Justaucorps
Alizée enfila son justaucorps dans les vestiaires, noua les rubans de ses chaussons, et ajusta la mousseline de son tutu devant la glace. Mme Pareto, la professeure de danse, entonnait son habituel : « allez, en place ! » en frappant des mains. Alizée savait, par expérience, que lui faire commencer son cours en retard lui vaudrait des représailles ; dans ces circonstances, plus rien n’allait : la posture, le rythme, la tenue… tout lui serait reproché. Elle ne sut jamais vraiment bien si le quota de patience de Mme Pareto était consumé par le retard ou s’il était impossible d’être à la fois une retardataire et une bonne danseuse. En tout cas, elle s’arrangeait à chaque fois pour ne pas être la dernière à sortir du vestiaire, car si la foudre devait tomber, ça serait sur celle qui se positionnerait en dernier sur la barre.
Dans le studio, Alizée croisa le regard de son amie Justine qui s’exerçait aux pointes ; elles échangèrent un sourire. Bien qu’elle ne fût pas une ballerine de talent – Justine étant bien plus douée qu’elle – elle chérissait le cours de danse depuis ses sept ans. Elle aimait le parquet, l’odeur de cire d’abeilles et du talc, la complicité avec ses amies, la sensation de liberté que procurait la danse, et surtout, même si elle ne l’aurait jamais avoué : l’impression d’avoir encore sept ans.
Alizée avait treize ans, mais avait l’air d’en avoir dix-sept. Avec ses copines, elle sauvait les apparences : c’était cool d’avoir l’air plus vieille. Avec sa mère, elle s’époumonait en claquant la porte de sa chambre « de toute façon, j’ai qu’une hâte : d’avoir dix-huit ans et de me barrer ! ». Mais en réalité… Alizée ne rêvait que d’une chose : revenir à l’époque où son père venait la chercher et l’appelait « ma petite ballerine ». Cela faisait longtemps qu’il ne la nommait plus ainsi, et depuis qu’il avait une autre petite ballerine dans un nouveau foyer, Alizée tenait plus que tout à venir danser.
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