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Je n'écris pas, je pose des mots.
Mémoire (texte sur scribay)
D'aussi loin que je me souvienne, des lettres. D'Arménie soviétique, d'Ethiopie, d'Argentine le plus souvent. Un alphabet différent de celui que je croisais chaque jour. Des dessins, pour la petite fille que j'étais.
D'aussi loin que je me souvienne, l'écriture n'existait pas sans la lecture. Un rituel. Une lettre, une lecture. Mon père nous réunissait autour de l'unique table et nous donnait des nouvelles de la tante Aroussiak, du cousin Roupen et de la petite cousine Zépur en français, dans un vocabulaire qui reprenait les images poétiques de la langue arménienne. Puis il nous montrait les enveloppes, décrivant la joliesse des timbres. Une joie pour nous les enfants, tout en percevant cette tristesse ambiante, mêlée de nostalgie, omniprésente dans chaque moment heureux.
D'aussi loin que je me souvienne, les histoires se racontaient en famille le plus souvent, le disant partait d'une anecdote réelle et brodait ; alors chacun y allait en surenchère de superlatifs, d'adjectifs. La théâtralisation faisait partie du jeu, ponctuée par des larmes et des rires.
D'aussi loin que je me souvienne, mon père et ma mère nous glissaient des petits mots dans mon cartable et les "Je t'aime, mon trésor" côtoyaient les "Travaille-bien" ou encore les "Etonne-moi".
Mes parents m' ont toujours écrit, que je sois sous leur toit ou ailleurs.
A L'adolescence, je recevais de longues lettres de mon père, où il décrivait son travail, une rencontre et où il glissait toujours quelques vers de sa composition. Son graphisme avait l'élégance et la délicatesse de ses mots. Ma mère, elle, écrivait sur des bouts de papier, qu'elle trouvait ici ou là, elle ne prenait pas la peine de les découper, cette déchirure, je l'ai toujours comprise comme une urgence de dire, dire l'utile, l'essentiel, des petits mots concis qui se termineront, jusqu'à sa mort, par un "Je t'aime mon trésor".
J'ai ouvert mon jardin d'écriture à l'adolescence, en travaillant dans un journal. Comptes-rendus de manifestations, interviews diverses, résumés de lectures où l'écriture devait être précise, concise, incisive. Des années de collège à la fin de mes études, j'ai eu la chance d'avoir de belles correspondances avec quelques professeurs.
Institutrice, je n'ai jamais dissocié l'apprentissage de la lecture de celui de l'écriture. Aujourd'hui, grâce à ce défi, je réalise que la correspondance a toujours été le point d'ancrage de ceux-ci. D'abord en dictée à l'adulte, puis avec des outils construits avec les élèves. Lettres aux proches, brigade poétique. L'écriture, sous forme de signes parfois, a permis à certains enfants, handicapés mentaux, d'entrer dans une expression qui leur était inconnue.
Parallèlement j'ai animé des "ateliers d'écriture" et "des "chantiers d'écriture" auprès de publics très différents.
Dans la famille on n'est pas écrivain. On écrit comme on mange, comme on boit, comme on va au théâtre et au cinéma, comme on écoute de la musique, comme on va au musée, comme on lit, comme on voyage, comme on aime, comme on rencontre. La vie quoi !
D'aussi loin que je me souvienne, mon âme a été nourrie, le terreau étant ces archives brûlées, cette impossibilité à lire sa lignée. L'écriture, des émotions de qui je suis et la trace de mon existence.
Merci à vous de me permettre d'entrer dans vos mondes.
Noem