- Je peux te parler une minute ? m'interroge-t-il, les yeux suppliants.

Je fais signe à Honoré de nous laisser et m'avance à l'extérieur. Le soir est en train de tomber et la lumière mordorée du soleil nous enveloppe dans un halo coruscant. Il y fait encore plus froid et je resserre le châle autour de mes épaules en claquant des dents à m'en faire tomber la mâchoire. Nous avançons de quelques pas dans l'allée et il commence enfin à parler.

- Je.. j'ai rompu avec Hailey, finit-il par lâcher.

C'est une bombe qu'il vient de lâcher. J'ouvre la bouche et la referme plusieurs fois sans réussir à sortir un son quelconque. Je suis abasourdie. En répondant à sa copine, je ne voulais pas attirer la discorde dans leur couple. Ce n'était pas du tout mon but. Je voulais seulement prouver à Hailey que je n'étais pas la fille sans défense qu'elle m'imaginait être, qu'elle ne pouvait pas faire de moi ce qu'elle voulait. Mais visiblement, mon attaque contre Hailey s'est retournée et a transpercée la relation qu'elle avait avec Noah. Alors qu'avant je me réjouissais, maintenant je m'en veux. Par mes agissements, j'ai mis un terme à une histoire qui durait depuis très longtemps.

Voyant que je ne réponds rien, Noah s'autorise à poursuivre.

- Ce n'est pas de ta faute.

Je suis sûre que ce que je pense se lit sur mon visage en gros plan et qu'il a dit ça pour me rassurer. Mais sa phrase tombe à l'eau car je sais que ce n'est pas vrai : c'est moi qui ai semé la discorde entre eux avec mon discours tout à l'heure.

- Je savais déjà depuis quelques temps qu'Hailey n'était pas une fille extraordinaire, et encore moins une référence. Mais je suis quand même resté avec elle. Sans doute parce que je n'aimais pas le changement ou parce que je pensais que je l'aimais, je ne sais pas. Et puis je t'ai rencontrée, toi et ta famille.

La tournure que prend notre discussion ne me plaît pas du tout. Mais son flot de mots débités, influencé par le stress, est tellement important que je n'arrive pas à l'interrompre.

- Tu prends soin de tout le monde sans rien demander en retour. Tu es gentille avec tout le monde. Je ne t'ai jamais vu laisser passer tes problèmes avant ceux de quelqu'un d'autre. Je sais que tu es quelqu'un de bien, Kayla.

Je commence sérieusement à paniquer. Mais je ne peux pas l'arrêter tant il est lancé à grande vitesse. Va-t-il réellement en arriver là ?

- Je t'aime bien. Je crois même que je suis amoureux. Depuis le premier jour.

Il lève un regard débordant d'espoir vers moi. Dans la lumière du soleil couchant, ses pupilles émeraudes brillent d'un éclat nouveau. Dans ma tête, un dilemme fait rage. Je m'imagine m'avancer vers lui et l'embrasser ou reculer de quelques pas, l'air effrayée par ses propos. Mais il ne me faut pas beaucoup de temps pour faire le point sur mes sentiments.

- Tu sais, Noah, commencé-je d'abord hésitante, je t'apprécie beaucoup.

D'un coup, il se renfrogne et son sourire enjoué laisse place à la terreur. Il est pâle comme la mort.

- Tu ne m'aimes pas, c'est ça ?

Ses mots, il les crache presque avec dégoût.

- Je t'adore, tu es super avec les enfants, tu es un super ami, tu...

Un rire amer franchit ses lèvres. Noah ne me laisse pas finir et s'avance à grands pas vers moi. Il glisse sa main contre ma joue et murmure quelques mots tout doucement.

- Je l'ai fait pour toi.

Quoi ? Qu'a-t-il fait pour moi ? Il appuie son front contre le mien.

- J'ai tout fait pour toi.

De là où je suis, je vois très nettement une larme dévaler sa joue, brillante sous les rayons du soleil. Mon cœur se serre quand je pense à la douleur que je suis en train de lui infliger. Dans un dernier acte de bonne conscience, je me penche en avant et dépose un baiser sur ses lèvres. Puis je tourne les talons et rentre dans la maison, le laissant en plan, seul et désemparé.