Chapitre 3

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Quand Rose passa la porte de l'épicerie, elle tomba nez à nez avec un Jérémy somnolent. Cela ne l'étonnait qu'à moitié. Elle avait naïvement pensé qu'avec ses nouveaux horaires, son collègue serait plus sérieux, mais de toute évidence, elle s'était trompée. Taquine, elle avança à pas de loup jusqu'au comptoir pour se retrouver face à lui. Là, elle contracta légèrement sa gorge pour changer le timbre de sa voix.

« Excusez-moi, Monsieur ? »
« Quoi...? OUI, PARDON ! »

Les yeux de Jérémy s'ouvrirent instantanément et découvrirent l'expression rieuse de la jeune femme. Il fronça les sourcils et se redressa, frustré de s'être fait piéger de la sorte.

« Pffff... Quelle gamine » siffla-t-il, mauvais perdant.

Rose ne répondit rien, se contentant d'afficher une mine victorieuse. Elle le trouvait même craquant à bouder ainsi. Jérémy n'était pas un homme particulièrement beau, mais il avait tout de même quelques atouts pour plaire. Elle appréciait ses sourcils fournis, son petit nez recourbé et ses yeux légèrement en amande qui lui donnait ce petit air malicieux qui le caractérisait tant. Ils se connaissaient depuis plus d'un an et bien qu'ils s'appréciaient tous les deux, leur relation était restée purement amicale. Rose avait été d'un grand soutien lorsque Jérémy était au plus bas, ce qui les avait rapprochés.

« C'est pour ta mère ? » demanda-t-il en remarquant le bouquet de roses.
« Oui. C'est son anniversaire aujourd'hui. »

Son regard était empli de compassion. Même s'il ne pouvait pas comprendre sa souffrance, il pouvait aisément l'imaginer. Aussi, il s'empressa de changer de sujet et attrapa un petit objet sur le comptoir qu'il fit tourner vers sa collègue. Le visage de celle-ci s'illumina instantanément. Une minitélévision !

« Mon père a pensé que ça égayerait un peu tes soirées. »

« Tu ne l'as pas allumée ? »

« Il me l'a interdit. Soi-disant que je n'en ai pas besoin... » grommela-t-il.

Cette délicate attention réchauffa le cœur de Rose. L'attente jusqu'à la fermeture serait moins longue et surtout, elle aurait de quoi se distraire. La vieille radio qu'ils utilisaient avait fait son temps.

« Tu veux bien la brancher ? Je vais essayer de trouver les chaînes. »

Jérémy hocha la tête et se saisit du câble d'alimentation pour le fixer à une multiprise. Puis, il attrapa la télécommande -qu'il trouvait ridiculement petite- et la tendit à Rose. L'objet s'alluma, affichant un écran bleu. Tandis qu'elle paramétrait la télé, Rose demanda.

« Comment va Lola ? »

« Elle m'a fait une scène pour qu'on aille au cinéma ce soir. »

« C'est de ça dont tu parlais quand tu disais que tu avais des choses de prévues ? »

« Oui. »

Lola et Jérémy étaient en couple depuis plusieurs mois. Elle avait flashé sur lui dès l'école primaire et n'avait pas cessé de l'aimer depuis. Jérémy, en revanche, avait émit plus de réserves. Même s'il ne l'avouait pas totalement, il la trouvait agaçante et parfois superficielle. Pourtant, le cours de la vie et ses problèmes familiaux l'avaient poussé dans les bras de Lola, pour le plus grand bonheur de cette dernière.

« Tu devrais être plus gentil avec elle, » le gronda Rose. « Elle t'aime vraiment. »

« Ouais, je sais bien... »

« Et estime-toi heureux d'être en couple. Regarde-moi ! »

« Toi, tu ne pourras jamais être en couple. Tu es bien trop chiante. »

Rose afficha une petite moue vexée et lui donna une tape sur l'épaule en guise de réponse. Il ricana avant de sortir une bouteille de soda et un paquet de chips de sous le comptoir. Alors qu'elle paramétrait toujours la télévision, elle s'arrêta à la vue de ces friandises.

« C'est quoi ? »
« J'ai dit qu'on allait fêter ta hausse de salaire, non ? »
« Avec du Coca et des chips ? » lança-t-elle sur un ton ironique.
« Tu crois peut-être que je roule sur l'or ? On travaille au même endroit, je te signale. »
« Tu as raison. Garde tes sous pour le cinéma. »

Piqué par cette réponse, il fronça les sourcils et rétorqua.

« Moi au moins, j'aurai droit à une nuit mouvementée. »

Le salaud ! Ils rirent tous les deux mais leur rire furent interrompus par le bruit d'une sirène. La télévision diffusait une série policière. Maintenant que tout fonctionnait parfaitement, ils pouvaient fêter sa pseudo promotion.

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Il était 17 h 50 lorsque Rose sortit de l'arrière-boutique. Malgré la petite fête improvisée, elle avait pris le temps de faire un saut au cimetière et d'y déposer ses fleurs. Elle avait parlé à sa mère, lui avait raconté son changement d'horaire, sa volonté de reprendre ses études, sa rencontre avec le type bizarre aux cheveux blancs... le genre d'informations qu'elle aurait adoré écouter de son vivant. Mais elle n'était plus là et la douleur dans sa poitrine le lui rappelait chaque jour.

Jérémy était déjà prêt à partir. Il avait pris soin de s'assurer que les caméras de surveillances étaient opérationnelles et avait rappelé à Rose qu'elle devait l'appeler au moindre problème. Elle trouvait qu'il exagérait, mais dans un sens, elle ignorait encore à quel genre de clientèle elle aurait à faire ce soir.

Les 3 premières heures se passèrent sans encombres. Les clients étaient peu nombreux et Rose avait trouvé le temps de ranger chaque étagère de la boutique avec minutie. Vers 22h, une bande d'adolescents agités était venue acheter de l'alcool avant de repartir en hurlant dans les rues. Ce genre d'attitude puérile et grossière la dépassait complètement.

Elle finit par allumer la minitélévision, non sans se sentir légèrement coupable. Pouvait-elle vraiment regarder la télé pendant ses heures de travail ? En tout cas, elle en avait grandement besoin. La fatigue commençait à lui peser et elle se jura de faire une sieste demain après-midi.

Alors qu'elle regardait un documentaire passionnant sur la pêche, la sonnette de la porte d'entrée la sortit de sa bulle. Un jeune homme encapuchonné s'engouffra dans l'épicerie sans un mot. Son cœur se mit à bondir dans sa poitrine. Les délinquants avaient toujours ce genre de look douteux. Et s'il cachait un flingue ? Et s'il lui demandait de vider sa caisse ?

Tendue, Rose se redressa et articula d'une voix claire pour se faire entendre.

« Bonsoir ! »

L'individu tourna les yeux vers elle et elle reconnut immédiatement celui qui l'avait bousculé la veille. Il avait ce même regard étrange et oppressant. Elle se pinça la lèvre avec une nervosité évidente, mais comme s'il avait senti son malaise, il retira sa capuche, dévoilant sa chevelure d'un blanc immaculé. Le fleuriste !

« Oh, c'est vous » souffla Rose, soulagée. « Je vous reconnais, on s'est vu tout à l'heure. Mon Dieu, ce que vous m'avez fait peur... »

Il haussa un peu les sourcils mais ne répondit pas. Drôle de type, pensa Rose. Elle retourna à son documentaire tandis qu'il fouillait les rayons. Entre-temps, elle ne put s'empêcher de lui jeter quelques coups d'œil furtifs. Ses origines l'intriguaient. Il avait la peau légèrement bronzée mais la teinte particulière de celle-ci et son faciès ne lui permettait pas de deviner d'où il provenait. Rose aussi avait la peau mate, plus que la sienne d'ailleurs. Tout le monde pensait qu'elle était originaire des îles, et ils avaient tous torts.

Il finit par s'approcher d'elle pour déposer un sandwich ainsi qu'une bouteille de vodka sur le comptoir. Rose le détailla pour tenter de deviner son âge et, même s'il avait l'air parfaitement majeur, elle exigea une carte d'identité. Le jeune homme sembla surpris mais ne pesta pas. Il fouilla dans ses poches pour sortir son portefeuille duquel il extrait une carte. Rose tendit la main pour la prendre et l'observa avec attention.

Saad Al Kahn. 27 ans, 1m84.

« Saad » dit-elle à voix haute. « C'est très joli comme prénom. Ça vient d'où ? »

Comme si elle venait de lâcher une bombe, les yeux du jeune homme s'arrondirent de surprise. Il détourna le regard et s'empourpra en une fraction de seconde. Ses joues s'étaient enflammées et il dut mettre une main devant son visage pour tenter de dissimuler son trouble. Cette réaction plus qu'excessive laissa Rose sans voix. Elle n'avait encore jamais vu un tel énergumène.

Les sourcils de Saad se froncèrent tandis qu'il jetait un billet sur la table. Il lui arracha la carte des mains sans une once de douceur et remit son portefeuille dans sa poche.

« Ce... Ce n'est pas la peine de faire semblant avec moi. Vous pouvez garder vos manières... ! » balbutia-t-il, en colère.

Il partit en trombe, oubliant sa monnaie et sa bouteille d'alcool sur le comptoir. Rose n'eut même pas le temps de l'interpeller qu'il était déjà parti. Bordel, c'était quoi ça ?

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