Chapitre 22 : Faire face à sa responsabilité.
Alors que j'observe la projection du plan d'un prototype de char d'exploration (un trésor trouvé dans les valises des ingénieurs de l'empire) il y a comme un bug. Les écrans sont devenus... flous ? En fait, tous ceux de mon poste de travail semblent paniquer et les commandes tactiles n'ont pas d'effets. Après quelques instants je suis forcé de reconnaître que les claviers ne sont pas plus utiles. Je me tourne vers mes collègues du poste de contrôle qui eux aussi semblent batailler avec des commandes ne répondant plus.
Alain : Catherine ? Il y a un problème ?
Catherine : J'ai échoué...
Alain : Catherine ?
Catherine : J'ai échoué... J'ai échoué... J'ai échoué... Échec. Échec. Échec.
Alain : Catherine ?! Qu'est ce qui se passe !?
Catherine : Il est mort. Le citoyen M18651 est mort. Je... Je n'ai pas réussi à...
Je lève les yeux, constatant avec horreur que toute la salle de contrôle m'observe et que la voix erratique de l'IA est le seul son audible dans la pièce, tout le monde retenant son souffle.
Catherine : Système de survie... En ligne. Inefficace. Injections... En ligne. Inefficace. Décharges... Inefficaces. Erreur... Pas de retour biologique. Cardiogramme plat... Je... Je... Échec...
Première à réagir au sein de son équipe, Cassandra se jette sur son poste de travail et tente frénétiquement de contacter quelqu'un.
Cassandra : Hôpital 40 ! Ici la tour de contrôle ! Vous me recevez ?
Alain : Catherine ! Redonne-nous les commandes !
Catherine : Oh... Je... Je... Échec...
Alain : Catherine !
Semblant sortir de sa transe, l'IA réactiva les tables de contrôle, les parasites disparaissant des écrans. Sans un mot, je me lève et marche vers la sortie de la pièce. Les gens qui ne frappent pas leur clavier de façon frénétique me suivent des yeux mais personne ne dit quoi que ce soit. Une fois dehors, la marche jusqu'au bureau fictif de Catherine est faite presque au pas de course et je m'assure que la porte soit bien refermée après mon passage. Derrière son bureau, le corps artificiel est victime de soubresauts incontrôlables.
Alain : Catherine ! Reprends-toi !
Catherine : Je... J'ai échoué... On m'a confiée sa vie. J'ai échoué.
Alain : Catherine ! Respire un grand coup et calme-toi !
Catherine : Je ne peux pas respirer. Pas de fonctions organiques. Calme. Stress. Non-sens informatique.
Obtenir des informations de sa part me pris pas mal de temps et la calmer encore plus. La personne décédée est une de celles qui est arrivée malade à la descente des corvettes. Elle est restée alitée pendant toute sa vie au sein de Kain 3, ne pouvant quitter les salles dotées de planchers gravitiques. Et cet homme a fini par mourir, emporté par la maladie. Il était très malade, mourant même, au moment de son arrivée ici. Mais ça ne compte pas aux yeux de l'IA. Elle voit ça comme un échec.
Catherine : Hypothèse : Laisser tomber toutes les recherches pour se concentrer sur le domaine médical. Augmentation de ses chances de survie : 34 %. C'est un échec. Échec. Échec...
Alain : Catherine ! Il était déjà dans un très sale état en arrivant ici ! Comme tu le dis toi-même, on parle d'augmentation de chance de survie, pas de certitude de survie.
Catherine : Tout n'est que probabilité. Si j'avais lancé il y a trois cents ans toutes les recherches en NT au lieu de m'enterrer il serait vivant. J'ai échoué. Échec. Échec...
Je continue de tenter de la calmer de mon mieux sans résultat quand le corps mécanique se convulsa une fois de plus avant de reprendre doucement sa position habituelle, fixant la porte.
Catherine : Elle est là...
La porte s'ouvrit, laissant la place à Cassandra qui fit quelques pas timides vers le bureau. Elle avait l'air gênée, les yeux hésitants sur les écrans dont bon nombre affichent le cardiogramme plat du pauvre hère décédé un peu plus tôt.
Catherine : Stop.
Obéissante, la jeune femme s'arrêta, l'air toujours aussi troublée.
Cassandra : Madame Catherine...
Catherine : Oui ?
Cassandra : Je tenais à vous remercier.
Catherine : Pardon ?
La noble s'inclina alors doucement devant la création artificielle avant de se redresser, l'air un peu moins hésitante.
Cassandra : J'ai parlé avec le personnel médical. Ils ont observée la défaillance en cascade des organes de ce pauvre homme et n'ont pu que constater son décès. Puis, ils ont perdu le contrôle de toutes les machines. Scanners, injections... Ils ont vu tout l'arsenal médical disponible s'animer sans qu'ils leur aient donné le moindre ordre et s'acharner pour tenter de sauver le...
Catherine : Silence.
Cassandra : Vous avez fait tout votre possible. Je vous remercie.
Catherine : Silence. Et ce n'était pas assez.
Alain : Catherine. Tu n'es pas médecin. Laisse-les s'occuper de...
Catherine : Je suis responsable. De la vie de chaque personne que j'ai acceptée ici. Je n'ai pas réussi à le protéger. Je suis responsable.
Sentant la fragilité dans la voix tordue de l'IA, Cassandra se tourne vers moi, m'appelant silencieusement à continuer mes efforts.
Alain : La mort fait partie du cycle de la vie. Chaque seconde, des gens meurent dans la galaxie. De maladie. De vieillesse. Dans les guerres. Les mines. Ou tout bonnement exécutés après des procès de...
Catherine : Ridicule. Chaque vie compte. Impossible de fabriquer forme de vie humaine artificielle viable ! Un responsable doit veiller sur... C'est un échec.
Cassandra : Madame Catherine je... Non, Catherine. Écoute-moi.
Catherine : Silence.
Cassandra : J'ai été élevée au sein de la cour ducale. Mes camarades de jeu de mon enfance et ceux croisés lors de mon cursus scolaires n'avaient que mépris pour les prolétaires.
Catherine : Silence.
Cassandra : Les militaires jaugent les batailles selon des critères abstraits tels que « a t'il compris qu'il ne faut pas contrarier mon maître ? ». Des nobles élaborent des plans de terreur sur leur population pour s'assurer d'être craints au point de rendre la révolte impossible...
Catherine : Silence.
Cassandra : J'ai été formée pour faire face à la mort. C'est un des aspects les plus terribles de la nature de la noblesse. La mort des autres comme de la sienne.
Catherine : Je... J'ai...
Cassandra : Miss Catherine... Je veux vous aider. Je peux vous aider.
Catherine : ...
Cassandra : Si vous le voulez bien, je...
Catherine : Pas ici. Communication directe par le biais du système de sécurité de vos appartements.
Cassandra : D'accord. J'y vais tout de suite.
Doucement, comme si elle marchait sur de la glace fine au-dessus d'un précipice, la noble sortit de la pièce tout en restant tournée vers la silhouette qui tente de paraître inflexible derrière le bureau. Je pris congé avec elle à mon tour, constatant amèrement que la seule personne qui a une chance de pouvoir redresser l'IA c'est Cassandra.
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