24. Vérité et inaction
Clémentine
Noémie se frotte le tibia et je lui lance un regard assassin. Putain, qu’est-ce qu’elles ne comprennent pas dans “soirée filles”, ces dindes ? C’est la deuxième fois qu’elles invitent le russe sans que j’aie mon mot à dire, c’est agaçant !
Je me lève et rentre dans mon appartement après avoir récupéré les plats vides. J’ai cette sensation malsaine d’avoir envie de voir mon voisin, autant que celle de vouloir l’éviter à tout prix. C’est dérangeant et profondément déstabilisant. J’essaie de gagner du temps alors que je le vois rejoindre les filles sur la terrasse. Il porte un petit short en tissu clair et un tee-shirt ajusté aux couleurs de la mer qui doit mettre en valeur le bleu de ses yeux.
Je sors du réfrigérateur les barres chocolat noix de coco que j’ai préparées tôt ce matin, ainsi que la charlotte aux fruits rouges et le coulis de framboises, et dépose le tout sur un plateau. Je passe aussi par ma chambre pour récupérer et enfiler ma chemise en jean. Aucune envie de le voir me reluquer alors qu’il me snobe depuis des jours. Je fermerais bien les boutons jusqu’en haut, mais je risque de mourir étouffée et, quitte à choisir, je préfère que ce soit le destin de Noémie.
Quand je sors sur la terrasse et dépose le plateau, il n’y a que Mathou qui lâche des yeux mon voisin pour se lécher les babines en voyant la charlotte. Pour le reste, même Zoé est en train de se pavaner devant le blondinet qui, contrairement à ces derniers jours, affiche son sourire. Partiellement du moins, je crois.
— Bonsoir, Alexei… Les filles, je vous sers quoi ? dis-je en déposant déjà une part de charlotte devant ma meilleure amie.
— Les deux pour moi, minaude Noémie, j’ai la chance de ne pas prendre un gramme, peu importe ce que je mange.
Je lève les yeux au ciel et lui sers une bonne part de gâteau. Tu verras si la mascarpone et le coulis de fruits ne font pas grossir, ma belle. Quant aux barres…
— Moi, je veux un peu des deux, s’il te plaît, Clémentine. Je suis gourmand, dit-il sans un regard pour la pauvre Noémie car il est en train de me reluquer effrontément.
Je découpe une part pour lui et la garnis, y ajoute une barre chocolatée et dépose l’assiette devant lui en prenant garde à ne pas trop me pencher sur la table. Hors de question qu’il profite de mon décolleté.
— Dommage que tu te prives de certaines choses, Monsieur le… Gourmand.
Il me lance un regard où je vois à la fois de la peine mais aussi un air de défi qui a le mérite de réveiller mes hormones déjà pas très calmes. Il pose son regard quelques secondes sur chacune des filles présentes qui rougissent tour à tour avant de plonger son regard dans le mien.
— Il y a ici plein de choses très appétissantes, mais une seule qui mérite d’être dévorée… dit-il en souriant avant de montrer mes seins. Ce dessert au chocolat a l’air d’être succulent.
Oh le con. Je pensais qu’il parlait de ma poitrine, mais il joue avec moi, avec mes nerfs. Le plat que je tiens dans les mains est en effet à la bonne hauteur, ce qui explique ma confusion, mais s’il continue comme ça toute la soirée, je ne sais pas si je vais résister à l’envie de lui mettre une baffe. Ou de lui sauter dessus, toute nue. Je me morigène gracieusement, parce qu’Alexei a perdu ce droit en me rejetant.
— Oui, contente-toi de ça, tu as raison, marmonné-je en servant Zoé et Sarah avant de prendre à mon tour une part de charlotte.
— Succulent, répond-il après quelques instants de silence, en se suçant les doigts d’une manière si sensuelle que toutes mes amies ont l’air d’avoir chaud.
— Bien sûr qu’ils le sont ! De quoi on parlait déjà, les filles ? Ah oui ! De Thomas ! Donc, je disais qu’on sort ensemble après-demain.
— Ah oui, c’est votre jour de fermeture ? Ça veut dire que tu seras libre de sortir aussi, Alexei, non ? minaude à nouveau Noémie qui a l’air de vouloir lui faire du rentre dedans ce soir.
— Peut-être, oui, répond-il sèchement. Mais je ne sais pas si je suis à la hauteur du roi de la levrette, rajoute-t-il en riant nerveusement.
— Pour le savoir, encore aurait-il fallu que tu fasses autre chose que te barrer comme un voleur, mon cher.
Il me jette un regard meurtri avant de plonger sa tête dans son assiette. Je le vois ensuite se tourner vers Noémie et la regarder, pensif. J’ai vraiment envie de l’étriper. C’est lui qui joue le mec blessé alors que c’est lui qui m’a rejetée, c’est la meilleure, celle-là. Je soupire en plongeant ma cuillère dans mon gâteau. Voilà, toute l’ambiance de la soirée est redescendue grâce à cette superbe idée de Noémie. Je n’ai plus aucune envie de partager quoi que ce soit. Alexei m’a vraiment blessée en m’envoyant promener alors qu’il faisait tout ce qu’il fallait pour m’attirer dans ses bras et dans son lit.
J’observe Noémie, toujours aussi en pamoison devant lui. Je peux comprendre qu’elle soit physiquement attirée par Alexei, il y a de quoi, mais elle ne sait rien de plus que quelques phrases échangées. Que sais-je de plus sur lui, à vrai dire ? Je crois n’avoir jamais rencontré personne d’aussi secret. Évidemment, j’ai un peu plus appris à le connaître qu’elle, mais j’aurais aimé creuser davantage et vu comme il se referme dès qu’on parle de lui, c’est difficilement possible. Et malgré tout ça, ce type m’attire, et pas que physiquement. Le mec est une énigme, capable d’être gentil et attentionné comme particulièrement agressif.
— Et si on faisait un Action ou Vérité ? lance tout à coup Zoé, brisant le silence pesant qui s’était installé. Noémie, ça te tente ?
— Heu… Tu es sûre que c’est une bonne idée ? demande-t-elle en nous observant tour à tour.
— Mais oui, on va se marrer, je le sens. Alexei, ça te tente ?
— Moi, je parle pas de moi. Alors, vous risquez de voir de l’action… Quoique… Il y a peut-être des vérités que je devrais dire.
Je hausse les sourcils sans répondre. La bonne blague, de la part du gars qui n’a trouvé comme explication à sa fuite que “je suis un connard”.
— Quelque chose me dit que cette soirée va mal se terminer, soupire Mathilde. T’es ok pour le jeu, Clem ?
— Je n’ai rien à cacher, moi. Pas de problème.
— Très bien, s’esclaffe Zoé sans demander l’avis des autres filles. Alors, Alexei, action ou vérité ?
— Action, bien sûr.
— Étonnant, rit-elle. Très bien, je te propose de nous faire profiter de ta silhouette avantageuse en enlevant ce tee-shirt.
— Ah oui, vous jouez comme ça ? Pas de soucis pour moi.
Je le vois se lever et retirer lentement son tee-shirt, puis, espiègle, il le jette sur Noémie et nous fait profiter de sa musculature parfaite. Mon amie est toute rouge, à la fois d’avoir eu la chance de recevoir son vêtement mais aussi de le voir presque nu. Moi, même si je le trouve beau, cela me rappelle trop ce moment où il m’a plantée.
— A toi Alexei. Qui défies-tu, demande Zoé en bonne maîtresse du jeu.
— Clémentine, bien sûr. Pour une fois que je peux demander quelque chose de ma patronne, sourit-il.
— Vérité, puisque je n’ai rien à cacher, soupiré-je en attendant la sentence.
— Si tu devais choisir entre le roi de la levrette et un Russe qui a des choses à se reprocher, tu choisis qui pour partager ta vie ?
C’est quoi cette question à la con ? Evidemment, je me doutais qu’il entendrait tout de notre conversation, possible d’ailleurs que j’en aie rajouté un peu… Aussi cool soit Thomas, soit dit en passant.
— En voilà une bonne question… Je dirais celui qui ne se barre pas en me voyant nue, sans doute. T’imagines bien que ça ne donne pas trop envie de retenter sa chance.
— Il a peut-être eu simplement peur de te faire du mal, mais oui, je comprends. A toi donc de jouer.
— Bien… Noémie, action ou vérité ?
— Action, dit-elle, le tee-shirt toujours collé dans ses bras.
J’ai envie de lui dire de partir maintenant, histoire de ne plus la voir transie de désir face à Alexei. Au lieu de quoi, je me trouve pire encore, sans doute un peu cruelle même.
— Raconte-nous enfin comment tu as chopé ton herpès génital, l’an dernier.
— Hé, c’est pas une action ça, se défend-elle en rougissant.
— Techniquement, parler est une action, non ? Zoé, maîtresse du jeu ?
— Techniquement, elle n’a pas tort. Puis on crève d’envie de le savoir depuis trop longtemps. C’est accepté ! Dis-nous qui t’a refilé cette merde dont tu as eu un mal de chien à te débarrasser.
— Eh bien, je dois donner des détails aussi ou pas ?
— Un minimum, on demande pas non plus à savoir combien de temps il t’a besognée, ris-je.
— En fait, ils étaient deux, dit-elle d’une petite voix, rougissante. Et je ne sais pas lequel me l’a refilé. Ça c’est fait comme ça… En boite, je me suis retrouvée en sandwich entre les deux. Et quand l’un m’a touchée et que l’autre l’a rejoint, j’ai pas pu résister… La meilleure nuit de ma vie !
— Et un cadeau que tu n’es pas près d’oublier, rit Sarah. Allez, sois pas mal à l’aise, au moins t’as la chance d’avoir vécu ta meilleure nuit à trois et pas en solo avec tes jouets !
Les filles jouent un petit moment ensemble. Elles savent que je ne suis pas très friande de ce genre de jeux débiles mais qui peuvent parfois être bien intéressants. Noémie ne sait plus où se mettre depuis son histoire d’IST, et je m’en veux un peu d’avoir été aussi intrusive. Elle n’ose même plus regarder Alexei en face, qui reste silencieux et dont je surprends fréquemment le regard posé sur moi. J’écoute distraitement les filles, priant pour qu’elles bouclent rapidement la partie, mais suis sortie de mes pensées par Noémie qui m’interpelle.
— Alors, Clem, à ton tour !
— Hum… Vérité, soupiré-je, ne voulant pas bouger d’un poil ou faire trop d’efforts.
— Alors Clem, raconte nous quand tu as eu ton dernier orgasme et à qui tu pensais en te caressant ! On veut avoir tous les détails !
Oh merde… Alors celle-là, je ne l’avais pas vue venir. J’aurais peut-être mieux fait de dire “action”, finalement...
— Qui te dit que mon dernier orgasme, c’était toute seule ? bougonné-je, un peu vexée.
— Ça fait combien de temps que tu as pas eu de mecs, Clem ? Alors, fais pas ta prude et raconte !
Quelle connasse ! A cet instant, je crève d’envie de lui coller la fin de ma charlotte en pleine face histoire de la calmer. J’ai juste autre chose à faire que d’aller choper du mec, moi.
— Viens tenir le restaurant rien que deux jours, tu verras si tu trouves le temps d’aller faire quoi que ce soit un tantinet sympa, marmonné-je. Mon dernier orgasme en solo, c'était il y a quelques jours, dans ma baignoire.
Bon sang, je crois n’avoir jamais été aussi mal à l’aise devant Thor. Le gars va clairement apprécier que je me sois caressée en pensant à lui, et ça m’agace profondément. Je plante malgré tout mes yeux dans les siens avant de poursuivre.
— Je me suis caressée en imaginant que mon voisin ne s’était pas barré et avait poursuivi ce que nous avions commencé sur mon canapé. Le genre de chevauchée qui te donne envie de recommencer encore et encore. A défaut de l’avoir vécu en vrai, j’ai fait avec ce que j’avais.
— Oh la la ! Alexei, tu vois ce que tu as manqué, se moque Mathou. Il va falloir te rattraper si un jour tu as une nouvelle chance ! Parce que là, tu as grave déconné ! Femme frustrée à jamais énervée !
Alexei se lève, énervé et nous regarde, visiblement en colère.
— Eh bien, puisque je ne sais pas finir les choses, je vais vous laisser terminer cette soirée sans moi. Je laisse la porte ouverte. Et je dors nu. Si l’une d’entre vous veut vérifier que je sais aller au bout de la nuit, je suis à votre disposition, Mesdames.
Et le voilà qui fait un petit salut de la tête et repart en furie vers son appartement.
— Si l’une de vous y va, murmuré-je une fois qu’il est rentré et de telle sorte qu’il n’entende pas, je vous jure que je la tue dans d’atroces souffrances.
— Ah, tu poses un véto, finalement ? demande Sarah, le sourire aux lèvres.
— Oui, mais juste parce que je refuse de savoir qu’il est allé au bout avec l’une de vous alors qu’il m’a lâchée, moi, sans me donner d’explication. Je vous déconseille l’expérience, c’est pas très agréable.
— Il a rien expliqué ? Parce que là, c’est clair qu’il aurait aimé aller plus loin, dit Mathilde alors que je lis la déception dans les yeux de Noémie.
— Il aurait dû y penser à ce moment-là. Ce mec est trop compliqué, dire qu’il paraît que ce sont les nanas qui sont galères à comprendre, franchement, soupiré-je.
— En tous cas, l’invitation était valable pour toi aussi, Clem, si tu veux voir ce que ça fait de terminer avec lui, me dit Zoé, espiègle.
— Bien sûr, comme si j’étais le genre de nanas à me jeter sur un mec qui m’a repoussée. Il pourra se branler en pensant que l’une de nous le rejoint, je m’en fous.
— Rho, c’est du gâchis, ça ! Moi, un mec comme ça m’invite à baiser, je te jure que j’y vais. Quoi qu’il se soit passé avant ! crie une Noémie, visiblement entichée du beau Russe.
— Faut croire que j’ai une certaine fierté que tu devrais peut-être essayer d’avoir, toi aussi… Allez, fin de soirée les filles, je suis de marché demain matin, dis-je pour couper court à cette conversation qui m’agace et me donne des envies que je refuse d’assouvir.
Hors de question d’y aller, quand bien même l’idée me tente. Hors de question de le rejoindre, j’aurais l’impression de le supplier de me reprendre. Peut-être que ma fierté est mal placée mais je m’en fiche. Je refuse de lui offrir une nouvelle chance sans qu’il rame, et je ne sais même pas si j’en serai capable. Il m’a trop blessée en me rejetant. Je ne suis pas une de ces nanas prêtes à tout pour coucher avec lui, quand bien même je ne dirais pas non, je me respecte. Qu’il aille se branler tout seul, le Russe, avec sa porte ouverte et son absence de vêtements !
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