chapitre 3 dernière partie
*
Lendemain matin, six heures,
Son réveil hurlait dans le salon encore en désordre. Le bruit faisait écho dans la pièce vide, amplifiant le son. Barney, encore endormi et épuisé par le déménagement, se leva avec mollesse en sentant ses lombaires craquer à mesure qu'il se redressait. Tout le monde dans la maison dormait encore : les enfants avaient cours à 10 heures ce matin, et Carole dormait encore sous l'effet des somnifères. Barney pouvait donc profiter du calme pour organiser sa journée sans cri ni agitation.
Tandis qu'il prenait son café avant de se rendre au sanatorium pour y rencontrer un de ses collaborateurs, Barney vit une ombre devant sa fenêtre. Il s'agissait du même homme qui l’avait surpris la veille. Sans perdre une seconde, Barney sortit en trombe afin de le faire fuir.
— Hé, vous ! Que faites-vous dans mon jardin ? hurla Barney, tendu.
— Vous ne devez pas y aller, vous m'entendez, le sanatorium aura votre peau ! Les morts gardent les lieux ! prévint le vieil homme.
Barney, prêt à protéger sa maison et sa famille, repoussa le vieil homme.
— N'approchez plus ma maison ni ma famille, sinon j'appelle la police ! Allez cuver votre vin ailleurs ! vociféra-t-il avec force et conviction.
L'homme aux allures de clochard grommela dans sa barbe et quitta le jardin des Walker.
— Vous allez finir comme tous les autres, murmura le pauvre homme en s'éloignant de la maison.
Le jour se levait à peine, le ciel prenait des tons orangés et jaunâtres. Waverly Hills se voyait de loin, le soleil progressait dans son ombre et lui conférait un air fantastique, hors du temps et par certains aspects, étrange. Huit heures s'affichèrent sur sa montre. Barney prépara ses affaires et quitta la maison en laissant un mot pour ses enfants et Carole :
«Je suis au travail, je reviens ce soir tard. Tout est prêt dans le frigo pour le petit déjeuner et le repas. Bonne journée, je vous aime».
Tout lui paraissait nouveau, beau, différent, comme s'il redécouvrait sa vie. Ce matin-là, il faisait bon, l'air n'était pas humide ni glacial. Barney longea les rues en direction du sanatorium, excité de découvrir son nouveau lieu de travail.
Il arriva enfin au grand portail qui gardait l’entrée. Avec les années, il était totalement rouillé et entouré de plantes grimpantes.
Le portail était toujours entrouvert, comme le soir de la disparition du jeune Baxter, quelques années plus tôt.
— Il va falloir y remédier ! se dit-il à haute voix en tentant de faire bouger l’imposant portail grippé. Un homme en caban gris s’approcha de lui en tenant un épais dossier entre les mains.
— Vous êtes monsieur Walker, le gardien envoyé par l’agence Safe Liberty Corporation ?
— Absolument, c’est donc vous que je dois voir pour la remise des clés et des diverses instructions, en déduit Barney les yeux rivés sur le sanatorium.
— Incroyable bâtiment, n’est-ce pas ! s’exclama son interlocuteur le souffle court. Il y a tout l’historique à la bibliothèque, si vous êtes curieux d’en savoir plus. Bien, passons aux choses sérieuses. Je suis monsieur Finns, représentant du client sur place. Ne pouvant pour le moment se déplacer, je fais office d’interlocuteur. Je ne pense pas avoir besoin de vous rappeler vos tâches : sécuriser un maximum le bâtiment le temps que les travaux commencent. Je peux d’ores et déjà vous dire que ce n’est pas prévu pour cette fin d’année ! Il est estimé au minimum six mois. Mais bien évidemment, cela pourrait être plus ou moins long, tout dépend du client et de l’avancement de son projet. Mais vous devez savoir ce que c’est : les dates dans ce genre de milieu ne sont jamais respectées ! Que puis-je vous dire ?
Monsieur Finns était nerveux, anxieux, comme s’il avait peur de quelque chose. Était-ce le sanatorium qui le mettait mal à l’aise ?
— Puis-je fermer des accès ? Bloquer des portes ? Réparer certains endroits qui me paraissent peu conformes ? J’ai entendu dire que le bâtiment faisait l’objet de visites de jeunes, de squatteurs.
— Oh, ne vous inquiétez pas, ils ne restent jamais bien longtemps ! lança monsieur Finns d’une voix peu assurée. Vous savez, le bâtiment est dans un tel état de délabrement, les nuits sont froides par ici ! Je vous recommanderais donc de prendre vos précautions. Comme vous le voyez, les fenêtres sont pour la plupart cassées.
Barney ne fit pas attention à la première phrase, il se contenta de prendre des notes sur son petit calepin.
— Quelle marge de manœuvre ai-je ? demanda Barney.
— Dans la mesure où le bâtiment est sécurisé et que personne ne squatte ou ne dégrade davantage la structure, vous êtes libre. Les éventuelles dépenses seront bien évidemment prises en charge par le client. Vous devrez me transmettre les factures par courrier. Néanmoins, vous ne devrez en aucun cas altérer la structure du bâtiment ou neutraliser les fenêtres et les accès qui nécessiteraient un renforcement. En revanche, vous pouvez effectuer des travaux mineurs sur les sols et les murs. Le client tient à conserver la structure la plus authentique possible.
— J'ai entendu des histoires sur le sanatorium, des légendes urbaines. Qu'en pensez-vous ? interrogea Barney, curieux.
— Oh ! Vous savez dans ce genre de région, les histoires vont bon train ! Les jeunes inventent des légendes pour se faire peur, mais il n'y a rien de terrifiant. Je ne vous cacherais pas qu'il y a eu de nombreux décès durant le fléau de la tuberculose à l'époque. Mais il n'y a eu ni rites satanistes ni meurtres ! Deux infirmières se sont malheureusement suicidées il y a quelques années, deux femmes fragiles selon les rapports. Mais que voulez-vous, ce sont les aléas de la vie.
Barney, étonné, nota avec attention toutes ces informations. Même s'il ne croyait pas aux esprits et au paranormal, il était intrigué.
— Et voici le sanatorium, annonça Monsieur Finns d'un ton solennel en ouvrant les grandes portes.
Barney scrutait chaque recoin, du sol au plafond. Le hall était imposant, donnant sur deux longs couloirs qui s'étendaient à perte de vue.
— Il va falloir des jours pour tout visiter ! s'exclama Barney, dont l'écho se perdait dans les pièces voisines.
— Attention, il est facile de s'y perdre, méfiez-vous ! Voici un plan de tout le bâtiment et des dépendances. Pas d’autres questions ?
Monsieur Finns tendit la carte des lieux et partit sans attendre. Il ne se retourna pas et pressa le pas pour rejoindre le portail. Barney le regarda partir, perplexe.
— Étrange bonhomme ! Si je dois aller aux toilettes, par exemple ? Encore une fois, je devrai me débrouiller seul !
En arrivant à mi-parcours, monsieur Finns se retourna, comme pour dire adieu une bonne fois pour toutes à Waverly Hills. Les yeux rivés sur l'imposant bâtiment, il aperçut une ombre au quatrième étage. Il ne parvenait pas à la distinguer convenablement ; cela pouvait être un squatteur ou un jeune qui s'amusait. Pourtant, il sentait qu'il s'agissait d'autre chose. Il sentait le regard de cette masse devant la fenêtre. Il disparut dans la rue principale, laissant le sanatorium derrière lui.
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