Tinder et la confiance en soi

13 minutes de lecture

J’aimerais revenir sur le dossier des applications de rencontre, du dating. J’aimerais y revenir sans faire intervenir ici les porcs bien connus des rencontres en ligne n’ayant jamais appris le mot « non » et les connasses certifiées qui ne cherche qu’à trouver un pigeon pour leur payer le restaurant. Je vais parler ici des gens simples, qui s’inscrivent sur Tinder pensant à tort faciliter les rencontres ou juste par curiosité. L’un de mes amis, qui n’est pas particulièrement asocial plutôt beau mec, drôle, profondément gentil et plein aux as (si, c’est important de le préciser) s’est auto-convaincu il y a quelques années qu’il ne trouverait pas l’amour dans la « vraie vie ». Il défend sa position à grand coup de « je ne sors pas tellement, et puis aborder une fille dans un bar c’est le meilleur moyen de se prendre un râteau, toutes les filles que je rencontre qui sont des potes de potes sont soit moches soit déjà en couple, non c’est pas jouable. » Alors il a pas tort hein, mais on a jamais dit que c’était facile de trouver l’amour. A part le service de com de Tinder je veux dire. Sauf que Tinder ment. On le sait. Avec Tinder on ne trouve pas l’amour on trouve le plan « menu affection provisoire le temps d’un date. Avec une frite ». Et là encore si ça ne faisait de mal à personne bon, on s’en accommoderait, on tuerait la passion et on la remplacerait par un shoot d’endorphine, c’est aussi ça l’évolution. Mais je me rends soudain compte que plus mon ami s’accroche aux rencontres virtuelles, plus son estime de lui est fragile. Et ce de façon tout à fait exponentielle. Est-ce que c’est lui qui est particulièrement sensible ou est ce que c’est un effet secondaire courant ? Et qu’est ce qui fait qu’on s’auto-flagelle à ce point dans ce type de rencontre ? Il y a dans notre société un véritable fonds de commerce sur l’addiction. Les additifs dans les fastfoods et la grande distribution, la cigarette, les jeux vidéo, la télévision et particulièrement les émissions nouvelles d’information ou la télé-réalité et bien évidemment le smartphone devenu la prolongation de nos bras. Les jeux sur téléphones se démultiplient en un battement de cils et les applications de la vie quotidienne nous déchargent de plus en plus dans les corvées. Si le smartphone est aujourd’hui un membre a part entière de nos foyers, c’est que les automatismes qu’ils nous procurent nous font gagner un temps considérable. Que faire de cette information quand on est un jeune américain créatif et visionnaire ? Et bien on se sert du marché florissant du smartphone et on le combine avec l’éternelle business du célibat. Un, Deux, Trois, Tinder est né et devient une fois téléchargé le maître de ton temps. Le principe est de voir défiler un nombre incommensurable de visages et faire glisser (swiper) à gauche si c’est non, à droite si c’est oui. Et d’attendre qu’on nous swipe à droite pour pouvoir démarrer une conversation d’un niveau intellectuel des plus absurde. Tout d’un coup, rencontrer quelqu’un devient une priorité, non, attendez, rencontrer des dizaines de quelqu’un devient une priorité, et sans qu’on s’aperçoive du point de non-retour on devient incapable de faire un choix. Vous savez c’est comme si on vous demandait de choisir un seul chocolat dans une chocolaterie et que si vous l’aimez ce sera celui-ci à vie. Et dans cette chocolaterie il y’a tous les parfums que vous préférez. Vous pourriez vous damner pour le chocolat noir fourré au spéculos, enfin c’est ce que vous pensiez avant de gouter l’année dernière le chocolat blanc aux éclats de framboise, mais juste à coté sur le présentoir ce petit rocher lait et amandes caramélisées vous fait de l’œil. Il y a tellement de possibilités, pourquoi s’arrêter à un seul choix ? c’est ridicule ! Sortons de cette chocolaterie et allons dans une autre qui n’impose pas ce règlement stupide d’un choix pour tout une vie ! Et c’est ainsi, qu’est arrivée dans nos petites bouches cette phrase aussi récurrente qu’un bon « putain » ponctuant : Je veux pas m’engager J’ai moi-même pendant un temps expérimenté Tinder après une longue période en couple. Je ne savais plus être célibataire et cela me désespérait. C’est pleine de confiance en moi, en mon postérieur et en mon charme naturel que je me suis inscrite un soir et que j’ai commencé à trier sur le volet des photos d’hommes que je n’avais jamais croisés et qui étaient de parfaits inconnus dont je ne connaissais que le pseudo, l’âge et les carences capillaires. Force est de constater qu’après deux ans de rencontres Tinder diverses et variées, allant du date raté à celui qui joue les prolongations une année durant, j’étais dans un piteuse état. Plus aucune confiance en moi, l’estime que j’avais mis des années à bâtir s’était effondrée aussi vite qu’une partie de Jenga entre deux aveugles. Il va de soi que le problème ne vient pas des hommes que j’ai rencontré mais bien de l’utilisation de cette application. Avec le recul, j’ai relevé deux éléments qui ont participés significativement à la chute de ma confiance en moi. Tout d’abord le tri. Sur des centaines de profils présentés, même le plus novice des utilisateurs commence sans qu’on lui en donne la directive un tri radical. Les études montrent1 que les hommes « valident » 46% des profils présentés contre 14% chez les femmes. Les hommes swipent tout ce qui aura un joli minois, et ne réalise pourtant que 2% de Matchs. Sur ces 2% ils y opèrent un second tri entre celles qui répondent et celles qui ne répondent pas, puis un troisième tri entre celles qui ont assez de conversation pour tenir un date et celles qui n’alignent que deux mots par phrase. Les femmes à l’inverse voient leur 14% de swipe se transformer en 50% de Matchs. Autrement dit un homme liké sur deux l’aura likée en retour. Chez les hommes c’est finalement une remise en question permanente de leur profil nourrit par l’idée que les autres y arrivent mieux. Idée fausse évidemment. Chez les femmes le refus est moindre ce qui veut dire que chaque refus est visible. Elles savent qui ne les a pas liké et c’est la remise en question non pas du profil mais directement de leurs atouts physiques qui commence. En d’autres termes, on commence l’aventure Tinder par « Jeter et être jeté ». Appétissant n’est ce pas ? Faut le vouloir ! Alors est-il ici question d’addiction ou de détermination… Seule une vue d’ensemble sur la vie affective et sexuelle de l’utilisateur peut y répondre. Lors d’un eye contact établis par surprise au comptoir d’un bar dansant, on sait instantanément si on plait ou non. Le petit temps incertain où l’on attend un Match est beaucoup trop long pour ne pas tomber dans le piège. De plus, le fait de trier sur le volet des visages et des petites phrases d’accroche rigolotes augmente considérablement notre exigence ce qui pose à la fois le problème de swiper encore moins à droite et donc d’avoir un Match potentiel et à la fois celui d’attendre de l’inconnu qu’il soit à la hauteur de nos exigences. Gare à celui qui match, si match il y a. Sur cinquante millions d’utilisateurs Tinder, l’ensemble des facteurs de tri et l’exigence dont on ne se sépare plus sous excuse que ça maintient notre valeur propre, nous amène finalement à un succès par semaine et on finit par s’en contenter … QUE NENI ! Le pire reste à venir. C’est le Match. La minuscule probabilité pour que cet homme valide cette femme qui l’avait validée aussi est enfin là après être complètement sortie de notre esprit. Dieu qu’on se sent petit et seul dans ce vaste océan qu’est le dating. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui on a un Match. « Ego Boost » à son maximum, on lui a plu physiquement et c’est la qu’arrive le second piège. On se dit à tort « Je lui plais ». FAUX. Au mieux ma photo lui plait, au pire c’est les deux trois conneries que j’ai balancé dans mon profil qui lui ont fait dire « je peux avoir une bonne surprise ». Donc pression supplémentaire, celle de devoir mériter le match et déboucher sur un date. Ce qui place l’autre dans une nouvelle phase de sélection et soit même dans un processus de compétition digne des plus grands concours académiques. Inévitablement on se rappelle que la dernière fois la discussion n’avait abouti à rien et on se dit « ou est-ce que j’ai fait erreur ? ». Et à partir de ce moment précis, heureux est celui qui ne passe pas l’épreuve. C’est une façon de parler parce que son estime de lui est déjà bien basse à ce moment précis, mais l’épreuve est finie ça ne tombera pas plus bas. Avant la prochaine fois. Dans le cas contraire le concours continue, ça ne fait que commencer. On a décroché un date, on fait partie des 37% à avoir décroché un rencard avec quelqu’un qui nous plait sur le 1 « 50 tinder Statistics and Facts (2020) » DMR Business Statistics papier, à qui on plait également sur le papier, bref on est l’élu. Et là s’écoule, généralement, deux heures à une semaine entre le moment où on dit oui pour un date et ledit date. On entre alors dans l’expectative de ce que sera ce rendez-vous et de ce qu’est la personne avec qui à rendez-vous. Le danger du fantasme c’est qu’il peut vite devenir plus attrayant que la réalité. Donc en combinant des rencontres virtuelles avec le fantasme de ce que ça pourrait donner dans la réalité, c’est toucher du bout du doigt la perfection à notre propre image. La rencontre avec le réel est dure, ici c’est souvent le réel qui en pâtit. Et nous voici face au second élément qui termine le boulot, c’est à dire le fossé gigantesque qu’il existe entre l’expectative et le moment présent. C’est la déception assurée. Attention je ne suis pas particulièrement cynique. Dans le cadre d’une rencontre physique dans un bar ou une soirée avec des potes de potes, le fossé est moindre, voir pour les plus chanceux inexistant, ce qui laisse en définitive beaucoup plus de place au moment présent. Alors pourquoi déception assurée ? Les utilisateurs parmi vous me rétorqueront que justement, on prend moins de risque, parce qu’on parle d’abord donc on ne se laisse pas séduire juste par un physique mais par une personnalité, que le date au final n’est qu’une formalité puisque la découverte de l’autre s’est faite en grande partie par textos et que si on arrive au rendez-vous c’est bien que la photo fût séduisante. Personne n’a envie de se taper 45 minutes de métro pour passer quatre heures de sa vie assis en face d’une moche dont on va devoir payer les verres par galanterie (dans le meilleur des cas) ou traverser le moment gênant du « on partage ? » qui atteste qu’on ne se ne reverra jamais. Si on avait du temps à perdre on ne serait pas sur Tinder les gars. Mise à part pour ce genre de spécimen, la majorité des hommes sur les applications de rencontre sont des hommes qui rament un peu dans la vraie vie pour une raison ou une autre. Les serials-lovers se font griller à des kilomètres, les mecs peu surs d’eux attirent rarement le regard. C’est la grande injustice de la séduction. Revenons-en à nos moutons. On a un rendez-vous dans quelques heures ou quelques jours. On a aimé sa photo, il ou elle ne doit pas être moche, on a aimé discuter avec, il ou elle a de la conversation. On se crée alors une idée de l’autre montée de toute pièce par les impressions et les éléments fournis. Si on prend en considération que la spontanéité de la discussion par texto frôle le néant et qu’il est extrêmement facile de prendre une photo de son meilleur profil, n’importe qui devient alors n’importe qui d’autre avec une facilité déconcertante. Tout le monde ment. Dans un bar aussi. Sauf que dans un bar il y a quelques indices de vérité. Le problème que pose cette idéalisation de l’autre qui s’est probablement déjà bien mis en valeur lui-même, c’est une dépréciation induite de notre propre valeur. Je le redis, placer quelqu’un sur un piédestal c’est le placer au-dessus de nous-même. Nous nous mettons alors une pression supplémentaire pour plaire à cet idéal construit entièrement sur des spéculations. C’est le courant mais banal « Putain je stresse » avant un date. Si vous n’avez jamais stressé avant un rencard c’est que vous faites partie de la catégorie2 des gens qui se placent naturellement en supériorité et qu’on appellera ici Sujet B. Partant de ce fait, la rencontre véritable ne peut être que biaisée. Le sujet A qui a eu un peu de mal à décrocher son Match puis son date part avec un sentiment d’infériorité et une surcharge considérable de doutes sur sa propre valeur, tandis que le sujet B va devoir sans le savoir correspondre aux attentes particulièrement élevées du sujet A ce qui, s’il ne remplit pas sa mission, lui infligera un dégât d’estime dont il n’avait nullement besoin. Cet écart entre l’idéalisation de la personne et la réalité vécue du moment présent est d’autant plus important si le feeling passe vraiment bien à l’écrit. Tout le charme de l’épistolaire réside dans l’inconnu et le fantasme. C’est la distance qui permet la naissance d’un sentiment. Mais sur Tinder, il s’agit de consommer rapidement. S’écrire des mois durant de jolies choses afin de séduire au plus juste le destinataire 2 Cf :Chapitre sur la classification du comportement social c’est clairement pas au programme. Ici l’échange n’est qu’un outil de plus favorisant la sélection. Ce n’est pas avec un « slt sa va ? » qu’on fait fondre une âme. On ne fait d’ailleurs pas grand-chose avec « Slt sa va ? ». Le rencard tant attendu devient alors la fin inéluctable du mystère. Et à la différence d’un café un après-midi succédant de quelques jours l’échange de numéros à l’anniversaire de Mathieu, un ancien du Squash, on ne se rend pas à ce rendez-vous pour rencontrer quelqu’un, on y va pour concrétiser le fantasme. On voit alors apparaître ce phénomène tout à fait spécifique à notre siècle que je détaillerai un peu plus lors d’un prochain chapitre : Ce qui est différent ne doit pas être. Tout ce qui n’est pas fidèle à notre fantasme est rejeté, renié, jugé. Il a dit qu’il était grand or il fait ma taille quand je porte des talons, il n’est donc pas grand. Il avait l’air brillant et passionné de musique, il est loin d’être bête mais ça n’en fait pas quelqu’un de brillant et Vianney n’est pas de la musique (C’est gratuit). On se met à faire la liste exhaustive de ce qui ne va pas, on surligne cette liste sur une échelle allant de « je m’en accommoderai » à « NOPE ». Et si ce n’est pas vous qui faites cette liste, croyez-moi c’est l’autre qui est entrain de la faire tout en vous parlant. Si vous n’êtes pas B vous êtes A. L’issue de cette situation n’est pas liée au destin ou à l’alchimie. C’est purement et simplement inscrit dans les dogmes comportementaux. Si le date se passe bien, que vous vous accommodez de la réalité et êtes prêt à renoncer à vos fantasmes, ou si vous êtes-vous dans la position où rien ne cloche chez votre rencard (ce qui veut dire que c’est vous la concession) le match se transformera en second date, ou coup d’un soir réussi, puis s’évanouira sans explication apparente. Si le date se passe mal, que vous ne pouvez faire de concession sur vos idéaux ou que vous êtes une telle déception que vous entendez « Je paye ma bière tu payes ton vin et on y va ? je dois rentrer je me lève tôt demain », vous êtes dans un jugement terrible, l’autre ne vous mérite pas ou bien c’est vous qui ne méritez pas l’autre. L’un des deux est clairement trop bien. Dans ces deux issues le sujet A aura une introspection forcée et biaisée elle aussi où sous le coup de l’incompréhension on repasse en revue tous nos faits et gestes, ce qu’il aurait fallu faire ou ne pas faire, dire ou ne pas dire, ou est je fais erreur ? C’est de MA faute. Bim fin du jeu, Tinder1 – Confiance en soi 0. Le sujet B quant à lui ne se remettra pas en question, cette fois-ci. En définitive on est tous le Sujet A d’un sujet B et inversement. Si ce n’est pas notre égo qui est cuit après un date, c’est celui du date lui-même. La roue tourne. On est tous l’égocentrique sûr de lui de quelqu’un. Donc pour en revenir à mon ami, 100% des matchs donne lieu à une baisse d’estime de l’un ou de l’autre. Et ça tout au long du processus. Mais l’artère cancéreuse quand on est confronté à la valorisation ou le jugement interhumain, c’est qu’il ne s’agit en rien d’une loi naturelle où tout s’équilibre. Le Sujet B d’un date n’est pas sujet A un coup sur deux. Plus une personne est sujet A, plus sa confiance est ébranlée, pire c’est la fois d’après. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des miettes de nous-même à peine capable de regarder un autre être humain dans les yeux. J’extrapole évidemment mais vous avez saisi le concept. Alors qu’un sujet B qui représente le fantasme commun et qui ne se prend que rarement des non va enchainer les sujets A en mal d’amour. Et pour renverser ce schéma, pour qu’un A devienne un B sûr de lui et confiant, il faudra piétiner pas mal d’autres sujets A. Ce que les gens « biens » ne feront pas. Comme mon ami

Annotations

Vous aimez lire Jeanne ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0