Samedi 28 juin
Comme Caroline le fait plusieurs fois par jour, elle ouvre la porte de la chambre 238. Ses visites aux deux frères dépassent le cadre purement médical. Dès qu'elle a un moment, elle passe les voir. Dès qu'elle pense que la visite à un des deux frères pourrait aider l'autre, elle saisit la première occasion pour leur rendre visite. Elle aimerait vraiment pouvoir les aider. Le fait qu'ils aient échappé à la mort lors du même accident, qu'ils souffrent des mêmes symptômes et qu'ils ne puissent pas se voir la pousse à les aider.
— Bonjour. Comment allez-vous ce matin, lance-t-elle, enjouée en entrant dans la chambre. Oh, pardon, je vous ai réveillé, s'excuse-t-elle en le voyant sursauter. Je repasserai plus tard si vous préférez.
— Bonjour mademoiselle. Ne vous excusez pas. Il n'y a pas de mal. Je somnolais. Il faut dire que je n'ai pas grand-chose à faire ici. Votre visite est toujours la bienvenue.
— Je voulais juste prendre de vos nouvelles.
— C'est très gentil. Qu'est-ce que je ferais sans vous ? Les journées sont longues. Il n'y a que quelques jours que je suis là et je n'ai qu'une envie, rentrer chez moi.
— Rentrer chez vous ! En voilà une bonne nouvelle. Est-ce que vous voulez dire par là que vous avez retrouvé vos souvenirs ? Au moins en partie, corrige-t-elle.
— ...Je voulais dire ne plus être ici. Enfin, vous comprenez.
— Oui, oui, bien sûr. Je comprends. Ne soyez pas trop impatient. Par chance, vous n'avez aucune fracture. Vous ne devriez pas rester trop longtemps parmi nous. Est-ce que le docteur Munoz vous a rendu visite ce matin ?
— Pas encore. Je compte bien lui demander quand il me laissera sortir. Une fois de plus, ajoute-t-il.
— Je n'en doute pas, mais ne brûlez pas les étapes. S'il pense qu'il vous faut quelques jours de surveillance, c'est important de l'écouter. Le docteur Kremer vous a probablement expliqué que vos premiers souvenirs pourraient revenir à tout moment. Et que cela serait intéressant qu'elle puisse s'entretenir avec vous à ce moment.
— Si elle le dit.
— Je ne suis pas encore passé voir votre frère aujourd'hui, mais il semble moins pressé de sortir. Quand je l'ai vu hier soir avant de quitter mon service, il allait bien lui aussi.
— Vous m'en voyez ravi. Merci de me donner de ses nouvelles. Est-ce qu'il a retrouvé quelques souvenirs ?
— Aucun pour l'instant. Comme vous il est impatient, mais il faut probablement encore un peu de temps.
— Est-ce que vous pensez que je pourrais le voir ?
— C'est compréhensible de vouloir le voir. Je pense aussi qu'une rencontre ne pourrait que vous aider à retrouver vos souvenirs. Malheureusement, cela ne dépend pas de moi. C'est au docteur Munoz ou au docteur Kremer de décider.
— Bien entendu, ce n'est pas à vous de prendre cette décision. J'en parlerai au docteur quand il passera.
— Je peux lui en parler aussi si vous voulez. Si cela peut le convaincre...
— A propos, encore merci pour les journaux que vous m'apportez. Ces quelques heures de lecture m'ont permis de ne pas trop voir passer le temps.
— De rien, je vous en prie. J'étais en retard ce matin, je n'ai pas eu le temps de passer en acheter. Je vous en apporterai un autre dès que je le pourrais. Oh, j'allais oublier. Je sais comment votre adresse a été ajoutée à votre dossier, annonce-t-elle sur un ton mystérieux.
— Comment ça ! réagit-il aussitôt avec une note d'inquiétude dans sa voix.
— L'information vient de la police. Un inspecteur est passé avant-hier. C'est lui qui a donné l'information au docteur Munoz.
— La police ! Qu'est-ce qu'ils peuvent bien vouloir ?
— Là, je n'en ai aucune idée...
— Vous êtes certaine que ce n'est pas la police qui ne veut pas qu'on se voie, mon frère et moi ?
— Qu'est-ce que vous me chantez là, voyons. Pourquoi voudraient-ils vous empêcher de vous voir ? Seriez-vous l'ennemi public numéro un ? ajoute-t-elle en riant.
— Bien sûr que non. C'est juste que... Quand vous avez parlé de la présence de la police...
— Ne vous inquiétez pas comme ça. Il ne s'agit que d'une enquête de routine pour connaître les circonstances de votre accident. Il n'y a pas eu d'autre admission la nuit de votre arrivée. Enfin, je veux dire à part votre frère. Et c'était au milieu de la nuit, donc, probablement pas de témoin. Je suppose qu'ils aimeraient juste vous poser quelques questions.
— Bien entendu... Cela veut dire qu'ils en savent peut-être plus maintenant.
— Peut-être, mais comme le docteur Munoz a interdit qu'il vienne vous interroger. Je veux dire vous rendre visite, se reprend-elle, il n'y a pas plus d'information dans votre dossier.
— Je vois, ajoute-t-il, pensif.
— Et, donc, je ne sais toujours pas comment vous appeler. Est-ce que vous permettez que je vous appelle Pascal ?
— Pascal ! Pourquoi Pascal ?
— Vous n'aimez pas. Vous préféreriez un autre prénom ?
— Celui-là ou un autre, peu importe.
— Vous pouvez m'appeler Caroline, ajoute-t-elle en le voyant aussi peu enthousiaste.
— Pascal ira très bien, se reprend-il.
— Parfait. C'est très désagréable de devoir parler à quelqu'un sans pouvoir le nommer.
— Et très désagréable de ne pas connaître son propre nom !
— Bien sûr. Ne vous méprenez pas. Loin de moi l'idée de comparer les deux situations. Je voulais simplement dire que ce serait plus sympathique pour discuter...
— Bien entendu, je comprends, la coupe-t-il.
— Et ne vous inquiétez pas pour la police. Quand ils pourront vous rencontrer, je suis certaine qu'ils avanceront rapidement dans leurs recherches et que cela vous aidera à retrouver vos souvenirs.
Le voyant soucieux, elle préfère abréger la conversation.
— Vous me semblez fatigué. Je vais vous laisser vous reposer. Peut-être à tout à l'heure Pascal, ajoute-t-elle en quittant la chambre.
— Bonjour, vous vous souvenez de moi. Je suis le docteur Munoz, dit-il sans attendre en entrant dans la chambre.
— Bonjour docteur. Rassurez-vous, je vous ai reconnu. Le docteur Kremer m'a expliqué que mon amnésie ne touchait pas ma capacité à me souvenir que tout ce qui arrivait depuis que je me suis réveillé.
— C'est exact. Amnésie rétrograde. Elle m'a communiqué son premier diagnostic. Je voulais juste m'assurer que tout allait bien de ce côté. Même diagnostic que votre frère d'ailleurs. Même si vous avez subi des chocs similaires, la coïncidence est vraiment étrange. Est-ce que cela pourrait être lié au fait que vous voyez jumeau ? ajoute-t-il, plus pour lui-même que pour son patient. Pourriez-vous vous asseoir ? Je vais vous examiner. Ça ne sera pas long.
Après quelques minutes d'examen silencieux, il reprend.
— Voilà qui me semble bien. D'après le rapport des pompiers sur l'état de la voiture, vous pouvez dire que vous avez eu de la chance, votre frère et vous. Si vous n'aviez pas été éjectés avant que la voiture ne se retourne, nous ne serions peut-être pas là à en discuter. A propos, l'infirmière Aguettaz m'a fait part de votre envie de rencontrer votre frère. A moins que ce ne soit votre frère qui souhaite pour voir, ou tout simplement, tous les deux. Désolé, j'ai subitement un doute. Il faut dire que la situation n'est pas habituelle. Enfin, peu importe. Je n'y vois personnellement pas d'objection, mais je me dois de tenir compte de votre état général et non pas seulement physique. Le docteur Kremer préférerait attendre encore un moment pour cela. Elle estime pouvoir aboutir à un meilleur diagnostic de cette façon. J'en suis désolé, mais je ne peux aller à l'encontre de son avis. J'espère que vous comprenez.
Sans même prendre le temps d'attendre la moindre réponse, il enchaîne.
— Je vous laisse, j'ai beaucoup d'autres patients qui attendent ma visite. Je vous souhaite une bonne fin de journée, dit-il en quittant rapidement la chambre.
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