49. Everyone can cook

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Alexei

Le weekend arrive et ce matin, j’ai réussi à convaincre Lisa de venir jouer sur la plage pour profiter du soleil qui a bien réchauffé l’atmosphère. Il fait frais, mais ça reste agréable pour cette mi-octobre. C’est ce que les gens d’ici appellent l’été indien. Les clients en parlaient hier soir et j’ai dû demander à Clem ce que ça voulait dire.

Je joue au ballon avec Lisa en pensant à ma patronne. Suite à nos échanges avec Mathilde, nous avons réussi à reprendre une vie à peu près normale. Bon, c’est sans sexe, mais au moins, c’est aussi sans reproches constants. Je n’ai pas l’impression que Clem ait tout oublié de ce que j’ai fait, mais au moins, au quotidien, on fonctionne sans se tirer dans les pattes. Les autres serveurs ont remarqué que notre relation était plus froide. Sonia m’a même demandé si notre histoire était terminée. Je lui ai dit qu’on faisait un break et elle m’a regardé d’un air entendu. Est-ce vraiment un break avant une reprise ou alors un break appelé à durer ? Ça, je n’en sais rien. Je n’ai pas envie d’y réfléchir d’ailleurs.

Lisa attrape le ballon dans ses mains et nous nous asseyons sur nos serviettes de bain. Elle a pris un livre et se met à le parcourir alors que je continue à rêvasser devant l’océan. Si je suis encore là, je peux remercier la meilleure amie de Clem. Elle a su trouver les mots justes pour me convaincre de patienter. Elle m’a expliqué que Clem m’attaquait pour se défendre et elle a sûrement raison. Mais ce qui m’a vraiment convaincu, c’est quand elle m’a expliqué qu’elle n’avait jamais vu son amie aussi amoureuse. Elle m’a même avoué que si ça n’avait pas été le cas, elle aurait tenté de me séduire, mais que vu notre histoire, ça ne servait à rien d’essayer. Nous sommes faits l’un pour l’autre, et il faut juste que nous arrivions à nous retrouver. C’est ce que j’essaie de faire depuis.

Le service va bientôt commencer et il nous faut rentrer. Lisa souhaite rester encore un peu sur la plage mais nous n’avons pas le temps. J’ai pris l’habitude de débuter avant mon heure normale afin d’accompagner Clem dans la préparation du restaurant. Je ne suis pas payé pour ces heures supplémentaires, mais je les fais non seulement de bon cœur, mais aussi pour prouver à Clem que je suis vraiment là pour elle.

Quand nous revenons à l’appartement, je suis surpris de voir les rideaux toujours tirés chez Clem. Elle n’est pas encore levée ? C’est étrange, ça. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Depuis le départ de Linguini, Hervé n’a rien tenté, mais qui sait ce qu’il manigance ? Ça m'étonnerait qu’il abandonne aussi facilement. Je tape à la porte extérieure, mais personne ne répond. Inquiet, j’entre à la suite de Lisa dans notre appartement avant de pénétrer dans la salle de bain. Je ne suis pas allé chez elle depuis un moment, mais là, je suis inquiet et j’entrouve la porte qui donne chez elle.

— Clem ? Tu es là ? Tout va bien ?

— Alex ? Qu’est-ce que tu fous là ? Je t’ai envoyé un texto pour te dire de pas venir bosser parce que je suis malade et tu viens carrément dans le nid de microbes ? me demande Clémentine en riant avant de tousser.

— J’ai pas regardé mon téléphone, désolé. J’étais sur la plage avec Lisa, et j’ai vu que tout était fermé en rentrant. J’étais inquiet. J’ai cru à un autre mauvais tour d’Hervé…

Je reste à la porte et me demande si je dois m’avancer ou pas. Je n’ai pas envie de tomber malade à mon tour, mais si elle a besoin d’aide, il faut que je puisse la lui apporter.

— Je peux entrer ? Tu es vraiment malade ?

— J’ai de la fièvre, des courbatures, de la toux et le nez qui coule, et je suis rincée. Je ne pense pas pouvoir douter du fait que je suis malade. Reste éloigné, je ne voudrais pas que Lisa et toi soyez malades, Alex…

— Oh, ça doit être la grippe, ça… Tu es sûre que tu n’as besoin de rien ?

— Me tente pas, j’ai envie d’un chocolat chaud mais je ne suis même pas sûre que je sentirais son goût.

— Je vais t’en faire un alors, avec double dose de chocolat pour que tu sentes bien le goût ! Ne bouge pas, j’arrive !

Je retourne dans ma propre cuisine afin d’être plus efficace. Je lui prépare un chocolat chaud, je rajoute un petit cachet de paracétamol et un verre d’eau, ainsi qu’un petit gâteau au cas où elle aurait faim. Je retourne ensuite la voir et je pénètre dans sa chambre. Je dépose le plateau sur ses genoux avant d’aller ouvrir ses rideaux pour faire entrer la lumière.

— Ça ne te dérange pas que j’ouvre ?

— Ah non, t’ouvre pas ! Je… Non non, fais pas ça, j’ai une tête de zombie, arrête.

— Trop tard ! Il te faut un peu de lumière, il fait beau. Et tu sais bien que j’adore ta tête de zombie, rigolé-je en revenant vers elle sans toutefois trop m’approcher.

— Me cherche pas, mon bisou de zombie peut être fatal, rit-elle en prenant le temps d’attacher ses cheveux.

— Je t’ai ramené aussi du paracétamol, si tu veux. Tu veux que j’appelle un médecin ou ça va aller, tu crois ?

— Ça va aller, Papa-Thor, du repos et ça va repartir.

— Du repos ? Mais qui va s’occuper du restaurant ? Tu vas le fermer aujourd’hui ?

— Bordel Alex, il te sert à quoi ton portable ? Je t’ai demandé de prévenir les clients qui ont réservé qu’on n’ouvrait pas.

— Je t’ai dit que j’étais sur la plage… Désolé, j’ai pas vu les messages. Et là, ça fait tard pour prévenir, non ?

— Oui… Fait chier, marmonne Clem en se redressant dans son lit en toussant.

— Tu fais quoi, là ? Reste au lit ! Je vais aller prévenir les gens, me débrouiller. Au pire, je leur fais des surgelés, ne t’inquiète pas ! Tu n’es pas en état, de toute façon, il faut que tu restes au lit, rajouté-je en la repoussant sur son oreiller sans qu’elle ne puisse résister tellement elle est faible.

— Des surgelés ? Mais t’es malade ! Je préférerais encore que Linguini nous fasse une carte avec cent pour cent de plats à base de pâtes !

— Écoute, t’en fais pas, je vais faire le nécessaire pour que les clients qui viendraient quand même soient bien accueillis. Toi, repose-toi pour venir vite nous donner un coup de main quand tu seras remise. Fais-moi confiance.

— Très bien, soupire Clem en tirant le drap sur elle. Mais te prends pas trop la tête, je suis plus à quelques emmerdes près… Quelques jours de fermeture feront du bien à tout le monde sauf à mon compte en banque.

— Je vais gérer. Repose-toi et dès que le service est terminé, je viendrai te faire un rapport complet. A tout à l’heure !

— Merci, Alex, vraiment.

Je laisse Clem qui a déjà refermé les yeux dans son lit et je rejoins la cuisine. Ne sachant pas trop quoi faire, j’appelle Paul pour lui demander conseil.

— Paul ?

— Tiens, salut Alexei ! Comment tu vas ?

— Moi, ça va, mais je vais avoir besoin de toi. Clem est malade. Et comme tu le sais, on n’a pas trouvé de remplaçant au chef qu’elle a viré…

— Je suis toujours cloué au lit, mon gars, comment tu veux que je t’aide ?

— Ben, je fais quoi ? Tu as une idée de menu pas trop compliqué ? Je vais faire une spéciale “menu du jour” aujourd’hui. Mais ça va être moi en cuisine. Et j’ai pas fait ça depuis des années.

— Regarde dans le placard près du fourneau de Clem. Enfin, pas le mien qu’elle utilise, tu vois ? Y a son classeur de recettes. Des tagliatelles avec des noix de saint Jacques ? Une petite sauce crème, du citron, ou du cidre, j’en sais rien, je suis pâtissier moi, tu sais !

— Oui, je vais faire ça. Et je vais faire un bortsch aussi, c’est facile à faire, et ça apportera une petite touche russe au repas. Tu en penses quoi ?

— Oh ben, peu importe, mon gars. Enfin, pense à faire des desserts aussi, rit-il à l’autre bout du fil.

— Ouais, ça va être mousse au chocolat et crème brulée ! Les classiques ! J’aurai pas le temps de faire des pâtisseries ! Merci des conseils, Paul. Et reste disponible si j’ai des questions !

— J’ai pas grand-chose d’autre à faire, de toute façon. Bon courage ! Si tu foires, Clémentine va te couper les… Enfin, tu vois quoi !

— Si je ne fais rien, elle risque la faillite, je prends le risque. A plus, Paul !

— Embrasse-la pour moi, et souhaite lui bon rétablissement. A plus, le Russe.

Je raccroche et je passe ma main dans mes cheveux en me demandant dans quoi je me lance. Même si j’ai déjà fait le cuistot avec ma femme, ça remonte à plusieurs années maintenant, et c’est la première fois que je vais être seul. Je repense alors au dessin animé qu’adore ma fille. Ratatouille, et notamment au livre du chef cuistot décédé : Everyone can cook. Si un rat peut tenir un restaurant, un Russe devrait y arriver aussi, non ?

J’essaie de ne pas réfléchir plus que ça et commence la préparation des plats du jour. Je découpe les légumes, prépare la viande, fais chauffer de l’eau. Je me lance à corps perdu dans la préparation du repas, retrouvant peu à peu mes automatismes et essayant de me souvenir de ce que fait Clem d’habitude.

Jérôme est le premier serveur qui arrive. Je le tiens rapidement informé de la situation et il se contente d’opiner, sans plus de réaction. Pour lui, c’est juste un boulot, ce restaurant. Tant qu’il est payé pour faire le service, le reste lui importe peu. Par contre, Sonia, qui pour une fois n’est pas trop à la bourre, n’en revient pas de ce que je suis en train de faire.

— Quoi, Sonia ? Tu vois une autre solution ? On ne va pas fermer le restaurant, quand même ?

— Ben… Des fois ça vaut mieux, non ? Tu sais cuisiner, au moins ?

— Oui, je sais cuisiner, mais j’ai pas le talent de Clem pour faire cinquante plats en même temps. Alors, aujourd’hui, c’est carte limitée. Tu penses que les clients vont pas être trop déçus ?

— Faut baisser un peu les tarifs, sans pour autant vendre à perte. Les produits de Clem sont toujours de qualité et coûtent une blinde. Et puis, le midi, les gens cherchent des menus pas trop chers qui rentrent dans leur budget déjeuner, non ? Ou alors on offre l’apéritif ? J’en sais rien, je suis serveuse, Alex, pas gérante d’un restaurant, moi…

— Tu peux goûter les plats que j’ai préparés ? Ça me rassurerait, Sonia… J’ai peur de pas être à la hauteur.

— Si tu veux, mais si Clem te laisse faire, c’est qu’elle a confiance en tes capacités.

— Clem est au fond de son lit et elle aurait dit oui si je lui avais dit que je vendais son restaurant, Sonia. Tiens, goûte-moi ce bortsch et ces tagliatelles et dis-moi honnêtement ce que tu en penses !

Elle prend une cuillère et commence par la soupe russe où j’ai juste mélangé tous les légumes que j’ai trouvés. Je la vois qui en reprend une autre cuillère.

— Eh, c’est bon ce truc ! s’exclame-t-elle, surprise. C’est tout simple, mais c’est bon ! Bravo !

Je ne cache pas ma satisfaction, surtout quand elle approuve aussi les tagliatelles. Lorsque les clients affluent, je me noie un peu dans tout ce qu’il y a à faire, le service n’est pas le plus efficace et le plus rapide possible, mais je maintiens le navire à flots. J’arrive même à satisfaire les quelques rares demandes de clients qui réclament un autre plat que ceux que j’ai préparés d’avance. Les retours des serveurs sont tous positifs, et ça me fait extrêmement plaisir de voir que je réussis mon pari.

Une fois le dernier client parti, je fais les comptes du déjeuner. La recette est plutôt positive et, vu que j’ai limité les ingrédients en diminuant la carte, les bénéfices n’ont pas à rougir d’une journée normale.

Encore plus fourbu qu’après un service habituel, je retourne voir Clem avant d’aller me reposer chez moi. Lorsque j’entre, je la trouve endormie, malgré les rideaux désormais ouverts. Elle est belle, dans son sommeil. Ne voulant pas la réveiller, j’écris un petit message :

Le service s’est bien passé. Bénéfice dans les clous. J’assure ! Tu peux dormir sur tes deux oreilles.”

Je la laisse dormir et regagne mon appartement où j’explique à Lisa que tout s’est bien passé, mais que j’ai besoin de me reposer un peu avant le service du soir. Elle vient me faire un gros câlin et me félicite pour ce que j’ai réalisé. Je suis fier de moi. Si je réussis à tenir le rythme, cela va permettre à Clem de ne pas trop se mettre en difficulté suite à sa maladie. Et peut-être qu’elle finira par me refaire confiance, si ça marche bien. L’espoir fait vivre, comme on dit. Moi, il me fait surtout sourire.

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