Chapitre 38 : Qu-Qui lui a appris à négocier?
Deux contre six.
Je me sens bien seul de mon côté de la table avec les cinq gorilles encadrant le type aux lunettes noires. Ils portent aussi des complets vestons mais avec autant d'aisance qu'un boucher arbore un tutu. Leur tenue ordinaire doit comporter plus de motifs camouflage. Et de sang. Goro a une position d'arbitre, assis à la tête de la longue table. La salle est richement décorée, avec suspendus devant les murs, des tapis superbes ornés de motifs géométriques complexes. Il n'a jamais essayé de nous en vendre de ces carpettes. J'aurais bien aimé en avoir un pour mon salon.
Goro : Nous allons à présent...
*** : Un instant. Mes secrétaires ne sont pas encore arrivés.
Goro : De qui est-ce que vous...
La porte s'ouvrit alors, laissant entrer quatre costumes gris supplémentaires. Un seul ressemble à un secrétaire, les autres à des fossoyeurs.
Goro : Vous ne m'avez pas parlé de ces hommes. Ils n'étaient pas sur le manifeste de transbordement de la navette.
*** : Commençons la réunion. Je suis monsieur Lucius Grapor, du consortium Solingen.
Un type avec un nom de famille ? Un haut gradé alors.
Goro : Les autres personnes ne se présentent pas ?
Lucius : Leurs noms n'ont que peu d'importance. Je suis la personne chargée des négociations.
Encore un coup de canif dans la diplomatie. Il ne retient pas ses coups.
Alain : Je suis Alain, maître-ingénieur de la colonie Kaliméris. Je...
Lucius : Vous admettez être Alain, ID HJY-458-TRB-920 ?
Alain : Effectivement, je...
Lucius : Donc, nous pouvons arrêter les négociations ici.
Alain : Pardon ?
Je crois que je préférais quand il ne souriait pas.
Lucius : Vous avez fondée une colonie en usant du matériel Solingen. Légalement, vous avez été envoyé pour construire une raffinerie et cette dernière aurait été une possession du Consortium ayant pour objectif de fluidifier les relations commerciales entre les trois puissances. La fondation de la colonie n'était pas demandée mais peut être acceptable comme une preuve d'excès de zèle. Nous allons rapidement...
Catherine : Vous voulez mourir ?
Ou comment faire perdre dix degré Celsius à une pièce déjà bien froide.
Lucius : Mademoiselle ? Nous n'apprécions pas les menaces.
Catherine : Ce n'est pas à vous que je parlais.
Lucius : Oh ?
Catherine : Monsieur Goro, vous n'avez pas d'hommes à vous dans la pièce ?
Goro : Non, mademoiselle, il n'y a que moi qui fait office d'arbitre dans la dispute territoriale.
Catherine : Et Solingen a ramené dix personnes. Donc ils veulent mourir.
Sans rien dire de plus, Catherine se releva à une vitesse inhumaine, projetant son siège en arrière avec une force telle que le tapis se déchira. Mettant la main à la ceinture, elle en sorti un objet semblable à une longue lampe de poche et, dans le temps qui semblait s'être ralenti, je reconnu avec horreur le cliquètement (bien trop souvent) entendu dans la série Space Ranger Alpha.
L'épée-serpent.
Pivotant avec une grâce de ballerine, Catherine frappa derrière elle d'un coup sec, vif et sans fioriture avant de se remettre dans sa position de départ, la lame repliée dans le manche. Elle stoppa la chute de sa chaise d'une main, reprenant sa posture assise comme si rien ne s'était passé.
Pendant une seconde, le silence régna.
Puis, le bruit d'un déchirement électronique retentit et je vis avec horreur deux silhouettes se matérialiser derrière nos chaises. Vêtus de tenues noires moulantes leur couvrant même le visage, tels des plongeurs marins, ils portent surtout des armes de poings à l'apparence redoutable. Lentement, comme dans un film d'horreur, leurs têtes se détachèrent de leurs corps et basculèrent vers l'arrière. Peu de temps après, le reste de leur anatomie les suivit sur le tapis. Tout le monde restait silencieux, horrifiés par la scène qui s'est déroulée sous leurs yeux.
Catherine : Ils sont venus, armés et furtifs, dans mon dos. Ils voulaient mourir. Vous ne voyez pas d'objections, monsieur Portus ?
Goro : N... Non... Mais... Qui êtes-vous ?
Catherine : Je suis Catherine Truelove, fondatrice de la colonie Kaliméris. Je vais me joindre à cette farce.
Lucius : Une farce ? Mademoiselle, les relations internationales ne sont pas...
Catherine : Vous voulez vous emparer de ma propriété en brandissant la nationalité d'origine de mes colons ? Cela ne ressemble pas à une négociation mais à un prétexte de guerre d'annexion.
Lucius : Hum ! L'ingénieur Alain ici présent s'est rendu dans le système Kain pour...
Catherine : Il est venu à bord d'un vaisseau piégé. Explosifs dans la propulsion, acides rongeant les réservoirs, logiciel de corruption des systèmes logiques... Vous avez déployé beaucoup d'efforts pour le tuer. Mais j'étais là. Monsieur Portus, rappelez moi la législation en cas de tentative de meurtre organisée par un gouvernement ?
Goro : Quelle partie en particulier ?
Catherine : Celle sur la possibilité de demander asile auprès d'un autre gouvernement.
Je ne sais pas à quelle occasion, mais son visage a dû être totalement refait. De ce que je sais, les neomyos de son corps cybernétique actuel ne peuvent pas faire ce genre de rictus méprisant.
Goro : Une législation effectivement courante dans toute la galaxie. Un organisme tiers peut accorder asile à une personne visée par des opérations nocives de la part de son gouvernement. Vous avez des preuves de ce que vous avancez ?
Catherine : Des scans du Builder fourni à Alain par Solingen pris au moment même de son entrée dans le système. Les communications confirmant l'armement des systèmes d'auto-destruction. Tous ces pièges ont été démontés et conservés. Vous n'auriez pas dû utiliser un logiciel propriétaire si vous ne vouliez pas que l'on remonte jusqu'à vous. Oh, le tout est dans les cales du Long Shot si vous voulez vérifier ?
Grapor est soufflé ! Il ne s'était pas attendu à ce que cette femme caricaturale dans sa tenue et son comportement soit aussi pourvue de ressources.
Lucius : Vous... Vous... Mais qui êtes-vous à la fin ?
Catherine : Je l'ai dit. Catherine Truelove. Chef incontestée de Kaliméris.
Lucius : Si vous croyez qu'on va laisser une pirate...
Je détecte du mouvement de la part des associés de monsieur costard gris. Ils avaient été immobiles jusque là, même quand leurs deux collègues ont vu accordé le divorce express de leurs têtes par rapport à leurs corps. Mais ce n'est pas ce qui m'inquiète le plus. Je sens le déplacement d'air plus que je ne vois le mouvement à côté de moi. Catherine se lève à nouveau, propulsée par sa vitesse surhumaine et je sens une chaleur intense se dégager d'elle. Très intense. Un flash lumineux m'aveugle, comme si quelque chose était passé rapidement sur la table, me séparant de mes interlocuteurs un bref instant. Puis, le silence, accompagné par une désagréable odeur de brûlé. Je note alors les traits balafrant la table, des lignes noires dirigées vers les cinq « secrétaires »de l'envoyé de Solingen. Catherine est toujours debout, remettant ses étranges armes à la ceinture.
C'était quoi, ça ? Je ne pense pas que c'était dans la série...
Catherine : Alain ? Conseil : Lève-toi. Risque de blessure par chute.
Le fait d'entendre l'IA me parler avec sa façon mécanique habituelle me réveille et je fais comme elle me le demande. Deux secondes plus tard, la table s'écroule en plusieurs morceaux délimités par les étranges lignes noires. Quand aux "secrétaires"... Beurk... un vrai film d'horreur.
Catherine : Je trouve votre façon de négocier amusante mais coûteuse en vies humaines. Il vous reste quatre personnes à votre service. Souhaitez-vous continuer ?
Choqué, l'envoyé de Solingen regarda autour de lui avant de se reprendre et considérer ses possibilités. Catherine avait décidé d'user de droit pour contrer ses demandes territoriales et de la plus extrême violence pour repousser ses menaces. Et, surtout, elle a fait la preuve d'une efficacité terriblement implacable. Personnellement, elle est une menace impossible à quantifier. Ses armes sont capables de venir à bout des meilleures défenses, ses sens sont assez affûtés pour percer à jour les plus élaborés des camouflages optiques et sa vitesse... Réagir assez rapidement pour abattre cinq gardes sur-entraînés avant que leurs armes n'aient fini de sortir de leurs holsters...
Lucius : Co... comment ?
Catherine : C'est simple. J'ai la vie de tous les habitants de la colonie entre les mains. Je me dois donc d'être aussi forte qu'eux tous réunis.
Annotations
Versions