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Bergamote
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œuvres
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défis réussis
60
"J'aime" reçus
Œuvres
Des mots dits.
À maudire.
La vie tremble.
Chancelle.
Ne pas oublier les souvenirs, les serrer contre soi : ciel bleu et soleil levant. Il aimerait sa mémoire vierge des souillures éructées, éclaboussures meurtrières. Hagard, il est sans voix. L’autre, juché sur sa puissance, dit : « tais-toi ». De derrière le mur, une voix rugit : « disparais ».
L'autre ne sait pas.
L’autre fait mine de ne pas savoir. Ne sait pas toujours. Ne veut pas voir. Pas le temps de comprendre. L’histoire ? Quelle histoire ? menace-t-il.
Les mots pour panser l’impensable lui manquent. Muet, il marche. Pour combien de temps ? Quelques heures ? Un mois ? Sûrement un peu plus.
« Oublie tout et fais avec, dit l’autre, il en sera toujours ainsi. J’ai gagné et tu as perdu. Tout perdu. »
Les mots de la haine font des trous. Des vides inconsolables. Condescendant, l’autre dit : « de toi, je ne veux rien savoir. Ta maison est mienne, ton verger aussi. Tu n’es rien et je suis tout. Tes cris sont inaudibles. Pars. Maintenant. Pars pour cet autre pays qui n’est pas le tien. Que m’importe ton destin, il sera funeste, ici ou ailleurs ».
Longtemps, il a espéré.
Longtemps, il a cru aux promesses.
Certains lui avaient dit : « un jour, peut-être bien des jours, peut-être bien des années, mais un jour… qui sait ? Oui. Un jour… »
Il est là-bas.
Il arpente la minuscule terre. Du nord au sud. Il attend, sous un ciel qui gronde. Il attend, sa mémoire pour unique bagage.
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Défi
Libre ? De quoi ? De qui ?
De lui. D’elle. De tous les autres.
Mensonge.
Ils sont tous là.
Tout le temps.
Me suivent. Me parlent. Un déluge de confidences, de reproches, de rires et de larmes… Je vois leurs grimaces, j’entends leurs messes basses. Dans mes rêves ou cauchemars, aucun ne manque à l’appel.
Seule ? Libre ?
Tous là. Dans chaque bouchée de pain. Dans les traits de mon visage, dans mes cicatrices, dans mes berceuses…
Sans eux ? Jamais.
Seule parmi eux ? Constamment.
Leur brouhaha sature ma solitude. Mais qui suis-je sans eux ?
Suis-je libre, moi qui suis captive d’une fiction qui colle à ma peau ? J’ai pourtant tordu le cou à tous les désirs qui m'enchaînaient. Mais le savent-ils ?
Libre, un tout petit peu.
Enfin, libre de presque tout.
Mais quand le silence éloigne les ombres bavardes, moi, je m’envole vers cet ailleurs de liberté et de solitude : mon imagination, ce panorama grandiose de poésie et d’insolite, de sages aux oreilles éléphantesques et de sorcières aux sourires espiègles.
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Il bredouilla des mots maladroits en heurtant la serveuse. D'un mouvement fébrile, il retira blouson, écharpe et casquette. En se retournant, je vis son visage. Il me salua par un léger sourire tout en laissant glisser sa sacoche sur la table qui jouxtait la mienne. Le regard cerné, il sillonna le mur du fond avant de se figer un court instant sur une grande affiche.
— Elle est nouvelle celle-là ! À l'est d'Eden ! James Dean y est grandiose, sublime ! N’est-ce pas ? Une tête brûlée. Comme moi. Je me suis toujours cogné à la vie. Aucune échappatoire possible.
— S’échapper de la vie ? demandai-je en le fixant.
— Non… m’enfin… Ce que je veux dire, c’est cette impression de piège qui me hante. Une sensation d’étouffement… de vertige parfois. Je n’ai pas le sentiment d’être libre. Rien de ce que je veux n’aboutit… un flop à chaque fois. Pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça, hein ? On ne se connaît même pas…
— Jeanne. Jeanne Andréas.
— Moi, c’est Léo. Je suis un plaintif. Un angoissé de la vie comme dirait mon ami Malo. Il exagère toujours, Malo, mais... Ce salon est suranné avec ses tables baroques et ses tentures bohémiennes, je m’y sens bien pourtant. L’un de mes refuges.
Son regard s’attarda longuement sur moi, peut-être à la recherche d’un signe ou d'une... complicité ?
— Je suis anxieux, poursuivit-il. Tout est compliqué pour moi. C’est depuis ce jour… Que faites-vous ici ?
— Je bois un thé.
Les sourcils froncés, il balisa mes feuillets.
— Vous écrivez ?
— Cela m’arrive.
— Et vous écrivez quoi ?
— Ce qui me passe par la tête, ce que je vois, entends…
— Comme ce que je viens de vous raconter ?
— Peut-être bien.
— Je vous laisse. À bientôt.
— Oui, au revoir... Votre thé ! Vous n'avez pas...
Je le retrouvai quinze jours plus tard, assis à la même table.
— Je vous attendais, s’exclama-t-il en me voyant.
— Ah !
— Oui. Je vous attendais. Besoin de vous parler. En partant d’ici la dernière fois, je me suis senti bien. J’ai bien dormi les jours qui ont suivi. Le sommeil et moi sommes fâchés, il me fuit. À peine emporté qu’il m’abandonne déjà.
— Difficile de rêver dans ce cas.
— J’ai une imagination débordante. Une compensation comme une autre. Il me suffit de fermer les yeux pour laisser libre cours à des univers foisonnants et biscornus. Déjantés, un peu comme mes souvenirs. D’ailleurs, ce sont toujours les mêmes images qui reviennent. Vous arrive-t-il d’écrire vos souvenirs ?
— Souvent.
— Un truc idiot refait régulièrement surface avec des images très nettes. Une saynète qui se répète sans cesse et à laquelle je ne comprends rien. J’aimerais vous la raconter.
— Dites-moi.
— Voilà : Un homme est dans une arène. Il court comme un fou et semble chercher quelque chose. Je ne sais d’où me vient ce souvenir. Je n’ai jamais mis les pieds dans une arène.
— Jamais ?
— Jamais. Et je ne connais pas cet homme.
— Que cherche-t-il ?
— Aucune idée. Bizarre, non ? On dirait une mouche qui bute contre une vitre… elle ne voit pas l’issue juste à côté, elle bute encore et encore… Vous avez écrit depuis la dernière fois ?
— Un peu.
— J’aimerais lire ce que vous écrivez.
— Pourquoi pas un jour.
— J’ai trop parlé, je suis envahissant par moments. Je m’éclipse. Au revoir.
— Au revoir.
Je m’éloignai de chez moi pour un long voyage en Crête. Dès mon retour, je cédai à l’envie de retrouver mes habitudes. La terrasse du Darjeeling était ensoleillée et seuls deux clients lézardaient dans un coin retiré. Il n’était pas loin de seize heures. Observant les camélias s’épanouissant le long du muret, la voix ténue de la serveuse me parvint. Elle me salua en me tendant une enveloppe.
— Monsieur Léo a laissé ceci pour vous.
— Ah…
— Il y a déjà deux semaines, je crois.
Je décachetai fébrilement le pli et découvris un feuillet bleu : « Bonjour Jeanne. Vous ne venez plus. Est-ce à cause de moi ? Me suis-je montré inconvenant ? Bavard, certainement. Que voulez-vous, j’avais envie de vous parler. Je sais, je sais, on ne se connaît pas. Et alors ? Rien n’était prévu, ni calculé. Les mots me sont venus. Pas les mêmes mots qu’il m’arrive d’échanger avec les autres. Non. Je n’ai pas pour habitude de me confier. Mais quand vous êtes là…
J’ai emménagé dans un nouvel appartement, plus ensoleillé et moins bruyant. La vue sur le parc oriental laisse entrevoir les cèdres qui bordent l’entrée sud. Il m’arrive de m’y promener. Surtout le matin, à l’ouverture. Le silence autour du petit lac est apaisant au point de m’oublier au pied d’un vieux séquoia et d’arriver en retard au théâtre. Si j’osais, je vous inviterais… Bien sûr, bien sûr… je devine votre refus. Votre étonnement. Parler avec vous de choses et d’autres me manque. Je vous attendrai au Darjeeling chaque jeudi, aux alentours de dix sept heures. Léo Shaheen ».
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Questionnaire de l'Atelier des auteurs
Pourquoi écrivez-vous ?
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