Jeudi 26 juin

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...Vous venez d'entendre Les Mots Bleus de Christophe. Vous être sur France Inter. Nous sommes le jeudi 26 juin, il est 9h. Tout de suite les nouvelles du jour. France Inter. Ecoutez la différence. Après le oui au maintien au sein du Marché commun des électeurs britanniques du 5 juin dernier, une réunion se tiendra le 16 juillet à Bruxelles entre les neuf chefs de gouvernement de la Communauté. La Fédération du Livre CGT lance un nouvel ordre à la grève. Aucun quotidien ne paraîtra ce jeudi...

Il commence à m'énerver Peltier. Il aurait pu envoyer un bleu pour régler ce problème de paperasse. J'ai passé l'âge. Compléter un dossier parce qu'il manque un nom. Et pis encore quoi ! Demain il va me demander de vider les poubelles du commissariat ! L'inspecteur Morvan n'est pas dans ses bons jours. Déjà bien énervé à cause du bébé des voisins du dessus qui n'a pas arrêté de pleurer toute la nuit, il faut maintenant que son chef continue à lui pourrir la vie. Peu intéressé par ce qu'il entend, l'inspecteur Victor Morvan décide de passer ses nerfs sur le bouton de la radio tout en conduisant.

...Chers auditeurs, bonjour. Vous être sur RTL. Dans quelques minutes, vous écouterez A la télé ce soir, présenté par Rémo Forlani. Juste après, vous retrouverez Anne-Marie Peysson pour le reste de la matinée. Tout de suite Gloria Gaynor avec Never can say goodbye.

Une fois garé près de l'hôpital, l'inspecteur se dirige vers la réception espérant régler ce problème au plus vite.

— Bonjour mademoiselle, inspecteur Victor Morvan. Deux hommes ont été hospitalisés chez vous dans la nuit du 24 au 25. J'ai besoin que vous me donniez leurs noms ?

L'homme en face d'elle est grand et très mince. Son style ne lui semble pas correspondre à l'image qu'elle se fait d'un policier. Sa veste n'est pas de toute fraîcheur. Sa cravate n'est pas assortie et le nœud aurait besoin d'être refait. Une barbe de deux jours n'arrange pas l'ensemble.

Elle le regarde quelques instants sans rien dire avant de se reprendre.

— Bonjour monsieur...

— Inspecteur !

— Pardon. Bonjour inspecteur, se reprend-elle en insistant sur le dernier mot. Veiller patienter quelques instants, lui dit-elle en saisissant le téléphone et en lui indiquant les quelques chaises derrière lui.

— Je vais attendre ici, lui répond-il, sèchement.

Après quelques minutes, elle raccroche.

— Je suis désolé, je ne vais pas pouvoir vous renseigner directement.

— Comment ça, vous n'avez pas cette information.

— Le docteur Munoz va descendre dans quelques instants. Je vous demanderai de patienter, en lui indiquant à nouveau les chaises. Bonjour madame, dit-elle en faisant signe à la dame qui venait d'entrer et dans l'espoir que ce malotru s'éloigne.

— Très bien, répond-il en s'efforçant de rester calme et en s'éloignant de quelques mètres à contrecœur.

Une bonne dizaine de minutes plus tard, les limites de sa patience atteintes, l'inspecteur Morvan retourne d'un pas décidé vers la réception.

— Mademoiselle, je ne vais pas y passer la journée.

— Je suis désolé, mons... inspecteur. Le docteur va arriver.

— Rappelez-le, s'il vous plaît.

— Très bien, répond-elle, vexée.

Alors qu'elle saisit le combiné, il sort de l'ascenseur.

— Le voilà ! annonce-t-elle, soulagée. Bonjour docteur Munoz. Ce monsieur, l'inspecteur...

— Morvan !

— L'inspecteur Morvan souhaite vous entretenir au sujet de...

— Bonjour docteur, l'interrompt-il

— Bonjour inspecteur. Que puis-je faire pour vous ?

— J'ai besoin de l'identité des deux hommes admis chez vous dans la nuit du 24 au 25, suite à un accident de voiture.

— Il est étrange que la police ait besoin de nos services pour identifier des patients. C'est plutôt dans l'autre sens que cela fonctionne d'habitude.

— Peut-être, mais il n'y avait aucun papier sur les lieux de l'accident d'après les pompiers qui sont intervenus. Ni sur eux ni dans la voiture. Des recherches sont encore en cours, mais, à moins qu'ils ne soient dans le coma, vous devez avoir ces informations.

— Ils sont arrivés dans nos services vers 3h du matin. Nous ne savons pas à quelle heure a eu lieu l'accident, mais heureusement pour eux que nous ne sommes pas en hiver. Pour en revenir à votre question, les faits ne sont pas aussi simples. Ces deux patients ne sont pas inconscients, mais amnésiques. Aucun d'eux ne se souvient de quoi que ce soit. Même pas de leurs propres prénoms.

— C'est ennuyeux, lâche l'inspecteur, encore un peu plus énervé.

— Vous n'avez aucun moyen de trouver leurs identités ? Nous serions également intéressés par cette information, voyez-vous. Tout particulièrement pour traiter ce genre de pathologie, insiste le médecin.

Même si ce n'est pas dans ses habitudes de partager des informations, l'inspecteur se résout à parler.

— D'après la plaque d'immatriculation de la voiture, le propriétaire s'appelle Lionel Florent. 28 ans. Domicilié à Annemasse, au 32 rue des chênes. Comme il y avait deux occupants, c'est probablement le nom de l'un d'eux, mais j'ai besoin d'en savoir plus. Vous m'avez dit qu'ils sont conscients. Je dois les rencontrer immédiatement.

— Inspecteur, j'ai bien peur de ne pas pouvoir répondre à votre... demande. Voyez-vous, ils sont tous les deux en état de choc. Le traumatisme physique et la découverte de leurs problèmes de mémoire nécessitent quelques jours d'observation. Les visites sont interdites.

— Mais, c'est vous le médecin...

— Je vous le répète, les visites sont formellement interdites jusqu'à autorisation d'un confrère spécialiste dans ce domaine. Il est inutile d'insister. Nous vous préviendrons dès que cela sera possible. Merci de donner vos coordonnées avant de quitter les lieux, en montrant la réception du doigt.

— Je me dois d'insister !

— Sont-ils inculpés ? Ont-ils commis un crime ?

— Non, mais... répond l'inspecteur, de plus en plus énervé.

— Dans ce cas, il n'y a aucune raison, autre qu'administrative, qui justifie votre insistance. Je me vois donc dans l'obligation de vous le répéter. Il est exclu de les déranger pour le moment.

— Très bien, très bien, je n'insiste pas. Dès que l'un d'eux retrouve quelques souvenirs, prévenez-moi aussitôt.

— C'est entendu. Il y a une information que vous ne semblez toutefois pas posséder. Ils sont frères. Plus précisément, jumeaux.

— Voilà qui est intéressant. Même si je ne sais toujours pas qui ils sont, cela pourrait peut-être m'aider à en savoir plus. Ça ne court pas les rues les jumeaux. A très bientôt, dit-il en sortant une carte pour le tendre au médecin.

De retour à sa voiture, Morvan fulmine. Il est en rage. Pour qui il se prend ce médecin ! Il m'a jeté comme une vieille chaussette. Il croit que je n'ai que ça à faire. Une sale journée qui commence ! grommelle-t-il en repensant à son entrevue tendue du matin avec son chef. Il se penche et tend la main vers la boîte à gants. Il en saisit une petite bouteille. Il hésite, puis boit une gorgée à même le goulot et la range aussitôt. Il sent le liquide descendre en lui brûlant la gorge. Il reste un instant immobile, les yeux fermés. Essayant de ne penser à rien.

Il ouvre soudain les yeux, se tourne vers le dossier posé sur le siège passager. Il le saisit brusquement. Comme s'il allait trouver les réponses à ses questions. Il n'avait pas pris cette peine avant de partir pour l'hôpital. Ce qu'il ne manque pourtant jamais de faire. Il le parcourt d'un œil distrait pour se donner bonne conscience. Soudain, un mot l'interpelle.

— Oh ! Ça change tout ça ! dit-il à haute voix.

Il jette le dossier, tourne la clé de contact.

...Vous êtes toujours sur RTL, la radio qui fait sourire vos oreilles !

Morvan coupe rageusement la radio et démarre aussitôt.

— Bonjour, comment allez-vous ce matin ? demande aussitôt Caroline en entrant dans la chambre 217.

— Ça va mieux, merci. J'ai mieux dormi cette nuit.

— J'en suis ravie pour vous. C'est bon signe. Je n'ai pas beaucoup de temps, on m'attend dans une autre chambre, mais je voulais passer prendre de vos nouvelles. Alors, est-ce que vous allez me dire votre prénom aujourd'hui ?

— J'aimerais bien, mais malheureusement, toujours rien.

— Ça va venir, encore un peu de patience. Vous vous souvenez de moi, c'est déjà ça, lui répond-elle enthousiaste.

— Vous vous moquez ! lui lance-t-il, partagé entre amusement et vexation.

— Pas du tout. Je ne me permettrais pas. Je ne fais là qu'un diagnostic purement médical. Vous n'avez pas perdu votre capacité à mémoriser les évènements et visages nouveaux. C'est important.

— Vous avez raison. Prenons ça comme un bon signe, lui dit-il, avec un grand sourire.

Un peu gênée, elle se reprend.

— Tenez. Je vous ai acheté le journal ce matin. Peut-être qu'en le lisant des souvenirs vous reviendront.

— Merci. Le Messager, dit-il en le saisissant.

Il en lit distraitement les gros titres de la une, puis s'interrompt.

— C'est très gentil de votre part. Vous soignez aussi bien tous vos patients ?

Elle vire aussitôt écarlate et ne sait plus quoi lui répondre.

— J'en ai pris un pour votre frère aussi. N'allez pas vous faire des idées, mon cher monsieur.

Un silence règne quelques instants dans la chambre. Aucun ne trouvant quoi dire.

— Je vous laisse à votre lecture. Je repasserai vous voir dans la matinée si je peux, dit-elle simplement en s'éclipsant.

— A tout à l'heure et encore merci pour le journal.

Une fois seul, il reprend le journal en espérant que sa lecture l'aidera à retrouver sa mémoire.

En raison de la baisse de sa fréquentation et à sa détérioration, la confirmation de la fermeture du téléphérique du Salève vient d'être annoncée par monsieur Pierre BERTHIER, maire d'Annemasse. Le canton de Genève et Edmond de Rothschild annoncent l'organisation de travaux de modernisation pour une réouverture prochaine.

Près d'un an après l'abaissement de la majorité à 18 ans, qu'est-ce qui a changé pour les jeunes Français ? Lisez notre dossier complet en page 4.

Tour de France : Prologue à Charleroi en Belgique aujourd'hui avant le départ demain. Tous les détails de la 62ème édition du tour en page 17.

Wimbledon : Jimmy Connors rencontrera Raúl Ramírez en quart après leurs victoires des huitièmes hier. Tous les résultats en page 18.

6 mois après sa promulgation, la loi Veil sur l'interruption volontaire de grossesse génère toujours des tensions dans certains milieux. Notre enquête complète en page 10.

Le gouvernement australien annonce la création du parc marin de la Grande Barrière de Corail. La zone est désormais sous la protection du gouvernement avec pour mission de prévenir les dommages à l'environnement, annonce monsieur le Premier Ministre australien Gough Whitlam.

Après l'accord signé le 13 juin dernier à Alger entre l'Irak et l'Iran, les deux dirigeants annoncent une longue période de paix à venir.

Un an après la Révolution des Œillets qui a mis fin à la dictature de Salazar au Portugal, le Mozambique accède à l'indépendance hier.

Crash du vol 66 d'Eastern Air Lines en provenance de La Nouvelle-Orléans alors qu'il tentait d'atterrir à New York sous un orage. Le bilan est de 113 morts sur les 124 passagers.

Le premier service de restauration au volant a été inauguré au restaurant McDonald de Sierra Vista, en Arizona. Les clients vont pouvoir passer commande à un microphone, puis se rendre à une fenêtre à partir de laquelle leur nourriture leur serait remise, sans que personne quitte le véhicule.

Rien. Aucun de ces titres ne m'est familier. Que ce soit local ou international, tout m'est inconnu et étrange. Même la date, se dit-il en lisant jeudi 26 juin 1975. J'ai l'impression d'être venu au monde hier, rage-t-il, dépité en jetant le journal.

Quel con je fais ! Si seulement j'avais lu le dossier avant de me pointer à l'hôpital les mains vides. Comme un bleu qu'on envoie pour une enquête de routine.

De retour au commissariat, l'inspecteur Morvan fulmine. Il a l'impression d'être passé pour un incapable auprès de ce médecin. Il espère maintenant juste que son chef ne va pas lui demander un compte rendu de ce qui s'est passé à l'hôpital.

Une arme ! Il y avait une arme sur les lieux de l'accident. Une arme qui a servi récemment en plus ! Pourquoi m'aurait-il demandé d'aller enquêter pour un simple accident de la route ? Triple idiot !

Il saisit le combiné de son téléphone pour tenter d'obtenir des informations supplémentaires auprès des pompiers qui sont intervenus sur les lieux de l'accident. Après s'être fait balader une bonne dizaine de minutes, il raccroche. Il décide d'aller directement sur place et de ne pas les lâcher tant qu'il n'aura pas un entretien avec celui qui a trouvé l'arme. Avant cela, il tente de collecter tout ce qu'il peut trouver sur ce Lionel Florent. Il appelle tous les services administratifs possibles pour tout savoir sur lui. Après plus d'une heure au téléphone et une dizaine de coups de fil, le bilan est plus que maigre. Aucune information intéressante. Fils unique. Parents décédés. Aucune identification possible de ce côté-là, rage-t-il. Pas de casier judiciaire. Juste une infraction pour excès de vitesse il y a deux ans. Un travail dans une société d'assurance. Célibataire. Stable. Sans histoire. Bref, rien qui colle avec la présence d'une arme. Rien de particulier au niveau de la banque. Pas de mouvements inhabituels sur son compte bancaire. Il fait une dernière tentative auprès de certains de ses collègues. Peut-être que des informations sont arrivées depuis le matin.

— J'en sais rien. Je suis pas ta secrétaire. Je sais pas où est cette arme. Va voir Peltier, lui répond l'un d'eux, agacé par son agressivité.

C'est la goutte de trop. Discuter avec son chef est bien la dernière chose qu'il a l'intention de faire. Il n'est pas certain de pouvoir se contrôler s'il se met à l'asticoter.

Incapable de rester plus longtemps au bureau, il se lève subitement de rage en renversant sa chaise et se dirige vers la sortie d'un pas rapide.

— Quelle mouche l'a encore piqué aujourd'hui, lance un de ses collègues, sans chercher vraiment à en savoir plus. Pas réellement surpris par ce geste, il se replonge aussitôt dans la rédaction de son rapport.

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