10. Pécheresse
— Un concerto fantôme ? Ça, c’est bien un coup des jnoun... ils sont experts en illusions de toutes sortes. Normalement, ils préfèrent les temples païens en ruine au milieu du désert, mais pourquoi pas une église orthodoxe...
Finalement, Maelys s’était résolue à appeler Hichem. Et, même à onze heures du soir, il était venu. Il avait chargé une Maelys tremblante de peur sur le boulevard Saint-Germain et l’avait emmenée dans un autre restaurant chinois, pour débattre du problème des jnouns autour d’un cocktail maison au litchi.
— Je suis pas sûre, fit Maelys en attrapant son verre. J’ai peut-être tout rêvé...
— Rêvé ? s’exclama Hichem, levant un sourcil suspicieux. Pourquoi irais-tu rêver une chose pareille ?
Maelys garda le silence. Hichem ne comprenait pas. Pour lui, elle était une victime, une victime de ces êtres malveillants qu’il appelait « jnoun ». Mais il avait complètement évacué le point de départ de l’affaire — les gros godes démoniaques — et fermait les yeux sur l’état psychologique de son amie. Maelys savait qu’il était incapable de la considérer comme une perverse qui fantasmait sur des créatures montées comme des taureaux, car c’était étranger à son système de pensée. Par certains côtés, Hichem était trop innocent. C’était d’ailleurs pour cette raison qu’elle s’était ennuyée au lit avec lui, en dépit de la taille plus qu’honorable de son sexe.
— Je sais pas, conclut-elle finalement. Je pense que j’ai besoin... d’y voir plus clair.
— Le taleb est toujours prêt à t’aider, rappela Hichem sombrement. Il le fera gratuitement.
Maelys releva un œil rapide sur Hichem. Le taleb... elle l’avait oublié, celui-là.
— Je ne vois pas trop quel serait son intérêt...
— Combattre le Mal, tout simplement. C’est un saint homme. Du moins, tel est sa vocation. Et il a déjà affronté Iblis. Il est déterminé à le faire une seconde fois.
Iblis... Combattre le Mal. Le Mâle... Maelys eut du mal à réfréner son sourire.
— Tu sais, Hichem... je commence à me demander si le... (elle hésita) Mal n’est pas plus profond. Et pas dû à une cause extérieure.
— Non, bien sûr, répondit Hichem sans la regarder. Tout cela ne serait jamais arrivé si tu n’avais pas péché.
Maelys lui jeta un regard aigu. Péché... c’était bien la première fois qu’elle entendait Hichem employer un tel mot.
— Justement, reprit-elle en contenant le sentiment de colère qu’elle sentait naître en elle. J’ai acheté ces dildos... OK, ce n’était pas très reluisant, mais de là à parler de péché... bref, passons. Je pense tout de même que j’ai un problème. Mais ce n’est pas un « saint homme » qui m’aidera à le résoudre. Un psy, peut-être.
— Les psys ne peuvent rien contre les jnoun, grinça Hichem.
— Pas sûr. Regarde Tobie Nathan...
— Qui ça ?
— Un psycho-anthropologue qui traite les patients africains qui se croient victimes de forces démoniaques en utilisant leur propre système symbolique. Il parait que ses cures sont très efficaces.
Hichem grommela quelques propos indistincts, mais il n’insista pas. Maelys ne l’avait jamais vu comme ça.
Une fois le repas terminé, il se leva pour payer, empêchant Maelys de régler sa part d’un geste de la main autoritaire. Puis il la raccompagna en voiture à son hôtel. Devant le perron, alors qu’il attendait au volant, prêt à repartir, Maelys se tourna vers lui.
— Tu veux monter ? proposa-t-elle.
Hichem secoua la tête.
— Non. Vaut mieux pas.
Maelys acquiesça en silence. Il avait raison. Il ne valait « mieux pas ».
*
Revenue dans sa chambre, Maelys checka ses réseaux sociaux. Ces derniers temps, accaparée par la Chose ou Baphomet, elle ne le faisait plus. Ce qu’elle y trouva lui fit regretter d’avoir allumé Reusta, qu’elle avait rejoint récemment.
La nouvelle romance démoniaque de Nolwenn Lebiniou ! J’ai craqué pour cette love story mega hot qui sort le mois prochain, et que j’ai eu la chance de recevoir en avant-première.
Une chroniqueuse venait de faire une « story » sur la nouvelle sensation littéraire du moment. Maelys connaissait bien Nolwenn Lebiniou, pour lui avoir envoyé son manuscrit lors d’un appel à relecture gratuite sur Twider. Nolwenn était « éditrice freelance », mais surtout, auteure. Et elle avait tout simplement pompé le scénario du roman que Maelys lui avait envoyé, ce fameux texte refusé quarante mille fois car trop « sulfureux ». Sauf qu’elle, avec ses contacts, en avait fait un truc bankable.
« C’est pas bon, t’en feras jamais rien », lui avait-elle dit avant de lui renvoyer son fichier. Maelys avait remercié, puis avait récupéré son texte pour le retravailler, constatant que Nolwenn n’avait annoté que la première page. C’est normal, avait-elle pensé alors. C’était un service gratuit.
Et quand c’est gratuit... c’est que c’est toi le produit, disait l’adage.
Maelys se laissa retomber sur son lit. De toute façon, elle avait renoncé à ses ambitions littéraires. À toutes ses ambitions, d’ailleurs. Le boulot, les amours... rien n’allait. Et maintenant, elle en était à donner vie à ses fantasmagories...
Le vent d’automne s’engouffra par la fenêtre qu’elle avait laissée ouverte pour éliminer l’odeur de clope persistante. Maelys y jeta un œil morne. En bas, les arbres perdaient leurs dernières feuilles roussies, tendant vers elle des branches crochues comme des doigts. Qu’allait-elle devenir ? À quoi bon continuer ? Elle n’avait plus de prozac, et sans médecin traitant ni mutuelle, impossible de renouveler son ordonnance. Après l’excitation ressentie au début de l’enquête mystère, Maelys avait éprouvé une immense fatigue. Les sollicitations de la rue, le voyage à Genève, puis à Paris... Mais là, pourtant, son cœur battait comme un tambour d’appel béninois. Doum doum... doum doum... un appel sauvage, brûlant de rage et de tristesse, une nuée de fourmis rouges géantes grouillant sur un tibia en sang. C’était ce qui courait dans ses veines, et l’empêcherait, une fois de plus, de trouver le sommeil avant cinq heures du matin. Les grands cernes bleuâtres sur son visage blafard en attestaient.
Les montagnes russes émotionnelles du syndrome bipolaire. Jamais personne n’avait mis de mot sur ce que subissait Maelys. Surtout pas son psy, qui s’était contenté de lui fournir antidépresseurs et anxiolytiques pendant des années. Au fond d’elle, elle était persuadée que c’était tout simplement la « condition humaine ». Ado, elle pensait que ce ne serait qu’une phase. Ça l’avait été, en un sens. Mais c’était revenu. Encore et encore. Et aujourd’hui, les fourmis rouges étaient là. Les plus méchantes, celles qui la rendaient fébrile. Pas comme les noires, qui la faisaient manger et dormir comme un bulldog amorphe.
Maelys se leva. Elle pensa à Cassandre, son amie de la fac, qui, avec le même trouble et une origine sociale plus modeste (Maelys, elle, comptait dans ses ascendants deux pionniers de la psychanalyse), avait fini pendue au bout d’une corde, à peine deux mois plus tôt. Maelys n’avait rien ressenti ce jour-là. La déflagration, elle l’avait eu après, en pleine face, aussi tranchante que les hurlements du père de Cassandre à sa crémation, quand les employés avaient embarqué le cercueil pour le mettre au four.
Non, sur le coup, elle n’avait éprouvé que de l’incompréhension. Pourquoi Cassandre avait-elle fait ça ? Cette conne ! Une dernière mise en scène de la drama queen, comme la fois où elle avait mis en scène son mariage fictif à Oujda, la ville de sa mère, en postant les photos d’elle en mariée sur Face de Bouc. Alors jusqu’au bout, forte de la connaissance de cet épisode cocasse, Maelys avait pensé voir le cercueil s’ouvrir, et Cassandre en sortir, triomphante, un sourire carnassier sur son visage blafard.
Pourquoi ?
Aujourd’hui, attaquée par les fourmis rouges sans aucune pharmacopée pour les arrêter, elle comprenait. Oh oui. Elle comprenait.
En contrebas, le vent faisait doucement bouger les feuilles. En un sens, c’était hypnotisant.
Tu pourrais me rejoindre. Personne ne s’en apercevra.
Cassandre était dans l’arbre, en bas, souriante dans sa robe blanche de mariée. Elle ne portait pas cet affreux jilbeb noir dans lequel elle s’était pendue, comme une ultime provocation envers son malheureux père.
Oui... elle pouvait la rejoindre. Il ne suffisait que de deux pas. Monter sur la fenêtre — ce qu’elle fit —, puis...
— Non. N’y va pas.
Maelys se sentit fermement tirée en arrière. Cette poigne autoritaire sur son bras... Uluvinexëgura, le démon aux tentacules.
— Tu la vois ? chuchota-t-elle, sans oser se retourner.
En contrebas, le regard malicieux et ourlé de khôl de Cassandre l’hypnotisait.
— Bien sûr. Je peux voir toutes les dimensions, les différentes réalités. Ignore-la. Elle erre dans l’entre-deux, désormais.
Maelys détourna la tête à regret. La Chose — pour plus de commodité, elle décida de la renommer Ulu — envahissait toute la pièce de sa présence magnétique, mais même dans l’ombre, Maelys ne pouvait pas le regarder.
— Comment as-tu fait pour...
— M’échapper de la boîte dans laquelle tu m’avais enfermé ? ricana-t-il.
Maelys hocha la tête en se mordant la lèvre. Elle se sentait, bizarrement, un peu coupable. Après tout, Ulu ne faisait que lui rendre service, depuis le début...
— Ta sœur, lâcha-t-il alors. Elle est venue fouiner chez toi. Et elle m’a délivré.
Maelys releva sur lui un regard inquiet. Elle croisant ses yeux de lave un instant, avant de les baisser à nouveau.
— Agathe ? Est-ce qu’elle t’a...
— Essayé ? Non. Elle n’a pas osé. Ta sœur n’a pas ça en elle, ce morceau de noirceur spectral dans le cœur que toi, tu as. Un mini trou noir qui aspire tout... oui, je le sens en toi. Mais elle m’a délivré, et ensuite, le néant qui t’habite m’a attiré vers toi.
— Le néant...
— Assez philosophé, trancha-t-il en la tirant vers lui. Viens. On a du temps à rattraper. Et mon œuf attend d’être arrosé.
— Arrosé ? tenta timidement Maelys.
Mais au fond, elle savait très bien à quoi Ulu faisait référence.
— Nourri. De mon sperme. Allez, allonge-toi sur le lit et écarte les jambes, ou je t’y mets moi-même.
Maelys obéit, secrètement excitée par l’autorité familière dont faisait preuve Ulu. Quelque part, cela lui avait manqué. Baphomet n’était pas mal non plus, mais c’était Ulu, le premier. Le géniteur de cet œuf qu’il avait glissé en elle, et qui la rendait si affamée de sexe démoniaque.
D’une prise ferme et autoritaire, le démon la retourna sur le ventre. Du même mouvement, il soulève sa jupe. Deux coups de griffes bien placés achèvent de la débarrasser de sa culotte tanga, que, pour une fois, elle avait osé plus audacieuse. Maelys laissa échapper un gémissement et relèva son bassin, comme une louve en chaleur. Cette impression d’être totalement dominée, entièrement soumise aux ardeurs incontrôlables et exigeantes d’un mâle puissant... jamais elle ne se serait doutée qu’elle aimerait autant ça. C’est pourtant le cas. Hichem a raison : elle était une pécheresse.
Une claque cuisante retentit sur son fessier droit, puis sur le gauche. Maelys couina de surprise autant que de plaisir. Les mains griffues se posèrent ensuite pour lui pétrir les fesses, tandis que leur propriétaire promènait l’extrémité de son phallus démesuré le long de sa fente humide. Un tentacule vint lui titiller le clito, alors qu’un autre, plus épais, déposait un filet visqueux sur son sillon interfessier. La double-pénétration semble être au programme d’Ulu pour ce soir...
— Vas-y, prends-moi... supplia Maelys, à la torture.
Le rire caverneux du démon résonna sombrement. Maelys savaiit qu’il savourait le pouvoir qu’il avait sur elle. Elle savait également qu’il allait la démonter, la faire hurler au point de réveiller tous les clients qui sommeillaient paisiblement derrière les murs. Cela faisait trop longtemps qu’elle l’avait laissé dans sa boite : il ne serait pas doux, ce soir.
Mais elle s’en foutait. Elle voulait jouir, tout de suite. Tout oublier.
— À ton service, princesse, ironisa la Bête en s’enfonçant dans les replis mouillés et étroits de sa proie.
Maelys laissa échapper un long râle lorsque les monstrueux appendices écartalèrent ses chairs. Submergée par la sensation, sur le fil ténu entre le plaisir et la douleur, elle cambra ses reins, s’offrant plus encore à son mâle. Ce dernier la pénètra lentement, savourant chaque centimètre conquis dans l’antre serré. S’il le voulait, il pourrait loger son tentacule jusqu’au fond de son rectum, et encore plus profond encore... et même le faire ressortir par sa bouche. Cette image en tête, Maelys poussa un gémissement animal. L’extrémité de l’autre tentacule travaille toujours son clitoris... elle sentit qu’elle allait jouir. Si rapidement, c’est presque dommage. Mais Ulu avait d’autres plans pour elle...
Soudain, Maelys se sentit soulevée au-dessus du lit. Les bras en croix, comme une véritable possédée. Les tentacules la ligotaient de toutes parts. L’un d’eux vint même se glisser autour de son cou, tout juste assez lâche pour lui permettre de respirer, glissant lentement jusqu’à sa bouche... où il s’enfonça, l’empêchant ainsi de crier. Un liquide épais et sucré, au goût à la fois étrange et délicieux, inonda son palais, alors que le gland avide du tentacule pesait de toute sa texture charnue sur sa langue.
— Je vais te remplir, murmura-t-il d’une voix rauque à son oreille. Par tous les trous.
Ses genoux furent saisis, largement écartés. Puis elle fut retournée, mise face au miroir pop-art accroché sur le mur en face du lit d’hôtel. Et, pour la première fois, elle vit le démon dans toute sa ténébreuse splendeur.
Il la tenait contre lui les cuisses remontées et ouvertes, largement offerte comme un Christ obscène. Croisés autour de sa taille, ses bras puissants aux muscles saillants l’enserraient en une étreinte possessive. Sa verge violacée et nerveuse était fermement enfoncée en elle, la liant à lui par une profonde connexion charnelle. Maelys aperçut les couilles, énormes et veineuses, gonflées à en exploser. Elle était consciente qu’il ne la laisserait pas partir avant de les avoir complètement vidées dans son ventre, jusqu’à la dernière goutte de semence. Elle allait être baisée toute la nuit.
Sans répit, le démon la fit coulisser le long de sa hampe cruelle, l’empalant plus profondément à chaque poussée. La sueur coulait le long des cuisses ouvertes de Maelys, entre ses seins aux pointes dressées qui ballottaient au gré des va-et-vient vigoureux imposés par le démon, qui, de temps à autre, pinçait un téton rougi entre ses griffes. Le rythme était intense, brutal. Et pourtant, fourrée et ligotée comme un poulet à la broche, Maelys fut submergée par un plaisir si intense qu’il manqua de la faire s’évanouir. Surtout, il lui fit oublier sa vie, et tous ses soucis.
La longue langue du démon quitta sa gueule pleine de crocs pour lécher tendrement sa joue.
— Tu aimes ça, ma belle, observa-t-il, ravi et amusé.
La bouche envahie par l’épais tentacule qui serpente autour de son cou — et qu’il a poussé jusqu’au fond de sa gorge —, Maelys ne pouvait pas répondre. Mais cette remarque du démon n’attendait aucune réponse. C’était un constat. Maelys aimait être violée par ce monstre, et elle se sentait soulagée qu’il l’ait retrouvée sans qu’elle n’ait eu à le rappeler.
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