Chapitre16 : Dislocations maxillaires.

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Le capitaine et Cassandra n'ont pas bougé depuis près de trois minutes. Je les comprends, ça m'a fait la même chose la première fois.


Cassandra : Mais... Mais... C'est gigantesque...
Jenkins : C'est... c'est vraiment le travail d'ermites ?


On est tous les trois en tenues pressurisées mais ils ont des combinaisons nettement plus gracieuses que la mienne, tenant de l'habit renforcé avec un heaume pivotant sur un axe autour du cou. Visiblement c'est du matériel militaires mais ils ont retirées les armes avant de sortir de la navette. Pour le voyage vers Kain 3 on a dû attendre les traînards et, en laissant errer mes oreilles sur leur réseau de communication, je me suis rendu compte de la précarité de leur situation. Beaucoup des appareils n'avaient pas été pensés pour un voyage aussi long et certains sont dans un très mauvais état. Ils ont des blessés, des personnes souffrant de malnutrition et même des femmes enceintes ! Les superviseurs de cet exode ont une responsabilité écrasante sur leurs épaules.


Mais, pour le moment, ils sont figés. Bouche bée sur le bord du spatioport, fixant le réseau de barres de renforts qui disparaît au loin. Cet horizon artificiel s'étirant dans toutes les directions les a pétrifiés. Semblant se réveiller, le capitaine fixa les rares structures alentours ressemblant à des bâtiments.


Alain : Ce sont des chaînes de montage. Des essais de décentralisation pour les pièces d'usure. Les logements pour la population sont plus loin.
Jenkins : Loin comment ?
Alain : Il y a un beau réseau de barres de renfort à dix kilomètres. C'est là que ça se trouve.
Jenkins : Dix kil... Quelle est la taille de cette excavation ?!
Alain : Sur l'axe le plus large, environ 250 kilomètres. Pour la profondeur, j'avoue ne pas suivre vu que les puits se creusent au moment où l'on se parle.


Ils baissent les yeux et font deux pas en arrière.


Oui, je compatis totalement.


Alain : Bien. Je vais vous montrer les logements. Suivez-moi.
Cassandra : Une marche sur une telle distance ? La situation des gens en orbite est très...
Alain : On ne va pas utiliser nos jambes.


Je retire alors la bâche couvrant mon nouveau jouet. C'est comme mon rover mais avec six places assises, deux par deux en trois rangées. Il y a même un compartiment faisant office de coffre à l'arrière et les roues sont au bout de bras articulés écartant les pneus de la caisse pour une meilleure stabilité. J'aime beaucoup ce nouveau joujou et c'est la première occasion que j'ai d'emmener quelqu'un. Le soldat s'assieds à mes côtés pendant que la noble s'installe en diagonale derrière moi, comme pour me surveiller. La confiance règne, c'est un bonheur! Je commence à rouler vers le train et mes passagers engagent la conversation.


Cassandra : Comment dois-je vous nommer ?
Alain : Oh, c'est vrai que je ne me suis pas présenté. C'est Alain. Mon poste ici est... disons... qu'on verra ça plus tard.
Cassandra : Vu que votre communauté a accepté que vous négociez en leur nom je ne me risquerai pas à vous sous-estimer mais... Vous n'êtes pas un peu jeune ?
Alain : Je peux retourner ça à...
Jenkins : Soyez poli !
Cassandra : Merci capitaine mais ça ne sera pas nécessaire. Oui, je suis jeune. Fraîchement issue de l'académie impériale. Ma première tâche était de veiller sur un petit système et j'ai pris ces gens sous mon aile. Comme vous pouvez le voir, mes projets de développement ont été stoppés par des événements hors de ma portée.


Malgré son jeune âge sa diction est telle que j'imaginais que parlerait une noble. J'imagine que c'est le résultat de toute une éducation depuis le berceau.


Alain : Alain, issu de l'académie Junes du Consortium Solingen. J'ai énervé quelques personnes haut placées qui m'ont envoyé ici pour mourir sans espoir de ravitaillement. Ça n'a pas marché.
Cassandra : Oh ? Vous avez effectivement fait du... Par tous mes ancêtres, c'est un Maglev ?!


Le train est à présent en vue et je monte tranquillement à l'intérieur par l'unique porte ouverte. Le panneau se referme et l'appareil démarre immédiatement pendant que l'éclairage interne s'allume.


Alain : Bon. On en a pour quelques minutes d'attente.
Jenkins : Pourquoi ?
Alain : Ben pour arriver à...
Jenkins : Pourquoi avoir conçu une structure creuse aussi colossale ? Au point de devoir concevoir un système de transport interne !
Alain : Ben... Ma patronne est douée et elle avait trop de temps devant elle. Quand je me suis rendu compte de l'ampleur des travaux c'était déjà comme ça. Là j'essaie de la calmer un peu mais elle prend ça comme une invitation de creuser la chaîne de montagne d'en face.
Jenkins : Seigneur...
Cassandra : Au moins nous avons une chose de confirmée.
Jenkins : Quoi donc, mademoiselle ?
Cassandra : La place. Il y aura largement de quoi loger des milliers de personnes.
Jenkins : Je serais tout aussi ravi s'il y avait une atmosphère respirable. Hélas...


C'est le gros point noir de notre projet.


En si peu de temps il était impossible de modifier assez l'atmosphère pour la rendre viable. Au début, quand Katherine était arrivée sur Kain 3, elle a suivies les consignes et pressurisée la petite caverne pour l'accueil des visiteurs humains à venir. Mais, entre-temps, l'IA a multiplié le volume de l'espace habitable, percées de nombreuses poches de gaz, produit quelques toxines peu agréables lors de différents process... Le plus grave est qu'elle ai laissé tomber ses efforts de contrôle atmosphérique en ayant compris qu'elle n'aurait jamais d'invités. Résultat : l'air est trop rare et toxique pour s'autoriser une promenade hors d'une combinaison.


Alain : On a mis au point des enceintes pressurisées pour permettre à des gens de vivre. Moi non plus je ne peux pas rester dans mon scaphandre tout le temps.
Cassandra : Vos logements sont aussi à cet endroit ?
Alain : Non.
Cassandra : Oh. La confiance...
Alain : N'est pas encore totale, oui. Je vous rappelle que vous n'avez pas encore rencontré ma patronne.


Le reste du voyage se déroule dans un certain silence à peine troublé par des questions d'ordre technique du soldat. Puis, on arrive à destination. Je sors en marche arrière et n'ai que quelques centaines de mètres à parcourir : Les structures sont déjà visibles, étant situées près de la gare du MagLev. Formant une espèce de village étrange avec les bâtiments identiques disposés sur un damier bien ordonné, son aspect tranche avec le côté chaos organisé des chaînes de production qui compose l'essentiel de mon panorama jusqu'à présent.


Cassandra : Incroyable ! Combien...
Alain : Quarante structures pressurisées. Il s'agit de préfabriqués de colonisation mais ils peuvent durer longtemps si ils sont bien entretenus. Chacun est une unité autonome assurant l'apport en eau, nourriture, soin, etc... pour environ 500 personnes. C'est le mieux qu'on pouvait faire en si peu de temps. On va visiter celui-là.
Jenkins : Plutôt celui-ci.
Je me dirigeais vers le plus proche mais le soldat désigna un bloc plus loin. Intrigué, je me tourne vers lui.
Jenkins : La confiance n'est pas...
Alain : ... totale, je vois. D'accord. Mais ils sont tous dans le même état, hein !


Je conduis donc le rover vers une des portes de garage du bâtiment et patiente quelques instants dans le sas. Une fois dans le vaste garage, je vérifie le taux d'oxygène sur mon ordinateur fixé au bras gauche et constate que l'air est respirable. Après un petit créneau révélant mon manque criant de pratique, je retire mon casque et hume cet atmosphère fraîchement crée. Une vague odeur de fruits de mer je dirai ? Sûrement en lien avec le procédé de purification.


Alain : Parking de trente places. Dix ici et vingt autres un étage plus bas. Il y a un ascenseur à véhicule dans le coin, là. Maintenant, le hall principal.


Nous descendons du rover et je les guide, tel un agent immobilier, à travers les couloirs. Ils n'ont pas retirés leurs casques, eux. On arrive au vaste hall dont le côté vitré donne vers la simili-rue. Espace de vie avec des tables, des chaises, une énorme cafétéria, etc... C'est l'endroit prévu pour être le plus souvent utilisé. En haut des escaliers les cuisines, salles de bains et autres salles d'eau. Plus haut les salles de sport et de soin ainsi que des salles de travail remplies d'ordinateurs. En temps normal, ces pièces servent normalement de centre d'opération pour les colonies et notre petit duo ne leur ont pas encore trouvé d'utilité. Les deux derniers étages sont les logements qui varient entre des dortoirs pour dix personnes et des chambres individuelles assez spacieuses sans pour autant s'approcher de mon duplex monstrueux.


Alain : Il y a aussi dans les caves un stock de nourriture et de produits de première nécessité. On n'a pas eu le temps de remplir les frigos et les armoires.
Cassandra : C'est plus que ce qu'il nous faut. Jenkins ?
Jenkins : Suffisant.


Vous ne pouvez pas me mentir. Même si l'impact de la première découverte de la cavité n'est plus là vous êtes quand même ébranlés. Tant mieux. Catherine et moi on a commencé tout ça avant même que vous ne rassembliez votre flottille devant la porte spatiale. En fait, le dernier bâtiment n'était pas encore fini quand j'ai décollé pour aller à votre rencontre. Le train était tellement rempli de containers de draps que j'ai dû me faufiler pour arriver jusqu'au spatioport ! Ce fut un véritable sprint !


Alain : Bien. Des questions ?


Ce fut la noble qui me mitrailla de questions parfois ridicules comme l'absence de lieux de culte ou de salle de jeux pour enfants en bas âge mais, dans l'ensemble, elle semblait satisfaite que les besoins vitaux soient couverts. Elle est vraiment inquiète des conditions de vie pour les gens patientant en orbite et semble vouloir clore le dossier aussi vite que possible.


Jenkins : Une question. On ne peut rien faire pour la gravité ?
Alain : On n'arrive pas à construire de plancher gravitique. C'est vital ? Je vous avais prévenu de vous habituer lors du voyage jusqu'à Kain 3.
Jenkins : On a des bébés. Des malades. Des femmes enceintes.


Aïe. La tuile. On a oublié ce volet, Catherine et moi. Je réfléchis quelques instants avant de donner ma conclusion.


Alain : Pas le choix. On va rassembler toutes les personnes fragiles dans le même bâtiment et limiter leurs faits et gestes dans des pièces spécifiques. Il va falloir extraire des planchers gravitiques fonctionnels de certains de vos appareils.
Jenkins : Cela les rendra inopérants pour les missions de longues durées ! L'apesanteur est très nocive pour les corps.
Alain : Comme je l'ai dis : pas le choix. On va réfléchir pour le long terme mais, en attendant, si vous voulez transférer les personnes incapables de supporter les 30% supplémentaires de gravité il va falloir mettre en place toute une logistique de confinement.

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