Jane

18 minutes de lecture

la chef des Hommes Libres

201223-024630

Il est des pensées que l'on préfère parfois garder pour soi. Il en va de même pour certains sentiments, certaines sensations ou certaines douleurs, physiques ou psychiques. Tout cela est bien naturel, mais rappelons qu'en présence d'un mémo-disque, il est purement utopique de croire pouvoir y parvenir. Cependant, beaucoup d'individus porteurs de tels objets n'y prêtent en réalité guère attention, du moins jusqu'à l'approche imminente de leur mort, où ce disque pourrait leur servir de passe-droit face à l'appel des Dieux. Tout cela est bien connu. Ce qui l'est nettement moins, c'est l'abnégation dont doit faire preuve l'archéologue qui explore ces disques emplis de toutes sortes de sensations désagréables, et le degré de réalisme avec lequel les mémo-disques délivrent ces choses à l'archéologue.

Noir.

Il fait totalement noir. Je ne vois rien. Même pas mes mains.

Le silence.

Absolu. Total. Oppressant. Même le son de ma voix semble absorbé par cette pièce.

J'imagine que c'est une pièce. Ça pourrait tout aussi bien être le vide de l'espace. Sauf que dans l'espace, il y a toujours quelques étoiles. Je n'ai jamais vu une telle obscurité dans l'espace. Et je peux respirer. J'ai au moins ça. Je suis en vie. Du moins, je crois.

Si, j'en suis sûre. La douleur s'arrête quand on meurt. Enfin, je crois.

Ce doit être une pièce, la même qu'avant. Il y a toujours ce mur derrière moi. Et je suis toujours attachée dans la même position. C'est une pièce.

Une pièce fermée, sans issue, vide. Mais avec de l'air. Quand même, j'ai au moins ça.

De l'air, et des odeurs. Les mêmes qu'avant. Enfin, je crois. Je n'y avais pas fait très attention. Quand on a la vue et l'ouïe, on ne pense pas à l'odorat. Les mêmes odeurs, mais plus fortes, plus intenses. Insupportables. Mon cerveau n'a accès à rien d'autre, alors il se gave des odeurs. Jusqu'à saturation.

Non. C'est pas ça. Les odeurs sont vraiment immondes. De la pourriture. De la viande avariée grouillant d'asticots. Au moins, je commence à avoir des images. Sont-elles réelles ? Je ne suis plus sûre de savoir si j'ai les yeux ouverts ou fermés.

Le goût. J'ai encore le goût. On y pense encore moins que l'odorat. Le goût du sang. Le mien. Enfin, je crois. J'espère. Sincèrement. Du sang humain. Dans ma bouche. Ça doit être le mien.

Le même goût que dans mes cauchemars. Dans mes cauchemars, je mangeais des hommes. Je viens seulement de le comprendre.

Mon sang. Le sang séché qui a coulé de ma blessure au crâne. Le sang humide qui vient de l'intérieur. Je crache tout ce sang. Mais je ne le vois pas partir. Je ne l'entends pas s'écraser par terre. Et le goût reste dans ma bouche.

Ma bouche me fait mal. Je n'arrive pas vraiment à l'ouvrir. Cracher fut douloureux. Et pathétique. Sans ouvrir la bouche, et sans force, j'ai dû en faire couler la moitié sur mon menton. Enfin, je crois. Je ne sens plus rien sur mon visage. Plus aucune sensation. À part la douleur. Mais j'ai perdu le toucher. Enfin, je crois.

Je ne peux pas toucher mon visage. Mes mains sont enchaînées au mur. Écartées. Au-dessus de ma tête. Ce sont ces chaînes qui me maintiennent debout. Ou pendue. Par les poignets. Ça me rappelle l'image d'un dieu de la Vieille Terre. Il a dû en baver aussi. Est-ce que je vais ressusciter comme lui ? Au moins, moi, je n'ai pas le soleil pour me brûler la peau.

Ma peau est déjà assez brûlée comme ça. Je ne la vois pas. Mais je le sens. Partout. Sur les jambes, le dos, les bras. Même le dessous des pieds. Je suis nue. Entièrement couverte de brûlures. Mais nue.

Au moins, personne ne me regarde. Enfin, je crois.

Aarrgh ! Un flash. Dans ma tête. Mes yeux n'ont rien vu. Ma tête se met à cogner. Une douleur de plus. Mais aussi une sensation de plus. Les images reviennent. Un souvenir. Le souvenir d'une pensée : ces enfoirés n'ont pas d'habits, mais ils ont bien compris à quel point on tient à nos fringues !

Quels enfoirés ? Les images ne montraient que moi. Mon corps dénudé. En pleine lumière. Dans la même position. Mais visible. Et intact. Ce doit être un très vieux souvenir.

Depuis combien de temps suis-je là ? Je viens de me réveiller. Il y a deux minutes. Ou dix. Ou une heure. Je ne sais plus. Et avant ? Je dormais. Je rêvais. De quoi ? Je ne sais plus. Longtemps ? Impossible de savoir.

De quoi est-ce que je me souviens ? Que mes mains sont là-haut, trop loin de mon visage. Que je ne dois pas essayer d'ouvrir la bouche. Non. Avant ça. Il doit y avoir autre chose dans ma vie avant ça.

J'étais... j'étais dans un vaisseau. Enfin, je crois. On approchait d'une station. Tout le monde était tendu. Et armé. Moi aussi. Je tenais un fusil. Pourquoi ?

L'enfoiré avec son marteau dans ma tête ferait mieux d'arrêter. Sinon je risque de lui éclater la tronche. Et la mienne du coup. Je devrais pouvoir y arriver. Un grand coup en arrière. Droit sur le mur. Il a l'air solide. Plus que moi. Mais je ne suis pas sûre d'avoir la force. Il faudrait déjà que je relève la tête. Comme ça... oui, encore un peu... Non ! J'y étais presque ! Ou pas. Difficile de savoir sans point de repère. Même mon corps n'est plus capable de me donner une information fiable. À part la douleur. Bien sûr.

Je suis fatiguée. Je devrais dormir. Pour reprendre des forces. Mais pour quoi faire ?

Non. Je devrais dormir. Juste pour dormir. Pour oublier. Ne plus sentir la douleur, les brûlures, le marteau, le sang dans ma bouche, l'odeur du sang.

Aarrgh ! Un autre flash. Un putain de flash merdique. Un souvenir, mais d'un cauchemar. Un homme allongé, éventré. Ses entrailles étalées tout autour, dans une flaque de sang. Et une bête, un Krakeni, la gueule à moitié enfouie dans l'homme. En train de le dévorer de l'intérieur. L'homme me regardait. Enfin, je crois. Tout était flou. Comme à travers une vitre embuée. Mais je le regardais aussi. Il y avait de la lumière. Et j'avais encore des yeux. Des yeux ouverts. Ouverts, et humides. Je pleurais. Je connaissais cet homme.

Ce ne peut pas être le souvenir d'un cauchemar. Mes cauchemars ne m'ont toujours montré que des inconnus. Ou alors... me suis-je endormie ? C'est ça, j'ai dormi. Et j'ai fait un nouveau cauchemar.

Aarrgh ! Putain ! Arrêtez-ça bande de sadiques ! Les marteaux, les flashs, sortez de ma tête !

Je deviens folle. Mon cerveau ne fonctionne qu'au ralenti. Mais les images étaient plus nettes. Je l'ai reconnu. C'était John. Pourquoi je rêverais de la mort de John ? Je ne peux rien réussir sans lui. Il a toujours été là pour moi.

John. John... John serait mort ? Les images seraient... réelles ? Si c'est ça, je vais vraiment devenir folle. Je ferais mieux de dormir.

Encore des images... et du son. Bizarrement, c'est moins douloureux avec le son. Cette fois, je suis... au Sanctuaire, c'est ça. Ce gars de la Fédé me parle. Il essaie de me rassurer. Il me dit que je peux compter sur lui. Qu'il va se faire un plaisir d'exterminer ces sales bestioles. Mais je suis terrorisée. Je ne peux pas m'empêcher de trembler. Il me serre dans ses bras. Pas de panique. Il veut juste me rassurer. Il est comme ça. Il a un bon fond pour un de la Fédé. Il... Rick ! Il s'appelle Rick.

Les images viennent et repartent aussi vite. Un appel radio. Un appel de détresse. Non, plusieurs. Quelqu'un hurle quelque chose. Un autre plus calme me demande d'aller à la station. Xomi, celui-là s'appelle Xomi. Ça a l'air important pour lui. Je dois faire le ménage à la station.

Aarrgh ! Ça, c'est pas un flash. C'est juste moi qui essaie de poser un pied pour soulager mes poignets. Mais j'ai oublié les brûlures.

La station... Est-ce que je suis à la station ? Est-ce que j'ai fait le ménage ? Mal en tout cas. Vu l'odeur dans cette pièce.

L'odeur... de cadavre en putréfaction. J'en suis sûre maintenant. Je ne le vois pas. Mais je le sens. Je n'ai pas besoin de le voir. Je préfère ne pas le voir. Le cadavre de John. Ou ce qu'il en reste.

Je crois que je vais vomir. Mais si je fais ça... Tout mon corps va hurler. Le sang va remonter avec. La bouche refusera de s'ouvrir. Tout se répandra sur moi. Sur mon corps nu. Un amalgame pâteux et acide. Un cocktail idéal pour raviver mes brûlures. Non. Je ne dois pas vomir.

Je ne dois pas penser à John. Pense à Rick. Lui semblait vivant. Enfin, je crois. Est-ce que Rick est encore en vie ? Je ne sais pas. Je ne peux pas le savoir. Y'a personne ici pour me répondre. Personne. À part John, bien sûr. Putain ! Allez John, dis-moi quelque chose. Dis-moi que t'es pas mort. Parle-moi. Dis-moi que je ne suis pas morte.

Silence. Personne ne répond. À quoi ? Je n'ai rien dit à haute voix. Je n'ai même pas ouvert la bouche. Je ne peux plus ouvrir la bouche. Ma bouche ne me sert plus à rien. À rien d'autre qu'à sentir le goût du sang. Le sang de ma blessure au crâne. Et de mes organes percés à l'intérieur.

Merde. Je tourne en boucle. Ce silence commence à me rendre dingue. Putain ! Faites quelque chose ! Mon Dieu, si tu voulais me faire signe un jour, c'est maintenant, vas-y !

Rien. Le silence. Plus d'image. Plus de son. Le noir complet.

***

Je me réveille. J'ouvre les yeux. Enfin, je crois. Toujours aussi noir. Dans la même position. La même situation. Au moins, je me souviens de mon réveil précédent. Je m'améliore. Peut-être même que...

Oui, en y pensant très fort, j'arrive à me souvenir...

La station. Celle équipée de canons longue portée qui arrosaient nos vaisseaux. Celle que je devais neutraliser. On y est allé en vitesse. Juste moi et l'équipe à bord.

Nos vaisseaux ? À qui ? C'était qui nous ? Xomi ? Rick ? Peut-être... J'en sais rien.

Mais je me souviens de la station. Des couloirs sombres. Des bruits inquiétants. Distants, puis soudainement très proches. Des bruits qui me terrifiaient. Les cliquetis de mes cauchemars. Les bruits des Krakenis qui se déplacent. Ou qui mangent. De la chair humaine.

Aucune lumière artificielle dans la station. Juste celle reflétée par la planète en-dessous. Et qui pénètre par les quelques vitres minimalistes. On avançait avec la trouille au ventre. Sans savoir à quoi s'attendre. Ces sales bêtes devaient voir dans le noir, avec leurs grands yeux rouges. Heureusement, nos fusils sont équipés de lampes torche.

Je revois les ronds de lumière sur les parois. Tout était noir. Aucune couleur. Le couloir était étroit. On se retournait au moindre cliquetis. Le doigt sur la gâchette. Mais il n'y avait rien d'autre que des murs. Noirs.

À chaque porte, la tension montait. Puis on se rendait compte que la pièce était vide. Mais la tension ne redescendait pas. Les bruits continuaient. Parfois juste un clic, puis un autre. Parfois une rafale de cliquetis assourdissante. Et tout le monde s'accroupissait au sol. Par réflexe. Comme face à une explosion.

Un coup de feu, derrière moi. Ricco en a vu passer un. Il l'a loupé. La bestiole courait dans le couloir perpendiculaire. Putain. On était encerclés.

On continuait d'avancer. Tout droit, vers le poste de commande. Pour neutraliser les canons. Réussir au moins ça. Et mourir. Ce serait déjà pas mal.

Aarrgh ! Putain, c'est quoi ce bruit ! C'est horrible ! Pire qu'un chant corse paléolithique. Un bip aigu, plus fort qu'un hurlement. Insupportable. Mes oreilles n'ont rien entendu depuis... j'en sais rien, mais depuis longtemps. Et d'un coup, elles se prennent 120 décibels dans la tronche. Je vais les perdre pour de bon. En fait, ça me ferait du bien !

Où en étais-je ? Ah oui, le poste de commande. La mission. On y était presque. Non. On y était. On était entré dedans. Deux bestioles. On les a dégommées avant qu'elles ne réagissent. Enfin, je crois. J'arrive pas à me concentrer avec ce putain de sifflement. Juste quand je crois m'habituer, il change de fréquence, se met à biper comme une discussion en morse accélérée. Puis il redevient stable. Et recommence. De manière erratique. Insupportable. Je l'ai déjà dit. Je sais. Je ne suis pas encore complètement folle. Mais c'est vraiment insupportable.

On est entrés, on les a butées. Et on a cherché les commandes des canons. C'est là qu'ils sont arrivés. D'où ? Aucune idée. Je me suis retournée. Et j'ai vu, et j'ai entendu.

Une dizaine de sauterelles mangeuses d'hommes se trouvaient entre nous et la porte. Elles étaient debout. Dressées trois têtes plus hautes que nous. Elles nous fixaient de leurs yeux rouges qui transpercent l'âme. Les gars ont vidé leur chargeur sur elles. Ils ont commencé du moins. Les bestioles ont réagi plus vite que l'éclair. Elles ont sauté sur nous. Coupant des jambes, arrachant des bras... Trois gisaient au sol. Mais les sept autres ont mutilé toute mon équipe en moins de deux secondes. Après les bravades criées par les gars, les coups de feu, les cliquetis, les sifflements des balles, les résonances métalliques des ricochets, les sursauts d'étincelles sur les consoles, le son de la chair déchirée, le bruit des os craqués, les aboiements de douleur, les hurlements de peur, seuls restaient les gémissements plaintifs et discrets de ceux qui avaient perdu un membre, ou deux. Discrets, car la peur avait fini par les pétrifier.

J'avais encore tous mes membres. J'ai encore tous mes membres. Enfin, je crois. Pour ce que ça m'avance...

Je n'avais pas été attaquée. Je n'avais pas bougé. Pas tiré. Pas même levé mon fusil. J'avais été pétrifiée bien avant les autres. Se retrouver face à ses pires cauchemars, ça vous fait un choc. Immobilisée. Incapable de penser. Mais pas vraiment apeurée. Dans mes cauchemars, ce n'est pas moi la victime.

Est-ce parce que je ne les ai pas attaqués ? Ou parce que mon cauchemar devenait réalité ? J'en sais rien. Mais ils ne m'ont pas touchée. Ils se sont rapprochés pour m'encercler. Piétinant les restes de mes hommes. Déclenchant un cri par ici, un autre par là.

J'aurais pu en tuer au moins un. Ou deux. Je tenais toujours mon fusil. Ils étaient rapides. Mais pas plus qu'une balle. Je n'avais pas beaucoup à relever le canon. OK, je ne pourrais en avoir qu'un. Mais quand même. Ça ferait un de moins.

Ils ne bougeaient pas. Est-ce qu'ils me prenaient pour une des leurs ? À cause de mes cauchemars ? Grâce à mes cauchemars ?

Ils se sont encore rapprochés. Resserrés. À porté de bras. Du leur, plus long. Puis du mien. Alors, ils ont pris mon fusil. Délicatement. Je les ai laissés faire. Qu'est-ce que je pouvais faire ? Je ne sais pas. Mais j'aurais dû le faire.

Aarrgh ! Putain ! La sirène s'est arrêtée. OK. Mais ils me font la même chose avec la lumière maintenant ! Une lumière aveuglante. Si intense que fermer les yeux ne sert à rien. Oh merde, je vais chialer, j'en peux plus... Les flashs de lumière m'ont montré la pièce... Putain John... Il ne reste plus que sa tête. Ses yeux qui me regardent. Et quelques lambeaux qui descendent de son cou. Dans une mare de sang et de restes de repas.

Non ! Je ne peux pas pleurer. Les brûlures. Les larmes. L'eau salée. Pas bonne idée. Putain. Il faut que je me concentre. Le poste de commande... Ils m'encerclent... Me prennent mon fusil. Reste concentrée...

Une fois le fusil jeté dans un coin, tout a changé. Les cliquetis ont repris. Tout s'est accéléré. Ils me poussaient vers le couloir. Je me suis retournée pour voir mes gars en train d'agoniser sur sol. Ils me poussaient plus fort. Mais je résistais. Je ne voulais pas les laisser mourir seuls. Alors, ils ont arrêté de me pousser. Et ils ont commencé à me tirer. Par les cheveux. Traînée dans le couloir. Trop rapidement pour que je puisse me relever sur mes jambes. Jusqu'à une pièce où ils m'ont jetée.

J'aurais pu me redresser. J'avais encore assez de force. Mais j'ai senti qu'il ne valait mieux pas. Alors, ils ont attrapé mes bras, et m'ont tirée jusqu'au fond. Clac ! Puis, clac ! Une sensation de métal froid sur les poignets. Et d'un coup, mes bras se sont levés, et m'ont levée. J'étais enchaînée au mur du fond de la pièce. Cette pièce. Là où je suis.

On avance. Je sais où je suis. Et comment y aller depuis les docks. Et donc comment retourner à mon vaisseau. Cool. Y'a plus qu'à briser les chaînes, réussir à marcher, ramper ou je ne sais quoi, trouver la porte, l'ouvrir je ne sais pas comment, sortir de la pièce, suivre le chemin, ne pas se faire repérer, et me tirer d'ici. Et survivre jusque-là. Faut pas oublier ça. Survivre. À la douleur, la fatigue, la soif, la douleur, la folie, l'étouffement par mon propre sang (ou mon vomi), l'éclatement de mon cerveau, le marteau, le bruit, la lumière, la douleur, la folie...

Stop ! Je ne suis pas folle. Pas complètement en tout cas. Pas encore. Enfin, je crois.

Tiens. Il suffit que je crie stop (dans ma tête, pas réellement) pour que tout s'arrête. Plus de lumière. Plus de son.

Quoique... en tendant bien l'oreille... quelques bruits étouffés. Distants, sourds, précipités. Comme des coups de feu dans une pièce en coton. Plus rien... et ça recommence.

J'en ai marre de ne pas savoir ce qui se passe autour de moi. Je m'en foutais. Mais maintenant que je sais où je suis, c'est super frustrant.

Clong ! Un bruit violent. Accompagné d'un éclat de lumière. Non, une danse de lumières. Multiples, excitées, cherchant à m’hypnotiser. Ou à me rendre dingue. Elles risquent d'y arriver. Je n'en suis plus très loin...

Des voix. Des voix humaines ! Ça y est, je suis folle ! Je vais enfin pouvoir tout oublier !

Aarrgh ! Mes brûlures se réveillent. Impossible de les oublier. Ces sadiques s'amusent à appuyer dessus !

Je me retrouve allongée sur le sol. Je ne vois toujours rien. Je n'ose pas ouvrir les yeux face à ces lumières. En fait, je ne sais pas si je peux les ouvrir.

Je sens une présence toute proche. Non, de multiples présences. Tout autour de moi. La pièce s'est remplie de vie. Qui a osé entrer dans ma pièce sans me demander ? Barrez-vous ! Laissez-moi tranquille !

Mais bien sûr, ils ne m'écoutent pas. Ne m'entendent pas. Je n'ai crié que dans ma tête.

Les voix... Des cris. On me hurle dessus. Mais mes oreilles ont dépassé le stade de la douleur. Elles ne se donnent même plus la peine d'essayer de comprendre les mots. Des mots sans aucun sens de toute manière : een... ik... een... al... ni... een... itoi ! een... een.

Contentez-vous de m'achever et laissez tomber la prière. Par pitié. Je n'en peux plus.

--- een... éi.. toi.. een !

Je crie stop (dans ma tête bien sûr), mais ça ne marche pas. Ce serait trop beau.

--- on... ieu... een... een !

Ils m'emmènent. Me portent. Donc me touchent et raniment les brûlures. Je n'ai même plus la force de m'énerver. Je me laisse faire.

Les odeurs changent. Je suis sortie de la pièce. Je garde les yeux fermés. Tous ces mouvements... Mon corps n'est plus habitué. Je risquerais d'avoir le mal de mer. Et de vomir. Et ça... il ne faut pas.  

On accélère. Ils courent et j'ai l'impression de voler. Ou de m'envoler vers le paradis. Je sens bien que mon cerveau part en vrille. Mais je n'y peux rien. Je ne veux même plus me battre. Je les laisse m'emmener et je laisse mon cerveau derrière. Je n'en ai plus besoin. C'est la fin. Je le sens. C'est bien comme ça. Adieu.

***

Aarrgh ! Et merde ! Je ne suis pas morte !

Et mon cerveau m'a suivi. Je le sens. Il a l'air prêt à l'emploi.

OK. Alors, où suis-je ?

Non, ne pas ouvrir les yeux. Ce serait trop simple. Et trop risqué.

Je suis... allongée. Sur quelque chose de plus confortable qu'une plaque de métal.

J'entends... pas grand chose. Mais pas rien non plus. Un léger ronronnement mécanique. Quelques bips intermittents.

Mes poignets ne sont plus attachés. Je peux bouger les mains. Je peux me toucher... Mais je ne sens que du tissu. Partout. Même sur le visage. Je ne suis plus nue. Mais je ne porte pas d'habits non plus. Non. Je suis une momie. Donc... je suis morte. Mais pas vraiment. Bref, j'en sais rien.

L'odeur... L'odeur du sang et de la pourriture a disparu. En fait, il n'y a pratiquement aucune odeur ici. Que des choses neutres, insipides. Sauf une... que je n'arrive pas à identifier. Elle me rappelle des souvenirs, mais trop fugaces pour en tirer quoi que ce soit.

Des bruits. Des pas sur une passerelle métallique, mais étouffés par la distance, ou une porte.

Allez, il va falloir que j'ouvre les yeux. Pas le choix.

Aargh ! Mauvaise idée. Je le savais. Trop de lumière. Bien trop pour mes yeux habitués à l'obscurité totale.

OK. Revenons aux bruits. Et aux odeurs. Cette odeur... Ce mélange de... textile synthétique et de... transpiration ? Une odeur humaine ? L'odeur de... Rick. Oui, son nom est Rick ! Rick est vivant ! Ou je suis folle. Ou morte et lui aussi.

Il faut que je sache. C'est simple. Il suffit d'ouvrir les yeux. Ouais, c'est ça...

Et si je l'appelais ? Je crois que je peux ouvrir la bouche. Au moins un peu. On essaie :

--- Rrrri...

Pas génial. Un son rauque et quasi inaudible. Bravo. Avec ça on est sauvé.

--- Rick...

Un murmure. C'est mieux. Mais faudrait pas qu'il soit en train d'écouter de la musique. Allez. Une grande inspiration et...

--- Rick !

Oui, c'est ça ! J'en ai presque mal aux oreilles.

--- Jane ?

Je ne rêve pas. Je l'ai entendu. Avec mes oreilles. Pas dans ma tête. Je ne peux pas être folle à ce point-là. C'est lui. Il est vivant. Et il est là. Je sens les larmes monter. Stop. Souviens-toi. Pleurer n'est pas une bonne idée.

--- Jane ? Tu m'entends ?

--- Oui...

Un murmure. J'ai tout donné tout à l'heure.

--- Oh mon Dieu ! Jane ! Je suis si content ! Le doc n'était pas sûr que tu t'en sortirais.

--- I... connaît rien.

--- Ouais, t'as raison. C'est qu'un amateur. Mais si tu permets, je vais quand même lui payer assez de caisses de bières pour le restant de sa vie.

--- Gardes... une pour... moi.

Toujours rien de plus qu'un soupir d'asthmatique. Au moins, ma bouche ne me fait plus mal. C'est une bouche de momie et je ne peux pas l'ouvrir beaucoup, mais c'est déjà ça.

--- Bon, faut que tu te reposes. Tu dois reprendre des forces, et garder ces bandages quelques jours. Mais ensuite, je te promets, je te payerai une vraie bière.

--- ...uper.

Il s'apprête à partir. Je tends mon bras et parviens à saisir sa manche. Ça m'a coûté un max. Je n'ai plus assez de force que pour un mot :

--- Comment ?

--- Comment t'es arrivée là ? Eh bien... je suis allé te chercher et je t'ai ramenée à bord de notre vaisseau. Vu ton état, je t'ai en fait directement portée jusqu'ici, dans le quartier médical.

Je ne lâche pas sa manche. Je veux qu'il en dise plus.

--- Je te raconterai tous les détails quand tu seras sur pieds, mais il faut d'abord que tu te reposes.

Je ne lâche toujours pas.

--- OK, OK... On avait fini notre mission sur Akat. C'était pas beau à voir, mais on avait fini par nettoyer la zone, bien avant que la flotte de la Fédé ne se pointe en renfort. Quand ils ont finalement débarqué, j'ai appris que t'étais partie sur une station pour faire le ménage et que t'avais réussi à désactiver les canons, mais que tout le monde avait perdu le contact avec toi. Alors, j'ai pris la décision d'aller te chercher. En fait... bon, disons que le général appelle ça un détournement d'équipement militaire majeur relevant de la haute trahison... mais peu importe. Il me fallait un vaisseau, et j'en avais un sous la main. J'ai monté une mission d'extraction rapido. Quand je t'ai retrouvée... tu n'étais pas vraiment consciente. On t'a exfiltrée le plus vite possible et conduite ici, sur le vaisseau.

Il est venu me chercher...  Je souris sous les bandages. Pour la première fois depuis longtemps.

--- Il faut que je te dises Jane... T'es la seule qu'on ait ramenée. Les autres étaient tous morts. Je peux te garantir que toutes les satanées bestioles sont mortes aussi, mais ça les ramènera pas... Bref, je suis désolé.

Je le savais déjà. Mais c'est jamais plaisant à entendre. Ni à dire.

Je tire sur sa manche et j'entrouvre les yeux. Je lui souris pour le rassurer. Les larmes floutent ma vision.

--- Merci.

--- De rien. Je t'avais dit que tu pouvais compter sur moi. Et c'était mon tour de te sauver.

--- Merci quand même.

--- OK. Donc c'est ton tour la semaine prochaine ?

--- Ça marche.

Il sourit aussi.

--- Alors tu ferais mieux de te reposer.

Et il s'en va, le sourire aux lèvres. Moi aussi, je souris encore. Mais il ne peut pas le voir. Je crois que sans les bandages, je l'aurais embrassé. Sans les bandages, et avec la force de me relever. Mais je l'aurais fait. Enfin... je crois.

Annotations

Vous aimez lire LeF ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0