Chapitre 2 : Premier contact.
Je rompt les amarres entre le module d'atterrissage et le reste du Builder. Avant d'aller voir Kain3MC, je fais pivoter la navette et jette un œil au reste de ma machine pour jauger de son état. L'appareil, pas une première main, a été bien entretenu comme tous les vaisseaux spatiaux de Solingen. Ils sont tous précieux, après tout, vu la lenteur de production des chantiers spatiaux. Simple réseau de barres de métal où sont fixés les containers et le système de propulsion, sa simplicité le rend facile à réparer mais très fragile aux attaques environnementales extérieures. Le champ de force est juste suffisant pour repousser les micro-météorites. À cette distance de la planète il ne devrait pas être percuté par des éléments en orbite, mais je reste inquiet. Au moindre problème, je suis seul et personne ne pourra me venir en aide à moins d'un voyage de plusieurs semaines entre les deux portes spatiales...
La rentrée dans l'atmosphère est assez chaotique. Le module d'atterrissage est, grossièrement, de la forme d'une boîte et n'a donc aucun aérodynamisme. Seuls les propulseurs assurent ma stabilité et je lutte pendant de longues minutes le long de la trajectoire de rentrée pour que la décélération soit suffisante. Je n'ai aucune envie de finir comme un impact de météorite de haute technologie.
L'altitude est bonne. Les alarmes de températures se taisent et j'ouvre les volets couvrant l'unique vitre du cockpit. Un nuage ? La gravité artificielle m'empêche de sentir l'axe pris par le vaisseau et je me fie donc aux instruments pour donner une bonne assiette. Là... Maintenant, la direction de... Oh ? Bon... Je devrais arriver sur position dans deux heures.
C'est drôle quand on y pense. Je me suis déplacé dans le système à une vitesse proche de celle de la lumière mais je me traîne à deux cents kilomètres à l'heure une fois que je suis proche du but.
J'approche de la chaîne de montagne, elle est facile à repérer : les pics les plus hauts dépassent les nuages ! Un vrai miracle que la sonde ait perçu le signal de veille de la MC vu la tempête permanente qui semble agiter Kain 3 et, tout à fait accessoirement, mon anatomie.
Je vois enfin la structure sur mon radar. Elle se trouve juste sous la couche nuageuse et je vais devoir me poser aux instruments. Quelques minutes de stress plus tard, la navette est enfin immobile, me permettant de respirer un coup. C'était la première fois que je pilotais sans être accompagné d'un instructeur et je suis ravi que rien ne soit mal passé. Je regarde par le hublot : la petite plaine artificielle est battue par les vents, de petits cailloux de la taille de grains de sable mitraillent la coque de ma machine et les conditions locales n'ont pas épargnée la structure externe de la MC. Elle a l'air usée. Inquiet, j'enfile mon scaphandre rigide dans le sas de la navette et me prépare à sortir. Garni d'outils variés, de poches profondes et même d'une assistance mécanique primitive, il est difficile de se mouvoir avec quand même vu qu'il est plus pensé pour résister aux éléments que pour le confort.
Vu l'environnement actuel, j'en suis ravi.
Après avoir ouvert la porte du sas je suis accueilli par la brutalité du vent. Il ne secouait ma navette que légèrement, mais je suis bien plus léger que le petit vaisseau. Je boucle donc le mousqueton à un anneau émergeant sur le flanc de ma machine et marche vers le bâtiment en laissant se dévider le câble métallique enroulé dans son box à ma ceinture. Grosse comme une maison individuelle de cadre moyen,cette structure m'est totalement inconnue vu que je n'ai rien vu de tel dans les images d'archive dont je dispose. J'avais pensé à une MC de petit format mais ces dernières sont généralement surmontées d'antennes et de portes de taille moyenne sur chaque flanc. Là, je ne vois qu'un sas standard pour le passage d'un humain et il n'y a pas trace d'une armature qui aurait été un jour dressée sur le toit. Bizarre.
J'arrive à la porte et accroche un second mousqueton avant d'y laisser le reste du câble sur son dérouleur. Utile pour revenir en toute sécurité à la navette. Maintenant la porte... Hourra ! Il y a encore du jus ! Et les boutons répondent ! Obéissant, le sas s'entrouvre en émettant un léger chuintement. Je pousse de toute mes forces,luttant contre les rafales de vent, pour écarter le battant suffisamment afin de me laisser passer. Quelques secondes bien pénibles plus tard, je me retrouve dans un local étroit et obscur, laissant la porte se refermer derrière moi. J'allume les projecteurs intégrés de chaque côté de mon casque et balaie lentement l'intérieur du local.
Alors...
Un sas d'entrée de matière ou SEM comme on les appelle... C'est par là que j'introduirai les minerais récoltés sur les astéroïdes. Un sas de produits finis ou SPF... Taille relativement petite pour les deux éléments. Juste assez grands pour laisser sortir des pièces détachées pour l'entretien courant de la plupart des grosses machines, mais de là à produire ce qu'il faut pour créer une station de raffinage...
L'œuvre d'une vie, hein ?
Je soupire, las de constater que mes pires craintes sont confirmées.
Une interface informatique avec un écran d'une taille étonnante (à peine plus petit que le hublot de mon vaisseau ) se trouve entre les deux sas à matière, accolé à l'énorme machinerie prenant presque toute la place dans la MC. Il y a un clavier en-dessous et je m'en approche tout en manipulant le petit ordinateur intégré au bras gauche de ma combinaison.
Oxygène, azote, autres gaz... Non, l'atmosphère à l'intérieur de la MégaConstruct n'est pas respirable. Malgré le sas que j'ai traversé, la structure n'est pas capable de maintenir une atmosphère viable après des siècles d'inactivité. La composition est bonne mais elle est beaucoup trop ténue : je mourrai étouffé si d'aventure j'ôtais le heaume de mon scaphandre. Après avoir fait quelques pas me voilà devant l'écran.
Que dire ?
Les livres d'histoires sont remplis de phrases héroïques prononcés par des explorateurs intrépides quand enfin ils découvrent ce qu'ils cherchaient pendant toute leur vie. Je suis ingénieur. Je suis devant une MégaConstruct oubliée par la totalité des archives humaines et je suis sur le point de la réactiver.
J'hésite. Puis, je me lance.
Alain : Je m'appelle Alain. Je suis ingénieur du Consortium Solingen. Je suis là pour te réactiver et construire une station de ravitaillement sur la septième planète du système. Je suis le premier humain que tu aies vu depuis des siècles et je suis sûrement le seul que tu verras pendant encore plusieurs années. La tâche sera longue. Rude. Pas gratifiante. Mais il faudra quand même la faire...
Je pousse un profond soupir. C'était ridicule de parler à une machine. Les MégaConstruct sont vraiment comme des imprimantes et partagent avec ces cracheuses de feuilles une absence totale d'inventivité, de capacité de réflexion et d'imagination. Elles ne font que produire ce que l'on commande, n'étant que des outils. Tout ce que je dois espérer c'est que cette MC en particulier ai les plans de production d'une station en mémoire vu que je risque de devoir la modifier si je veux utiliser ceux que j'ai ramené avec moi.
Alain : Pendant tout ce temps, tu sera sans doute ma seule amie. Je veillerai sur toi. Réparerai tout ce que je peux. Les années ont pas dû être tendre avec toi, hein ?
Vu l'atmosphère locale,recouvrir le bâtiment d'un blindage secondaire ne sera pas un luxe.
Alain : Alors... On coopère, d'accord. Je veille sur toi. Tu veilles sur moi.
Alors que je tends la main vers le bouton d'allumage de l'interface de construction la console s'active d'elle-même. L'écran, d'un bleu très profond, s'illumine progressivement. Pas de message de chargement, d'information sur le système informatique ou autre.
Pas normal.
*** : J'accepte votre proposition, ingénieur Alain. Voici ma première contribution à notre coopération : ne remontez pas dans votre navette si vous souhaitez rester en vie.
Pas normal du tout.
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