Les couples de gens moches sont-ils plus heureux?
Les gens moches sont-ils plus heureux (ou autre théorie de métro)
Attaquons-nous à un sujet sociétal : le couple.
Quand on est une célibataire à Paris, on a tendance à ne plus pouvoir éviter l’évidence que dans une grande ville tout fonctionne par deux. Deux pains au chocolat pour le prix d’un, deux chaises minimum par tables en terrasse, deux paires de baguettes chinoises dans une commande Deliveroo dépassant les 25€ sous prétexte qu’on peut décemment pas commander autant pour une seule personne… et bien sûr, des couples. Des couples partout. Tout le temps. A toutes heures. C’est simple, les personnes seules se faufilent que dis-je se faxent au milieu des couples tels des ombres indécelables. Je ne partirai pas sur le grand débat qui est qu’on existe qu’à deux dans une société où l’individualité s’efface au profit du groupe, c’est un sujet passionnant mais je préfère parler des gens moches. Oui tout à fait. J’ai dit moche. Ne rentrons pas dans l’hypocrisie notoire que personne n’est laid, que tout est subjectif, que la beauté n’égale que le regard qui s’y pose … non. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il y a des gens objectivement beaux, par association il existe aussi des gens objectivement moches. C’est factuel. Surement avec une très belle personnalité, mais moches. Bon j’accorde qu’entre les gens beaux et les gens moches il y a une majorité de gens au physique ambivalent qui effectivement sont sujets à la subjectivité d’autrui. Mais flûte la bonne éducation, que celui qui ne s’est jamais retrouvé devant quelqu’un dont les qualités physiques étaient inexistantes même avec toute la bonne volonté du monde me jette la première pierre.
Cette petite mise au point étant établie, j’en reviens à mes moutons. Les couples, dans le métro en particulier. J’ai pu observer à de nombreuses reprises ce petit paradigme intéressant : Il y a trois fois plus de couples de gens moches nageant dans le bonheur et les papouilles publiques que de couples de gens beaux faisant de même. Et dans la même proportion, il y a trois fois plus de gens objectivement beaux seuls à swipper sur Tinder que de gens moches à faire de même. Ok les plus malins me diront que du fait qu’ils soient moches ils ont abandonné Tinder depuis longtemps par manque d’opportunités mais vous avez compris la topographie ici présentée. Comment cela se fait ? Les couples de gens moches durent-ils plus longtemps ? Sont-ils plus amoureux ? Les gens beaux sont-ils vraiment plus célibataires que les autres ou simplement plus discrets ? Autant de questions qui s’amassent au fil de mon trajet. Pour une bonne visualisation et une immersion complète dans cette réflexion on va prendre trois personnages qui nous suivront tout au long du cheminement de pensée. Je m’excuse d’avance pour les prénoms, il ne faut y voir aucune corrélation avec le physique de nos exemples, ça n’a aucun rapport. Nous avons d’une part, occupant deux sièges strapontins côtes à côtes, Jean-Marc trente-cinq ans, trois cheveux survivants d’une calvitie précoce finement laqués sur le côté à contrario un duvet persistant en guise de pilosité faciale, perlant de tout son front bien que le froid de février ne se soit engouffré dans la rame, un nez ravagé par l’acné sous une paire d’yeux mi-clos naturellement bouffis et plissés par le sourire béat qu’il affiche de toutes ses 23 dents jaunes et usées à sa douce Marjo, même profil, duvet compris, avec un bonus cheveux huileux et tee-shirt parfois gris clair parfois gris foncé. De l’autre côté on a Maxime, vingt-neuf ans si c’est pas trente, poil brillant, beau pédigrée, regard profond mais pas agressif, pas une fausse note sur son look, sourire Colgate, dextérité du pousse (On rappelle qu’il est sur Tinder) bref ajoutez tous les détails que vous voulez, c’est un homme beau et il le sait ! Jean-Marc et Marjo sont bras dessus bras dessous, les doigts entrelacés dans une demi-fusion digne de deux Pepito et sont lancés dans une conversation où la complicité est palpable. Je tends alors l’oreille et surprends un débat dont je ne saisi pas un mot sur les différents artefacts de l’Elfe galactique. Cliché ? Il faut bien qu’il y est un fond de vérité pour en faire une généralité non ? Mais peu importe mon jugement personnel, ils ont l’air heureux, amoureux, et fusionnels. Alors que Maxime lui fusionne aussi mais avec son écran au risque de se faire une tendinite. Etant conditionnés aux contes de fées, au beau prince qui se marie avec la belle princesse, aux séries américaines où les héros ne sont autres que des acteurs triés uniquement sur le physique et choisis en conséquence, et aux romans français où les protagonistes moches finissent bien souvent seuls et malheureux avec une bonne vie de chiotte, on est en droit de se demander s’il y a un lien entre la réalité de nos trois exemples concrets et les idéaux amoureux projetés dans la culture occidentale. Je m’explique. Peut-être que cette division des beaux et des laids que nous connaissons depuis notre plus jeune âge, autant entre camarades de classes que par notre ingestion médiatique, nous place automatiquement dans un processus de recherche différent. Les gens beaux à qui l’on a répété toute leur enfance qu’ils étaient magnifiques ou qui rencontrent une facilité indécente à séduire depuis la puberté sont peut-être ce qu’on appelle « difficile » autant par suffisance que par égo. Cette fameuse phrase courante dans les groupements de gens beaux « Il est mignon mais bon c’est pas Brad Pitt » démontre un placement défini de sa propre image face aux autres. On prend une entité mettant la majorité d’accord, on se place pas loin mais pas à égalité non plus, et tous ceux qui se trouvent en dessous ne sont pas à notre niveau. Les gens beaux cherchent plus beaux qu’eux, pour le dire grossièrement. C’est une sorte d’auto-validation de l’estime de soi. Si cette personne que je trouve très belle me trouve belle à son tour, alors c’est que je le suis. Attention ce n’est ni une critique ni un jugement, c’est une étude. Sans vouloir basculer dans une psycho-analyse du rapport à l’autre, je me dois tout de même d’insister sur l’importance de la validation de l’Autre dans notre société moderne. Mais j’y reviendrai dans un autre topic. Donc Maxime, cherche sur Tinder une fille à sa hauteur et il ne l’a pas encore trouvée sinon il serait pas tout seul sur son portable un samedi après-midi dans le métro. Partant de ce postulat qui est que Maxime est un homme difficile (c’est tout aussi valable pour la gente féminine) cela signifierait que Jean-Marc et Marjo eux ne le sont pas. Puisqu’ils sont en couple. Et bien que laids, ils ne sont pas aveugles. L’un sait que l’autre n’est pas Brad Pitt. Et inversement. Jean-Marc a dû fantasmer des années sur la jolie brune de son école qui était la seule à être gentille avec lui, et Marjo ne rêvait que de Dylan qui larguerait la pom-pom-girl pour s’enfuir avec elle parce qu’à ses yeux c’est elle la plus belle (merci Hollywood). Pourtant, ils ont revu sérieusement leurs rêves à la baisse, leurs exigences aussi. Et c’est d’ailleurs surement à ce moment-là, au moment précis où ils ont compris qu’ils n’auraient jamais « mieux » qu’ils se sont trouvés. Quand on supprime les œillères forgées dans les relations fantasmées d’adolescents et qu’on est prêt à se contenter de ce qu’on peut avoir dans toute la simplicité qu’offre une rencontre c’est peut-être là qu’on peut dire « C’est pas Brad Pitt mais c’est très bien comme ça ».
Le fait est qu’ils se sont trouvés et qu’ils s’aiment Marjo et Jean-Marc et cela tout en ayant conscience d’être moches et que leur conjoint l’est aussi dans le spectre de l’objectivité. Bon ils sont deux, Maxou est tout seul, il faut pas être difficile, ni péter plus haut que son cul, alright on a saisi l’idée. Faut-il déjà avoir conscience de sa beauté objective et c’est pas une mince affaire. Il y a des gens très beaux qui se trouvent quelconques, c’est la grande conséquence de la validation de soi par autrui. A force d’être dans la recherche du mieux, on fini par se rendre compte qu’on est toujours en dessous de ce fameux mieux. C’est d’ailleurs là que naissent les cons. Ils se dévaluent en comparaison d’un idéal et pour y remédier ils écrasent ceux du dessous. Nicole Ferroni dans une de ses chroniques sur France Inter dit ces mots : « l’élévation de soi par le rabaissement des autres ». Voilà fin de la parenthèse sur les cons. On trouve aussi des gens très laids qui se pensent très beaux. Là les conséquences sont nettement moins néfastes pour l’estime de soi mais génèrent souvent des moments de profonds malaises en société. Nous, on le sait que tu es pas beau, Stan. Donc quand tu dis : « Elle je la lève quand je veux elle peut pas me résister je suis un vrai Don Juan » tu peux comprendre que ça nous décolle un peu les gencives.
Donc finalement, nos deux petits moches qui se dégoulinent de tendresse l’un sur l’autre, au fond ils savent qu’ils sont laids et c’est pour ça que ça dure. Aucun n’a la prétention de se dire que l’herbe est plus verte ailleurs. Elle est verte là, pas besoin d’aller chercher ailleurs ce qu’on a déjà. Donc les gens moches sont-ils plus heureux en amour ? Je ne leur demanderai pas par soucis de prendre un poing dans la gueule. Mais je pense qu’ils sont moins dans le regard de soi et plus dans le regard de l’autre. Ils ne rêvent pas au pré plus vert du voisin mais contemple leur propre pré avec ravissement. C’est peut-être en cela qu’on a moins l’occasion de voir se mamourer la tronche un couple de gens beaux. Il y a les beaux Maxime-swippe-compulsif mais les gens beaux en couple existent. Ryan et Blake. Genre. Ce couple qui donne envie de crever dans un pneu neige. Mais dans le métro ils se démarquent moins. Quand on en repère un on peut même sentir une certaine pudeur et une distance frisant l’éducation aristocratique. Sur ce phénomène là mon hypothèse est simple. Ce n’est en rien une question de pudeur et de savoir vivre en société mais encore et toujours une question d’égo complètement masquée par des valeurs subsidiaires et des stigmates identitaires. Ils savent individuellement que les regards se posent sur eux où qu’ils aillent, sans ces regards aprobateurs qui ont construit une grande partie de leur identité que leur reste t’il pour exister dans cette masse informe et crépitante que constitue la faune parisienne ? Alors oui on s’aime. Oui on se tient le petit doigt chastement avec un sourire parfait. Mais laissons croire aux autres qu’ils ont leur chance, ne nous enfermons pas dans une bulle d’intimité qui empêcherait quiconque de nous regarder, soyons beaux mais soyons beaux séparément. Je ne fusionnerai pas avec l’autre par peur de me perdre moi-même. C’est possiblement la réaction égocentrée la plus sécurisée au passage. Pour être deux il faut déjà savoir être un n’est-ce pas ?
Je précise une dernière fois que cette théorie ne concerne pas la majorité des humains lambdas. Juste les deux extrêmes. C’est beaucoup plus intéressant d’observer ce et ceux qui se détachent de la masse plutôt que la masse elle-même.
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