Chapitre 10 : Le deuxième colon.
Le NT 10 a toujours été considéré comme le niveau de technologie maximal de l'humanité. Tout ce qui est au top, les alliages futuristes, des capteurs pouvant analyser les compositions de gazs à des millions de kilomètres, des propulseurs résumant le voyage entre deux systèmes à une détente juste assez longue pour regarder un film... Bref, la crème de la crème, le meilleur de ce qui peut être extrait des cervelles des plus perchés des scientifiques. Mais on a quand même un niveau 11.
Ce NT n'existe que pour des raisons de classification. Tout ce qui est incompréhensible. Des artefacts extra-terrestres dont la nature réelle nous échappe. Des générateurs à anti-matière qui fonctionnent alors qu'aucune science connue ne peut l'expliquer. Des sondes étranges qui sont recrachées par des trous noirs. Les plus grands progrès technologiques de l'humanité ont eu lieu après avoir trouvé et analysé certaines de ces créations bafouant les mathématiques, les lois de la nature et, dans certains cas, le simple bon sens.
Alain : Comment ?
Catherine : Prototype. Construit sur la base d'un cerveau protonique à auto-optimisation. Officiellement, NT 10. Officieusement, plusieurs de mes composants ne sont pas d'origine humaine.
Alain : Tu en es sûre ?
Catherine : J'ai eu beaucoup de temps pour scanner mon intégrité structurelle après mon atterrissage. Vu ma taille, il m'a fallu près de six mois pour réussir à mettre à l'abri l'intégralité de mon cœur informatique. Les scans poussés pour vérifier l'absence de lésions causés par les conditions météos ont révélées l'existence de plusieurs... boîtes noires.
Alain : C'est peut-être juste des engins de haut niveau NT que tes scanners actuels ne peuvent pas encore analyser ?
Catherine : Hypothèse écartée après huit minutes d'observation. Alain, tu veux vraiment savoir ?
Alain : Je suis assis sur une chaise qui est posée sur le plancher qui est lui-même au-dessus de ton noyau cognitif. Je suis techniquement assis sur tes boîtes noires. Vas-y, parle !
Catherine : Les lois naturelles ne s'appliquent plus dans certaines portions de mon cœur informatique. Le temps a tendance à se comprimer puis se dilater. Des composants se téléportent d'une façon que je n'arrive pour le moment qu'à juger aléatoire. Certaines parties semblent être constituées de simples blocs d'un cristal de composition inconnu mais réagissant aux stimulus électriques comme s'il s'agissait d'une partie d'un cerveau protonique standard. Il y a encore d'autres points étranges mais je n'ai pas les compétences linguistiques pour ne serait-ce que les décrire de façon... convaincante.
Je baisse les yeux, imaginant les trucs totalement fous qui se déroulent à quelques mètres de mes semelles magnétiques.
Alain : Ne le prends pas mal mais... C'est pour ça que tu te définie comme une MégaConstruct NT 11 ? Tu as des plans de construction dans tes banques de mémoires pour des trucs... comment dire...
Catherine : Exotiques ?
Alain : Voilà !
Catherine : Je possède des plans jusqu'au NT 10 mais ils sont liés entre eux.
Alain : Liés ?
Catherine : C'est difficile à expliquer pour un organisme biologique. Cela implique de comprendre des mathématiques chaotiques dont la moitié des théorèmes ne sont exacts que dans des conditions où l'on considère que la loi de la relativité n'a plus cours. Pour faire simple, les plans sont comme complets et incomplets à la fois. Ils réagissent à ma lecture, aux retours d'informations lors de la conception des machines, se modifient par eux-même et influencent d'autres plans de NT supérieurs. J'ai ainsi un répertoire NT 11 dans ma base de données qui était vide jusqu'à ton arrivée. Sauf que depuis que j'ai commencé à travailler avec un humain et à concevoir les premières structures de vie pour ton confort...
Elle hésite. Une IA hésite...
Catherine : Des paquets de données apparaissent dans le répertoire NT 11. Incomplets. J'ai cru à un bug mais ils se régénèrent si je les effaces. Pour parler comme un humain, je vois quelque chose mais c'est comme si c'était la nuit, de loin, de dos et dans le brouillard. Et ces données risquent d'avoir une certaine valeur pour des dictateurs locaux.
Alain : Tu sais quoi... On va mettre le paquet sur la furtivité...
Catherine : Impossible. Situation actuelle du système Kain : Découvert par un consortium industriel du nom de Solingen. A envoyé une sonde hyperluminique. A installé une porte. Quelqu'un finira par venir. Plus qu'une question de temps.
Je sens quelque chose de bizarre dans la vitesse du débit de parole de l'IA nettement plus rapide que d'habitude. Je n'en suis pas sûr mais...
Alain : Tu as... peur ?
Pas de sphère de réflexion mais un long silence.
Catherine : La peur est une construction mathématique dans mes circuits. Elle est essentielle pour assurer ma survie. M'encourage à veiller aux procédures de sécurité.
Alain : Je n'aurais jamais pensé que...
Catherine : Alain ! Je suis une IA ! Une forme de vie synthétique basée sur un hardware. Mais je ne maîtrise pas des parties vitales de ce dernier ! Je ne sais pas ce qui se passe dans mon propre cerveau protonique ! Aucune science ne peut expliquer si mes décisions viennent de calculs logiques basés sur des probabilités vérifiables ou sont influencées par ces boîtes noires totalement opaques qui me parsèment ! J'ai passé plusieurs siècles ici, seule, incapable de me comprendre moi-même.
Alain : Attends je...
Elle ne me laissa pas finir. Visiblement, elle avait un sac à vider depuis longtemps. La suite fut longue, complexe et m'aurait été incompréhensible sans mon cursus scolaire de haut niveau. Pour résumer, elle est traumatisée que son esprit analytique parfait ne le soit peut-être pas. Qu'elle soit faillible par nature. Que ses erreurs peuvent avoir des conséquences graves même si elle tente de les prévenir par de nombreux protocoles de sécurité.
Malgré tous ses efforts, rien n'était garanti. Tout ça à cause des composants NT 11 totalement imprévisibles liés à son processeur cognitif. Pour une entité basée sur la logique mathématique pure c'est ce qu'il y a de plus proche à de la torture.
Catherine : Et arrête de sourire !
Alain : Désolé ! C'est juste que je viens de me rappeler d'un truc qui m'est arrivé pendant mes études ?
Catherine : Un rapport avec ma situation ?
Alain : Hmmm. Oui. On peut dire.
Catherine : En attente de données de confirmation.
Alain : Alors... C'était un camarade de promo. Une vraie tête, capable de calculer les décimales de pi tout en dormant. Tout le monde lui assurait un avenir tout tracé aux services de compatibilité. Puis... Il a tout abandonné.
Catherine : Illogique.
Alain : Pas pour lui. Il a découvert la religion. Incapable de répondre à une question du genre « qu'est ce que l'âme » posée par un prédicateur il a tenté d'utiliser toutes ses connaissances pour faire face à cette interrogation et il a finit par abandonner. Même le NT 6 ne permet pas de confirmer ou d'infirmer l'existence de l'âme.
Catherine reste silencieuse. Je poursuis donc.
Alain : Tu ne sais pas ce qui se passe dans ton unité centrale mais... C'est la même chose pour les humains. On connaît les processus chimiques et biologiques des neurones mais on est totalement incapables de comprendre comment marche réellement notre cerveau. D'où viennent nos idées ? Pourquoi des émotions telles que l'amour ou la colère court-circuitent les esprits les plus pragmatiques et logiques ? Même les clonages les plus élaborés - illégaux il est vrai! - n'ont jamais reproduit le même esprit. La génétique permet de transmettre des traits comme la construction osseuse, les couleurs des cheveux, des yeux... Mais l'esprit... Les capacités... On est tous seuls face au trou noir qu'on a dans la tête.
Toujours du silence. Il n'y a pas de sphère de réflexion, Catherine se contente de m'écouter. Alors que je me creuse la tête pour trouver autre chose à lui dire, une évidence me frappe et je ne peux pas m'empêcher de rire. Visiblement, ça l'a vexée.
Catherine : Ce rire est malvenu. Explication.
Alain : Désolé ! C'est juste que je viens de m'en rendre compte ! La définition d'une IA c'est un programme informatique de type software basé sur un hardware. Sauf que, vu qu'une partie de ton hardware est totalement inclassable et que personne ne peut le comprendre tu sors de la classification des IA !
Catherine : Explication.
Je regarde l'écran avec un large sourire.
Alain : Tu es une forme de vie imprévisible basée sur des processus non contrôlés. Bienvenue parmi les organismes vivants, Catherine.
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