Chapitre 35 : Le cœur de Kaliméris.

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Alain : Alors ? Ça donne quoi ?

Jacques : Ben... J'ai jamais vu ce genre de fermes hydroponiques. Sans parler de ces légumes... Ils sont pas mauvais mais ils mettent franchement trop de temps à pousser...

Alain : Des idées ?

Jacques : Ta mère en a quelques unes. Mais je crois que ta sœur a un mot à te dire à propos des épices.

Alain : Ok. On verra ça ce soir.

Jacques : à ce soir, gamin !

Je m'éloigne de mon père pendant qu'il se concentre sur les rangées de patates. Très simple, travailleur, toujours ravi du peu qu'il a eu, il lui a fallu quand même du temps à s'habituer à la vie sur Kain 3. Il faut dire que les colonies pénitentiaires ne sont pas des havres de paix adeptes de l'épanouissement personnel. Je me doutais que les hauts gradés de Solingen ne diraient jamais la vérité me concernant à ma famille mais de là à les emprisonner...

J'aurais bien confiée la responsabilité des fermes à mon père mais il est ressorti brisé du pénitencier. C'est ma grande sœur qui gère l'approvisionnement en molécules végétales et animales, ravie de la promotion et régnant d'une main de fer sur son petit empire personnel.

Ce sont les hommes que l'on a envoyés avec le Long Shot qui les ont rapportés dans leurs cales. Je leur avais demandé de se renseigner très discrètement sur mes parents au cours de leurs péripéties commerciales au sein de Solingen mais je ne pensais pas qu'ils les trouveraient au premier arrêt. Les colonies pénitentiaires de Solingen contiennent tout ce que les grands ingénieurs considèrent inaptes à la production : syndicalistes, artistes, libres penseurs, etc... Là, ces personnes doivent trimer dur pour avoir droit à de l'oxygène, de la nourriture et un lit pour la nuit. Non-autorisés à posséder le moindre bien physique, ils sont obligés de payer la location de leurs habits. Même comme ça, entre les grèves sauvages, la faible qualité de la production et les révoltes régulières ces établissements sont loin d'être extraordinairement bénéficiaires. Ils étaient donc ravis de se débarrasser de ce surplus de population non-intégrée et de libérer de la place pour les opposants politiques fraîchement révélés. En parcourant la liste des individus « volontaires » pour l'émigration, mes envoyés ont donc retrouvée ma famille.

Pour les autres émigrés, l'intégration de ces individus au passés chargés ne se fit pas sans douleur mais ce fut heureusement sans trop de casse. Ils ont vite compris leur intérêt à bosser vu le cadre en constante amélioration et l'accueil réservé à ceux dotés de dons artistiques. Il y avait même des chanteuses et danseuses dans le premier arrivage ! Depuis, à chaque rotation, un bon millier de nouveaux colons venait grossir nos rangs. Les anciens blocs coloniaux, obsolètes, ont été reconvertis en centres culturels et commerciaux pendant que les habitants sont à présents logés dans d'énormes arcologies pouvant contenir près de mille personnes par unité dans des logements décents. Finalement regroupés par famille, la plupart des habitants ont même des terrasses permettant de profiter de l'air enfin respirable de la colonie !

La cavité de Kain 3 a bien changée.

Pour commencer, on a atteint et solidifié le NT 6 dans tous les domaines. Vu la guerre imminente avec l'Empire Sylvanien, les ingénieurs et le Triumvirat ont admis qu'il valait mieux répartir ce niveau technologique sous toutes ses formes au sein des moindres recoins du système que d'espérer atteindre un niveau suffisant en NT 7 pour déployer du matériel encore plus efficace. De toute façon, avec le NT 6, nous avons déjà un avantage considérable sur la flotte ennemie. Marchant tranquillement en direction du Maglev, j'observe les gens autour de moi. Tous sont habillés avec la combinaison blindée de survie SpanDiv qui est en fait une tenue très moulante ne laissant de libre que les mains et la tête. Et encore, en cas de danger des gants recouvrent automatiquement les extrémités et une bulle de force encapsule la tête. Un purificateur d'air rudimentaire installé au niveau du cou assure une demi-heure de survie même dans le vide spatial. Quelques personnes ont du l'utiliser et toutes le confirme : survie assurée. Depuis, cette tenue est une dotation standard.

Bon... Quand je dis moulant c'est vraiment moulant, hein. Mais personne n'est réellement gêné par ça. Entre les installations médicales proposant de la chirurgie esthétique de haut niveau, la gravité élevée et le taux d'oxygène relativement bas la silhouette des résidents est assez agréable à l'œil en général. Bien entendu, à part les plus narcissiques, la plupart des personnes portent des vêtements par-dessus la combinaison.

Pour les tenues de travail on fonctionne par code couleur : Blanc avec des bords rouge : Médecin. Blanc avec des bords bleus : Scientifique. Bleu : ouvrier électronicien. Gris : Agent de chantier. Bleu à bord vert : Agriculteur de serre. Vert : Militaire... etc. Bien sûr les gens sont libres de s'habiller comme ils le souhaitent dans leur vie de tout les jours du moment qu'ils n'essayent pas de reproduire une tenue officielle en utilisation dans la colonie. Ils profitent donc de cette liberté pour lancer des modes plus ou moins éphémères.

Un groupement d'enfants bruyants un peu plus loin. Je devine déjà qui se trouve au milieu.

Me repérant avec son habilité inhumaine habituelle, Catherine prit congé des bambins avant de marcher droit sur moi. Portant une large cape noire fixée aux épaules garnies de beaux fourreaux dorés, une tenue d'amiral blanche caricaturale finissant par une mini-jupe tout en ayant son épaisse chevelure noire chapeauté par un képi légèrement sur-dimensionné. Elle était le pendant féminin du terrible amiral Wake de Space Ranger Alpha. Vu que c'est toujours la série plébiscitée par les jeunes gens de la station et que cette maudite œuvre de fiction a tant de spin-off, de films et de saisons qu'on ne semble pas un jour en voir la fin, la plupart de la décoration et des machines semblent s'être téléportées hors de l'écran pour envahir nos hangars.

Et je ne parle pas des logements de Catherine qui sont une transposition, au millimètre près, de ceux du héros de la série.

Catherine : Tu es en retard.

Alain : Mon père me parle à nouveau normalement.

Catherine : Oh... Manque de données. Données trouvées. Compris.

Sans en dire davantage, l'IA se mit à marcher à mes côtés, calant son rythme sur le mien. Vu ses manières, son langage et son absence quasi totale de bon sens, je me demande encore comment personne n'a compris sa nature réelle. Certains des nouveaux arrivants, en apprenant qu'elle était la plus haute gradée de la station, se sont rebellés. Ils ne voyaient pas pourquoi ils devraient s'en remettre à quelqu'un qui, visiblement, n'avait pas la lumière à tous les étages.

Ceux qui ont tenté de la maîtriser physiquement ont appris, à leurs dépends, qu'un corps cybernétique de NT 4 encaisse les coups comme une montagne accueille une brise et que deux cents kilos de métal ne se soulèvent pas comme ça.

Ceux qui ont mis son savoir à l'épreuve ont déclaré forfait au bout de quelques heures de cours de construction intensif sur le câblage électrique d'une centrale à plasma.

Depuis, la plupart des résidents la considère comme une curiosité. Capable de vous plier en deux et avec un esprit assez affûté pour émousser des lames dans le meilleur alliage mais une curiosité quand même. Le fait qu'elle partage la passion des plus jeunes pour les séries animées super-héroïques l'a rendue un peu plus humaine à leurs yeux. Ça et ses goûts esthétiques très particuliers.

Le MagLev a changé aussi. Le réseau a plusieurs étages et des embranchements à présent. Si celui du bas reste attibué aux chargements lourds, des escalators et ascenseurs amènent à la plate-forme supérieure pour le véhicule dédié aux passagers. Intégralement vitré, il permet d'admirer la vue pendant le trajet. Enfin, pour le moment ce sont surtout des chantiers qu'on peut voir. Refaire toute la structure interne de la colonie en NT 6 implique aussi de changer tout le châssis en nid d'abeille, les piliers, les murs de contention, les sas... Alimenté par les ressources de la chaîne d'astéroïde, ce chantier colossal et quasi-permanent est un travail peu glorieux mais nécessaire pour assurer la survie de la colonie sur le long terme. Elle est séparée en plusieurs blocs à présent. Le quartier de vie avec les arcologies d'habitations est en position centrale pendant que les usines à MISS, corvettes, chasseurs et vaisseaux sont dispersées près du Front, nouveau nom donné à la falaise percée de nombreuses ouvertures vers l'extérieur. Les fermes, les usines automatisées à petit matériel, le quartier culturel où se tournent les films ainsi que tout ce qui n'est pas vital à l'effort de guerre sont dispersés un peu partout dans l'immense cavité, laissant la tour de commande isolée dans son coin.

Pour tout le monde, c'est le centre névralgique de la MégaConstruct et doit donc rester peu accessible. S'ils savaient que le cœur de la MC se promène actuellement au milieu d'eux, ils auraient une attaque.

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