6. 501 jours plus tard
Une promesse fragile, mais lumineuse, éclatait comme une lueur dans l’obscurité, nous laissant croire que tout pourrait s’arranger.
Mais non… La vie s’acharnait encore et encore.
Ces 501 jours écoulés depuis cette promesse n’ont rien apporté. Rien.
Au contraire, chaque jour semblait faire surgir un nouvel obstacle, une nouvelle déception, un nouveau drame.
L’espoir initial, cet élan d’optimisme naïf, avait laissé place à une lente désillusion.
On s’était dit que l’effort finirait par payer, que la vérité finirait par éclater, que c’était trop injuste, que cela ne pouvait pas nous arriver, que la vie finirait par nous offrir des jours meilleurs. Car ce mauvais cauchemar, ce polar à deux balles, nous ne le méritions pas.
Nous étions de bonnes personnes.
C’est cette profonde injustice qu’on ne pouvait pas accepter, qui nous déchiquetait de l’intérieur, un peu plus chaque jour.
On avait cru que le pire était derrière nous, que tout ce chaos n’était qu’une parenthèse. Mais les rêves, les espoirs d’une issue favorable, se brisaient un à un. Les changements que nous imaginions ne se produisaient pas. À la place, il n’y avait que des retours en arrière, des combats sans fin.
Peu importait le domaine, une mauvaise nouvelle arrivait quotidiennement. Dans nos métiers respectifs, les ennuis et complications se multipliaient. Nos états de santé étaient devenus des handicaps. Nos insomnies, notre paranoïa, ne nous ont plus quittés. Dans nos familles respectives, la liste des problèmes était longue, allant du dérangeant au très grave. Notre cercle d’amis s’est étiolé, emporté par notre silence. Nous ne voulions pas leur faire subir tout cela.
Dans le domaine judiciaire, dans nos finances, dans les travaux prévus, dans la vente de notre maison de la plage (qui représentait pour nous l’accomplissement de toute une vie)…tout n’était qu’échec.
Les diffamations circulaient, revenant jusqu’à nos oreilles.
Les conséquences des nombreux piratages, sans fin, se poursuivaient… Des heures et des heures de surveillance, même plus de 500 jours après…
Il avait gagné.
Et nous étions là, désemparés, incapables de trouver une issue.
Le père n’a jamais tenu sa parole.
Après notre appel téléphonique, il a communiqué un temps, nous tenant informés de ce qui se passait de leur côté, de l’état de leur fils, qui se soignait et assurait qu’il était désolé pour ses actes. Puis, il a proposé de faire appel à un médiateur. Nous ne voyions pas l’intérêt, et surtout, nous ne voulions pas ajouter de frais inutiles à une situation financière déjà devenue délicate à cause de l’Autre. L’idée de faire intervenir une tierce personne nous semblait absurde. Devant notre refus, il a réagi sèchement, nous annonçant qu’il n’avait plus confiance en nous.
Puis, plus rien.
Silence total.
Le 1er janvier, après six mois d’attente, j’ai pris la décision de lui envoyer mes vœux. Un prétexte pour lui rappeler, sans détour, que la promesse qu’il avait faite n’était plus qu’un souvenir vide, non tenu.
Ce n’était plus une question de politesse ni de diplomatie.
Je lui ai écrit que, désormais, il s’agissait de ce qu’il avait laissé en suspens derrière lui. Je lui ai dit que, par son incapacité à honorer ses engagements, c’était en lui qu’on ne pouvait avoir confiance. Ce n’était pas à nous de nous justifier encore, mais à lui de répondre à ses promesses.
Il n’a jamais pris la peine de répondre.
Avec Matthieu, nous avons finalement pris la décision de porter plainte, dans l’espoir que cette fois, la justice nous offrirait l’opportunité de faire entendre notre version des faits.
Pour appuyer notre dossier, nous avions réuni toutes les preuves possibles : les captures d’écran des messages envoyés par l’Autre, les vidéos montrant ses aveux, ses actes, ses méfaits. Nous croyions que ces éléments solides suffiraient à convaincre les autorités.
Il n’en fut rien.
Ce moment fut extrêmement difficile pour nous. Chaque mot prononcé semblait nous accuser davantage, comme si nous n’avions jamais été considérés comme les victimes.
Nous avions l’impression de jouer le rôle des coupables, obligés de justifier chaque décision, chaque geste. Ce que nous avions pris pour des preuves irréfutables, des faits concrets accumulés, étaient balayés d’un revers de main.
Les vidéos, censées démontrer ses aveux, ont été jugées irrecevables.
La raison ?
Je n’avais pas demandé l’autorisation de filmer l’Autre.
Un comble.
Tout s’effondrait autour de nous. Tout ce en quoi nous avions cru, toute la force de notre dossier, porteur de toutes nos douleurs, disparaissait en quelques minutes.
La justice ne nous a pas considérés. Au contraire, nous étions maintenant « les méchants ».
Le combat que nous menions semblait inutile, comme si tout avait été mis en place pour nous faire échouer.
De son côté, l’Autre poursuivait tranquillement sa vie, sans le moindre obstacle, sans jamais être inquiété par la justice.
Rien n’avait changé pour lui. Mais pour nous, tout était dévasté. La lutte nous écrasait, comme si nos vies étaient désormais un champ de ruines.
501 jours plus tard, nos deux voitures sont dans un état lamentable, totalement hors service.
Les pneus, que nous avions remplacés en urgence par des modèles d’occasion pour économiser, se sont révélés de piètre qualité. Ils n’ont pas tenu longtemps : plusieurs crevaisons sont survenues, nous laissant souvent immobilisés au bord de la route.
Le pneu crevé par l’Autre n’était que la partie visible des dégâts. Son acte a également touché l’amortisseur, un problème invisible au départ mais qui a transformé la voiture de Matthieu en un danger roulant.
Ses actions entraînèrent une série d'accidents qui aggravèrent rapidement l'état de nos véhicules. Pare-chocs arrachés, portières cabossées, phares brisés, rétroviseurs cassés : les dégâts matériels s'amoncelaient. Ces incidents, loin d'être anodins, ont contribué à détériorer notre moral, déjà bien éprouvé.
Les devis de réparation se sont révélés astronomiques, bien au-delà de nos moyens. Nous avons dû abandonner l’idée de remettre les véhicules en état.
Sans contrôle technique à jour, les démarches administratives ont pris un tournant désastreux. Les véhicules n’ont pas pu être validés, et nous avons accumulé les avertissements des autorités.
La situation s’est envenimée lorsque la gendarmerie a fini par intervenir. Lors d’un contrôle, ils nous ont retiré les cartes grises, déclarant nos voitures hors d’état de circuler.
Deux véhicules inutilisables, des frais qui s’accumulent, et un sentiment d’échec : la descente a été lente mais inexorable.
Pendant ces 501 jours, nous avons dû supporter des épreuves bien plus dures que ce que nous aurions pu imaginer. Mais rien ne nous avait préparés à ce qui allait arriver le jour de cette perquisition à notre domicile, déclenchée par une plainte de l'Autre. Ce fut une intrusion violente dans notre vie privée, un choc profond qui nous a pris par surprise et nous a laissés sous le coup de l’incompréhension. Un matin, sans avertissement, la gendarmerie est arrivée chez nous, comme si nous étions des criminels. La violence de la situation ne résidait pas dans les objets fouillés, les papiers examinés, ou nos affaires personnelles jetées en désordre à travers la maison, mais dans la sensation accablante de se retrouver réduits à des suspects. Chaque geste des gendarmes semblait confirmer cette perception : nous n’étions plus des citoyens respectables, mais des coupables en attente d’être démasqués. Et pourtant, c'était nous, les victimes ! Comment pouvais-je accepter cette inversion des rôles ? C’était une douleur d’une nature nouvelle, difficile à supporter.
Chaque minute de cette perquisition semblait s’étirer, comme si le temps lui-même était devenu un fardeau. Ils fouillaient tout, sans laisser de côté un seul objet. Nous nous sentions observés, jugés, presque comme si notre existence entière devait cacher une vérité compromettante. Ce qui nous frappait, c’était la sensation d’être acculés dans notre propre maison, comme si chaque recoin de notre vie privée devait être scruté et mis à jour. Leur présence n’avait rien de légitime, rien de bienveillant.
La perquisition était devenue un outil de punition, un moyen de nous humilier et de nous briser. Nous étions coincés dans ce tourbillon d’injustices, impuissants. Et ce qui était encore plus difficile à accepter, c’est que tout semblait avoir été mis en place pour nous accuser, pour nous faire porter la responsabilité de tout ce qui allait mal. C’était comme si tout ce que nous avions connu, tout ce que nous avions construit, était maintenant suspect et devait être démantelé. Cette humiliation était un coup fatal porté à notre dignité, une épreuve à laquelle nous n’aurions jamais cru devoir faire face.
C’était insurmontable, insupportable. Le poids des jours devenait de plus en plus lourd. La colère, le désespoir, tout cela nous rongeait lentement. Nous étions éreintés, épuisés par des mois de souffrances incessantes, d'injustices et de trahisons. Cette épreuve nous avait éloignés de tout : de nos amis, de notre famille, de nos métiers, et, surtout, de la vie elle-même.
Nous étions toujours en guerre, mais contre quoi ? Contre nous-mêmes, contre cet homme, contre l’injustice. Et personne ne pouvait comprendre. Le plus simple devenait pour nous un défi : traverser une journée, tout simplement. Essayer de faire en sorte que nos enfants ne voient pas trop de larmes dans nos yeux, ne perçoivent pas trop notre fatigue. Mais même cela, nous n’arrivions plus à le faire correctement. C’était une lutte quotidienne, une guerre silencieuse contre l’épuisement, contre la fatigue mentale et physique, contre tout ce qui nous échappait. Nous faisions de notre mieux, mais Alice et Paul méritaient plus que ce « mieux »…
Le plus terrible, dans tout ça, c’était que cet homme ne s’était pas contenté de détruire nos vies. Il avait volé la jeunesse de nos enfants. Il les avait privés de l’innocence qu’ils auraient dû avoir, de cette période où tout semble encore possible. Ils étaient là, impuissants, à subir la dégradation de leur quotidien, à voir leurs parents s’effondrer peu à peu. Et peut-être que, à cause de tout ça, leur avenir est compromis. Peut-être qu’ils seront marqués pour toujours par cette souffrance. C’était juste dégueulasse.
Nos conditions de vie se sont dégradées jour après jour, comme si la terre sous nos pieds s’effritait lentement, petit à petit, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. L’argent disparaissait, les espoirs aussi. Chaque jour semblait s'ajouter une nouvelle épreuve, un poids supplémentaire que l'on portait sans plus de forces pour le supporter.
Matthieu est tombé gravement malade. L’homme le plus fort que je connaisse, celui qui avait toujours tout porté, celui qui trouvait toujours la force de sourire même quand tout allait mal, il s’est effondré. Physiquement, moralement, il a disparu, comme si l’Autre avait réussi à l’écraser, psychiquement et maintenant physiquement. Je l’ai vu se perdre, petit à petit. En même temps, je perdais pied et nous étions incapables de nous aider mutuellement.
L’homme de ma vie, celui qui m’a toujours soutenue, celui qui, même dans les pires moments, avait été mon pilier, était brisé. Il avait perdu sa force, il avait perdu son courage, il avait perdu tout ce qu’il était. Ça me dévore de l’intérieur. Il l’a détruit. Il a détruit l’homme que j’aimais, celui qui ne se laissait jamais abattre, celui qui faisait face à tout avec une force inébranlable.
501 jours plus tard, nous sommes tous deux en arrêt maladie. Matthieu, profondément marqué, malade et totalement incapable de se lever. Ce qu’il a traversé l’a brisé, et il n’est plus l’homme qu’il était. Le poids des événements pèse sur lui d’une manière telle que chaque geste, chaque mouvement semble être un effort insurmontable. C’est un être fatigué, vidé, et je suis bien trop souvent témoin de cette dégradation, impuissante à l’aider.
Quant à moi, j'ai voulu, coûte que coûte, reprendre une vie « normale ». J’ai fait de mon mieux pour reprendre le travail, espérant que cela me permettrait de retrouver un semblant de stabilité. Mais très vite, mes insomnies et mes angoisses m’ont rattrapée. J'ai tenté, à plusieurs reprises, de faire des nuits blanches pour être certaine de pouvoir me lever le matin et affronter une nouvelle journée. Mais cette stratégie s’est rapidement avérée inefficace. Il m’arrivait de ne pas pouvoir sortir du lit, de ne pas être capable de me rendre au travail. Et ces absences répétées, ma hiérarchie a fini par les remarquer. Ils ont commencé à me contacter, posant des questions sur mon état de santé. Lorsque j'ai expliqué ma situation, la solution a été immédiate, mais brutale. Sans me consulter, ils ont pris la décision de me placer en congé maladie, comme si tout était déjà décidé pour moi, comme si je n'avais plus voix au chapitre.
C’était une décision radicale, un abandon de plus, qui nous a plongés encore un peu plus dans cette impasse. Ils ont géré la situation à leur manière, en écartant toute possibilité de reprise de mon travail dans l’immédiat. À ce moment-là, je me suis sentie complètement dépossédée de ma propre vie, comme si, malgré moi, tout était décidé à ma place. Matthieu et moi, tous les deux en souffrance, tous les deux dans l’incapacité de reprendre le cours de nos vies. Et, au fond, je me suis rendue compte qu’on ne savait même plus ce que voulait dire « normalité ».
Je le hais. Je le hais pour tout ce qu’il nous a pris. Pour tout ce qu’il a volé. Il nous a pris nos rêves. Il a volé notre avenir. Il a détruit l’homme de ma vie. Il a gâché la jeunesse de nos enfants. Il a détruit ce qu’il y avait de plus précieux en nous. Ce n’était pas seulement une question matérielle, c’était notre vie qu’il avait volée.
Je le déteste, et plus le temps passe, plus cette haine grandit. Parce que tout ce que nous avons traversé, tout ce que nous avons perdu, tout ce qu’il nous a fait… ne peut plus se réparer. Il a laissé des cicatrices trop profondes, trop douloureuses pour qu’elles puissent un jour disparaître.
Il a tout détruit sur son passage, et rien de tout cela ne sera jamais oublié.
Je le hais.
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