3 Derrière les portes de Waverly
1961, Louisville, Kentucky
Le docteur Frédérik Swanston était un éminent chercheur dans le domaine des maladies infectieuses. Il avait obtenu un doctorat, validé par ses pairs, sur l'évolution et la propagation des cellules entre différents organismes. Il avait également été membre de l'équipe d'origine qui avait lancé le projet Waverly Hills afin de lutter contre la tuberculose qui sévissait dans la région.
L'histoire de ce lieu chargé d'histoire remonte à 1883, avant que la terrible maladie ne frappe et que le sanatorium n'ouvre ses portes aux malades. À cette époque, un certain Major Thomas H a fait construire sa propriété sur la colline, ainsi qu'une école pour ses filles, car les bâtiments scolaires les plus proches étaient à plusieurs kilomètres de sa maison. La personne chargée de donner les cours avait nommé ce lieu Waverly School en hommage au roman "Waverley".
En 1900, une sinistre maladie, appelée "la peste blanche et noire", a frappé le comté de Jefferson, faisant des ravages. L'État a alors décidé de construire le sanatorium à la place de la maison des Hays. le docteur Swanston a été appelé en Mai 1950 à diriger l'établissement sur recommandation de ses confrères qui estimaient qu'il était l'homme idéal pour ce poste. À cinquante ans, il a donc quitté son New Hampshire natal pour s'installer dans un manoir situé non loin du sanatorium. Sa femme Pénélope était architecte d'intérieur et travaillait sur commande pour de riches propriétaires désireux de refaire l'intérieur de leur maison. Elle a même redécoré l'ensemble du sanatorium, qui paraissait terne à ses yeux. Pénélope souhaitait donner un côté plus chaleureux et convivial à l'établissement afin que les adultes et les enfants, contraints d'y séjourner, s'y sentent bien. Pour Frédérik Swanston, il était plus difficile de quitter la région qui l'avait vu naître, mais sa femme l'avait convaincu que c'était une occasion en or.
— Tu sais que je n'ai pas l'âme d'un chef : je suis un chercheur, je fais des études, des ouvrages, je n'ai jamais dirigé un établissement, avait déclaré Frédérik à sa femme.
— Tu y arrives à merveille avec tes bureaux d'étude, tu feras de même avec le sanatorium, avait répondu Pénélope pour le soutenir.
Pénélope savait toujours trouver les bons mots pour rassurer son entourage. Tous les deux se complétaient à merveille. Frédérik savait quoi dire quand elle était en proie aux doutes. Après plus de vingt ans de mariage, chacun savait trouver les mots et comment faire pour rassurer l'autre.
Ce matin-là, le docteur Frédérik Swanston partit pour le sanatorium avec sa serviette sous le bras. De nombreux habitants du quartier travaillaient au centre en tant qu'infirmières, aides-soignantes ou éducateurs spécialisés. Tous allaient bientôt entendre une mauvaise nouvelle.
Un petit groupe d’hommes et de femmes, élégamment vêtus, attendait devant le grand hall en arborant des visages peu réjouis. Frédérik en reconnut un : l'homme avec qui il s’était entretenu quelques années plus tôt au sujet du poste à pourvoir pour le sanatorium.
— Chers collègues, si je vous ai réunis ce matin, ce n’est pas pour vous annoncer une bonne nouvelle. Vous avez sans doute remarqué la baisse notable, et heureusement, des cas de tuberculose dans la région. Par conséquent, le centre n’a plus lieu d’être. Il coûte cher à l’État, en termes d'organisation, de personnel et de matériel. La direction, avec mon accord également, a décidé de fermer les portes du sanatorium Waverly Hills, et ce à la fin du mois. Je n’ai pas d’informations sur l’avenir du bâtiment, ni sur une possible reconversion. J’attends plus de précisions dans les semaines à venir. Je sais qu’il s’agit d’une terrible nouvelle, d’autant plus que vous vous êtes tous investis dans ce projet, mais malheureusement, je ne suis pas le seul à prendre les décisions.
Le docteur Frédérik ne s’attarda pas. Il lut son bout de papier et quitta le hall accompagné de ses confrères, laissant tout ce monde désemparé. Il se précipita à son bureau sans même prendre le temps de répondre aux nombreuses questions que se posaient ses collègues, qui, avec le temps, étaient devenus des amis. Le sanatorium était une grande famille. Tous les employés s’y sentaient bien, nul ne pouvait dire qu’il n’était pas heureux. Bien sûr, il y avait toujours des tracasseries, des journées compliquées, des patients difficiles, mais tous aimaient leur métier.
Le docteur Swanston était décontenancé. Lui, qui avait tant donné durant toutes ces années pour le centre et l’administration, tombait de bien haut bien qu’il ait validé la décision de la direction. Pour ceux qui le connaissaient intimement, il pouvait se laisser aller à de violentes crises d’agressivité qui contrastaient avec son caractère habituellement calme et réfléchi. En général, il était pondéré et mesuré, et ne s’emportait jamais sans raison. Sa femme, malheureusement, était souvent témoin de ces moments peu glorieux. Il avait l’habitude de jurer comme un charretier et de casser des objets sous le coup de la colère. Dans ces moments-là, il devait rester seul pour contenir la violence qu’il avait refoulée pendant toutes ces années...
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