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AE Le Danlat

France.
Défi
AE Le Danlat
Merci à Charlotte Miller pour ce défi.
Cette initiative est précieuse à la fois pour le lecteur et pour l'auteur.

Je vous encourage à écrire vous aussi sur le site 1lettre1sourire.org, et découvrir cette sensation d'avoir posé des mots qui ont du sens, qui sont utiles, qui ont une valeur.
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AE Le Danlat
Quelle phrase écrite de sa main a vraiment retenu mon attention ?
Impossible de le dire aujourd'hui, tant elles sont nombreuses, les pensées de Virginia Woolf sur le chemin de l'écriture.
Puissiez-vous y trouver le même écho que moi.


Essai sur l'écriture et le processus créatif, basé sur le recueil "Quel soulagement : se dire "J'ai terminé""
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Défi
AE Le Danlat
Quelques mots, pris sur le fil des brisants.
Incomplets, jusqu'au dernier point.
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AE Le Danlat
L’Europe est décarbonée et collectivisée.

Scarlet repêche en mer un étrange paquet qu’elle confie à son ami Jacques. Il disparait avec ses découvertes.

Dans sa quête pour le retrouver, Scarlet est tentée par le vieux monde capitaliste.

Voici l’histoire de son choix.
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AE Le Danlat


Aphalée était une toute jeune reine, mais pas reine encore. Elle avait hérité d'un magnifique royaume, entre bocages et forêts. Cependant, jamais elle ne fut couronnée, car elle avait également hérité d'un chambellan aussi belliqueux que charlatan, aussi avide que mesquin.
Stolas, c'était son nom, avançait toutes les raisons du monde pour ne pas que la jeune Aphalée soit reconnue comme souveraine, la gardant le plus longtemps possible sous sa coupe. Il troqua ainsi tous les attributs du pouvoir royal en échange d'un status quo confortable avec ses voisins.
Tout était pour le mieux, pour Stolas l'impudent, jusqu'à ce qu'une jeune aventurière ne visite sa capitale.
***
Ermina avait suivi tous les chemins qu'elle connaissait, pour en débrouissailler de nouveaux. Ses pas la menèrent ici, dans l'activité brûlante de la ville, au pied du château millénaire posé à même la roche et dominant le fleuve tranquille.
Chaque passant se retournait sur elle. Sa dégaine, peau de loup noire sur les épaules, musette au flanc, avait de quoi intriguer les citadins plus habitués aux capelines de laine fine doublée d'hermine. Ermina ne demandait rien à personne, et flânait en croquant des noix, observant le va-et-vient des marchandises du quai aux péniches, puis aux brouettes à bras.
Quand le soir se mit à tomber, elle avait fait le tour de toutes les ruelles et se cherchait un endroit abrité au pied de la citadelle. Elle s'installa dans une anfractuosité isolée, se couvrit entièrement de sa peau de loup et s'enfonça dans le sommeil.
Au milieu de la nuit, un mouvement l'éveilla brusquement. Une couleuvre à collier se hissait vers son visage. Passé le premier mouvement de surprise, Ermina considéra l'animal : " Qu'y a-t-il donc qui t'amène ici, Cheslé ? " Dans un halo blanc, la fée lui apparut alors sous sa forme humaine : " Oh cela ne me plait guère d'être séparée de la forêt, dit-elle, mais j'ai tant entendu de silencieuses complaintes, qu'il me fallait me rendre compte par moi-même.
- De quelles complaintes parles-tu ?
- De celles de la jeune reine Aphalée, trompée et réduite à une Ombre, privée de ses attributs, seule dans sa chambrée. Si je te montre un passage, irais-tu lui rendre visite ?
- Que pourrais-je tenter que tu ne puisses accomplir, toi qui es bonne fée ?
- Bonne fée sous et par-dessus les frondaisons, force naturelle contre ses esprits maléfiques. Mais ici, je ne peux rien contre les hommes de chair. Si je te montre un passage, irais-tu ?
- Montre-moi. "
De nouveau serpent, Cheslé rampa sur les chaussées pavées, prenant soin d'éviter la garde, Ermina à sa suite. Elles passèrent le confluent des rivières pour se retrouver aux pieds des tours de la citadelle. Là, la couleuvre désigna une fenêtre cassée qu'un grimpeur habile pouvait atteindre au prix de quelques efforts.
" Les appartements de la reine sont à l'étage du dessus, persiffla Cheslé. " Ermina soupira devant l'ascension qui l'attendait. Mais après tout, elle avait gravit de bien plus lisses parois dans ses pérégrinations passées.
Cette nuit de printemps était douce, et seule une petite brise soufflait dans la tresse d'Ermina. Avant de se laisser choir sur le plancher, à l'intérieur, elle risqua un oeil, en devant, puis par derrière elle. Personne en vue, mais quelques voix étouffées lui parvinrent, montant du pied de la tour, et autre chose de plus diffus.
Furtivement, la jeune fille gagna les escaliers en colimaçon, puis se trouva face à une lourde porte de chêne derrière laquelle bruissait une complainte.
Doucement, Ermina tourna la poignée, mais la porte ne bougea pas. Redoublant d'observation, elle avisa une grosse clé suspendue à un clou fiché dans le linteau de la porte. La serrure cliqua, la porte tourna sur ses gonds, et Ermina entra.
Allongée sur son lit, Aphalée la regarda s'approcher, à présent silencieuse. Son visage malade n'exprimait ni surprise ni peur. Elles restèrent toutes deux à se dévisager, l'une dans ses atours de nuit, l'autre dans sa peau de loup noire.
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Défi
AE Le Danlat

Avant cette nuit, cet homme n'était que fantasme, mais voici que la réalité s'est imposée et que, debout au bord du lac, il ôte son caleçon long pour me rejoindre dans l'eau. La lune à demi cachée semble nous juger. Demain, nous descendrons de la montagne. Et demain, il n'y aura plus de complice céleste pour couvrir cette intimité indescriptible.
Son corps dont je découvre les détails trouble des eaux mystérieuses. Mon regard aime à descendre de la courbe de ses épaules à la finesse de sa taille. Je tempère mes mains, presque mal, quand contre moi je sens la chaleur de sa peau dans l'eau froide. Elles aggripent la fermeté de ses fesses, s'appuient sur ses cuisses, pour goûter enfin au fruit de ses lèvres muettes. A la surface, un clapot. A l'intérieur, une houle sauvage.
Cette pulsation m'est familière, qui monte de mon entrejambe vers mes paumes, qui enfonce mes ongles dans la chair de son dos. Je reprends pied, l'invitant à sortir du bain de nature, pour s'enrouler dans mon drap posé sur l'herbe. Je ne sais pas ce que j'attends vraiment de lui, mais à ce moment précis, je souhaite terriblement qu'il refuse. Comment vivre notre avenir avec ce secret ? Comment regarder en face son épouse ? Comment imaginer épouser un autre homme ?
Il me suit. Il est à mes côtés. Je souffle. Nous ne devrions pas, mais nos bouches enflammées demeurent sans voix l'une contre l'autre. Mes doigts courent de ses reins à sa chevelure fournie. Contre mon sein, je sens battre son coeur. Contre mon coeur, je sens la dureté de son désir indompté.
Petit à petit, la turgescence de son vît et la dureté de mes ongles remplacent la douceur des soupirs et la mièvrerie des caresses. Nos langues explorent aussi sûrement que la pulpe de nos doigts. Je m'enivre du poids de nos corps l'un sur l'autre, pour finalement désirer l'accueillir en moi, qu'ensemble nous sentions la force cachée de ma féminité.
Sur sa poitrine de muscles, je m'allonge de tout mon long, pour saisir sa verge et la guider à l'intérieur. Le temps ralentit dans cet instant où nous goûtons la satisfaction de partager une fête longuement attendue. Dressée dans la nuit, j'observe de haut son visage s'animer de plaisir, puis je baise longuement sa bouche.
Lassée de mes propres prouesses, je retrouve le sol herbeux et l'invite à prendre le dessus. Mes doigts explorent habilement le creux de ses fesses. Mes ongles marquent leurs rondeurs tandis qu'il replonge en moi avec empressement. Je profite de son étreinte, lascive ; je m'amuse de sa langue dans mon oreille.
Au terme d'un frisson presque imperceptible, il se retire. Il m'embrasse encore. Ce n'est pas terminé. D'une main, j'enserre son visage, et de l'autre, je flatte sa verge et ses testicules, promenant son gland sur ma vulve. A peine le froid et l'humidité de la nuit nous confondent.
Nul besoin de dire que ce moment ne durera plus. J'en avais presque oublié la réalité du monde autour. Nous nous enfonçons à nouveau dans notre intimité, pour laisser galoper notre jouissance. Il se pourrait que jamais plus nous ne soyions libres tels que nous le sommes cette nuit. Encore un moment, les chevaux de notre volupté galopent follement, labourant une prairie déjà fleurie.
Au paroxisme, il n'est pas question pour moi de risquer un futur scandale. J'esquive sa semence, qui se répand dans la pelouse. En bon amant, il reprend son souffle, puis continue ses caresses. Je me vautre contre lui, dans la chaleur de ses bras, de ses mains qui s'affairent. Je dois lui montrer comment rouler ses doigts sur mon clitoris, mais il apprend vite, et vite deux orgasmes déchirent la nuit.
J'en suis certaine, nos amis savent à présent...

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Défi
AE Le Danlat

Bien avant que les Hommes ne domptent la terre léguée par les dieux, Engrilin habitait la grande rivière aux pierres.
Fils de l'eau et du diamant, issu de la foudre comme toutes les créatures douées de magie, Engrilin grandit au fil de l'eau, tant et si bien que ses migrations, au printemps et à l'automne, faisaient déborder la rivière, inondant autrefois les bois, aujourd'hui les champs et bocages installés par les Hommes.
Animal de dessous les eaux, peu d'entre nous ont eu la chance de l'apercevoir. Ce fut néanmoins le cas pour le jeune Abriel, dont l'histoire nous est parvenue grâce à Delandin.
En ces temps reculés, nous raconte Delandin, Abriel cherchait au tamis les pierres précieuses de la rivière. Le jeune homme était pauvre et comptait beaucoup sur sa récolte du jour pour revendre les pierres polies par les eaux et nourrir sa mère et ses six frères et soeurs. Or, ce jour-là, les rives avaient été ratissées par d'autres chercheurs de trésor, si bien qu'en bordure de rivière, pendant toute la matinée, Abriel ne trouva rien. Il descendit le fil de l'eau, et entreprit de s'éloigner de la berge. De l'eau aux genoux, il mouilla son tamis, sans succès, pendant tout l'après-midi. Le soleil disparaissant vers la mer, Abriel décida de continuer ses recherches, descendit une fois de plus le fil de l'eau, se libéra de ses vêtements et s'enfonça sous les eaux de Stors'elv. De son piolet, il remua le fond de l'eau dans l'obscurité. Sans relâche, des heures durant, jusqu'à ce que la lune se lève, jusqu'à ce que la fatigue l'emporte, jusqu'à ce qu'il tombe inconscient.
Soudain, une lumière l'aveugla, le ramenant de sa torpeur. L'eau froide était d'un bleu pur, irradiée par une lueur inconnue. Faisant surface pour reprendre haleine, Abriel vit bientôt les anneaux d'Engrilin rider la surface du fleuve. Le jeune garçon avait peur, ça oui, mais il resta sur place, battant des mains et des jambes pour se maintenir à flot. Engrilin l'entoura et dressa hors de l'eau son énorme tête de chien. Abriel distingua les crocs luisants, les écailles doublées de fourrure et les pattes palmées acérées de griffes étincelantes.
Le jeune garçon avait peur, ça oui, mais il resta sur place et parla. Et les mots qu'il dit les voici : "Bonsoir au roi des serpents, au roi de la rivière ! Belle nuit et salutations. Mes excuses de troubler votre lit à cette heure. Je cherche quelque pierrerie, que Votre Seigneurie sait foisonner dans ces eaux limpides."
Engrilin se pencha vers le garçon, huma et souffla sur sa tête, puis répondit : "Comme je te vois, tu as le courage. Tu as le travail dur. Tu es un aîné bon, droit et serviable. Apporte-moi demain tes outils de chercheur de pierreries, ton tamis et ton piolet. Tu les jetteras par ici, à cette heure-ci. En échange, je te donnerai un destin."
Pétrifié par la demande du dragon, Abriel répondit : "Ce sont là tout ce que je possède pour nourrir les miens. C'est tout ce que j'ai pour réaliser mon travail. Ces choses me sont très précieuses."
Engrelin lui dit en retournant à l'abîme : "Tu feras comme je dis, ou tu resteras va-nu-pieds au bord de cette rivière."
Abriel rentra chez lui. Sa plus jeune soeur, Oana, l'interrogea sur son aspect et sur son retard. Abriel lui raconta sa rencontre, rapporta ce que le grand serpent lui avait intimé. La soeurette débattu tant et si bien avec son aîné qu'il fut convaincu de s'en remettre à Engrelin.
Au matin, il se remit au travail, comme la veille. Chercha, remua en vain le sable et les cailloux de la rivière. Il descendit et s'enfonça encore dans le courant de Stors'elv. Fourbu, le dos vrillé de se baisser, le souffle court de plonger sans relâche, en pleurs et nu sur la rive, il envoya à l'eau noire ses outils, son tamis et son piolet.
Alors, des abîmes survint la lumière bleutée, puis Engrelin lui apparu à nouveau. De sa patte griffue, il posa devant le garçon une manne tissée d'algues. Il en sortit une énorme perle à la nacre finement colorée, un galet d'ambre gros comme le poing, un rameau de corail rouge, une pièce de jais large comme une paume et une grosse pierre de mellite brute. "Tu les distribueras à tes semblables. Que jamais ils ne les vendent, que jamais ils ne les taillent ni les sertissent. Qu'ils les gardent cachés, qu'ils les transmettent à leurs enfants, aux enfants de leurs enfants. Demain, tu me présenteras ta plus jeune soeur, et alors tu recevras ton bien."
Abriel emporta les présents du dragon, les distribua à ses semblables dans un cortège d'émerveillement. La maisonnée enfin endormie, il veilla avec Oana, débattu à nouveau des instructions laissées par Engrelin. Oana se montra confiante et accepta d'accompagner Abriel à la rivière la nuit suivante.
Debout sur la berge, la main de sa petite soeur glissée dans la sienne, Abriel appela le monstre : "Seigneur dragon, j'amène ma jeune soeur, Oana, comme vous l'avez demandé. Elle est à vrai dire bien petite." Engrelin sortit des eaux lumineuses pour répondre : "Elle est grande à vrai dire. Et plus grande elle sera."
Engrelin tendit à la fillette une aigue-marine ronde et polie à souhait. Oana la contempla un instant en silence, couvée du regard par son frère. Elle sourit, puis sourit au serpent. Et dans ce sourire, les mots qu'elle dit les voici : "Je te suivrai. Je rencontrerai celui qui sait, pour devenir à mon tour celle qui sait. Mon frère, je pars pour un voyage long, lointain. Aie confiance, je te soutiendrai toujours, je veillerai sur nos semblables, et je reviendrai te voir."
Alors, Engrelin posa devant le garçon une manne tissée d'algues. Il en sortit une grande épée, une cuirasse, un bouclier frappé d'un serpent, une bourse pleine d'or et un cheval. "Harnaché de cet attirail, présente-toi demain au Seigneur Iwan. Demande à être formé aux armes, sois volontaire pour l'accompagner dans sa guerre. Tu deviendras un brillant et fidèle compagnon d'armes, un Seigneur à ton tour."
Ainsi, Engrelin emmena Oana. Ainsi, Abriel devint chevalier. Le sort de la fratrie est une autre histoire. Une autre histoire aussi les batailles d'Abriel.
Toujours est-il qu'au crépuscule de sa vie, le Seigneur Abriel demanda à finir ses aventures dans une cabane de bois au bord de la rivière, à l'endroit où Oana l'avait quitté, pour y attendre sa soeur. Au dernier de ses jours vint une femme. Elle se faisait appeler Asrunine. Lui tenant la main, elle lui raconta mille histoires, dont celle du garçon chercheur de pierreries, et l'invita à s'endormir à jamais.
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AE Le Danlat

Cela va-t-il devenir une habitude : je ne suis pas à la maison la veille d'un confinement.
J'effectue une retraite, pas très loin de chez moi, dans des collines provençales aux crêtes plantées de pins. Drapée dans le silence, je n'ai qu'une mission : écrire.
Je suis ici avec pour unique compagnie les personnages que je fais vivre sur le papier. Pendant ce temps, mon époux et ma fille continuent leurs routines respectives, sans moi.
Je rentrerai chez moi samedi prochain, mettant fin à cette parenthèse bienvenue. En soi, le confinement ne changera pas grand' chose dans mon quotidien. J'aurai juste moins de choix dans mes activités de détente entre les sessions de travail.
Dans ma petite maison, assise à mon bureau, drapée dans une couverture, je n'aurai qu'une mission : écrire.

" Reste à poste, les gars, et courage ! "
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AE Le Danlat

Le vieux Delandin m'avait légué ce qu'il savait : les histoires, la magie, la connaissance du monde. Au milieu du Vesturlèn, dans les dernières lueurs du jour, son visage flétri l'était plus encore. De sa voix rauque et éteinte, il me dit :
" Vois-tu, Rorik, demain, dès l'aube, je partirai. Toi, tu iras au Nord trouver l'enfant. Et moi, je prendrai la route de l'Est : celle qui mène à Har Moinn, puis vers la montagne au travers des forêts de l'Austuri. Là, tout comme ceux qui sont devenus les miens, je soulèverai la pierre dressée pour la poser sur mes os, dans le sanctuaire de ceux qui savent.
" Sur ma route solitaire, je n'aurai qu'une compagne et c'est le souvenir de ma longue existence. Comme je voudrais retrouver les sentiments joyeux. Du tréfond de mon chagrin, que puis-je te promettre, mon jeune ami ? "
Nous traversions ce pays de part en part depuis de si nombreuses années que j'en avais perdu le compte. Jamais je ne l'avais vu si mélancolique. Je frémissais de l'imaginer sur les chemins difficiles qui mènent à la source de Stors'elv, mais il était vain de l'en dissuader. Après tout, son pas était encore sûr dans les Fjalls, et son bâton un appui sans faille. " Est-ce là votre dernière leçon ? dis-je simplement. "
Delandin bourra lentement sa pipe usée et noircie, vidant ainsi sa poki. Il en tira plusieurs bouffées, qu'il projeta vers le ciel étoilé.
" Ma dernière leçon ? Tu te souviens, n'est-ce pas, de cette route... Je l'ai arpentée mille fois, vers toutes les Provinces. Cette vie lointaine me paraissait si pleine et importante. Comme je la vois d'ici, après l'avoir racontée, elle me semble vaine et stupide.
" Je voudrais la retrouver, Rorik. Il n'y avait qu'elle pour me pousser à sourire sur cette mauvaise route cahoteuse, où le piéton doit se prémunir de la boue, où le cavalier doit prendre garde à sa monture. Elle était un soleil rayonnant par la porte du château, accueillante avec son sourire, sa main tendue, ses embrassades folles.
" Toi, tu pourras entendre à nouveau mes histoires. Il te suffira de monter au vallon, de trouver la pierre dressée sur mes os. Mais moi, jamais je ne pourrai savoir quelle vie de bonheur ou de malheur ma fille chérie a vécu. Où a-t-elle fuit une fois son époux trépassé ? Quelle joie était-ce d'enfanter ? Il ne me restera d'elle qu'un sourire lointain, des souvenirs délavés, des bouquets de houx et de bruyère sur mon pupitre.
" Vois-tu, Rorik, demain, dès l'aube, je partirai. Je n'aurai pas besoin de lever les yeux sur la campagne autour : mes pieds savent où se poser. Je ne parlerai pas, je ne chanterai rien. Je ne regarderai même pas les couleurs du jour sur les hautes montagnes, ni celles du soir sur la cascade baignant le pied du château. Je les connais par coeur.
" Passant par Kasukalan, je cueillerai à main nue du houx. Je me baisserai une ultime fois pour de la bruyère sauvage. Et quand j'arriverai, je les laisserai s'échapper au vent, tomber au sol où bon leur semble. A Har Moinn, il n'est point de tombes, point de nécropole, même pour les rois, et surtout pas pour les reines. Leurs cendres sont dispersées, envolées, perdues.
" S'il y a une leçon à retenir, c'est que les vivants craignent les histoires que les morts peuvent raconter. Et ils craignent plus encore ceux qui savent les écouter. "
Le tabac fumé, Delandin se tut.
Le lendemain, il prit la route de l'Est, et moi la route du Nord. Encore aujourd'hui je ne peux oublier cette leçon : celle d'un père qui aime sa fille.
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AE Le Danlat
Nous suivons la jeune Sylverine, qui entame son initiation auprès de la vieille Hildrine.
Partant en automne du monastère où la jeune femme s'est enfermée, elles parcourront les terres des Belles Provinces.

Que va découvrir Sylverine sur sa propre origine ? Et qui est vraiment sa mentor ?
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AE Le Danlat


Je voyais notre périple s'achever. Pourtant, nous avions biffurqué. Hildrine faisait un ultime détour avant de prendre la route de la montagne. Certes, je commençais à connaître les forêts ancestrales de l'Austuri, mais j'ignorais où la vieille m'emmenait. Il ne servait à rien de l'interroger. Ma mentor garderait la surprise jusqu'au bout. Après quelques jours à nous nourrir de cueillette et de nos maigres provisions, nous arrivâmes devant une petite ville de province à peine fortifiée, aux portes grandes ouvertes. Sans nous arrêter, nous la contournâmes pour rejoindre la campagne environnante.
Le soleil entamait sa descente lorsque nous quittâmes le chemin cahoteux pour escalader une colline verdoyante au sommet de laquelle demeurait une pierre solitaire polie par les ans. Aucune inscription n'était visible, même à y bien regarder, en-dessous des lichens colorés.
" Chère Bodile, voici une chose rare. Voici la tombe d'un criminel. " J'étais stupéfaite. Les tombes, dans ce royaume, cela n'existait pas. Tous les corps, suppliciés ou décédés, étaient incinérés, réduits en poussière, pour être dispersés dans l'univers et rendus à Kaltkal, le Chaos originel.
" Comment un criminel a-t-il obtenu une scépulture de cette sorte ?
- Je voudrais bien le savoir aussi. A présent, je vais te transmettre l'ultime leçon, et la plus importante. Ici, je vais t'appendre à converser avec les morts. Il suffit d'un fragment de chair momifiée, d'un os intact, pour que leur mémoire puisse s'élever de la terre, pour qui sait écouter.
- Comment dois-je procéder ?
- Il te faut utiliser l'autre regard avec l'autre oeil, sans te servir de l'autre oeil. Quand tu sens l'autre regard dans l'autre oeil, touche la pierre et laisse-toi porter. "
C'étaient là les explications les plus obscures qu'elle m'ait jamais donné. J'utilisais l'autre regard presque chaque semaine, en cette saison, pour soigner hommes et bêtes. L'autre oeil était cousu dans une poche près de ma poitrine. Machinalement, je portai la main à ma coulpe. Touchant la gemme, il me sembla ressentir une peine, lointaine et profonde, mais n'entendis aucune voix.
Combien de temps, combien de tentatives ? La nuit venue, Hildrine s'était enveloppée dans son manteau et dormait sans un bruit. Notre âne, débarrassé de son fardeau, fatigué de notre compagnie, avait pris congé dans le pré voisin. Je me répétai les consignes de la vieille : " Utiliser l'autre regard avec l'autre oeil, sans me servir de l'autre oeil. Puis toucher la pierre. " J'essayai à nouveau, dans la solitude absolue de la campagne. Fermer mes yeux. Plonger dans l'autre regard, y ouvrir l'autre oeil. Basculer. Tendre la main et toucher la pierre. Ouvrir les yeux.
C'était le jour. Je me tournai vers la silhouette près de moi, mais ce n'était pas la vieille. Un jeune homme bien bâti se tenait là. Son vêtement simple et de qualité suggérait un bourgeois, sans doute un marchand. Il me dit : " Merci de me visiter. Il y a fort longtemps que personne n'est venu converser avec moi.
- Ah oui. Quand était-ce la dernière fois ?
- Il y a cinquante hivers de cela. C'était cette femme qui vous accompagne. Elle souhaitait parler à quelqu'un.
- De quoi avez-vous parlé ?
- D'amours contrariées.
- Est-ce par amour que vous êtes devenu un criminel ?
- En quelque sorte. Laissez-moi vous expliquer. "
***
Le solstice d'hiver avait déployé tout son faste. J'avais fermé ma boutique et préparé ma couche à l'avance. Car en cette longue soirée de fête, quel homme sait l'heure à laquelle il dormira. Pour ma part, un désir plus précis me taraudait. Un désir chargé d'interdit. Parmi la foule des fêtards, je rejoignis mes amis, et la plus belle d'entre toutes : Dame Lyenor. Elle habitait à quelques lieues. Son mari gérait un vaste domaine, vendait du bois et du grain. C'était une occasion rare de la rencontrer, de la côtoyer, de jouir de sa conversation.
Elle avait revêtu de magnifiques atours, fines draperies que j'avais personnellement fourni à son époux. Nous étions perdus et perdions le monde autour dans le tourbillon des danses. Puis le mouvement vers la Grand'place pour assister aux Feux nous donna l'opportunité tant attendue.
Le soir complet, la nuit jeune encore, nous nous sommes éclipsés et avons profité de mon lit étonnamment préparé. Elle accepta mes mains sur sa peau. Avança ses lèvres contre les miennes. Antidote au froid mordant les pierres extérieures, nos corps fusionnèrent dans son parfum de fleurs, dans ma toison de jeune homme, dans une simplicité qui nous a confondus. Solstice ou non, elle ne pouvait cependant rester auprès de moi plus longtemps. Avant de sombrer, je rêvais déjà à une réunion prochaine.
Au matin, je fus tiré du lit par de grands coups à ma porte. Je laissai alors entrer l'officier civil et le juge qui se présentaient à moi. " Un homme est mort pendant la nuit, poignardé, dans une ruelle non loin d'ici, annonça l'officier.
- Les témoignages que nous avons recueillis te désignent comme l'assassin, ajouta le juge. Nous venons simplement vérifier qu'il ne s'agit pas de toi. Nous te connaissons bien.
- Où étais-tu une fois les Feux consummés ? "
Si je parlais, je perdais beaucoup. Si je me taisais, je perdais tout.
Quelques semaines plus tard, du haut de l'échaffaud, je la reconnu, dissimulée dans la foule. Elle ne pleurait pas sous son capuchon noir. J'ai tenté de garder vif le souvenir de cette unique nuit pour ne pas voir le visage de la mort. Skelirine m'a montré mon corps remisé avec d'autres, en attendant d'être incinéré, comme le veut l'usage. La mort est restée avec moi pour assister au prélèvement de ma main gauche.
Je ne sais pas qui l'a aidé, mais j'en suis certain, Lyenor a sauvé ma mémoire. Elle est venue chaque hiver, drapée dans un long voile noir, harpenter la colline jusqu'à cette pierre, pour y pleurer ce temps passé. Un temps hors de la vie. Puis, une fois Lyenor éteinte comme les Feux, la mort s'est installée définitivement ici.
Je vous souhaite de vivre cet amour-là, si seulement il vous était possible de ne pas endurer les tourments d'une telle passion.
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L'aube pointait derrière les crêtes herbeuses. Une mélancholie sévère égratignait mon âme. La belle Lyenor avait laissé sur cette tombe tout son chagrin, pour continuer à exister par-delà la mort. Toute sa peine, je la dispersais sur les routes de l'Austuri, la laissant s'envoler aux nues. J'en gardais cependant une trace ténue, la reliant secrètement au souvenir de Brivel.
S'il y avait un amour pour moi, il demeurait dans les yeux vairons derrière les boucles brunes de ce jeune écuyer croisé à Har Moinn.
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AE Le Danlat

Aujourd'hui, mes règles ne sont plus ce qu'elles étaient.
Elles sont toujours rouges et vives, à feu et à sang.
Mais moi, j'ai changé.
Je n'ai pas eu mes règles pendant quinze mois. Je les ai oubliées tout ce temps. Quand elles reviennent, elles me rappellent cette période passée.
Cette période, où j'ai porté, donné et encouragé la vie.

A l'abri, la cavalière du feu s'est développée, fourbissant son attirail, polissant sa cuirasse pour affronter sa première cavalcade au travers de la divine porte.
Choisissant son heure in extremis, elle est descendue des colines de chair pour les déchirer, animale et troublante. Le jour de sa venue, c'était le sang qui enfin s'écoulait, battant à mes tempes fatiguées de douleur ; c'était la flamme propagée dans mes os, dans mes muscles, dans mon âme.
De cette bataille inimaginable, nous sommes toutes deux sorties victorieuses. Entre la cavalière du feu et moi, point de sang, mais mon sein gorgé de lait.

Cette règle de la nature, je ne la regarde plus de haut. Je ne la regarde plus de loin. Cette règle décidée pour toutes les femmes est devenue concrète pour moi. Je la regarde avec bonheur, avec amour : comme je regarde ma fille, comme j'imagine ses frères et soeurs.
Le sang de mes règles sont la vie et le feu.

N.B. : Référence du titre : poème de Pablo Neruda issu de "La centaine d'amour" ("No te quiero, sino porque te quiero...")
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