Chapitre 6 - Le tunnel alcoolique

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Chapitre 6 - Le tunnel alcoolique


Des heures durant, j'avais ramé dans le noir, sans même suivre une direction puisqu'il n'y avait rien pour me repérer sur cet océan infini. Il n'y avait rien, rien à part mon fidèle Kashy. Je le suivais toujours, sa lumière éclairait mon chemin et sa présence réchauffait mon cœur. Sans réfléchir, déterminé à ne pas m'arrêter, je continuais sans cesse de ramer. Cette mer ne pouvait pas être sans fin, je devais trouver une issue. Au moins deux heures et des milliers de coups de rame plus tard, mes espoirs se réalisèrent. Je sentis le sol résister à mes assauts, le niveau de l'eau descendait petit à petit. Je pouvais presque voir le fond, mais le liquide était bien trop opaque. Ma barque avançait de plus en plus lentement, la mer se densifiait et il me fallait plus de force pour avancer. Petit à petit, l'eau faisait place à de la boue, en peu de temps ma barque se retrouva complètement bloquée, empêtrée dans la mélasse.

"Il faut continuer" Kashy dit il alors. Il avait raison, rien ne devait m'arrêter. Je descendis alors à pied. La boue montait jusqu'au dessus de mes genoux, elle gênait mes pas. J'avançais difficilement en grandes enjambées, la mixture visqueuse s'accrochant à mes jambes. J'aperçus alors un mur gigantesque qui se dressait devant moi. La structure était aussi large que haute, je ne pouvais pas en voir les limites. C'était une infranchissable muraille de pierres au moins deux fois plus grande que moi. Il n'y avait qu'une seule faille dans l'indestructible édifice, une brèche à ma hauteur où la boue s'infiltrait.

Kashy s'engouffra alors dans ce tout petit trou qui perçait à travers l'immensité de la structure. J'entrai avec lui dans ce qui ressemblait petit à petit à un long tunnel. Je pouvais à peine tendre mes bras autour de moi tant le tunnel était serré, devant moi Kashy prenait toute la largeur du tunnel, je ne voyais rien à travers ses plaques de métal et son intense lumière. Une fois encore je suivais aveuglément mon compagnon dans la pénombre et les ténèbres. Le niveau de la boue montait encore jusqu'à stagner à hauteur de mon bassin. L'avancée était de plus en plus dure, il y avait énormément de bifurcations et d'embouchures. Le tunnel devenait un véritable labyrinthe. Pour ne pas perdre Kashy de vue dans ce dédale, j'étais obligé de le suivre et du plus vite que je pouvais. Je commençais à sentir une odeur très forte dans le tunnel, une odeur qui m'étais familière mais elle semblait si amplifiée que je n'arrivais pas à la reconnaître. Un liquide coulait le long des murs du tunnels, je pouvais le toucher du bout de mes doigts tout en suivant Kashy. L'odeur venait de là, un parfum amer et des notes ambrées de malte.

Soudain, je compris. De la bière coulait à flots le long des murs du tunnel. Pris de joie de m’empressai de tendre mes mains pour récolter le liquide salvateur. Rien que le goût de la boisson était divin, le liquide traversant de toute part mon corps me remplissais de bonheur. Cela faisait si longtemps, en ces lieux si sombres et horribles, la bière me fit l'effet d'une caresse au milieu de la tempête. Je m'enivrais à gorge déployée lorsque je me rendis compte que je ne voyais plus Kashy. Bien alcoolisé, je criai pour qu'il m’entende. Aucun bruit, aucune lumière en guise de réponse, seul le ruissellement continu du liquide contre la parois.

Je me mis à courir. Je ne pensais plus à rien, à part continuer, il fallait que je le retrouve. La panique et l’alcool me firent perdre la notion du temps et de la fatigue. Je courus pendant ce qui me sembla une éternité. L’alcool inhibait la douleur musculaire dans mes jambes, mon coeur battait si fort que je n’entendais même plus les remous de mes pas dans la boue ou la mélodie de la rivière de bière sur les murs. J'avais perdu ma seule lumière au milieu des abysses, mon seul compagnon dans cet enfer solitaire, et tout cela pour m'enivrer en léchant ces murs hideux. Je paniquais vite malgré l'alcool me renforçant l’esprit. Je ne réfléchissais plus, je continuais de courir, tournant parfois à gauche parfois à droite en espérant entrevoir un mince halo lumineux qui me signalerait sa présence. Aussi saoul qu’abandonné, je me mis à perdre la tête dans ce labyrinthe éthylique. Je me pensais perdu à jamais lorsque j’entrai dans une longue salle, le plafond y étais encore plus bas, je devais me baisser pour continuer à avancer. Mes cheveux baignant alors dans la bière qui ruisselait au plafond. J'aperçus mon espoir. Kashy était là au milieu, il m'attendait, immobile, mais il n'était pas seul.

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