Lundi 30 juin

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Depuis que sa fille a déménagé sur Paris, il n'a plus beaucoup l'occasion de voir son petit-fils. Comme souvent lorsqu'il se retrouve seul et sans but le week-end, il a tendance à abuser au niveau boisson. Lorsque son réveil sonne ce lundi matin, il a l'impression qu'un camion vient de percuter la maison et qu'il s'est arrêté dans le salon. Après quelques secondes, il se force à se lever et à s'infliger une douche froide pour se remettre les idées en place. Aussitôt debout, cette histoire de frères amnésiques refait surface. Il a plutôt l'impression qu'elle était en embuscade et qu'elle attendait la première occasion pour surgir. Sa migraine est là pour le prouver. N'ayant reçu aucune nouvelle de ce docteur Munoz qui ne lui a pas laissé une très bonne impression, il se dit qu'il sera mieux servi par lui-même. Pas vraiment d'humeur à passer par le bureau, il décide d'aller directement à l'hôpital. Au moins s'il peut obtenir quelque chose d'intéressant, il pourra s'y consacrer sans perdre de temps.

Aussitôt prêt, Morvan se met en route. Essaie de faire le point mon vieux. Pas encore beaucoup d'informations, mais ça permettra au moins de mettre le doigt sur les choses qui clochent. Deux frères, des jumeaux. Un accident de voiture. Aucun n'avait ses papiers sur lui. Aucun de deux n'a le moindre souvenir de ce qui s'est passé d'après le médecin. Ils ne sont visiblement même pas capables de se rappeler leurs propres noms. L'un d'eux habite dans le coin. Ses papiers et ses clés étaient dans l'appartement. Qui partirait sans dans une situation normale. Ça, plus la vaisselle pas faite et une fenêtre ouverte... Il s'est forcément passé quelque chose ! Lequel habite dans cet appartement ? Est-ce qu'il pourrait y avoir une troisième personne dans l'histoire ? Quelque chose ou quelqu'un qui les aurait forcés à partir précipitamment ?

Ce n'est pas sa première affaire, loin de là, mais ici quelque chose change tout. Y a-t-il eu crime ? Pas de certitude, pas la moindre trace, mais une intuition qui le taraude. Si c'est le cas, qui est la victime ? Les questions se bousculent dans un chaos indescriptible. Intimement persuadé que cette affaire est plus compliquée qu'elle en a l'air, il n'a même pas conscience du trajet qu'il vient de parcourir.

Je dois voir Peltier, dit-il à haute voix sans même s'en rendre compte, en se garant.

Quelques pas jusqu'à l'entrée de l'hôpital et il passe la porte

Oh non, encore lui !

Oh non, encore elle !

— Bonjour, Mademoiselle, vous me reconnaissez ? Inspecteur Morvan. Je souhaiterais voir le docteur Munoz. C'est au sujet de l'affaire qui m'a amené ici jeudi dernier.

— Bonjour inspecteur. Le docteur Munoz m'a dit de vous mettre en relation avec le docteur Kremer si vous reveniez ici. J'imagine que vous n'avez pas rendez-vous.

— Je n'ai pas pour habitude de prendre rendez-vous pour mener mes enquêtes, mademoiselle, répond-il sèchement.

— Bien entendu. Je vois immédiatement si elle est disponible, lui répond-elle pour couper court à toute discussion.

Après quelques secondes, elle raccroche et relève le nez.

— Le docteur Kremer peut vous recevoir tout de suite. Troisième étage, bureau C, à votre gauche en sortant de l'ascenseur.

— Merci mademoiselle, lui répond-il, ravi de s'en tenir au strict minimum.

Un psychiatre ! Peut-être que j'en tirerai plus qu'avec ce Munoz, se dit-il en frappant à la porte

— Entrez.

— Bonjour docteur, inspecteur Morvan. J'aurais quelques questions à vous poser sur deux de vos patients.

Surpris de se trouver face à une femme, l'inspecteur s'efforce de ne rien en montrer.

— Je suis au courant de votre... enquête, inspecteur. Je vous en prie, asseyez-vous. Le docteur Munoz m'a parlé de vous. Je n'ai pas beaucoup de temps, venons-en directement aux faits. Nous avons affaire ici à un cas bien particulier. Ce type d'amnésie n'est pas courant, mais que les deux frères en souffrent au même moment, c'est du jamais vu en plus de vingt ans de carrière. Je vous écoute.

— Pourriez-vous m'en dire un peu plus sur cette amnésie dont ils souffrent ? Si cela vous semble si rare, je suis preneur de toute information. Même la plus insignifiante.

Le docteur Kremer commence aussitôt un cours sur les différentes sortes d'amnésies et leurs causes possibles. Au bout de quelques minutes, Morvan n'y tient plus.

— Tout cela est bien intéressant, mais pour le cas précis qui m'intéresse ici, j'aimerais vous proposer une autre hypothèse.

— Je vous écoute, lui répond-elle sèchement, appréciant peu d'avoir été coupée.

— Serait-il possible qu'ils simulent ? Qu'ils jouent à ce jeu pour cacher quelque chose.

— Vous êtes sérieux !

— C'est pour vous réellement impossible ?

— Ces deux patients sont arrivés inconscients après un accident de voiture qui aurait pu avoir des conséquences bien plus graves. Ils n'ont pas communiqué depuis leurs réveils. Quand auraient-ils organisé un tel scénario ?

— Oh ! Voilà un point intéressant. Ils ne sont pas dans la même chambre, pense-t-il à haute voix. Pour en revenir à votre étonnement, disons que je m'interroge. C'est mon métier d'analyser toutes les hypothèses. D'explorer toutes les pistes. Je dois les interroger.

— Oh là ! Doucement, je vous prie. On a l'impression que vous me parlez de personnes soupçonnées d'un crime. Auriez-vous un chef d'inculpation dont vous auriez oublié de mentionner ? Si je m'en tiens à ce que j'en sais, il s'agit d'un accident de voiture.

— Je ne peux pas vous en dire plus sur l'enquête, je suis désolé, répond-il avec un faux air mystérieux pour cacher qu'il n'a pas grand-chose d'autre que son flair pour lancer cette hypothèse.

— Vous avez probablement des informations que je ne connais pas, mais, en tant que médecin, je me dois en priorité de penser au bien-être de mes patients. Tout particulièrement en tant que psychiatre. Je ne voudrais pas que vos questions aggravent la situation de stress dans laquelle ils se trouvent actuellement.

— Je comprends bien, mais il y a des points à éclaircir dans cette affaire qui ne peuvent attendre.

Après un échange tendu de plusieurs longues minutes, le temps des compromis finit par arriver.

— Inspecteur, je consens à ce que vous puissiez les voir, mais je tiens à poser quelques conditions.

A force d'argumentation, il avait fini par être accoudé sur le bureau de la psychiatre, à peine assis sur sa chaise.

— Je vous écoute, lui répond-il en se reculant sur le dossier de sa chaise.

— Il me faut être présente. Je ne veux pas vous laisser leur lancer des accusations non fondées comme s'ils étaient coupables de je ne sais quel crime.

— Je ne peux accepter. Il ne s'agit pas là d'une visite médicale, mais d'un entretien de police. Je veux bien m'engager à rester le plus neutre possible pour ce premier interrogatoire. Je veux dire à n'aborder que des questions concernant leurs emplois du temps dans les heures ou les jours qui ont précédé l'accident.

— Aucune allusion à une quelconque accusation. J'ai votre parole ?

— Vous l'avez. Bien entendu, je ne m'abstiendrai pas d'essayer d'en apprendre plus sur leurs identités. Cela ne pourra que vous aider pour la suite de vos activités.

— Dans ces conditions, j'accepte, mais j'ai une dernière réserve.

— Laquelle ? demande-t-il, après un soupir bien appuyé pour montrer son exaspération.

— Ils sont encore dans un état psychologique très fragile. Mettez-vous à leurs places, se retrouver ici sans rien savoir de leurs passés. Vos entretiens ne doivent pas s'éterniser. Je vous attends dans mon bureau dans une demi-heure pour me faire un compte rendu. J'ai bien dit entretien, pas interrogatoire. J'insiste sur ce point.

Frustré, mais tout de même satisfait d'avoir partiellement obtenu gain de cause malgré l'absence totale d'arguments judiciaires tangibles, il accepte.

— C'est entendu. Je repasse vous voir avant de quitter votre hôpital, répond-il en se levant. Dans quelles chambres sont-ils ?

— Chambres 217 et 238, deuxième étage. Une demi-heure, rappelle-t-elle lorsqu'il passe la porte.

Lorsque l'inspecteur Morvan entre dans la chambre, il est surpris par l'ambiance qui y règne. Les premiers sons qu'il entend sont des rires plutôt enjoués. Il faut dire qu'il n'a pas pris la peine d'attendre la moindre réponse pour ouvrir la porte après avoir frappé un bref coup.

L'infirmière Aguettaz, comme prise en flagrant délit d'une faute qu'elle aurait commise, se ressaisit aussitôt et reprend son sérieux. Son patient, tout aussi intrigué qu'elle par cette visite impromptue, ne peut s'empêcher de ressentir une angoisse à la vue d'un inconnu qui ne semble visiblement pas être un médecin.

— Bonjour. Inspecteur Morvan. Police judiciaire.

— Je repasserai plus tard, dit-elle aussitôt en quittant la chambre. Je vous laisse avec votre visiteur, ajoute-t-elle, en jetant un dernier regard soucieux et interrogatif.

— Bonjour inspecteur. Que signifie cette visite ? demande-t-il en se redressant, anxieux.

Se rappelant les consignes de la psychiatre, Morvan tente de prendre un ton le plus jovial possible.

— Rassurez-vous, je ne suis là que pour vous poser quelques questions suite à votre accident.

Quelque peu rassuré par ce qu'il vient d'entendre, il décide de prendre les devants.

— J'aimerais entendre que vous avez des informations sur mon identité, mais à voir votre visage, j'ai quelques doutes.

— Vous êtes perspicace. Je ne vais pas pouvoir vous renseigner sur ce point, désolé. Tout au moins pour le moment, mais je suis là pour en savoir plus. Il me semble par contre que de votre côté votre mémoire vous revient.

— Comment ça ? Que voulez-vous dire ?

— J'ai entendu l'infirmière vous appeler par votre prénom en quittant la chambre.

— Vous vous méprenez. Il s'agit d'un prénom que nous utilisons pour pouvoir avoir de simples conversations qui ne butent pas sur un malaise toutes les deux phrases.

— Je vois, répond laconiquement l'inspecteur, quelque peu déçu.

Morvan se saisit de la chaise qui se trouve dans le coin de la pièce et s'installe près du lit à la gauche du patient, dos à la fenêtre.

— Commençons par le commencement si vous le voulez bien. Quels sont vos souvenirs dans les minutes qui ont précédé l'accident ? De quoi vous souvenez-vous ?

— De rien ! C'est le noir absolu. Je ne me souviens de rien. Même pas une image fugace.

— Très bien, répond laconiquement Morvan en prenant quelques notes. Remontons un peu plus loin dans le temps. Dans les jours précédents, vous devez bien vous souvenir de quelque chose. Le travail, des rencontres de voisinages, des lieux ? Votre frère. Des choses que vous avez dites ou faites avec votre frère.

— Je ne souviens même pas d'avoir un frère. Tout ce que je sais de lui, c'est ce que m'en ont dit les docteurs Munoz et Kremer. Et Car... l'infirmière Aguettaz que vous venez de voir il y a quelques minutes

— Je vois, dit l'inspecteur sans même relever le nez de son petit carnet de notes où les pages se remplissent rapidement. A partir de la plaque d'immatriculation de la voiture, l'un de vous s'appelle Lionel Florent. Malheureusement, compte tenu de la situation, pour le moins étrange, il n'est pas possible de savoir qui.

Après quelques secondes d'un lourd silence, Morvan relève la tête brutalement.

— Vous avez bien des choses qui vous reviennent ! Vous n'avez pas tout oublié. Vous savez encore parler et tenir une fourchette, lance-t-il.

— D'après ce que m'a dit le docteur Kremer, il s'agirait une amnésie rétrograde. Les choses apprises...

— Passons le cours de médecine si vous le voulez bien, l'interrompt-il, énervé. Je me suis entretenu avec elle. Ne me dites pas que vous n'avez conservé aucun souvenir d'enfance. Il doit bien y avoir des choses qui vous reviennent ?

— Des images fugaces. Des images qui apparaissent et qui disparaissent aussi vite. Ça me traverse l'esprit à certains moments, mais je suis incapable de les situer dans le temps. Encore moins capable de les relier entre elles.

Son visage se ferme soudainement. L'inquiétude se lit dans ses yeux. Aucun des deux ne parle pendant quelques instants.

— Mais vous, inspecteur. Peut-être que vous pourriez m'en dire plus sur ce qui s'est passé. Vous dites ne pas connaître mon identité, mais vous savez sûrement des choses qui pourraient m'aider. Sur les circonstances de l'accident, par exemple.

— Je ne peux malheureusement pas vous en dire beaucoup. Vous comprendrez qu'une enquête est en cours...

— Une enquête ! Que voulez-vous dire par là ? Il y a eu d'autres blessés ? Quelqu'un est mort durant l'accident ?

— Non, il n'y a pas eu mort d'homme, je peux au moins vous rassurer sur ce point. Désolé, je ne peux rien vous dire de plus, ajoute-t-il d'un air mystérieux.

Rien ne justifie cette dramatisation, mais l'inspecteur cherche à pousser son interlocuteur à commettre une erreur sous le coup de la pression. C'est dans ce genre de situation que les suspects lâchent souvent une information compromettante. Un nouveau silence s'installe. Tous deux se regardant dans les yeux un moment. Comme rien ne se passe, il reprend.

— Je peux tout de même vous informer, si cela ne vous a pas déjà été dit par le docteur Munoz, que vous avez tous les deux eu de la chance d'être éjectés du véhicule. Sans cela, vous auriez probablement péri. Ou, tout au moins, été grièvement blessés.

Un raidissement du dos et une crispation des mains de son interlocuteur seront les seules réponses qu'il obtiendra.

— Avez-vous des souvenirs, disons plutôt des sensations que quelque chose d'inhabituel s'est produit dans votre vie récemment ?

— Je vous l'ai déjà dit, inspecteur. Je ne me souviens de rien. Si vous parlez maintenant de sensations. Je peux vous répondre clairement par l'affirmative. Tout me semble étrange. Chaque mot, chaque pensée me donne l'impression que quelque chose va me revenir, mais il ne se passe rien.

Dos au mur, l'inspecteur est gêné par le soleil qui lui arrive par la fenêtre de l'autre côté du lit. Il relit rapidement les pages de notes prises pour se remémorer ce qui vient d'être dit.

— Pourriez-vous me dire si quelque chose d'inhabituel ou d'inattendu vous est arrivé récemment ? N'importe quoi qui vous reviendrait l'esprit.

— Je suis désolé, inspecteur. Tout est flou. Tout me semble étrange, mais rien de précis. Rien qui se détache en particulier du reste.

Concentre-toi mon vieux. Tu as peut-être l'impression de faire ton interrogatoire en double, mais il ne faut rien oublier, se dit-il en tournant les pages de son bloc.

— J'ai remarqué que l'infirmière... Aguettaz semblait proche de votre frère. Est-ce le cas pour vous aussi ? Vous parle-t-elle de lui ?

— C'est-à-dire... commence-t-il avant de se reprendre. Qu'entendez-vous par là ? Mademoiselle Aguettaz s'occupe très bien de moi, mais je ne comprends pas vos insinuations.

— Est-ce que vous vous connaissiez avant votre arrivée à l'hôpital ? demande-t-il en ayant encore une fois l'impression de se répéter.

— Absolument pas ! Où voulez-vous en venir ?

— Ne vous énervez pas, ce n'est qu'une simple question. Vous êtes bien affirmatif. Au moins une chose pour laquelle vous ne semblez pas dans le flou, lance-t-il en le regardant droit dans les yeux.

Morvan est frustré. Il cherche ses mots pour ne pas poser de questions trop directes. Pour ne pas faire référence à l'arme trouvée sur les lieux de l'accident. Il aimerait aussi prolonger l'interrogatoire, mais l'heure tourne. Il ne veut pas se mettre à dos la psychiatre s'il veut pouvoir revenir sans trop de difficultés.

— Bien, je vais vous laisser vous reposer. Je vous remercie pour votre temps. Je ne manquerai pas de repasser vous voir en cas de besoin.

L'inspecteur se lève et se dirige vers la porte sans attendre la moindre réaction de son interlocuteur. Celui-ci ne répondant d'ailleurs pas.

Perte de temps ! Aucune information valable à en tirer.

Tout en parcourant les couloirs vers le bureau de la psychiatre, l'inspecteur essaie de se remémorer les deux interrogatoires. Tout autant infructueux l'un que l'autre.

C'est à croire qu'ils sont de mèche ma parole ! Jamais de réponses précises. Rien qui permettrait de repérer des incohérences. Aucune brèche où je pourrais y insérer un coin et frapper pour découvrir le fin mot de cette histoire. Je suis certain qu'il y a anguille sous roche.

Machinalement, il regarde l'heure en frappant à la porte du bureau pour vérifier qu'il n'est pas en retard.

— Entrez !

Qu'est-ce qui me prend, je ne suis pas à ses ordres, se dit-il en ouvrant.

— Ah, inspecteur. Vous voilà de retour, dit-elle en regardant sa montre, comme pour montrer qu'elle l'attendait. Alors quel est le bilan de vos entretiens avec mes deux patients ?

Elle commence à m'énerver celle-là.

— J'aimerais vous poser encore quelques questions sur cette maladie.

— Vous parlez bien de l'amnésie ? Ce n'est pas à proprement parler une maladie, mais passons. Je vous écoute.

— Voilà. Je suis surpris par les similitudes. Ils souffrent plus ou moins du même traumatisme, mais n'est-ce pas étrange qu'ils aient les mêmes symptômes ? J'ai l'impression d'avoir interrogé deux fois la même personne. Pas de différence physique, pas de différence significative dans leurs réponses.

— Ce n'est certes pas quelque chose d'habituel, mais il n'y a là rien d'impossible. Ces deux jeunes gens souffrent de ce qu'on appelle une amnésie rétrograde.

— L'un d'eux a prononcé ce mot. De quoi s'agit-il exactement ? demande-t-il sans grand intérêt.

La psychiatre se lance alors dans un monologue de quelques minutes sur les différents types d'amnésies jusqu'à ce que l'inspecteur craque.

— Mais pour le cas qui m'intéresse, la coupe-t-il. Voyez-vous une possibilité qu'ils retrouvent leurs souvenirs dans un avenir proche ? Au moins un des deux.

— Demain, dans une semaine, dans un mois, jamais. Tout est possible. Voyez-vous nos connaissances dans ce domaine, même si elles ont progressé grandement ces dernières années, sont encore parcellaires.

— N'entrons pas dans ces détails, merci. Est-ce qu'il y a moyen de forcer cela ? Je veux dire déclencher le retour de certains souvenirs.

— Difficile à dire. En général, le processus est accéléré par l'environnement. Le retour dans un lieu familier. La présence de proches. En tout cas, ils ont besoin d'un environnement calme et stable. Je veux dire par là qu'une ambiance telle que celle que vous instillez n'est pas propice à la sérénité. Leurs symptômes peuvent être la conséquence directe du choc physique qu'ils ont subi, mais cela peut également être dû à un blocage psychologique inconscient. Comme une protection pour ne pas revivre quelque chose de traumatisant.

— Hypothèse intéressante... Mais est-ce normal que dans leur état, ils ne cherchent pas à en savoir plus sur eux même ? Ils ne m'ont posé aucune question sur leur passé, sur les circonstances de l'accident.

— Vous devez garder à l'esprit qu'ils sont encore sous le choc de l'accident. Même s'ils n'en ont gardé aucun souvenir. Comme je vous le disais à l'instant, l'absence de questions peut être due à la crainte de découvrir quelque chose qu'ils rejettent inconsciemment. Comme la peur ressentie au moment de l'accident. Quelque chose qu'ils ne souhaitent pas voir resurgir.

— Ou une peur ressentie avant l'accident. Vous voulez dire qu'ils ont peur de se souvenir ? Que cette peur est plus forte que la curiosité ?

— C'est plus compliqué, mais on peut résumer cela de cette façon, répond-elle, impatiente d'en finir avec cet entretien.

— Est-ce qu'ils se sont vus depuis qu'ils sont hospitalisés ? lance l'inspecteur sur un ton soupçonneux.

— Pas encore. Ils ne sont pas physiquement dans l'incapacité de se déplacer, mais j'ai demandé à ce qu'ils ne se voient pas dans les premiers jours. Je souhaiterais leur éviter des émotions trop intenses pour le moment. Il est préférable que leurs esprits s'apaisent avant une rencontre. Pourquoi posez-vous cette question ?

— Je me demandais s'ils ne se seraient pas mis d'accord sur un scénario. J'ai l'impression qu'ils cherchent à cacher quelque chose...

— Je vous assure qu'ils ne se sont pas vus.

— En êtes-vous certaine ? Ce n'est pas une prison. Il leur est possible de se déplacer...

— Inspecteur, le coupe-t-elle. Cet établissement est très bien géré. Je ne tolérerais pas ces insinuations.

— J'ai pourtant la conviction qu'ils cherchent à cacher quelque chose.

— A chacun son métier. Je vous prierais de ne pas remettre en cause mon diagnostic ni la gestion de l'hôpital, lui lance-t-elle violemment. Si vous n'avez plus de questions, je vous prierais maintenant de me laisser, je suis extrêmement occupée.

— Entendu. Je vous laisse, répond-il sèchement, vexé de se faire mettre dehors.

Il se lève aussitôt et se dirige vers la porte. En l'ouvrant, il s'arrête et se retourne.

— Une dernière question, docteur.

— Faites vite !

— Pourquoi utilisez-vous des prénoms fictifs pour les nommer ? Est-ce dans un but thérapeutique ?

— Quels prénoms ? Que voulez-vous dire pas là ?

— Une infirmière en a appelé un par un prénom lorsqu'elle a quitté la chambre.

L'inspecteur se remémore la gêne qu'elle semblait ressentir lorsqu'il est entré dans la chambre.

— En quoi cela a-t-il un quelconque lien avec votre enquête ?

— On ne sait jamais. Toutes les informations, même les plus anodines peuvent avoir leur importance.

Quelque peu surprise et gênée par cette information, la psychiatre ne souhaite pas s'étendre sur le sujet. Elle compte bien se renseigner sur ce sujet.

— Je vous prie de me laisser inspecteur. Permettez-moi de vous rappeler que toute visite doit être autorisée par le docteur Munoz ou moi-même. Ces deux jeunes gens ne sont pas inculpés à ma connaissance. J'aimerais que vous cessiez de les considérer comme des suspects, voire des coupables de je ne sais quoi.

— A chacun son métier, lui rétorque-t-il. A très bientôt probablement, lance-t-il en sortant.

Une fois dehors, l'inspecteur, comme pour compenser le fait que cet entretien désagréable n'a pas apporté grand-chose, essaie de faire le point. Intimement persuadé qu'ils lui cachent quelque chose, il se demande comment ils ont pu communiquer. Comment ont-ils pu se mettre d'accord s'ils ne se sont pas vus ? Tout à sa réflexion il avance dans les couloirs, indifférent à son entourage. Il se remémore la visite à l'appartement. Est-ce qu'un indice lui aurait échappé ? Il se rappelle que le concierge lui a dit qu'il lui semblait avoir remarqué que Lionel Florent avait fait plus d'aller et retour que d'habitude ces derniers temps. Peut-être avait-il rencontré une fille, avait-il ajouté en se lançant dans un monologue sur le fait qu'il était encore célibataire à son âge...

La petite infirmière ! se dit-il soudain en franchissant le seuil de la porte de l'hôpital.

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