un officier de l'armée Gromov

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Ici encore, différents témoignages se recoupent, mais je me dois de rendre hommage à ce personnage en lui laissant la primeur de conter ces événements. Il est vrai que bien que discutable sur le plan de la véracité des faits, l'écriture de mémoires est une pratique trop peu souvent usitée de nos jours, voire depuis toujours. Imaginez combien de périodes historiques auraient pu être décrites en de plus amples détails par les personnages les ayant vécues eux-mêmes, combien de guerres auraient gagnées à être contées par leurs belligérants directs, combien de temps et de savoir les archéologues auraient-ils pu glaner, pour peu que cette pratique se soit maintenue à la mode au cours des derniers millénaires... Mon coeur s'emballe rien que d'y penser.

Le peuple se souviendra d'aujourd'hui comme du jour de la première bataille de la grande guerre galactique. Tous les autres événements qui ont pu se dérouler en ce jour dans la galaxie seront oubliés, s'ils ne le sont pas déjà.  

La plupart des nations significatives ont pris part à cette bataille d'une manière ou d'une autre, mais nul ne pourra nier le rôle majeur joué par la flotte Gromov.

Tout a commencé lorsque les Narween, ces êtres au cerveau bien trop développé pour un corps aussi risible, nous ont informés avoir détecté le moyen de percer les défenses des engins Myrides. Quiconque osera prétendre que je craignais d'affronter ces monstres  venus d'ailleurs et leurs navires démesurés pourrira en enfer. Cependant, j'admets avoir reçu cette nouvelle avec une sincère satisfaction. Cela allait nous donner un avantage non négligeable et nous permettre d'éradiquer cet ennemi suffisamment rapidement pour pouvoir se concentrer sur la suite de mes plans.

Nous partîmes donc ainsi, munis de ce puissant atout, et tous unis contre un adversaire légendaire, qui, pour une fois, semblait bien être de taille pour un combat dont l'issue ne pouvait clairement être prédite. Toutes ces espèces inférieures sont peuplées de naïfs et d'idiots, y compris les savants Narween. Ont-ils réellement cru que j'allais m'allier avec eux dans le but d'instaurer la paix à l'échelle galactique et les laisser continuer à nous imposer leurs discussions sans fins et lois totalement irréalistes ? Il faut avouer que j'ai tout fait pour leur faire croire à ma bonne volonté. Ils s'imaginaient certainement que je me proposais de les aider pour qu'ils me soient redevables, comme si j'aurais eu besoin un jour qu'ils me donnent quelque chose que je pourrais tout aussi facilement saisir sans sommation. Ils sont honteusement naïfs à un niveau que moi-même je n'aurais su leur prêter. En vérité, j'ai insisté pour que ma flotte constitue le fer de lance de notre attaque dans le seul but de me prévaloir de toute la gloire de notre victoire. Mais j'imagine que ces êtres sans honneur et aux vies insignifiantes ne sont pas plus aptes à comprendre cela que la tromperie stratégique.

Que le peuple Gromov se rassure à la lecture de ces lignes. Mon plan n'a jamais été de fomenter une alliance avec les races inférieures. Simplement, d'un point de vue stratégique, une attaque combinée sur les positions Myrides était une idée tout à fait louable, qui par ailleurs permettait de concentrer de nombreux vaisseaux de toutes les nations dans le même secteur, et précisément à portée de mes canons.  

À ma grande surprise, les coordonnées fournies par la femelle à la tête des rats mesquins se sont révélées exactes et ses pirates à la lâcheté inégalée ne se sont pas manifestés pour nous tendre un piège. J'avoue avoir été un peu déçu, car je m'étais préparé à leur faire regretter l'idée même de monter à bord d'un vaisseau. Le piège était en réalité tout autre. Les informations données sur les Myrides par les êtres effrayés les ayant déjà croisés n'étaient pas exagérées. Cette espèce a su développer un navire de guerre aussi magnifique qu'impressionnant et a priori encore plus indestructible que le feu Indestructible Poing du Grand Dieu. Cette loi interdisant leur construction est d'une idiotie sans nom. J'en fais la promesse ici : dès que j'aurai repris les rênes de cette galaxie, j'en ferai bâtir le plus terrible des exemplaires en hommage au Grand Dieu.

À peine étions-nous arrivés dans le secteur que ce joyau vomissait des centaines de chasseurs qui se répandaient par grappes de dix dans tout l'espace environnant. Mais je ne leur prêtais pas vraiment attention, ceux-ci ne représentaient rien de plus pour mes frégates que des confettis annonçant le début des festivités. Je laissais donc aux autres le soin de les intercepter, ce qui devait les occuper un petit moment pendant que le gros de ma flotte bondissait sur la masse noire.  

Tout devint rapidement chaotique. Les chasseurs tournoyaient dans tous les sens, obstruant la vue, s'écrasant même parfois sur la coque de mon navire à force de manoeuvres erratiques incontrôlées. Les croiseurs des autres nations s'élançaient à leur poursuite en libérant tout ce que leurs réserves pouvaient contenir de munitions. L'engin gigantesque se réveilla et sembla s'enflammer de toute part lorsque les canons le recouvrant comme une seconde peau se mirent à déverser leurs feux croisés sur la zone des combats. Tout ce cirque manquait cruellement d'organisation, des dizaines de règles élémentaires de tactique militaire étaient bafouées à chaque seconde. Heureusement, ma flotte maintenait le cap, fière et sereine au milieu du chaos, pour redonner un peu de sens à cette bataille qui ne pourrait être que mémorable et longtemps remémorée par les générations futures quelle qu'en soit l'issue.  

De ma frégate partaient trois ailes constituées de deux frégates et un croiseur chacune et pointant vers l'objectif telles trois griffes recourbées d'une serre d'un rapace s'apprêtant à capturer un fruit particulièrement juteux. Cette formation est destinée à minimiser l'exposition des flans vulnérables du vaisseau au centre, tout en lui permettant d'accélérer au dernier moment pour percer les défenses adverses et porter le coup de grâce. Le navire Myride identifia rapidement la menace que ma flotte constituait et redirigea tous ses canons vers notre formation. Les défenses disponibles sur la moitié du second navire en construction nous prirent également pour cible. Cependant, nous avancions inéluctablement vers le but, sans tirer le moindre coup de canon, économisant nos munitions et laissant le soin à nos blindages de contrer le plus gros de l'artillerie ennemie.

Néanmoins, nous comptions quelques pertes. Rien de très remarquable, deux croiseurs et une frégate, qui purent aisément se dégager avant d'exploser pour nous permettre de continuer à avancer sans risquer une collision avec leurs débris. Le plus mauvais moment restait encore à venir.

Nous approchions de la position où il était convenu d'exploiter leur point faible et j'ordonnai à la serre de s'ouvrir offrant ainsi toute la latitude nécessaire pour nourrir un feu croisé et précis vers l'objectif. Tous les commandants de vaisseaux avaient des ordres clairs : faire pleuvoir la mort sur la masse noire jusqu'à sa neutralisation, mais tout en conservant au moins un tiers de leurs munitions.

La quantité de munitions dans nos vaisseaux dépasse de loin ce que l'on trouve habituellement dans des frégates de guerre et l'analyse des schémas par les Narween a prouvé sa valeur. La source de toutes les peurs de l'univers n'a pas résisté à mon attaque, mais elle a néanmoins réussi à libérer cinq croiseurs avant de sombrer. Personne n'avait prévu cette éventualité et ce fut une grave erreur. Profitant de l'effet de surprise, ces croiseurs ont détruit quatre de nos frégates avant que nous ne puissions en venir à bout. Mais je dois aussi les remercier. En nous attaquant de toute part à grande vitesse, ils nous donnaient l'opportunité de riposter allégrement. Les canons de défense utilisés dans l'espace lancent des projectiles aussi mortels à courte qu'à longue portée, et dans un moment comme celui-ci, beaucoup de ces dangereux obus n'atteignent pas leur cible et continuent leur trajectoire pour finir par se perdre dans un roc, une lune ou une planète à proximité... sauf s'ils rencontrent un autre obstacle en chemin. Il n'est pas rare de viser un assaillant proche avant de devoir s'excuser pour avoir abattu un vaisseau ami. Avec un peu de pratique, il est même tout à fait possible de préméditer un tel résultat. Et pour dire vrai, au milieu de toute cette cacophonie mêlant autant de chasseurs Myrides que de vaisseaux des nations alliées, il eut même été étonnant que certains de ces derniers ne périssent bêtement de cette manière.

Les réjouissances se terminèrent peu après ces événements, les quelques vaisseaux Seelluss restants mettant en déroute les derniers Myrides vivants. Malheureusement, je repérai le navire de cette chef humaine, intact. J'aurais dû être plus précis dans mes ordres et concentrer la riposte sur cette dernière, mais tout était allé trop vite.

Néanmoins, il n'est pas nécessaire de garder un goût amer de cette journée. Ce fut une grande victoire et tous pourront témoigner de la puissance de la flotte Gromov qui a anéanti à elle seule la menace Myride alors que les autres espèces se contentaient de faire diversion. À l'heure qu'il est, les pilleurs de tombes Scavelaars et humains sont encore en train de récupérer tout ce qu'ils peuvent des carcasses de métal. Je leur laisse ce plaisir. Nous n'avons pas besoin de cela, la gloire nous suffit.  

Me voici donc de retour sur Coreberr, prêt à reprendre mon plan là où je l'avais laissé avant l'intervention des Narween et l'apparition des Myrides. Je vais jouer leur jeu quelques temps, juste ce qu'il faut pour pouvoir reconstruire ma flotte, mais pas assez pour qu'ils puissent faire de même. Demain, j'ai une entrevue avec un général humain. Nous pourrons faire semblant de négocier autour des événements de Cibella et Garmina. La question que le Grand Dieu devra trancher cette nuit est celle-ci : la discussion sera-t-elle assez courte pour me permettre de maîtriser mon envie de lui broyer le crâne ?