Korqnev
un officier de l'armée Gromov
201222-215612
Témoignage tiré de ce que l'individu nomme pompeusement « Les Mémoires d'un Grand Amiral Gromov », mais qui tient plus du mélange flou entre son journal intime et le journal de bord de son vaisseau. Ainsi, je ne saurais que trop vous recommander de prendre avec des pincettes les dires dudit individu. Un tel document est bien souvent le lieu d'interprétations douteuses, de louanges non mérités à son auteur, de faits insidieusement cachés et d'autres événements relatés de manière tellement romancée qu'il est difficile d'en extraire le vrai du faux. Néanmoins, pour peu que l'on prenne les précautions d'usage, les mémoires d'un personnage de cette importance recèlent toujours quelques informations bien utiles à la recherche de la Vérité Historique.
Aujourd'hui fut un grand jour pour le peuple Gromov. Ils se remémoreront ce jour comme celui où le Grand Amiral Korqnev a déclenché une guerre, éradiqué l'ennemi d'un revers de la main et apporté la victoire sur un plateau grâce à la puissance tirée d'une découverte incroyable.
Les choses intéressantes ont commencé à se produire lorsque mon officier en second, Palnov, m'a annoncé :
--- Tout est en place, Monseigneur, nous attendons votre commandement.
J'aime toujours autant le son de ces phrases, précises, efficaces, et respectueuses. Palnov le sait, et il sait comment s'adresser à moi, bien que Monseigneur soit un peu léger. Sur le coup, j'ai mis ce manque de formalité sur le compte des circonstances exceptionnelles, mais je devrais rester vigilant. Il est vrai que nous étions sur le point de lancer la plus grande offensive que notre armée ait connue depuis des décennies. La tension pouvait se sentir dans l'air du pont de navigation. Néanmoins, s'adresser à moi avec mon titre complet aurait pu ajouter un peu de solennité à cette joyeuse affaire. Seigneur Korqnev, Premier Amiral de la Marine Gromov, Commandant en Chef de la Seconde Flotte. C'est qui je suis, bien que considérer les vaisseaux sous mon commandement comme la seconde flotte ne paraisse pas vraiment exact non plus. En vérité, c'est bien la plus grande flotte de la Marine Gromov, ce qui revient à dire la plus grande flotte de tout l'univers connu.
[Nous sommes en droit ici de douter de cette affirmation. Pour sûr, l'Amiral ne pouvait être certain de posséder la flotte la plus imposante, mais nous pouvons néanmoins lui donner raison a posteriori : à ce moment précis, cet individu était effectivement à la tête de la plus grande puissance armée de l'univers.]
C'est uniquement la seconde par le nom, et cela simplement car Son Excellence mon cousin est lui-même en charge d'une autre flotte. Bien que plus petite, je conçois qu'il ne paraisse pas raisonnable de nommer la flotte transportant Son Excellence le Seigneur Suprême du Royaume Gromov autrement que Première Flotte. Le problème est en réalité plus profond : ce cousin n'est qu'un pantin tout à fait stupide. Mais son père était plus proche du trône que le mien quand notre grand-père mourut, et le sang prend bien souvent le pas sur la compétence. Du moins, pour ceux dont la lignée valait la peine d'être mentionnée.
Oui, je n'hésite pas à le dire, et même à le mettre par écrit, la plus grande compétence de mon cousin ne m'est pas encore apparue et je doute qu'il n'en ait aucune. Je suis prêt à le répéter à quiconque est prêt à l'entendre et je n'ai pas peur ; je ne crains pas les faibles.
Mais revenons-en au fait du jour. Nous étions en train d'aller-t-en guerre, ou, plus précisément, sur le point d'en créer une. À mon avis, ce n'est pas de cette manière que l'on devrait déclencher une guerre. Néanmoins, mon royal cousin m'a commandé de venir ici et de le faire ainsi, alors je l'ai fait. Après tout, cela reste un grand honneur d'être celui qui porte le premier coup d'une guerre, et la discipline importe toujours plus que les ressentiments. Les guerres sont bien souvent gagnées par les plus disciplinés plutôt que les sentimentaux. Mais quand même. Le Grand Dieu n'a pas été généreux. La planète sous mon vaisseau était tellement dévastée par ce changement climatique soudain avant même notre arrivée qu'il ne restait pratiquement personne à tuer là-bas. Personne n'a pu me l'expliquer. Et ces grands scientifiques spécifiquement embarqués à bords pour cette mission semblent aussi démunis face au phénomène que mon cuisinier.
Tout cela est en fin de compte peu glorieux. J'aurais de loin préféré l'occasion de pulvériser des humains par centaines. Ces humains ne sont pas plus hauts qu'un enfant, mais, sur le champ de bataille, ils connaissent leur métier et se révèlent souvent être de redoutables adversaires. Gagner une vraie bataille contre eux est toujours un honneur digne de reconnaissance. Mais aujourd'hui, je devais me contenter d'écraser les quelques miettes d'hommes restantes, et il en restait encore moins après ce que je leur ai largué sur la tête. J'aurais pu descendre directement sur le sol pour une bataille rangée, mais contre des vestiges d'hommes affaiblis par la faim et la soif, cela n'aurait pas été très exaltant. Autant essayer de faire ressembler cette mascarade à un vrai massacre digne d'être conter.
J'ai alors ordonné à Palnov de lancer tous les bombardiers, qu'ils larguent la moitié de leurs munitions sur cette planète pourrie et me rasent tout ce qui sort de terre.
Le son de mes ordres répercutés d'un officier à l'autre, les acquiescements des subalternes, tout cela forme une chanson des plus mélodieuses à mes oreilles. Mes yeux ont également eu leur part de plaisir : j'ai pu admirer les écrans qui tapissent le pont de navigation se remplir d'explosions avec un mélange de corps et de débris expulsés en tous sens. Mais le plus jouissif est bien souvent ce petit moment juste avant. Celui où je zoome suffisamment pour distinguer la peur qui se dessine sur le visage des ennemis à la simple vue de ma flotte. Ce matin, il y en avait un qui devait trembler jusqu'au plus profond de son être. À genoux et les mains jointes, il tentait en vain d'implorer son Dieu de le sauver. Ces humains sont si risibles. Rien n'aurait pu le sauver, ni ses compatriotes, ni son Dieu. Aucun Dieu ne saurait se mettre en travers de mon chemin une fois mes bombes armées.
D'autres amiraux auraient envoyé leurs troupes au sol dénicher les derniers résidus de défense. Mais quand les feux se sont éteints, j'ai pris le commandement de la première escouade à descendre sur ce monde ravagé. Cibella était son nom. Un nom sensé rappeler sa beauté. Je ne peux prédire l'avenir, du moins pas totalement, mais je suis certain que cette planète sera rebaptisée avant peu.
[Une fois encore, nous sommes obligés de souligner la sagacité de l'Amiral : Cibella est maintenant connue sous le nom de Cendrella, ou encore, plus simplement, la planète-cendres.]
La porte s'est ouverte et la chaleur s'est engouffrée sur la passerelle. Une chaleur sèche, intense et pure, juste de quoi remonter le moral de quelqu'un né sur Wrak. L'odeur de cendres se joignait à cette chaleur pour donner cette douce sensation que l'on ne retrouve qu'après un bombardement. Un bombardement fait dans les règles de l'art. De toutes les structures construites par les hommes sur cette planète, il ne restait rien. Et il en était presque de même pour les reliefs naturels qui existaient bien avant l'arrivée des hommes.
Mais tout cela n'avait aucune importance, ce qui m'intéressait aujourd'hui était sous terre.
La surface était jonchée de corps calcinés, ou du moins ce qui aurait dû être des corps mais ne ressemblait plus qu'à de petits tas de cendres éparpillés. Un vestige de bâtiment se dressait encore au milieu du chaos, quelques murs peinant à atteindre quelques mètres de haut avant de s'arrondir sous le poids du reste de la structure écroulée de ce qui avait été la plus imposante construction de la base. Le système d'ouverture de l'entrée principale devait avoir été sécurisé au point d'être proche d'inviolable. Une précaution bien inutile prise par des hommes bien insouciants. Une ouverture plus large que la porte elle-même, creusée par mes bombes, béait quelques mètres plus loin. De l'intérieur du bâtiment, il ne restait rien, mais je sus immédiatement que ce devait être le laboratoire que je recherchais. Au milieu de ces ruines gisait une protubérance rocheuse, encore intacte et dans laquelle les hommes avaient creusé un tunnel.
La marche jusqu'au fond du tunnel fut longue et pénible. Ce boyau doit bien descendre jusqu'à une centaines de mètres sous terre et ces rats d'humains sont si petits et si misérables avec leur risible souci d'économie qui leur dicte de ne pas creuser la roche plus que nécessaire... Cependant, je continuais à conduire l'escouade moi-même, à petits pas de rats, courbé en deux comme un forçat travaillant dans une mine, tout en maudissant mon cousin.
J'ai donc été le premier Gromov à découvrir la dernière salle, si haute qu'elle semblait rejoindre le niveau du sol, et bercée d'une lumière irréelle, vive et douce à la fois. Cette lumière... d'une puissance peu commune, comme munie de sa propre énergie, éclairait sans mal toutes les parois de la vaste cavité de la taille d'un amphithéâtre. La lumière était envoûtante, rouge rubis, de la couleur du cristal posé au centre de la pièce et d'où elle provenait. Ce cristal d'une hauteur d'environ un mètre n'est pas simplement taillé, mais plutôt ciselé finement comme une pointe de flèche plantée dans la terre. Oh merci à toi le Grand Dieu pour m'avoir offert cette vision et donné cette relique.
Tout le reste du jour, mes ingénieurs ont travaillé à son extraction, mais sans succès. Certes, ils ont perdu beaucoup de temps pour transporter le matériel à travers cette maudite galerie de rats, mais il y a autre chose. Je ne crois pas qu'ils parviendront un jour à l'extraire de son logement, et encore moins de cette planète. D'autres forces supérieures semblent entrer en jeu dès qu'un outil s'approche du cristal.
Sa surface est aussi lisse qu'imaginable, et pourtant, elle est entièrement recouverte d'inscriptions que l'on semble distinguer uniquement car elles brillent d'une lueur légèrement plus foncée que le reste. Ces inscriptions indéchiffrables (pour le moment) ont été gravées dans ce cristal par les Anciens et sont soi-disant porteuses d'un message d'une puissance inégalée. J'espère que c'est vrai, et que mon cher cousin ne m'a pas envoyé ici simplement pour faire du tourisme de vieux cailloux.
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