peur. Mon regard était dur, déterminé. Cette confrontation marquerait la fin de son règne. Je n’hésiterais pas. Rien ni personne ne m'arrêterait. Ma famille allait être protégée, coûte que coûte. La justice allait enfin s’accomplir. Et je serais celle qui la ferait éclater.

-Qu’est-ce que tu fais là ?

-Quoi ?

-Pourquoi es-tu là, assis dans ma rue ?

-Ta rue ! !

-Quand est-ce que ça s’arrête ?

-De quoi ?

-Tout ce que tu fais.

-Ah mais ça ne s’arrêtera plus ! Ton mec m’a chié dans les bottes ce pd, maintenant c’est trop tard. Ma communauté va vous ruiner. Moi, mon taff est terminé. Je me suis arrêté dans la rue, j'ai regardé Ah bah tiens vous avez une imprimante, vous avez ceci, vous avez cela, vous avez votre réseau J'ai craqué votre réseau, j'ai craqué ton téléphone, j'ai craqué le téléphone de l'autre, j'ai craqué votre ordinateur, j'ai tout, sur tout ! ON SAIT TOUT TU COMPRENDS PAUVRE MEUF ? TOUT EST SUR LE DARK, MES COLLÈGUES RUSSES BIEN ENERVES SONT SUR VOTRE GUEULE POUR TOUJOURS !

-Alors, t'as pas dit…

-Tu t’octroies la rue, ben moi je m’octroie le net. TU COMPRENDS ? Alors dégage de là, j’attends mon dealer.

-T'as pas dit : « Moi je ne toucherai pas aux femmes et aux enfants ? »

-Bah non !

-Si, et je crois, excuse-moi, être une femme

-Mais là, c'est ton compte bancaire c'est pas la femme.

-Mais en quoi je suis responsable…

-T'es une femme moderne, qui travaille, qui vote non ? T'es pas une femme du 18ème siècle.

-Qu'est-ce que j'ai à faire là-dedans moi ?

-Bah, vous êtes en couple.

-Et alors ? Et mes enfants ?

-Vous êtes mariés, vous…

-Et mes enfants ?

-Vous êtes mariés ?

-Oui.

-Pour le meilleur, pour le pire ?

-Et mes enfants ?

-Bah, là, c'est le pire ! !!

-Et mes enfants ?

-C’est le pire tu m’entends ! Vous êtes morts ! Tes enfants si je veux te les faire enlever c'est en deux minutes Si je suis bien énervé, je pense qu'en une semaine vous les avez plus…

-Mais pourquoi ?

Il prend un appel, se lève brusquement et s’éloigne, laissant derrière lui une atmosphère chargée de tension.

Alors qu'il s’éloigne, j’entends un mot de sa conversation : « Dépêche-toi, y'a une connasse qui me pète les couilles là. »

Le mépris dans sa voix résonne en moi. Je reste calme. Je sais que j'ai tout filmé. Chaque mot est capturé, et j’ai en main les preuves de ses malversations.

Dans l'urgence, j’ai saisi l'opportunité qui se présentait à moi. J'ai agi rapidement, presque comme un automate, programmé pour accomplir une mission. Chaque geste était calculé, chaque mouvement réfléchi. Mon esprit était concentré, déterminé à tirer le meilleur parti de cette situation.

En y réfléchissant après coup, je ne sais pas d'où m’est venue cette capacité à agir avec une telle clarté dans l’urgence. En posant des questions innocentes et en feignant la curiosité, j’ai réussi à le pousser à tout dévoiler. Chaque mot qu’il prononçait était une pièce du puzzle, et il n’avait aucune idée qu’il se mettait en danger. C'était comme si, dans ce moment critique, une part de moi savait exactement ce qu’il fallait faire pour extirper ses révélations sans éveiller ses soupçons.

En rentrant chez moi, une vague d’énergie m'envahit. Je veux retrouver mes enfants au plus vite. Je suis fière de ce que j’ai accompli, de l’audace dont j’ai fait preuve. Cela me donne une force nouvelle.

Je compose le numéro de Matthieu, mais il ne répond pas. Je laisse un message, lui demandant de rentrer rapidement et de faire attention à ne pas croiser l'Autre.

Peu à peu, l’inquiétude s’installe en moi. Je me demande ce qu’il pourrait encore manigancer dans notre rue, quel danger il représente. L’idée que Matthieu puisse se retrouver face à lui m’angoisse. Je ne sais jusqu’où il est prêt à aller, et cela me préoccupe. Je scrute la rue par la fenêtre, chaque bruit me faisant sursauter. J’attends son retour avec impatience, prête à réagir si nécessaire, à le protéger.

Une anxiété sourde s’insinue en moi. Chaque seconde semble interminable. L'idée que Matthieu puisse croiser ce fou me terrifie. Je sais de quoi il est capable, et je crains que la colère ne l’emporte sur la raison. Maintenant que j’ai des preuves, il ne faut surtout pas qu’il agisse sur un coup de tête, qu'il fasse une bêtise irréparable.

Soudain, des cris perçants résonnent devant la fenêtre du salon, des hurlements qui déchirent l’air comme des éclairs. Mon cœur s’emballe. Les enfants, visiblement choqués, se tournent vers moi, leurs yeux remplis d’inquiétude. Je prends une profonde inspiration et leur assure que je vais arranger la situation.

« Montez dans vos chambres, restez là, ne descendez pas, quoi qu'il arrive. »

Je sors, activant la vidéo sur mon téléphone, la rage pulsant dans mes veines. Il est allé trop loin cette fois. Là, devant ma maison, il se tient debout, hurlant comme un animal enragé, un couteau brillant dans chaque main.

La scène est irréelle, un tableau cauchemardesque que je n’aurais jamais imaginé. Son regard, fou et dément, est empli d’une colère incontrôlable. Ses bras armés sont tendus vers le ciel, comme s’il cherchait à invoquer la violence.

Je suis à un tournant décisif. À l’intérieur, mes enfants sont probablement paralysés par la peur, leurs petites âmes en proie à l’angoisse. Je dois agir pour les protéger, étouffer ses hurlements avant qu'ils ne parviennent à leurs oreilles innocentes. Ce fou doit se taire.

Je comprends que je me trouve dans une situation explosive. Dois-je tenter de le calmer, de lui parler avec la raison, ou bien le provoquer, jouer avec le feu pour voir s’il cède à son impulsion ? C’est un jeu dangereux, mais je suis prête à tout. La peur ne peut plus m’atteindre.

Je suis prête à risquer ma propre sécurité, à affronter ce danger de face. Parce qu’au fond, même si cela devait me coûter la vie, même s’il me transperce de ses couteaux, je serais débarrassée de cette terreur qui me hante. Cela mettrait fin à tout, à mes souffrances, et, plus important encore, cela sauverait ma famille. En finir avec la vie ne m’effrayais pas. Ce soir, tout doit se terminer, et je n’hésiterai pas à risquer tout pour que cela arrive.

-D’où il me poursuite en voiture, lui. D’OU IL ME POURSUIT ? ll est où ?

-Qui ?

-TON GARS !

-Arrêter d’hurler. Mes enfants, là, s'il te plaît

-Ils sont où, tes enfants ?

-bah ils sont là, Ils sont chez eux quoi !

-J’m’en fous, Je sais pas à quoi il joue mais je vais le buter là ton gars.

-De quoi tu parles ? Pourquoi t'es venu hurler devant ma maison ?

-Ton gars ! Il vient de me poursuivre avec ta bagnole, là ! Ta bagnole, je te dis ! Là, à l'instant !

-Bah il habite là, il rentre chez lui…

-Putain mais il est dingue, vous vous prenez pour qui bande de connards ?

-Tu me menaces, là ?

-Non, je te menace pas. Lui, je le croise, j'y coupe un doigt. Tu comprends ? J'suis pas venu en courant pour rien. T'ES OU ? ENCULE ! T'ES OU ? Mais qu'est-ce que tu fais, sale fils de pute ? J'vais te couper la bite !

Tout en continuant à hurler et vociférer, il se dirige vers la rue parallèle, s’approchant dangereusement de notre jardin, où Matthieu doit être en train de se garer. La panique m’envahit. Je me précipite à l’intérieur, le cœur battant, consciente que chaque seconde compte. Il faut que je retrouve Matthieu avant que tout ne dégénère. Lorsqu’il comprendra ce qui se passe, je sais qu’il perdra totalement le contrôle.

Dans le jardin, je le repère enfin, franchissant le portail. Un rapide soulagement m’envahit, mais je n’ai pas le temps de souffler. Je lui lance quelques mots à la hâte pour lui dire que j’ai des preuves, mais qu’il doit être vigilant, car l’Autre est dans un état de rage absolue. Je ne mentionne pas les menaces ou les couteaux, ni le fait qu’Alice et Paul ont assisté à cette scène, cela alimenterait sa rage.

Je lui fais signe de rester calme, sachant que l’adrénaline pourrait le pousser à réagir de manière impulsive. Nous frôlons déjà l’explosion, et ma priorité reste de protéger ma famille. Je l’encourage à me suivre, à retourner à l’intérieur. Nos enfants doivent être en sécurité, loin de cette menace imminente.

Un sifflement perçant déchire soudainement l’air. D’abord, je pense à un arrosage automatique. Mais je me retourne brusquement, et la réalité me frappe en plein cœur : il a crevé mes pneus. Le reflet du couteau dans sa main me glace. Une colère furieuse, incontrôlable, m’envahit.

Je vois le visage de Matthieu, marqué par l’hystérie. Il n’est pas en état de réagir calmement. Je l’oblige à rester à l’intérieur et à veiller sur les enfants. Puis, sans réfléchir, je fonce à sa poursuite, le téléphone en main, la caméra déjà en marche. Chaque pas me rapproche de lui, déterminée à ne pas le laisser fuir.

Je dois obtenir des preuves, capturer chaque instant, chaque geste violent. Ma concentration est totale, sachant que cette confrontation est inévitable.

« Rembourse-moi mes pneus ! ».

Chaque pas résonne dans ma tête, ma colère me propulsant vers lui. Il avance rapidement, mais je refuse de le laisser filer.

Je le rattrape et tente de saisir son bras, mais il me serre le poignet puis me repousse violemment.

« Je ne suis pas responsable ! Dégage ! » Crie-t-il, défiant.

Un groupe de jeunes apparaît au loin, attiré par mes cris. Ils courent à vive allure, l’énergie presque électrique.

« Il a crevé mes pneus ! » leur criai-je.

Sans hésitation, ils se lancent à sa poursuite. Les cris explosent dans l’air, emplis de rage. Ils le rattrapent vite, l’encadrent. « Explique-toi ! » hurlent-ils, leur colère palpable. L’homme, pris au piège, devient hystérique : il lance des coups dans le vide, frappant l’air de ses poings tremblants, hurlant à s’en déchirer la gorge. Sa panique est totale. Les jeunes le fixent, implacables, menaçants.

Je crie aux jeunes de rester prudents, de ne pas prendre de risques, mais ma voix se noie dans le tumulte. Des gyrophares au bout de la rue annoncent l’arrivée des forces de l’ordre.

Les jeunes l’ont bousculé violemment. Il est à terre.

Je leur ordonne de partir.

L’Autre se relève, s’approche de moi et me frappe violemment à la tempe avant de s’enfuir en courant, droit vers les gyrophares.

Les policiers l’interceptent quelques mètres plus loin. Je les rejoins, la colère et l’adrénaline bouillonnant encore dans mes veines. Il est à terre, menotté, hurlant qu’il souffre, qu’il est malade, qu’il n’est pas coupable, qu’il a été agressé. Une foule se forme autour de lui, les jeunes toujours présents, vociférant leur colère.

Ses cris résonnent, désespérés, comme un dernier souffle de résistance. Les policiers ne lui laissent aucune échappatoire.

Mais la situation dérape. Les policiers, visiblement tendus, tentent de calmer les jeunes, les repoussant et les menaçant de sanctions plus sévères. Je tente de les apaiser, les suppliant de s’éloigner pour éviter des ennuis. La tension est à son comble.

Matthieu est là, il a vu l’Autre me frapper. Je sais qu’il est au bord de l’explosion. La colère brûlante qui l’envahit pourrait tout faire déraper. Je le rejoins, le prend dans mes bras pour le calmer.

Un policier se tourne vers moi, l’air tendu, et me demande ce qui s’est passé. Mes mots sont rapides et hachés, trahissant encore l’intensité de l’événement.

Peu après, la gendarmerie arrive et prend le relais.

Il est finalement emmené, menotté, pour être placé en garde à vue.

La foule commence à se dissiper lentement, mais l’atmosphère reste lourde, comme une brume pesante, difficile à respirer.

Une gendarme s’approche de moi et me demande de raconter ce qui s’est passé. Je dois expliquer encore une fois chaque détail de cette altercation qui m’a laissée épuisée. Elle prend note de tout, son stylo courant sur le carnet avec sérieux. Peu après, un autre gendarme prend des photos de mes blessures. La rougeur visible sur ma tempe témoigne du coup qu’il m’a donné, et les marques sur mon poignet montrent qu’il m’a agrippée violemment. Après un silence, la gendarme me regarde et me dit qu’on sera tranquille, « au moins cette nuit… ». Cette phrase, censée me rassurer, me laisse perplexe. Je n’arrive pas à savoir si je dois me sentir soulagée ou inquiète.

Je refuse d’aller faire examiner mes blessures ou de porter plainte immédiatement. Mon esprit est ailleurs, tourmenté. Une seule pensée occupe ma tête : je dois rentrer. Les enfants sont seuls à la maison, et ils ont besoin de nous. Et j’ai besoin d’eux.

Alice et Paul dorment paisiblement, leurs respirations régulières m’apaisant dans ce moment de chaos. Matthieu est là, à côté de moi, son regard toujours empli de questions. Nous avons tous les deux été témoins de l’interpellation, et l’adrénaline de l’instant ne s’est pas encore dissipée.

Je me déplace lentement vers la fenêtre, mon cœur toujours affolé. Je scrute la rue, m’assurant que la menace est loin. Les cris et la violence de la confrontation reviennent en mémoire, j’ai du mal à me retrouver mon calme.

Matthieu reste silencieux, les sourcils froncés, son esprit sûrement en train de digérer tout ce qui vient de se passer. Je me tourne vers lui mais les mots restent bloqués dans ma gorge.

Je vais vérifier une dernière fois les enfants. Leur tranquillité est un baume pour mon esprit tourmenté. Je reviens vers Matthieu, et son regard inquisiteur me transperce. Il a besoin de réponses, tout comme moi.

Avant même que je puisse lui dire quoi que ce soit, un bruit de moteur me fait sursauter. Mon cœur s’emballe à nouveau.

Il est là. Deux heures à peine après son interpellation. Ses parents viennent de le récupérer, et il se tient là, suivi des gendarmes qui le conduisent à sa voiture, laissée dans notre rue. Une sensation glacée m’envahit en le voyant. La réalité de sa présence me frappe comme une décharge électrique.

Deux heures de garde à vue pour tous ses méfaits, et le voilà libre de ses mouvements. La colère me submerge, un mélange d’incrédulité et de rage. Comment est-ce possible ? Comment peut-on laisser quelqu’un qui a semé la terreur repartir aussi facilement ?

Je me tiens là, le cœur battant, mes pensées en pleine tourmente. Cet homme a prouvé sa capacité à la violence, et le fait qu’il soit aussi près de notre maison ravive toutes mes craintes. Je serre les poings, consciente que la menace n’a pas disparu.

Matthieu est à mes côtés, toujours silencieux, mais je sens sa tension. Nous savons tous les deux que ce n’est pas fini. La rue, qui devrait être notre refuge, semble désormais hostile.

Je ne suis plus prête à me battre. J’ai tout donné, j'y ai cru. J'avais imaginé que ce moment marquerait la fin des cauchemars, que nous pourrions enfin respirer, reconstruire ce qui avait été brisé. Mais le voir là, libre et impuni, me fait réaliser que tout cela n’a servi à rien. Chaque effort, chaque instant de tension, chaque plan élaboré semble désormais dérisoire.

L’injustice me ronge, mais que faire ? La colère s’est évaporée, remplacée par un sentiment d’impuissance écrasant. La bataille, je le réalise, n’est pas terminée.

Une intuition soudaine nous pousse à aller voir la voiture de Matthieu. À peine arrivés, nous découvrons que ses pneus ont aussi été crevés. Un silence lourd s’installe, la réalité nous frappant de plein fouet.

Chaque jour, je me réveille avec la peur au ventre, me demandant quel sera le prochain coup. Nous avons perdu notre sécurité, et maintenant même nos véhicule. C’est comme si notre vie avait été réduite à néant, chaque aspect de notre existence quotidiennement mis en danger.

Je suis submergée. La colère, la crainte, la déception s’entremêlent et m’étouffent. Je me demande comment j’ai pu tenir si longtemps. Je pensais que ce moment serait un tournant, une libération. Mais je me sens piégée, comme si chaque pas en avant me ramenait deux pas en arrière.

Je pense à porter plainte, mais à quoi bon ? Il est déjà libre. Même si je fais le bon choix, je sais que le processus sera long et épuisant. Et s’il revenait ? Chaque bruit, chaque mouvement à l’extérieur me fait sursauter. Je suis constamment sur le qui-vive.

Matthieu est là, silencieux. Son regard sombre traduit sa détresse, et le mouvement nerveux de ses jambes témoigne du stress qui l’inonde. Je veux lui parler, mais je reste muette. Nous avons tous deux vécu cette expérience, à quoi bon mettre des mots sur nos maux communs... C’est inutile, cela ne pourra plus rien arranger. Je suis lasse.

Je me glisse dans la chambre, épuisée. Les médicaments m’appellent, mais je ne trouve aucun soulagement en les prenant. C’est une obligation qui me désespère.

Je me demande comment j’ai pu en arriver là. Je prends les comprimés presque machinalement, comme si cela pouvait me sauver de cette spirale. Je me blottis dans le lit, espérant que le sommeil m’emportera loin de tout ça. Mais les images de la journée restent accrochées à mon esprit.

Je ferme les yeux, tentant d'échapper à cette réalité. Pour l'instant, tout ce que je peux faire, c'est espérer que le sommeil viendra me chercher et que je me réveillerai prête à prendre des décisions.

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