Vendredi 27 juin

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— En regardant ce journal de la région, j'en viens à me demander si j'habite dans le coin.

— Sur ce point, je peux vous répondre. Je connais votre adresse.

— Vous savez comment je m'appelle, répond-il en sursautant.

Il pousse aussitôt une grimace. Elle se précipite immédiatement vers lui pour l'aider à se réinstaller confortablement dans son lit.

— N'essayez pas de bouger. En tout cas, pas si brusquement. Je suis désolé, je n'aurais pas dû vous annonce ça de cette façon. Pardonnez-moi.

— Merci. Ça va mieux. Alors, vous connaissez mon nom, mais vous ne m'avez rien dit.

— Je ne sais toujours pas comment vous vous appelez malheureusement, mais quelqu'un a ajouté une adresse sur votre dossier. Vous habitez bien ici. Enfin, à Annemasse. Au 32 rue des chênes.

— Ça ne me dit rien, répond-il pensivement.

— Je vais me renseigner pour savoir qui a ajouté cette information. Je reviendrai vous en dire plus dès que possible. Promis, ajoute-t-elle, hésitante.

— Vous semblez... Il y a quelque chose d'autre que vous pouvez me dire ?

— Non. Rien d'autre. Enfin, pas vraiment. Il y avait un détail que je n'avais pas remarqué tout de suite sur votre dossier.

— Quoi donc ? Pas de devinette, s'il vous plaît.

— Et bien, il y avait un point d'interrogation à côté de votre adresse.

— Oh !

— Ça ne veut pas dire que l'adresse est fausse. De votre côté, il n'y a rien qui vous revient ?

— Absolument rien. Quelqu'un a ajouté une adresse, mais aucun nom. Ça n'a pas de sens.

— Je vous l'ai dit, je vais me renseigner. Le paysage, enchaîne-t-elle. Le Jura que vous pouvez voir depuis votre fenêtre, dit-elle en tirant les rideaux. Ça ne vous évoque rien ? Une randonnée peut-être ?

Il ne tourne même pas la tête. Face à son silence, elle tente d'autres mots qui devraient déclencher des souvenirs. Genève, le Salève. Ces mots ne vous disent vraiment rien ?

— Bien sûr que si. Je n'ai pas perdu la mémoire des mots. Tout le monde sait où est Genève, ajoute-t-il sur un ton plus dur qu'il ne l'aurait voulu.

Face à son attitude silencieuse, il se reprend, plus calmement.

— Rien du tout, je vous le répète. Pardon si je vous ai agressé.

— Ne vous inquiétez pas, ce n'est pas grave. Peut-être que tout le monde connaît Genève, mais ce n'est pas le cas pour le Salève. Si vous n'étiez pas de la région, ce nom vous aurait surpris.

— Vous avez raison. Je le connais. Je suis bien de la région. A moins que cette adresse soit celle de mon frère et que je ne sois que de passage ici.

— Cessez d'être négatif. Ça ne va pas vous aider. Nous avons bien avancé. Vous permettez que je vous appelle Rémi ? lance-t-elle soudainement, comme si les mots lui avaient échappé.

Voyant son air surpris après ce qu'elle vient de lui dire, elle reprend.

— Ce serait plus sympathique. Vous ne vous souvenez pas de votre prénom, alors pourquoi pas Rémi !

— C'est que... Pourquoi ce prénom ?

— Si vous n'aimez pas, je vous laisse en choisir un autre. Moi j'aime bien Rémi.

— Allons-y pour Rémi. Et moi, je peux vous appeler comment ?

— Oh pardon. Je m'appelle Caroline. Caroline Aguettaz.

— Et bien, enchanté Caroline.

— C'est plus sympathique comme ça !

Regardant sa montre, elle s'interrompt.

— Je suis désolé, mais je dois vous quitter. Lisez encore le journal. Peut-être que cela déclenchera quelque chose. Je repasserai vous voir pour vos soins dans l'après-midi.

— A bientôt... Caroline. Merci pour votre aide.

— De rien, Rémi. Je suis là pour ça, répond-elle en sortant. A tout à l'heure.

— Bonjour monsieur. Docteur Kremer.

La femme qui vient d'entrer dans la chambre referme délicatement la porte et s'approche du patient alité. Environ quarante ans, taille moyenne, assez mince, cheveux bruns soigneusement attachés. Elle remonte ses petites lunettes rondes d'un geste automatique en s'approchant.

— Comment vous sentez-vous aujourd'hui ? lui demande-t-elle sans attendre.

Surpris, le patient reste silencieux quelques secondes avant de répondre.

— Bonjour docteur. Vous remplacez le docteur Munoz ? Il est passé il y a peu et...

— Non, je ne le remplace pas, je suis psychiatre. Le docteur Munoz m'a demandé de m'entretenir avec vous pour vos problèmes de mémoire. Il est important d'établir un diagnostic au plus tôt afin de mettre en place le protocole le mieux adapté à votre cas.

— Vous pensez que ma mémoire va revenir rapidement ?

— C'est en partie pour répondre à cette question que je suis ici. Chaque chose en son temps, je vous prie. Procédons de manière ordonnée. Bien que cela n'entre pas dans mes habitudes de parler d'autres patients, étant dans une situation quelque peu inhabituelle, je me dois de vous informer que je vais également suivre votre frère. Tout au moins dans un premier temps. Vous n'êtes pas sans savoir qu'il souffre de symptômes similaires. Je dis bien similaire, d'après les informations à ma disposition pour le moment.

— Dans un premier temps ? relève-t-il.

— C'est exact. Selon mon évaluation, je vous dirigerai vers des confrères qui exercent en dehors de l'hôpital et qui seront plus à même de vous prendre en charge. Avez-vous d'autres questions avant que nous commencions l'examen ? dit-elle mécaniquement sur un ton sans émotion.

— Vous pensez que mon... mon frère a les mêmes problèmes de mémoire que moi ?

— Comme je viens de vous le dire, je ne l'ai pas encore rencontré. Je n'ai en ma possession que les informations fournies par le docteur Munoz, ajoute-t-elle.

En l'absence de réaction la psychiatre décide de rapidement commencer.

— Bien. Permettez-moi que vous décrire dans un langage simple les différents types d'amnésie afin que vous compreniez mieux les questions que je vous poserai ensuite.

— Je vous écoute, lui répond-il simplement.

— Comme je le disais, il existe différents types d'amnésie. Celles-ci peuvent être qualifiées de rétrogrades ou d'antérogrades. Rétrograde lorsqu'il y a perte de la mémoire des évènements précédant le traumatisme. Antérograde, lorsqu'il y a incapacité à enregistrer les nouveaux évènements. On parle de problèmes globaux dans le cas où les effets sont rétrogrades et antérogrades. Nous devons poursuivre le diagnostic, mais dans votre situation, nous sommes visiblement dans un cas rétrograde uniquement. J'entends par là que les évènements survenus après votre réveil sont correctement mémorisés. Me confirmez-vous que vous vous souvenez des discussions ou pensées que vous avez eues depuis votre réveil ?

— Difficile de vous dire si j'ai oublié des choses qui se sont passées depuis mon réveil par définition, mais je ne pense pas que ce soit le cas. Je me rappelle très bien les discussions avec Caroline. Je veux dire avec l'infirmière Aguettaz, se reprend-il.

— C'est ce que j'ai cru comprendre. Elle a insisté pour me parler de vous deux ce matin. Cela sort de son domaine de compétence, mais si cela peut aider, ajoute-t-elle avec un ton légèrement méprisant.

Préférant ne pas relever, le patient reprend.

— Tout cela est intéressant docteur, mais est-ce que je vais retrouver ma mémoire ? Je suis incapable de me souvenir de mon propre prénom. Encore moins ce que je fais dans la vie.

— Chaque chose en son temps. En de pareilles situations, la récupération peut être envisagée comme très probable. Il est rare que cela ne soit pas transitoire lors d'un traumatisme lié à un choc, comme c'est le cas pour vous.

— Vous me rassurez...

— Bien entendu en cas de maladie dégénérative, il en va tout autrement, mais ce n'est pas votre cas ici. Les effets devraient être passagers, mais il est difficile de donner une estimation sur leur durée. Cela peut prendre quelques jours ou quelques mois. Cela peut revenir progressivement ou d'un seul coup. Il est également possible que la récupération ne soit que partielle. Sans pour autant entraîner un handicap dans la vie de tous les jours.

Pas réellement rassuré, il préfère s'abstenir de tout commentaire. La psychiatre reprend aussitôt, peu intéressée par les questions potentielles.

— Nous n'avons pas trouvé de lésions importantes suite aux examens pratiqués. Certes, vous avez reçu un choc important, mais il ne devrait pas y avoir de séquelles sur le long terme. Ce qui est un point important et laisse augurer d'une issue favorable. Bien, si vous n'avez pas d'autres questions, commençons les tests. Je vais vous poser une série de questions auxquelles vous devrez me répondre de la façon la plus spontanée possible. Le but est de déterminer quelle mémoire est touchée.

— Quelle mémoire ? Vous voulez dire quels souvenirs ?

— Non, je veux dire par là, quelle mémoire. Mémoire sensorielle, émotionnelle, sémantique, déclarative, perceptive, procédurale. On parle aussi de mémoire à court, moyen ou long terme. Etes-vous prêt ? demande-t-elle comme s'il s'agissait une épreuve scolaire.

— Allons-y, répond-il, autant intrigué que résigné.

S'en suit un long et monotone entretien.

L'inspecteur Morvan se gare rue des chênes. Cette histoire l'intrigue de plus en plus et il aimerait pouvoir clarifier les points qui accaparent son esprit.

Il tente de se remémorer les points de la journée et ça ne fait qu'augmenter sa frustration. L'inspection des lieux de l'accident n'a rien donné. Aucun objet dans un rayon de plus de 10 mètres à la ronde. Pas de portefeuille, pas de clé. Rien de rien !

La visite à la caserne des pompiers n'a pas apporté grand-chose. Il a enfin pu s'entretenir avec le jeune pompier qui a trouvé l'arme, mais sans en tirer d'information utile. L'arme était encore à la caserne. C'est un Smith&Wesson, modèle 36. Une arme de deuxième catégorie. Personne n'a pris la peine de la protéger en la ramassant. Ce qui a le don d'énerver encore plus l'inspecteur. C'était juste avant de quitter les lieux de l'accident. Les blessés avaient déjà été emmenés pour l'hôpital. On n'a pas eu de difficultés pour les mettre sur les brancards. Ils étaient tous les deux à plusieurs mètres de la voiture quand on est arrivés. C'est en marchant dessus que je l'ai repérée. Elle était presque entièrement recouverte de boue. J'ai d'abord cru à une pièce de voiture ou au portefeuille d'un des blessés. Je l'ai ramassé pour voir. Mes collègues étaient déjà tous remontés dans le camion. Je l'ai mise dans un sac papier et on est parti aussitôt. On nous appelait en ville pour une autre intervention, lui a-t-il simplement répondu.

— On n'en tirera rien ! Quelle bande d'incapables ! hurle-t-il, seul dans sa voiture.

On n'achète pas ça facilement. Il faut une autorisation, se dit-il après avoir fait un effort pour se calmer. En plus, le numéro a été limé d'après ce qu'il peut en voir sans la sortir complètement du sac. Inutile de chercher à en retrouver le propriétaire. Des analyses en diront peut-être plus, mais il y a peu d'espoir. En plus, l'arme se trouvait à plusieurs mètres de la voiture, il n'est même pas possible de prouver qu'elle provient de la voiture. Pas de numéro, probablement pas d'empreinte. On n'ira pas loin avec ça ! rage-t-il en tapant du poing sur le volant.

Chou blanc également du côté de son travail de ce Lionel Florent. Après s'être entretenu avec son patron et quelques employés, il n'y a rien à en tirer. Son chef était inquiet de son absence depuis mercredi et très surpris de ne pas avoir eu de ses nouvelles. Ce n'est pas du tout dans ses habitudes. Il est toujours ponctuel et respectueux du règlement, monsieur l'inspecteur. Aucun des collègues interrogés n'a connaissance de l'existence d'un frère. Employé compétent, serviable, discret, sans histoire. L'employé modèle ! Tout ça est trop parfait. Il y a forcément quelque chose de pas net derrière tout ça. Je trouverai ce qui cloche, se dit-il.

Il glisse le sac sous le siège avant de quitter sa voiture en claquant rageusement la portière.

Arrivé au pied de l'immeuble, l'inspecteur Morvan s'aperçoit qu'il y a une loge de concierge. Première chose positive de la journée, se dit-il. Je vais peut-être en savoir plus sur ce Lionel Florent. Peut-être même sur les deux frères.

— Y a quelqu'un ?

— Voilà, voilà j'arrive.

L'homme, petit et rondouillard, arrive lentement derrière lui avec seau et balai.

— Bonjour monsieur. Inspecteur Morvan, lui dit-il en montrant sa carte. J'aurai des questions à vous poser.

— A moi ? Qu'est-ce que j'ai fait ?

— Pas vous. C'est au sujet d'un de vos locataires.

— Oh, mais je n'ai aucun problème avec mes locataires. Je suis pas du genre à me mêler de ce qui ne me regarde pas, vous savez. C'est un immeuble calme ici. On n'a pas à se plaindre...

— On peut entrer quelques minutes. C'est important.

— Bien sûr, inspecteur, lui répond le concierge en ouvrant la porte de sa loge.

L'inspecteur le suit et s'assied aussitôt à la table.

— Lionel Florent. C'est bien un de vos locataires.

— Oui. C'est le p'tit jeune du cinquième.

— Cinquième étage !

— Cinquième et dernier, c'est exact monsieur l'inspecteur.

Pas possible d'entendre quoi que ce soit depuis la loge. Dommage, se dit l'inspecteur.

— Pouvez-vous me dire s'il est célibataire ?

— Un p'tit café, inspecteur ?

— Merci, mais non.

— Si ça vous gêne pas, je vais en prendre un. Vous êtes sûr que vous n'en voulez pas ? Un p'tit blanc, alors ?

— Rien, merci, lui répète-t-il après une seconde d'hésitation.

— Je peux pas vraiment vous dire. Il habite seul, si c'est ce que vous voulez savoir.

L'inspecteur prend des notes pendant que le concierge se prépare un café.

— Connaissez-vous ses fréquentations ? Est-ce qu'il reçoit souvent de la visite ?

— Il est plutôt du genre solitaire. Pour ce que j'en sais. Je ne suis pas du genre commère. Toujours poli, mais juste bonjour bonsoir. Pas du genre à parler pour rien. Pas comme madame Marrocchi...

— Très bien, très bien, le coupe-t-il pour éviter de s'éterniser avec des ragots. Avez-vous remarqué récemment des changements ? Du bruit ? Des va-et-vient inhabituels ?

— Maintenant que vous me le dites, c'est vrai que je l'ai vu un peu plus souvent que d'habitude ces temps. Il a fait quelque chose de mal ? demande-t-il inquiet. Maintenant que vous me parlez de lui, ça fait plusieurs jours que je ne l'ai pas vu. Je ne suis pas du genre à me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais c'est pas dans ses habitudes de s'absenter, vous savez. C'est un p'tit gars tout ce qu'il y a de bien.

— Il a eu un accident de voiture.

— Oh ! Rien de grave j'espère !

— Il sera absent quelque temps, mais pour ce que j'en sais il devrait s'en sortir sans séquelles.

— Oh, tant mieux. Vous me rassurez, inspecteur.

N'ayant aucune envie de s'éterniser, Morvan préfère s'abstenir de tout autre détail.

— Juste une enquête de routine. A-t-il reçu de la visite récemment ?

— Il est plutôt du genre solitaire. Il ne reçoit pas beaucoup de visite. C'est pourtant de son âge de voir du monde. J'dis ça, j'dis rien. Je ne suis pas du genre à surveiller mes locataires, vous savez.

— Et son frère ? Il vient souvent le voir ?

— Je ne savais pas qu'il avait un frère. Mais, comme je vous disais, il ne cause pas beaucoup.

Un concierge pas curieux. Ça va pas aider ça ! se dit Morvan tout en prenant des notes.

— Vous ne saviez pas qu'il avait un frère ! Un frère jumeau.

— Ben dans ce cas-là, je peux pas vous dire.

— Comment ça ? demande l'inspecteur, surpris.

— Peut-être que je l'ai vu, mais que je l'ai pris pour son frère. Enfin, vous voyez ce que je veux dire, pour l'autre, ajoute-t-il en riant.

Peu réceptif à cette blague, Morvan préfère ne pas relever.

— Dites-moi. Est-ce que je pourrais voir son appartement ?

— C'est légal ça ? demande aussitôt le concierge. Je veux dire, il a commis un crime pour que vous vouliez faire une perquisition.

— Qui parle de perquisition. Il ne se souvenait de rien à son réveil. Peut-être que je pourrais l'aider en lui décrivant son appartement, ruse l'inspecteur pour amadouer le concierge.

D'abord hésitant, le concierge finit par accepter.

— J'espère qu'il ne m'en voudra pas, répond-il en prenant la clé de l'appartement dans un tiroir en finissant son café. Je ne suis pas du genre à aller chez mes locataires en leur absence. Sauf s'ils me le demandent pour arroser les plantes ou nourrir les chats, tente-t-il de se justifier.

L'inspecteur se lève et le précède dans le hall de l'immeuble pendant qu'il ferme sa loge à clé.

— J'espère qu'il n'a pas commis une imprudence au volant. Je ne suis pas du...

— Du genre à vous occuper des affaires des autres, je sais. Rassurez-vous, je lui dirai que je vous ai forcé la main.

Au rythme lent du concierge, l'inspecteur le suit vers les premières marches de l'escalier.

— Vous m'avez bien dit qu'il habitait au cinquième ?

— C'est exact, inspecteur. Mais l'ascenseur est en panne. Il va falloir y aller à pied.

A bout de souffle, le concierge introduit la clé dans la serrure.

— Tiens, c'est étrange, la porte n'est pas fermée à clé, dit-il.

L'inspecteur en profite aussitôt pour pousser la porte. Il entre et se retourne aussitôt vers le concierge.

— Je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps. Donnez-moi la clé, je refermerai et je vous la rendrai à votre loge en partant, lui dit-il en tendant la main.

Hésitant, le concierge finit par céder.

— Voilà. Vous n'oubliez surtout pas de me la rendre en partant.

— Sans faute. Merci bien, je ne serai pas long. Cela vous évitera de remonter tous ces étages, juste pour fermer. Inutile de rester lui dit-il en l'incitant à redescendre avec une main ferme sur l'épaule.

Dès que le concierge a mis le pied sur la première marche, l'inspecteur entre dans l'appartement. Décoration assez classique. Rien d'extravagant. Meubles assez récents et de bonne qualité dans le salon. Assez bien rangé pour un célibataire, se dit-il. Deux chambres. L'une d'elles parfaitement rangée. Pas de vêtements qui traînent dans l'autre, mais le lit n'est pas fait. Tout en continuant son inspection, Morvan prend quelques notes et passe à la cuisine. De la vaisselle en retard. Pas vraiment un amoncellement de plusieurs jours comme il l'avait pensé au premier coup d'œil. Plutôt le résultat d'un repas à plusieurs. Difficile de dire si deux ou trois personnes. Pas plus en tout cas. Rien de particulier dans la salle de bain. Peu de choses. Ça confirmerait le côté célibataire. De retour dans le salon, il décide de faire un inventaire plus détaillé que ce qu'il a fait en arrivant. Une table, quatre chaises. Vers la fenêtre, un coin salon avec un canapé et un repose-pied absolument pas assorti. Une télévision couleur Sony. C'est pas donné ça ! Et au milieu, une table de salon dans un tout autre style. Assez massif, en métal. Plutôt ancien, comme pour le repose-pied et les tableaux. Ça contraste avec le reste. Rien de bien intéressant pour le moment, se dit-il, lorsqu'il remarque le rideau qui vient de bouger. Tous ses sens aux aguets, il s'approche aussitôt. Le vent, espèce d'idiot ! La fenêtre est restée ouverte. Bizarre de laisser ouvert avec les orages qu'on a en ce moment. Il la referme machinalement et continue sa visite. Après avoir ouvert les portes et tiroirs de la commode et un dernier regard sur l'ensemble de la pièce, Morvan se dirige vers la sortie.

Derrière la porte, suspendu à un petit crochet, il trouve un trousseau de clés. Il essaie aussitôt la plus grosse sur la porte de l'appartement. Les clés de l'appartement ! Intéressant. Qui oublierait ses clés en partant de chez soi. A moins d'une sortie précipitée le soir de l'accident...

Il retourne aussitôt sur ses pas pour une fouille plus approfondie de l'appartement. Dans la veste posée sur le lit, il trouve un portefeuille. Lionel Florent ! Qu'est-ce qui a pu faire que tu sortes de chez toi sans clés ni papiers ?

Contre toute procédure légale, surtout en l'absence de crime, l'inspecteur décide de garder le trousseau et le portefeuille. Une fois dans le hall, il remercie le concierge et lui rend la première clé, comme convenu.

— Merci bien monsieur l'inspecteur. J'espère qu'il ne va rien lui arriver de fâcheux.

Préférant ignorer cette remarque, l'inspecteur enchaîne.

— Vous êtes certain de ne pas avoir remarqué de changement dans ses habitudes ces derniers temps. Un changement dans ses horaires ? Même un changement dans ses tenues vestimentaires ?

— Rien de rien, je vous dis. Mais je ne suis pas du genre à surveiller les allées et venues de tout le monde, vous savez. Vous devriez aller voir madame Marrocchi.

— Sa voisine de palier ? demande l'inspecteur. J'ai sonné, il n'y a personne.

— Oh non, au cinquième, c'est un jeune couple. Les Bellanger. Lui travaille et elle est probablement sortie chercher le plus grand à l'école. Madame Marrocchi habite au rez, en pointant le porte juste derrière lui. Elle passe son temps à regarder par la fenêtre. Si quelque chose d'anormal s'est passé, vous pouvez être certain qu'elle l'a vu.

— Merci beaucoup pour votre aide. J'y vais de ce pas.

— Pas la peine, c'est vendredi, comme si c'était logique. Elle est allée rendre visite à sa sœur, précise-t-il en voyant l'inspecteur attendre une explication. Il faudra revenir plus tard.

— Une dernière question. Il est en panne depuis quand l'ascenseur ?

— Il est tombé en panne hier soir. La dernière fois, ils ont mis 2 semaines pour le réparer. Je ne suis plus tout jeune...

— Je vais devoir vous laisser, excusez-moi, j'ai encore énormément de travail aujourd'hui, le coupe-t-il en s'éloignant.

Merde. Faux espoir, se dit-il. Une panne plus ancienne aurait augmenté les mouvements dans les escaliers avec les conversations qui vont avec.

Avant de partir, il ne peut s'empêcher d'aller aux boîtes aux lettres. Il teste discrètement la petite clé du trousseau. Peine perdue, la boîte est vide. Décidément, tout est contre moi dans cette histoire, rage-t-il en partant.

En montant dans sa voiture, il se remémore soudain la mauvaise blague du concierge. ...Dans ce cas-là, je peux pas vous dire... Le frère aurait pu entrer et sortir qu'il ne l'aurait même pas vu, le confondant avec le locataire. Faut que je repasse au commissariat tout de suite, se dit-il en repensant à l'arme sous le siège. Puisque personne ne s'est posé de questions sur son absence, il faut bien que je m'en occupe. On ne sait jamais, il y a peut-être quelque chose à en tirer.

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