Dimanche 6 juillet

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Se tournant et se retournant sans cesse dans le lit dans l'incapacité à trouver le sommeil, Rémi finit par se lever. Il se dirige vers la porte de la chambre, comme par automatisme. Sur le point de l'ouvrir, il hésite. Il vient d'entendre du bruit de l'autre côté. Encore sous le coup de la dispute d'il y a même pas deux heures, il préférerait éviter une rencontre maintenant. Après avoir passé une dizaine de minutes à regarder la ville par la fenêtre, il désespère. Pas le moindre souvenir ne lui revient. Il avait naïvement espéré qu'en se retrouvant là, seul, quelque chose lui reviendrait. Cette chambre devrait lui être familière. La ville qu'il regarde par la fenêtre, qu'il a déjà dû voir de nombreuses fois devrait éveiller quelque chose en lui. Rien ! Rien de rien ! rage-t-il. Peut-être que je ne suis tout simplement pas chez moi, mais chez lui. Je ne suis peut-être là qu'en visite ? En vacances ? Est-ce que je suis même déjà venu ici ? finit-il par se demander.

Par dépit ou par ennui, il ouvre le premier tiroir de la commode. Des vêtements, des sous-vêtements. Qu'est-ce que tu t'attendais à trouver d'autre ? La réponse à toutes tes questions ? se dit-il, comme vexé.

Machinalement, il continue toutefois avec les autres tiroirs. Un à un. Dans le dernier, des objets, des boîtes, des papiers. Il reste un instant immobile, se demandant s'il peut se permettre de fouiller. Pourquoi pas ! Tout cela m'appartient peut-être après tout. En se disant cela, il s'est inconsciemment donné le courage d'aller plus loin. Il n'a aucune idée de ce qu'il va trouver, mais il est décidé. Il laisse de côté les boîtes et se focalise sur les pochettes de documents. Des factures au nom de Lionel Florent. Des factures pour l'eau, pour l'électricité, pour le téléphone, pour la voiture. Voiture détruite, se remémore-t-il en pensant à ce qui lui a dit le docteur Munoz. Rien qui pourrait contenir la moindre information personnelle susceptible de lui rappeler quoi que ce soit. Il n'insiste pas et pose les pochettes par terre. Son regard se tourne alors vers les boîtes qu'il avait tout d'abord ignorées. Il prend la première dans les mains. Une boîte métallique assez lourde.

Il l'ouvre. Des jouets. Des petits personnages en métal. Quelques voitures. Il prend un soldat de plomb dans les mains et l'observe. Il ne saurait dire ce qu'il ressent. Il ne peut pas vraiment dire qu'il est ému. Intrigué, curieux plutôt. Malheureusement, cela n'évoque rien de particulier. Il s'était imaginé se revoir jouer avec son frère, mais rien ne vient. Après quelques minutes à regarder tous les objets de la boîte, il la referme et passe à la suivante. Plus petite, plus légère, il la pose sur ses genoux et l'ouvre. Des lettres cette fois-ci. Il en sort la pile en une seule fois, comme s'il voulait la soupeser. Des lettres assez anciennes, quelques cartes postales. Quelque chose l'intrigue soudain. Celle du bas de la pile, celle qui devrait être la plus vieille, lui semble récente. Sans surprise, elle est adressée à Lionel Florent. Il regarde le timbre... 17 avril 1975 ! Quelques semaines seulement. Il hésite un instant, puis se décide à l'ouvrir.

14 avril 1975

Mon très cher fils,

Nul ne peut imaginer ce que je ressens en écrivant ces quelques mots. La honte qui me ronge est telle que rien ne pourra jamais l'effacer. Je donnerai tout ce que j'ai pour revenir en arrière et corriger ma faute. Mon crime, devrais-je dire. Oui, ce que j'ai fait, je le considère comme un crime. Un crime odieux et impardonnable qu'aucune mère ne devrait pouvoir commettre sans se damner. Rien ne pourra jamais réparer cela. Une vie entière, qui touche bientôt à sa fin, n'a pas suffi à en effacer la moindre once de remords. Ces remords qui me rongent de l'intérieur depuis ce jour noir où je t'ai lâchement abandonné.

Je te dois la vérité pleine et entière. Ce secret n'a que trop duré. Il est temps que je te dévoile l'horrible vérité. Ces années de silence doivent prendre fin. Cette lettre n'effacera en rien la culpabilité que je ressens, mais j'espère qu'elle pourra t'apporter des réponses que tes parents adoptifs ne pouvaient te donner. Je sais qu'ils t'ont aimé comme leur propre fils et je ne les en remercierai jamais assez. Je ne sais ce qu'ils t'ont dit sur ton passé, mais cela ne peut contenir ce qu'ils n'ont jamais su eux-mêmes.

Par où commencer si ce n'est par le commencement. J'ai rencontré ton père dans les jours sombres de l'après-guerre. J'étais jeune et éperdument amoureuse de lui. Il représentait tout pour moi à cette époque. Un héros qui avait résisté. Qui n'avait pas hésité à risquer sa vie pour lutter contre l'occupant, comme on disait alors. Cette image idyllique que j'en avais était, pour notre malheur, bien loin de la vérité. Rien, dans la vision naïve de la jeune fille amoureuse que j'étais, n'aurait pu me faire douter de ce qu'il me racontait. Nous nous voyions bien sûr en cachette à l'époque. Jamais mes parents n'auraient toléré une telle chose. Je suis tombée enceinte quelques mois après notre rencontre. Le choc et la honte que cela représentait pour mes parents étaient tels que nous avons décidé de fuir. Nous nous sommes mariés très rapidement. Il était alors inconcevable de vivre autrement à cette époque.

Dans les mois qui ont suivi, j'étais alors encore enceinte, le passé de ton père l'a rattrapé. Il a croisé un jour, par le plus insidieux des hasards, un de ses anciens compagnons de lutte. Cet homme lui en voulait énormément pour une chose qu'il avait faite durant la guerre. Jamais je n'ai pu savoir de quoi il s'agissait. Quand j'essayais de lui en parler, il se mettait aussitôt dans une colère noire et me reprochait de mettre sa parole en question. Effrayée, je tentais à chaque fois de le calmer. De lui expliquer que vouloir comprendre ne signifiait pas que je croyais cet inconnu. Ces colères m'effrayaient à un tel point que j'ai fini par renoncer à savoir ce que cet homme lui reprochait.

Ce passé qu'il souhaitait cacher a malheureusement ressurgi rapidement lorsque d'autres anciens compagnons, avertis par le premier, sont venus lui réclamer des comptes. J'ai vite compris qu'ils n'allaient pas en rester là. Un esprit de vengeance était entré dans notre vie et rien ne nous permettrait d'y échapper sinon la fuite. Ton père refusait catégoriquement d'aller voir la police, comme je lui suppliais de le faire. Il disait qu'il n'avait aucun moyen de prouver que ce qu'ils lui reprochaient n'avait jamais eu lieu et qu'il pourrait passer de victime à coupable. Plus le temps passait, plus ces hommes étaient menaçants. Il fallait partir et se cacher dans une autre ville pour leur échapper avant qu'il ne soit trop tard, m'a-t-il dit un soir. Tout cela m'effrayait, mais je ne savais pas quoi faire.

Quelques semaines plus tard, le 6 juillet 1947, ton frère et toi êtes venus au monde. Oui, je dis bien ton frère et toi. Car tu n'es pas arrivé seul ce jour-là, à notre grande stupeur. Nous vous avons appelé Hervé et Francis. Comme imaginer l'angoisse que faisait peser sur nous les menaces de ces gens alors que je me retrouvais mère de jumeaux. Il n'était pas concevable pour moi que vous soyez en danger pour une faute reprochée à votre père. Qu'elle soit réelle ou pas. La peur que ces hommes s'en prennent à lui s'est rapidement transformée en panique lorsque j'ai pris conscience qu'ils pourraient s'en prendre à vous. Pour votre père, une seule solution s'imposait. Il fallait vous mettre en sécurité. Je ne pouvais qu'être d'accord avec lui jusqu'à ce qu'il m'annonce ce qu'il avait en tête. L'unique solution possible, me disait-il, était de vous confier à quelqu'un qui prendrait soin de vous. Ils ne seront en sécurité que loin de nous, répétait-il à chaque fois que j'essayais de le faire changer d'avis. Il serait impossible de leur échapper si nous devions fuir à tout moment avec deux bébés. Après plusieurs semaines d'angoisse, ses arguments, répétés tant de fois et avec une telle insistance, ont eu raison de ma volonté. J'étais trop effrayée à l'idée de le perdre et encore plus terrorisée de devoir m'occuper seule de vous. Etre une fille-mère dans cette société de la fin des années 40 représentait un défi que je ne me sentais pas capable de surmonter. Retourner auprès de vos grands-parents aurait peut-être été la solution, mais le souvenir du dernier regard de votre grand-père me hantait. Votre père a donc réussi à me convaincre que cette décision, mon crime, était la seule chose à faire. Pour votre bien, me disait-il. Comment ai-je pu me laisser convaincre qu'une telle chose ? Cet acte inqualifiable m'avait paru dans l'affolement qu'il avait entretenu en moi, la seule solution. J'avais tellement peur.

Il avait tout prévu. Il ne voulait pas ajouter à ma peine la charge de m'occuper des détails, m'avait-il dit alors. Il m'a ensuite emmené loin de là dans une autre ville. Pour refaire notre vie loin du danger et en vous sachant en sécurité. C'est tout au moins ce dont j'essayais de me convaincre pour supporter le poids de ma culpabilité.

M'être laissé persuader de vous abandonner n'est en aucune manière une excuse. Ma faiblesse de l'époque ne peut être considérée que comme de la lâcheté. Je vis avec ce poids qui me pèse sur le cœur depuis ce jour et rien n'en allégera le fardeau.

Votre père supportait visiblement cette décision, sa décision, mieux que moi. Il voyait que cela me rongeait, mais il avait fait en sorte que jamais nous n'abordions le sujet. Cela ne ferait que rouvrir une plaie, me disait-il toujours. Vous étiez, selon ses dires, en sécurité dans les bras de nouveaux parents. Ces arguments ne m'ont jamais permis de me pardonner. Pour moi, cette plaie ne s'est jamais refermée. Chaque année, à l'approche de la date de votre anniversaire, cela empirait. Les nombreuses périodes de dépressions n'ont fait que renforcer ma culpabilité. A moins que ce ne soit l'inverse. Je tentais de vous imaginer, ton frère et toi. De vous voir grandir dans mes pensées. Cela ne faisait qu'aggraver mon état. Les années passant, vous sachant tous les deux adultes, ces pensées se sont peu à peu espacées, mais sans jamais disparaître.

Sur son lit de mort, il y a de cela deux ans, votre père m'a avoué qu'il vous avait confié aux bons soins de deux orphelinats différents. Il fallait limiter les risques qu'on nous retrouve, a-t-il tenté de se justifier. Je vous avais abandonné, mais il avait ajouté un second crime au premier. Il avait commis l'impardonnable en vous séparant. Comme si cela ne suffisait pas, chose horrible, il n'avait pas laissé vos prénoms dans les couffins. Tout le poids de ma culpabilité a resurgi à cet instant avec la puissance du premier jour. Le temps passait et vous étiez à chaque instant plus présents dans mon esprit. Il me fallait absolument savoir. Non pas pour vous retrouver, mais pour savoir ce que vous étiez devenus. Il était trop tard pour faire quoi que ce soit, mais je pouvais au moins tenter de vous réunir. Votre père m'a confié une lettre qu'il avait écrite lors de votre abandon. Celle-ci révélait entre autres les noms des orphelinats devant lesquels il vous avait abandonné. Je n'avais pas beaucoup d'argent, mais cela importait peu. J'ai fait appel à un détective pour vous retrouver. Cela lui a pris plus d'un an, mais il a réussi. Il a réussi à retracer vos parcours, à ton frère et toi. Tu es devenu Lionel Florent à ton adoption. Mais il m'est impossible de savoir si c'est Hervé ou Francis qui est devenu Lionel. Le plus abominable des crimes se résume dans ces mots.

Jamais je n'aurais le courage d'affronter votre regard malgré l'envie de vous serrer dans les bras. Aussi je ne te donnerai pas d'information permettant de me retrouver. Je ne souhaite pas que tu te sentes dans l'obligation de me donner ton pardon en te retrouvant face à moi, alors que je ne me pardonne pas à moi-même.

La carte qui accompagne cette lettre te permettra de retrouver ton frère que je t'ai empêché de connaître.

Ta mère qui t'aime plus qu'elle s'aime.

Le choc ressenti à la lecture de la lettre le ramène instantanément quelques semaines plus tôt. Il ne peut pas vraiment dire qu'il se souvient des circonstances de la première lecture de cette lettre, mais il sait qu'il l'a déjà lue. C'est bien plus qu'une sensation, c'est une intime conviction. Après une durée qu'il serait bien incapable d'estimer, il sort progressivement d'une sorte de léthargie. C'est donc moi Lionel Florent ! Ironie du sort, c'est mon anniversaire aujourd'hui !

Il ne savait pas qu'il avait un frère avant cette lettre. Est-ce que l'étrange sentiment qu'il ressent en sa présence est dû à l'amnésie ou au fait que son frère est en fait presque un inconnu pour lui ? Tout se mélange dans sa tête. Toutes les informations qu'il vient de recevoir, mêlées à des flashs, des images, des sentiments confus qui arrivent et disparaissent aussitôt. ...tu verras bien... ce ne sera pas long... Il a l'impression d'entendre cette phrase comme si elle était prononcée à l'instant, mais il est incapable d'en comprendre la signification. Il ne saurait même pas dire qui l'a prononcée. Il en a des vertiges. Il ne tente même pas de rejoindre son lit. Il s'allonge par terre quelques instants.

Tout à coup, il ouvre les yeux. Il fait toujours nuit. Il ne saurait dire si cette absence a duré une minute ou une heure. Toujours allongé à même le sol, il se relève et s'approche de son réveil. Quatre heures du matin. Il tourne en rond un moment dans la chambre. Il lit et relit la lettre. Plusieurs fois, il se dirige vers la porte. A chaque fois, il s'arrête avant même de pouvoir toucher la poignée. Est-ce que je vais le réveiller maintenant ? Si c'est si difficile pour moi à assimiler, il vaut mieux attendre le matin pour tout lui dire. Il lui faut essayer de se remémorer ce qu'il a fait depuis qu'il a reçu la lettre. C'est le noir total. Il en a reçu une aussi. C'est pour ça qu'il est venu ! C'est évident en lisant la lettre, mais, indépendamment de ça, il le sait. Même s'il est incapable de se l'expliquer, il le sait. Face à l'incapacité à se rappeler des faits précis, il finit par se décider à s'allonger sur le lit pour réfléchir et remettre un peu d'ordre dans ses idées.

Un bruit le fait sursauter. Il se redresse en un éclair, le cerveau encore engourdi par le sommeil pourtant court et agité. Il fait jour ! Quelle heure est-il ? se dit-il en se redressant. Huit heures !

Lionel saute du lit et s'habille aussitôt. Il sort de la chambre. Il éprouve une étrange sensation. Comme si tout allait s'effacer d'un instant à l'autre. Il faut que je lui parle tout de suite. Personne dans le salon. J'ai pourtant entendu du bruit pendant que je m'habillais.

— Je suis dans la cuisine, entend-il au même instant.

— Pascal ! Il faut que je te parle, répond-il en s'y précipitant.

— Je ne m'appelle pas Pascal. Tu veux manger quelque chose. Je suis allé faire des courses ce matin pendant que tu dormais du sommeil du juste.

— Je sais bien que ce n'est pas ton vrai prénom, mais faute de mieux, on a convenu de faire comme Caroline l'a proposé. Il faut que je te parle. J'ai découvert des choses incroyables cette nuit. Tout est encore flou, mais les morceaux s'assemblent peu à peu. J'ai encore du mal à placer les souvenirs dans le temps, mais des images reviennent.

Son frère le regarde calmement tout en continuant à manger.

— Tu ne veux vraiment pas t'asseoir ? De la baguette toute fraîche. Ce serait dommage de ne pas en profiter après la nourriture infâme de l'hôpital. Assieds-toi et mange quelque chose, ça va te calmer.

— Je ne peux rien avaler et je ne veux pas me calmer. Il faut que je t'explique tout ce que j'ai découvert. Ça pourra t'aider toi aussi à retrouver ta mémoire.

Tellement concentré par ce qu'il essaie de dire, il ne se rend pas compte de l'indifférence de son frère.

— J'ai trouvé une lettre dans ma chambre cette nuit. Une lettre de notre mère ! Tu te rends compte ! Elle y révèle tout. Nos origines. Pourquoi nous n'avons pas été élevés ensemble.

Son frère s'arrête de manger. Il relève la tête et attend, sans dire un mot.

— Tu m'écoutes ? Tu te rends compte de tout ce que ça signifie ?

— Parfaitement, petit frère.

— Elle a été obligée de nous abandonner. Ce n'est pas de sa faute si nous avons été séparés...

— Oh, la pauvre ! Comme c'est triste.

— Qu'est-ce que tu racontes ? Tu ne me crois pas, c'est ça ? Tu penses que j'invente tout ça !

— Je te crois. Je n'ai absolument aucune difficulté à croire ton histoire, petit frère, ajoute-t-il sur un ton sarcastique.

Totalement décontenancé par l'attitude de son frère, il reste immobile un instant. Il ressent comme une sensation de vertige. ...Petit frère... cette expression crée en lui une étrange impression, comme un malaise fugace. Il se dirige vers l'évier et boit un grand verre d'eau. Il reste immobile quelques instants, appuyé sur le bord de l'évier, sans dire un mot.

— Tu es bien silencieux soudainement. Si je te crois, c'est parce qu'en fait tu ne m'apprends rien. Je sais tout cela depuis des semaines. Lorsque, comme toi, j'ai reçu une lettre de notre chère maman, toujours sur le même ton sarcastique, que Lionel ne perçoit pas.

— Une lettre comme la mienne ? Où est-elle ? Est-ce que je peux la voir ?

— Elle n'est pas ici.

— Oh !

— Et non, elle n'est pas comme la tienne. Pas de gentille famille d'adoption dans la mienne. Juste un regret pour mes nombreuses années passées dans un orphelinat à espérer qu'on veuille bien de moi. Tout au moins jusqu'à mes 10 ans. Une soudaine prise de conscience en me réveillant le jour de mon anniversaire. Aussi violente qu'un coup de poing dans le ventre. Ce jour-là, j'ai compris que cela n'arriverait jamais, hurle-t-il en frappant du poing sur la table.

Son bol de lait se renverse, mais cela ne semble même pas le perturber. Il reprend aussitôt, sur le même ton.

— J'ai dû rester dans cette prison jusqu'à mes 18 ans. J'ai bien tenté de m'évader plusieurs fois. De fuguer comme ils disaient, mais à chaque fois, ils me retrouvaient et me ramenaient. Jusqu'à mes 18 ans. Après, plus besoin de chercher à m'enfuir puisqu'ils m'ont mis dehors ! rugit-il.

— Je suis vraiment désolé. Est-ce que tous ces souvenirs te sont revenus cette nuit ?

— Tu ne m'écoutes pas, petit frère. Je suis désolé. C'est tout ce que tu trouves à dire. Comme la première fois ! Je suis désolé, je suis désolé. Qu'est-ce que ça change que tu sois si désolé ! Qu'est-ce que ça peut me faire que tu sois désolé ! hurle-t-il.

— Mais...

— Et puisque tu ne sembles pas comprendre, je vais te le répéter encore une fois. Non, ces souvenirs ne me sont pas revenus cette nuit, ni même il y a quelques jours à l'hôpital. Ils ne m'ont jamais quitté. Je n'ai jamais souffert d'amnésie.

Stupeur absolue. Impossible d'absorber cette information. Son monde, totalement étrange où tout était inconnu et nouveau, s'écroule. Il ne tenait pas à grand-chose, si ce n'est l'espoir d'un retour prochain à une vie plus ou moins normale. Les découvertes de la nuit ont fait disparaître cet espoir de calme en un instant, mais l'espoir de changements positifs n'avait pas disparu pour autant. Maintenant, avec ce qu'il vient d'entendre, il ne sait plus quoi penser.

— Eh bien. Tu ne dis rien ? reprend-il, face au silence de son frère. Tu as pourtant compris ce que je viens de dire. Aucun doute n'est permis en voyant ta tête. Apparemment, tous tes souvenirs ne sont pas revenus. Il faut encore travailler sur le problème, petit frère, comme dirait Kremer.

Toujours incapable de prononcer le moindre mot, tentant vainement d'assimiler ce qu'il vient d'entendre, il s'écroule sur une chaise. Sans force, le cerveau comme paralysé, il tente vainement de se reprendre.

— Tu as entendu ce que je viens de dire, mais visiblement tu as quelques difficultés à enregistrer. Est-ce qu'il faut que je me répète ? Tu veux peut-être ça par écrit, comme ta chère maman l'a fait avec sa si gentille lettre, ajoute-t-il, de plus en plus railleur. Tu semblais avoir tellement de choses à me raconter il y a quelques minutes. Aurais-tu de nouveau perdu la mémoire ?

— Mais... Caroline...

— Quoi Caroline ? Elle t'a expliqué le jour de ton réveil que ton frère était aussi dans l'hôpital. Un frère dont tu ignorais l'existence à cause de ton amnésie. Et que lui-même était amnésique.

— Elle ne peut pas m'avoir menti. Ce n'est pas possible. Elle ne peut pas...

Après quelques secondes de silence où il tente vainement de comprendre, Lionel relève lentement la tête. Il regarde son frère, l'implorant du regard.

— Ne me dis pas que... qu'elle sait tout ça. Qu'elle sait que tu n'as pas perdu la mémoire... Ce n'est pas possible !

— Rassure-toi, petit frère. Ta gentille petite infirmière est aussi étrangère à cette histoire que toi. Enfin, toi, il y a quelques minutes. Cette petite sotte est venue me parler de toi à mon réveil. Elle m'a raconté que tu avais perdu la mémoire. J'étais là, bloqué dans ce satané lit d'hôpital, sur le qui-vive, en train de me demander ce que tu avais bien pu raconter à ton réveil. Je me demandais quoi faire. Je me demandais si je ne devais pas partir au plus vite de l'hôpital, mais je n'arrivais pas à me lever. Et elle arrive et m'explique que tu as perdu la mémoire. J'ai failli éclater de rire tellement la situation était cocasse. J'ai sauté sur l'occasion et j'ai décidé de jouer les amnésiques. Comme mon cher petit frère !

Face au silence persistent de son frère, il reprend après avoir laissé passer quelques secondes à le regarder. Toujours aussi figé de stupeur.

— Ce n'était pas bien difficile de jouer les amnésiques. A chaque fois qu'elle en avait l'occasion, elle venait me raconter comment tu te comportais. Elle faisait de toute façon la même chose avec toi. Rien de plus facile de jouer le jeu avec elle. Elle ne demandait qu'à y croire ! Ça devait lui sembler tellement romantique, ajoute-t-il en riant. Avec Kremer, il fallait être un peu plus concentré. Mais comme chaque petite hésitation pouvait être mise sur le dos de mon amnésie, elle n'y a finalement vu que du feu, elle aussi.

— Mais... tente-t-il d'articuler.

Les mots ne viennent pas. Son esprit est tellement embrouillé. Il est incapable d'aligner deux idées sans que tout se bouscule. Des images, des bribes de conversations viennent interrompre toute tentative de se ressaisir. Rien d'assez précis pour comprendre quoi que ce soit.

— Oh le méchant ! Il faisait semblant d'être amnésique. Il a menti à son cher petit frère et à sa si dévouée infirmière. C'est ça que tu as en tête en ce moment ? Je vois bien ça que tu essaies de comprendre. Tu essaies de recoller les morceaux. Ça n'a pas l'air d'aller, petit frère. Tu veux que j'appelle ta tendre et douce Caroline à ton chevet pour qu'elle t'examine ?

— Que... Que s'est-il passé dans la voiture ?

— Allez, un petit effort petit frère. Ça va te revenir, ajoute-t-il avec un regard noir, sans appel.

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