Sandra Sbaizero
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de toujours
Tout commence une nuit... Les rêves de Paty lui amènent un visiteur inattendu. Sa vie et celle de son entourage s'en trouvera bouleversée, prenant soudain une teinte surnaturelle.
"Passager de la nuit" est un feuilleton que j'avais publié sur mon premier blog. J'aimerais beaucoup travailler de nouveau dessus et en faire un texte plus abouti. Merci à celles et à ceux qui voudront bien me conseiller !
"Passager de la nuit" est un feuilleton que j'avais publié sur mon premier blog. J'aimerais beaucoup travailler de nouveau dessus et en faire un texte plus abouti. Merci à celles et à ceux qui voudront bien me conseiller !
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Il nous appelle au clair de lune et nous le rejoignons au fond des vignes. Mes soeurs me tiennent par la main et m'entraînent jusqu'au grand Bacchus. Il se dresse, silhouette sombre sur le ciel étoilé, son sexe entre les doigts. Je tends mes lèvres vers ce membre majestueux, avide d'en éprouver la chaleur et la douceur... Tout à l'heure, il me prendra avec force, fouillera mon ventre et me donnera cette jouissance qui me ramène toujours à lui.
Pour l'heure, nous nous livrons à des jeux tendres, tout en frôlements et en caresses. Des effleurements qui enflamment nos épidermes, qui affolent nos sens et attisent notre faim du mâle qui nous regarde nous embrasser et nous cajoler comme si nous lui rendions hommage.
Parfois, il se fend d'un geste affectueux envers l'une ou l'autre d'entre nous : ses lèvres s'égarent sur une tempe ou sa langue chatouille un téton. Nous sommes si proches que nous nous en sentons toutes honorées. Pas de jalousie, pas de rivalité pour nous diviser.
Arrive le moment où il entre lui-même dans la danse. Qui n'a jamais ressenti l'enivrement de ce divin amant, ne peut comprendre l'état de transe qui est le nôtre ! Le plaisir nous pénètre, nous soulève, nous enrobe complètement. Nous ne sommes plus femmes de chair, mais déesses de l'amour. Ce n'est plus du sexe, mais de la magie qui nous transporte hors de nous.
Les corps se mêlent, frottements de peau et fluides échangés. L'orgasme jaillit en même temps que nos cris de joie, nos râles de bonheur suant et haletant. Les rayons de la lune nous font étinceler l'espace d'un instant, puis un nuage voile l'astre et le calme revient.
Nous regagnons notre demeure, sages comme des rosières.
Evoé mes soeurs ! La nuit prochaine, le maître reviendra...
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Le palais était plongé dans un silence troublé de chuchotis… Le maître se mourait. Cela n’était pas arrivé depuis sa dernière transhumance cinquante ans auparavant. Il lui fallait une nouvelle incarnation. C’est pour cela que dans l’urgence absolue, s’organisait un tournoi des champions. Les représentants des sept cercles allaient s’affronter et le plus puissant d’entre eux aurait l’insigne honneur d’offrir son corps au maître.
Les combats auraient lieu près du palais, dans les arènes, là où d’ordinaire, on voyait les condamnés à mort lutter pour obtenir d’être graciés. Cette fois, le spectacle serait d’un tout autre niveau. Ceux qui allaient s’opposer étaient les meilleurs guerriers de Hell. Les gradins étaient noirs de monde, le brouhaha indescriptible. Malgré tout, la voix de stentor du gardien des arènes, un gigantesque homme serpent, résonnait par-dessus toutes les têtes.
« Mesdames, messieurs, veuillez accueillir Ash, dite l’archère, championne incontestée du premier cercle. Son bras ne tremble jamais, son œil est d’une précision incroyable et nul ne peut égaler sa rapidité. » Une splendide créature à la peau brune, aux yeux bleus comme les parois d’un glacier, aux longs cheveux blancs, s’avança d’une démarche féline. Elle ignora la foule qui l’acclamait et alla se placer sur la grande estrade dressée pour l’occasion.
« Venu du 2ème cercle, son nom fait trembler les plus braves, voici Torak, le loup garou ! Une masse de muscles, la force à l’état pur : admirez cette carrure, ce regard de tueur ! » Un géant noir monta les marches vers l’estrade, un lourd marteau de guerre posé sur son épaule et qui ne semblait pas peser plus qu’une plume dans sa main. Il eut un sourire fugitif lorsque Ash recula en feulant sur son passage.
« Elle illumine le 3ème cercle de sa beauté, voici Diva la sorcière ! Ne vous fiez pas à son apparente douceur et à son charme, sa puissance vaut celle de l’ami Torak… aucun de ses adversaires n’a jamais survécu. » Une gracieuse demoiselle alla rejoindre les autres candidats, envoyant moult baisers à ses admirateurs qui scandaient son nom.
« Faîtes un triomphe à Sigismond, le vampire du 4ème cercle, seigneur de la nuit, au pas furtif et aux canines acérées. » Personne n’acclama l’homme haut et mince qui se glissa près de ses concurrents en silence, ses yeux rouges couvant les feux secrets de son âme.
« Retenez votre respiration, car voici venir Rudolf le mort vivant, champion du cinquième cercle. Son effluve seule suffirait à tuer un homme ! » Une créature décharnée vint prendre place, traînant une hache derrière elle. N’eut été l’intensité de son regard jaune, nul n’aurait pu soupçonner que la moindre étincelle d’intelligence pouvait l’habiter.
Un nuage vaporeux s’éleva près de Ash qui feula de nouveau et une forme encapuchonnée apparut. « Saluez Mélisia, la nécromancienne , championne du 6ème cercle! Annonça le gardien des arènes. Ceux qui ont vu son visage ne sont plus là pour en parler. »
Beltan, le champion du 7ème cercle fut précédé par les cris et les hourra de ses compatriotes venus pour admirer ses exploits. Il se laissait complaisamment admirer, saluant ses spectateurs, sans jeter un seul regard du côté de l’estrade où l’attendaient les autres champions. Le gardien des arènes le rappela à l’ordre : « Si Beltan veut bien nous rejoindre, le tournoi pourra débuter, dit-il. »
Ils étaient tous là, alignés devant la foule. D’ici quelques heures, l’un d’eux hériterait de l’âme et des pouvoirs du maître de Hell.
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Défi
Bart Holson se pencha sur le corps inerte de l'italien. Il regarda sans émotion la tâche rouge qui s'étirait sur la poitrine de sa victime. Pourquoi aurait-il été troublé d'ailleurs ? C'était un cas de légitime défense et pourtant... Pourtant le détective avait un curieux sentiment. Ce n'était pas du remords ni de la peur. Non, il avait l'impression que quelqu'un le surveillait... Bart haussa les épaules. Aussi furtivement qu'elle était venue, la sensation s'évanouit. Le visage las, le détective alluma une cigarette, enfonça son chapeau sur sa tête et remontant le col de son imperméable, il disparut dans la nuit pluvieuse... Puis le générique de fin s'afficha à l'écran.
Le lieutenant Morris coupa aussitôt l'alimentation. Sur la base spatiale Artémis II, l'électricité était rationnée et il ne restait plus à Morris que deux heures d'autonomie. Après quoi la compagnie lui facturerait un supplément de consommation. L'homme soupira. Son salaire de pilote n'était pas assez élevé pour qu'il se permette ce genre de dépenses futiles. Il s'empara donc d'un digital book, un de ces livres électroniques qu'on trouvait dans toutes les spacio-gares et se plongea dans un bon vieux polar. Il venait à peine d'entamer le premier chapitre que l'écran du visiophone s'alluma. Avisant le logo qui identifiait son correspondant comme étant un membre des armées intercoloniales, Morris prit la communication. Le visage de son supérieur, le capitaine Keaton se matérialisa :
-Lieutenant Morris, dit-il, soyez prêt à décoller dans dix minutes, embarcadère nord. Trois navette de type Gaïa sont entrées dans le périmètre de sécurité et ont refusé de s'identifier. Vous irez à leur rencontre pour un vol de reconnaissance.
-Bien reçu capitaine. J'arrive immédiatement, répondit le lieutenant. Terminé !
L'écran redevint neutre et Morris s'empressa d'enfiler sa combinaison. Il était au comble de l'excitation. Ca faisait plus de deux mois qu'il n'avait pas piloté et encore était-ce juste un vol de routine.... Il était heureux qu'il se passe enfin quelque chose. C'était peut-être sa chance de montre ce qu'il savait faire ! Il fut à l'embarcadère bien avant les dix minutes qu'on lui avait imparties. Il salua le capitaine Keaton et ceux des autres pilotes qui étaient déjà arrivés. Comme le lui avait dit son supérieur, sa mission était simple... Ce qui ne signifiait pas pour autant qu'elle était sans risque. Il ne fallait pas oublier que les navettes Gaïa étaient utilisées par les peuples de nombreuses planètes, dont certains n'étaient même pas humains. Morris frémit à cette idée. Il n'avait encore jamais rencontré de EINH (Entité Intelligente Non humaine)... Dans le fond, c'était une expérience qui le tentait bien. Il se précipita donc dans sa propre navette, un rapide ARES cosmo-turbo et fut le premier à décoller. Les intrus, après avoir pénétré dans le périmètre de sécurité, n'avaient pas cherché à s'approcher davantage de l'ARTEMIS II. Ils s'étaient tout simplement placés en orbite autour de la base et avaient établi un troublant silence radio.
Conformément à la procédure, Morris tenta de les contacter. Sans succès. Il répugnait à l'idée d'ouvrir le feu sur eux, ainsi qu'il l'aurait dû. Aussi décida-t-il d'accoster la navette la plus proche afin de voir à quoi ressemblaient ses occupants. Mais tandis qu'il amorçait la manoeuvre, il fut saisi d'une étrange impression. C'était comme... une présence. Quelque chose ou quelqu'un qui se serait trouvé là avec lui et même à l'intérieur de lui. Quelqu'un qui notait chacun de ses gestes. Le lieutenant Morris soudain se raidit. Son ARES était tout près de la navette Gaïa à présent. Il se pencha sur son cockpit. Devant le hublot de l'appareil voisin, une créature s'agitait. Mon Dieu, c'était....
John se redressa et posa sa plume.Il contempla son oeuvre en silence. Dans la case, sur le papier, la bouche de ce brave lieutenant Morris béait de stupeur. Depuis deux ans maintenant, il dessinait les aventures du pilote. Son dernier album, "Panique sur l'ARTEMIS II" était en rupture de stock. Et lui même s'approchait de plus en plus de la gloire convoitée par tant d'auteurs. Sa vie aurait pu être parfaite s'il n'y avait eu sa petite amie, Carrie. Carrie et ses exigences... Il lui avait tout offert : son temps, son argent, son coeur. Puis il avait voulut lui donner aussi son nom et elle avait refusé. Alors pour la conquérir, il avait travaillé d'arrache-pied. S'il voulait qu'elle l'épouse, il devait atteindre le sommet. Il avait cessé de sortir. Il mangeait peu, ne dormait presque pas. Toute son énergie était focalisée sur son travail. Une clé tourna dans la serrure de la porte d'entrée et Carrie apparut. Elle avait l'air nerveux. John en l'embrassant nota son léger mouvement de recul. Il posa sur elle un regard interrogateur. La jeune femme pâlit.
-C'est fini, murmura-t-elle sans oser lever les yeux sur lui.
-Pardon ? fit-il abasourdi.
-Nous deux... c'est fini, répéta-t-elle en fixant le bout de ses pieds. Tiens, ajouta-telle en lui tendant la clé, je te la rends.
-Mais pourquoi ? s'écria le dessinateur. Qu'est-ce que tu me reproches ?
-Rien, répondit-elle en le regardant enfin. J'ai rencontré quelqu'un d'autre... Je suis désolée.
Anéanti, John la regarda passer la porte et disparaître de sa vie. C'est alors que cela arriva. Une drôle d'impression, le sentiment d'être observé.... comme si quelqu'un était tapi là dans un coin pour l'épier.
Je pose mon stylo et je soupire. C'est bizarre, ces derniers temps je me sens mal à l'aise. Où que je sois, quoi que je fasse, j'ai la sensation qu'on regarde par-dessus mon épaule. Mais le pire, c'est lorsque j'écris, comme en ce moment... comme si quelqu'un lisait les mots qui courent sous ma main.
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Annie se pressait sur le chemin. Elle était en retard. D'ici, elle entendait les autres ouvriers qui s'affairaient déjà dans la mine. La société dans laquelle elle vivait, plaçait le travail au-dessus de toute chose. Elle ne pouvait pas se permettre d'arriver après l'heure. Elle finit le trajet en toute hâte. Heureusement, personne ne lui prêta attention et elle put se faufiler parmi ses collègues. Cela faisait des mois qu'ils creusaient cette nouvelle galerie et plus ils avançaient, plus le travail était exténuant car il fallait faire de plus longs voyages pour déblayer la terre et les pierres. Mais leur équipe était soudée, ce qui leur permettait de tenir le coup. Annie se sentait à l'aise parmi ses collègues. En fait, elle les considérait davantage comme des amis, presque comme une famille. Elle éprouvait du plaisir à être en leur compagnie.
Le gros Bob qui travaillait à ses côtés, tout à coup bascula en arrière, les membres agités de soubresauts. En quelques secondes, il trépassa sans que personne ne puisse lui venir en aide. Ce n'était pas la première fois qu'Annie voyait une telle chose. Depuis quelques jours, c'était le troisième membre de leur équipe qui rendait l'âme de cette façon. Elle contempla avec horreur le corps du malheureux ouvrier qui venait de s'arrêter de bouger. Cette chose recroquevillée sur le sol, ce n'était déjà plus Bob. Elle regarda autour d'elle et vit le reflet de sa propre peur dans les yeux de ses collègues. Une ancienne qui était aussi un peu leur chef, prit les choses en main. Elle fit évacuer le corps de Bob et renvoya chacun et chacune à ses foyers. C'était sans doute la meilleure décision à prendre. Une fois que les autorités auraient investi les lieux, il ne serait de toute façon plus possible de travailler. Annie frissonna en quittant la galerie : qui sait ? Peut-être serait-elle la prochaine à mourir ? A ce rythme, il n'y aurait bientôt plus un seul ouvrier pour faire tourner la société minière...
Une troupe arriva en sens inverse : c'étaient des soldats. Pour qu'on les envoie à la mine, il fallait vraiment que la situation soit grave. Annie s'écarta de leur passage. Elle trouva le bruit de leurs pas quelque peu sinistre, mais peut-être était-ce dû à ce qu'elle venait de vivre. Ils la dépassèrent sans même la regarder. Ce qui n'était pas étonnant d'ailleurs car les soldats ne s'occupaient jamais des ouvriers. Ils formaient une caste à part et ne se mélangeaient pas aux autres. Annie se demanda s'ils étaient sensible à la peur qui avait gagné tout le reste de la colonie. C'était difficile à dire... aucune émotion ne semblait pouvoir transparaître de tels individus. Mais alors qu'elle allait détourner son regard d'eux, un mouvement insolite capta son attention. Un soldat venait de s'effondrer, créant un remous parmi ses camarades. Et soudain, d'autres tombèrent à leur tour : une véritable hécatombe!
Comme Bob, ils se retrouvaient sur le dos, leurs membres battant l'air de manière grotesque. Annie hésita : devait-elle leur porter secours ? Elle décida que non, après tout ce n'était pas ses affaires ! Si ça avait été elle qui s'était effondrée, ils n'auraient sans doute même pas tourné la tête dans sa direction. Elle se dépêcha de quitter les lieux. La panique contaminait toutes les allées. Certains couraient dans tous les sens, d'autres mouraient brusquement et leurs corps, de plus en plus nombreux, encombraient le passage. Etait-ce la fin du monde ? Annie se demanda si les colonies voisines subissaient les même ravages ou si cela ne concernait que la leur. Apparemment, aucune couche de la société n'y échappait : que l'on soit ouvrier ou militaire, l'épidémie frappait de la même façon.
L'ouvrière sentit son coeur se serrer : elle ne voulait pas finir comme ça. Puis elle se morigéna : elle ne devait pas céder à la panique, sinon elle était perdue. Elle aurait du tourner à droite pour rentrer chez elle, mais les cadavres qui jonchaient le sol la dissuadèrent d'y aller. D'où venait ce fléau qui les touchait si cruellement ? Sans savoir pourquoi, elle se mit à courir. C'était stupide bien sûr : elle ne serait pas épargnée pour autant ! Elle traversa au hasard plusieurs allées et partout, elle vit le même spectacle de désolation. Les quelques survivants qui comme elle, erraient à la recherche d'un endroit sain, finissaient eux aussi par succomber, comme frappés par une main invisible. Annie les évita, comme elle évitait de toucher le moindre corps, par crainte d'une contagion.
Les quartiers de la Reine étaient tout proches. Voilà un refuge sûr ! se dit-elle en se demandant vaguement si on la laisserait entrer. Mais là aussi le mal avait fait son chemin... Les gardes qui n'étaient pas morts s'étaient enfuis et un silence lugubre régnait dans les appartements royaux. Mais un son ténu parvint à l'ouvrière, cela venait de loin. Annie traversa plusieurs couloirs avant d'en localiser la source. Allongée sur le dos, aussi misérable que le plus insignifiant des ouvriers, la Reine agonisait. Ses derniers nés, agglutinés autour d'elle n'étaient déjà plus de ce monde. Annie s'approcha d'elle craintivement. Elle se risqua même à la toucher, mais la Reine, toute à sa douleur, ne s'en aperçut même pas. Elle mit plus longtemps que Bob à mourir, mais toute reine qu'elle était, son corps s'immobilisa.
Annie sentit un grand vide l'envahir. Si même la souveraine avait péri, où diable trouverait-elle un asile ? Elle n'eut pas le loisir de s'interroger plus longtemps. Une douleur infernale la renversa et tandis que ses membres, comme mus d'une volonté propre, s'agitaient dans tous les sens, la vie s'échappa de son corps...
Maurice donna un dernier coup de bêche dans la terre et le corps énorme de la Reine apparut, sectionné par la moitié. Saleté de bestioles ! Il les avaient enfin eues... Le type de la société H & Cie qui lui avait vendu ce produit avait raison, le résultat était fulgurant. En sifflotant gaiement, l'insecticide à la main, le jardinier s'en alla exterminer une autre colonie.
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C'est une voix étrangère qui me réveille. Curieux, je suis pourtant certaine de m'être couchée seule hier soir... J'émerge doucement en essayant de comprendre ce qu'elle dit. Bon sang ! J'ai un mal de tête épouvantable et mon estomac a décidé de danser la salsa ! "J'ai faim ! Donne-moi à manger ! Faim ! Faim ! Faim !" Je me redresse d'un seul coup en réprimant la nausée.
Tout tangue un peu, mais ma vue redevient peu à peu normale et je découvre d'où vient la voix... C'est mon chat, Cyrille qui me parle : oui, j'ai un chat qui s'appelle Cyrille. On me l'a offert lors de ma dernière rupture et comme j'étais un peu pompette (une rupture, ça s'arrose), je l'ai appelé comme mon petit voisin dont les jolies fesses me font rêver.
Bref, en m'apercevant que mon chat est soudain doué de la parole, je commence à maudire les copines. Qu'est-ce qu'elles ont bien pu me faire boire ? Est-ce que l'une d'elles a glissé quelque chose dans mon verre ? Cyrille s'impatiente. Il saute sur le lit et me donne des coup de patte :" T'es sourde ? J'ai faim ! Lève tes fesses et nourris-moi !"
Oh merde ! C'est nul un chat qui parle... Je le trouvais plus mignon quand il faisait "miaou !" Je passe ma journée à me dire ça en boucle, car Cyrille est très bavard. Pendant que je lui verse ses croquettes, j'entends ses commentaires : "Radine, va ! C'est quoi cette portion de fillette ? Déjà que tu me prends des croquettes discount... Le chat de la voisine, lui, on le nourrit de steak haché et de poisson blanc !" Je lui réponds du tac au tac : "Le chat de la voisine, il a un pedigree, lui !"
Cyrille boude trente secondes, puis se précipite sur sa ration. "C'est dégueulasse ! fait-il entre deux bouchées. On dirait du rat mort !" Après manger, il file dans sa litière et là encore, il trouve le moyen de discuter :"Hum, que c'est bon et que ça fait du bien.... Je sais que tu m'attends avec ta petite pelle en plastique : ne t'en fais pas, je t'ai laissé de l'ouvrage !" Il sort la queue en panache et je constate qu'il ne m'a pas menti.
Tout pour lui est sujet à palabrer. "Ouvre la fenêtre ! me demande-t-il. Je veux des moineaux, des mignons et délicieux petits moineaux... Laisse-moi sortir ou bien je pisse sur le paillasson ! Dis, tu m'entends ? Puisque c'est ça, je vais te pourrir le canapé..."
Arrivé au soir, je n'en peux plus. Je me couche exténuée, des boules quiès dans les oreilles pour ne plus l'entendre. Après une bonne nuit de sommeil, je les retire, prête à affronter mon tyran à quatre pattes, mais ô bonheur : il miaule de nouveau. Toute contente, je l'accompagne dans la cuisine, mais une voix grave me cloue sur place : "Encore occupée avec ce stupide chat ! Aucune importance : pour la peine, j'ai bouffé tes pantoufles ! " Mon chien Roger (eh oui, j'ai un chien qui s'appelle Roger, comme mon facteur qui a de si jolies... enfin, vous avez compris !) me regarde avec un air de reproche.
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La fée du bitume
C'était un samedi soir et je tenais une cuite d'enfer, m'emmêlant les pinceaux à travers le parking du pub. Il pleuvait. Je voyais les gouttelettes en oblique aux reflets du réverbère. L'alcool m'embrumait les yeux. Sa chaleur m'engourdissait la tête... Je titubais un peu. Je luttais pour rester debout. Ma voiture était à deux pas. J'avais attendu au bar, longtemps. Un bar qui me tenait compagnie, un de ces vieux zincs crasseux, un bazar déprimant de bouteilles à moitié vides, dressées dans la pénombre. Mon verre, je l'avais dans la main. Les glaçons fondaient sur le dessus, noyés dans la whisky. Le barman m'avait poussé lui-même vers la sortie. Il m'avait prévenu avant :
--Monsieur, on ferme !
--Il est complètement beurré ce con là !
Ils étaient bien trois, venus du fond de la salle. Le patron et deux videurs. Ils m'ont secoué, ils ont gueulé. Moi, j'émergeais juste à peine le bout du nez de mon verre., bien léché, comme tout propre... et puis sec avec ça. J'ai bien vu qu'ils me foutaient dehors, presque à me balancer dans la rue. Je suis entré dans le froid. Ca saisissait à vous faire défaillir. Ca pénétrait comme un couteau dans du beurre, à vous retourner l'esprit. Ca vous faisait revenir tout d'un coup à la réalité tellement c'était fort et brusque. Le gasoil, la pisse et le dégueulis et les vieux relents d'alcool que ça sentait, à toute violence... et puis les poubelles qu'on avait pas vidées et puis encore un clochard qui dormait là, dans un coin. Ca vous remuait l'estomac à gerber. Mais je pouvais pas rester là. Je me suis bougé. Je voulais m'approcher de ma voiture, mais il y avait le paysage qui tanguait, les rebords du trottoir en travers du chemin. J'ai enjambé les obstacles et je l'ai rejointe enfin, ma poubelle roulante. Ca a fait un barouf terrible quand j'ai tourné la clé. "Démarre saleté ! Espèce de ruine ! Jamais vu une merde pareille ! Allez, roule cocotte !" Comme j'ai embrayé de travers, toute la bagnole a tremblé. Ca a fait comme un hoquet. J'ai fait plusieurs à-coups et le moteur a râlé. "Tu vas avancer patate !" que j'ai hurlé. Elle s'est traînée un peu. Puis j'ai trouvé la bonne pédale et elle a filé comme une fusée. Elle bouffait les kilomètres. Génial, sauf que je ne savais plus où j'étais. Je baillai un four énorme. Sans lumière, mes paupières se fermaient toutes seules. Pas courageuses pour deux sous. Rideau. Elles se sont fermées pour de bon. Ma tire a crapahuté librement. Droit dans le fossé.
Je me suis tâté les côtes, j'ai fait l'inventaire. Comprenais pas ce qu'il se passait... un accident. J'ai eu du mal à émerger. Mon cerveau était embrumé... puis y avait le froid. Fallait que je sorte de là. Je me suis extirpé péniblement. Juste à côté de moi, sur le bord de la route, un panneau de signalisation, criblé de plombs par les chasseurs ou par des malfaisants, se tenait de guingois. Je m'y suis cramponné un moment et je suis tout de même parvenu à retrouver mon souffle. "Purée ! Plus de caisse ! Bon pour la marche à pied ! Droit devant et advienne que pourra..." La pluie avait tourné au brouillard, à deux mètres on n'y voyait que dalle. Faisait sombre. Je me sentais empoté, j'avais pas envie de rester là. Je me suis mis en route, mais je vacillais sur mes bases. Je me trifouillai les yeux. Je remontai le col de ma veste. Je cherchai mes gants. J'en avais pas. J'ai collé mes mains dans mes poches. J'ai tout de même réussi à avancer. J'étais seul dans la nuit, tout courbé, accablé par la fatigue. Pouvais pas m'arrêter, perdu dans la campagne. Un coup à crever de froid ou à se faire faucher si jamais il passait quelqu'un.
Et puis voilà, juste à l'instant que l'atmosphère a changé ! Paf ! Le brouillard qui se lève. Une lumière est apparue. Pas un réverbère. Pas les phares d'une voiture. C'était verdâtre et comme qui dirait phosphorescent. La trouille m'a tordu les tripes. "Y-a quelqu'un ?" que j'ai demandé. S'il y a eu une réponse, je l'ai pas entendue... que le bruissement du vent. J'ai avancé encore, planqué dans mon veston. Devant moi, sur la route, la lumière brillait de plus en plus fort. Y avait de quoi vous flanquer la frousse à la voir danser au-dessus du sol, effrayant feu-follet égaré. Elle a stoppé d'un coup, à la verticale, juste devant moi, puis elle a plongé sous terre. Je l'avais peut-être rêvée cette loupiote qu'était venue de nulle part. C'était l'effet de l'alcool, semble-t-il. "Merde ! Faut que je trace !" que je me suis gueulé à moi-même. Je voyais pas bien devant moi dans cette obscurité. Y avait trop d'arbres, pas assez d'étoiles pour m'éclairer le chemin. "Scrouitch ! " Ce fut un bruit étrange. J'ai levé le pied. Un vieux chewing-gum était collé à la semelle. J'ai tiré dessus jusqu'à le décrocher. Alors il s'est produit un truc pas normal, un truc d'enfer. Le chewing-gum a rebondi sur le bitume avec ses saletés collées dessus, des cailloux, de l'herbe, de la terre. Il a poussé un terrible cri. "Il est pas net, celui-là !" Une voix très aigüe qui criait à m'en percer les tympans. "Bordel !" que j'ai dit alors.
Je venais d'apercevoir la figure, celle qui allait avec la voix... minuscule, grande comme le doigt. Elle sortait du chewing-gum : une toute petite bonne femme vêtue d'une jupette, avec des ailes dans le dos. Elle remettait de l'ordre dans sa tenue, pas pressée. Moi, je restais planté comme un idiot, figé par la surprise, à la regarder. Y avait de l 'assurance dans ses gestes, de la nonchalance aussi, s'étirant détendue, ses petits pieds battant dans le vide. Elle est venue droit sur moi, un coup d'aile à droite, un coup d'aile à gauche. Paf ! Elle m'a tapé dans le nez. Elle voulait m'dire deux mots. En pleine poire maintenant qu'elle me hurle : "Salaud ! Salaud !" Elle me file un coup de pied dans le pif pour finir. "Là ! Bien fait !" qu'elle dit. Brusquement, elle est contente. Je ne bouge pas. "Je suis la déesse Hermesse !" Elle s'annonce fiérote. Je remue pas plus. C'est une hallucination, à tous les coups. "Eh ! Espèce de branque, j'te parle ! Tu pourrais répondre au moins ! " Et s'en suit une rafale d'injures, de menaces, avec des coups qui pleuvent comme des grêlons. Je pouvais pas bien lui voir les yeux à cette "déesse", à cause du manque de lumière et surtout, elle est trop petite et elle bouge tout le temps, en avant, en arrière, que c'en est épuisant. Elle s'arrête près de mon oreille. Elle m'a chopé une mèche de cheveux. Ca fait mal ! "Réveille toi, allez !" qu'elle dit comme ça. Elle s'est perchée sur mon épaule. Je les vois enfin ses yeux... Bleus qui papillonnent dans tous les sens, mirant ma face comme si elle pouvait lire au travers. Elle a soupiré. "Sûr que t'as foutu un beau merdier ! T'as rien de mieux à faire que de te promener là la nuit ? Non ?" Ca m'a fait sursauter aussi de l'entendre me parler. J'ai pas su quoi répondre, j'ai balbutié comme une andouille : "Désolé, Madame ! Je l'ai pas fait exprès ! C'est un accident, voilà !"Elle a reniflé avec dédain, mais sans quitter son perchoir. "T'as pas grand chose dans le citron toi !"
Ca avait pas l'air de la déranger plus que ça d'ailleurs, vu qu'elle est restée pensive encore quelques instants. Je ne savais pas ce qu'elle méditait, mais elle cogitait dur. "Tu m'as plombé ma planque, alors tu me dois un service !" qu'elle m'annonce soudain. Puis, elle se tourne vers moi et elle ajoute : "T'es pas vernis côté ciboulot, mais je m'en vais t'expliquer deux ou trois petites choses ! Je sais bien ce que tu penses, même si t'as rien dit." Je moufte pas. Je sais pas bien moi, ce que je pense. C'est mieux que je l'écoute. "Tu te dis : elle ressemble pas à une déesse ! J'en suis une pourtant. Enfin, je l'étais. Les grecs; ils m'appelaient Hermès... Des manches en orthographe ! Ah, mais alors, de bons gars ! Bien polis, respectueux... m'avait même bâti des temples ! Après y a eu les romains, ils sont restés un moment... ça s'est gâté à cause de l'Eglise. Des pas belles gueules, ces gens là ! Noirs, austères, affreux ! A force de parler de leur Bon Dieu par ci, de leur Bon Dieu par là, ils ont fini par nous faire oublier. Les empaffés... mais bon, les gens nous appelaient autrement. C'est là qu'on est devenus des fées ! Les fées des bois ! Les fées des fontaines ! Y en a eu des célèbres note bien : les Mélusine, Viviane, Morgane et autres Carabosse ! Et moi là-dedans ? Hein ? Pas un mot sur moi ! Disparue Hermesse ! Envolée des mémoires !" Elle se trémoussait sur mon épaule. J'avais saisi. Elle avait le blues la petite. Ses ailes se sont mises à battre de plus en plus vite. Submergée de pensées fâcheuses, elle avait le verbe qui s'amplifiait. Sa langue claquait comme un petit fouet... des souvenirs qui lui remontaient tout soudain. "Et la fée lumière? La fée lumière ! Tu la connais celle-là ? En voilà une qui a toujours su tirer son épingle du jeu ! Une fûtée... En Grèce, c'était Hêmera qu'on la nommait ! La déesse de la lumière. Tu parles d'une allumeuse ! Elle a jamais rien fait briller d'autre que les écus... c'est Apollon en vérité qui se tapait tout le boulot ! Pourtant, on en parle encore de cette gourde là !" Elle se tait un moment, la tête basse, les épaules qui s'affaissent... le moral dans les chaussettes quoi ! Et la voilà qui repart... Elle a le bagout sévère la luciole ! "J'étais grande moi, monsieur ! Une vraie géante ! Oui, parfaitement ! Les foules se prosternaient au sol quand j'apparaissais. T'as jamais connu ça toi ? Les dieux de l'ancien temps ? Fallait voir comment c'était avant ! Le respect, tout ça. J'avais des prêtres à mon service et une foule de larbins ! On donnait des fêtes en mon honneur ! Pas des petites sauteries, hein ! Toute la populace était là... et ça dansait, ça chantait à en perdre haleine ! Ca se mélangeait gaiment, les jeunes, les vieux, les riches, les pauvres... Z'étaient pas bégueules à l'époque ! Et moi, je régnais là-dessus... Par dessus la tête des rois même ! Tu me crois pas ? Bigre ! Je peux comprendre. J'ai perdu en taille depuis. La faute aux barbares d'abord ! Ils ont rasé mes temples, ces sagouins ! Tu te rends compte ? Puis ils ont tout pillé... que j'te vole l'or, les bijoux, la nourriture, les femmes, les bêtes... tout ! Puis après, ça a été c'te nouvelle race qu'est apparue... Les Chrétiens, qu'ils s'appelaient. Pires que les barbares au final ! Du jour au lendemain, on n'existait plus ! Finis ! Effacés ! J'ai bien continué à me montrer... mais rien à faire ! "Démon !" qu'ils braillaient en me voyant ! "Satan !" Ah, je pouvais bien leur dire mon nom, voulaient rien entendre, les animaux ! Pareil quand je les aidais... C'est un monde quand même ! Y en a remarque, qu'étaient pas trop ingrats. C'est ceux-là qu'ont commencé à nous appeler "les fées". Nous, pour ne pas leur faire de soucis, on restait discrets... et on rétrécissait. "La bonne Dame des chemins" comme ils disaient ceux que je secourais la nuit. Ah, j'ai connu de belles heures... jusqu'à ce qu'ils inventent Saint Christophe ! Comment ça, qui "ils" ? Eux ! Les curés et compagnie ! Savaient pas quoi inventer pour me pourrir la vie. Puis les chemins, au bout du compte, ils les ont goudronnés. T'as pas idée comme ça pue mon ami ! J'avais plus de cahute, tout ce que je possédais s'est retrouvé en dessous !" Elle me regarde droit dans l'oeil, toujours fâchée. Je respire à peine, un souffle l'enverrait valser. "J'étais peinarde, j'avais trouvé un coin chaud quand tu m'as dérangée !"
Je tourne la tête dans tous les sens, à me la dévisser pour voir de quoi elle cause... pas de coin chaud ! Que du mouillé et du sale, partout autour de nous... puis je comprends : le chewing-gum ! Son coin chaud ! Son édredon ! Ma godasse est venue s'écraser dessus. Elle s'est retrouvée à l'air libre avant de pouvoir dire "ouf" ! D'un coup, j'me dis qu'elle est un peu dégueu la fée... Elle plisse les yeux, soupçonneuse. Elle a perçu la mauvaise pensée en moi. "Mon petit gars, qu'elle me fait alors, je vais pas te le cacher, mes pouvoirs ne sont plus ce qu'ils étaient !" Elle se tortille. Sûrement qu'elle veut me dire un truc... ça a du mal à sortir ! Et puis, elle me crache la vérité toute nue : il passe plus un bédouin sur cette maudite route. Les voitures vont trop vite. Elle est trop petite pour les intercepter. Côté magie, c'est pas le top : c'est tout juste si elle arrive à produire plus de lumière qu'un ver luisant, alors arrêter une auto ! Or, c'est vital pour elle d'être vue. Une fée qu'on ignore est vouée à disparaître... Pfft ! Sans un bruit. Alors ce qu'elle voudrait déjà, c'est déménager. Crécher vers l'autoroute par exemple, là où il y a du passage ! Mais c'est loin d'ici. A tire d'ailes, elle en crèverait, c'est sûr. A pinces, n'en parlons pas ! En plus, les environs grouillent de danger pour cette petite bonne femme. Les oiseaux, les chats, même les lézards voudraient bien la boulotter. Elle peut pas faire un pas sans attirer l'oeil d'un prédateur ! Enfin, elle a un autre souci. J'évite de me moquer, elle n'apprécierait pas : elle n'a pas le sens de l'orientation, "la bonne Dame des chemins"... Tu parles d'une rigolade !
C'est comme ça que c'est venu sur le tapis... le marché, je veux dire. Elle me zieute par en dessous, puis elle me balance ses salades. Des conneries, comme quoi elle m'a élu. Je suis son serviteur, son paladin, tout le bataclan... Je suis peut-être bourré, mais faut pas pousser ! Je vais pas crapahuter dans la cambrousse en pleine nuit pour ses beaux yeux ! Elle bafouille grave... vu mon état, elle croyais pas que je résisterais. Elle me propose de l'or... Là je dresse l'oreille ! Normal, je viens de claquer ma paye dans un bar. Méfiant quand même : il me faut des preuves ! Comme de juste elle n'en a pas... mais du bagout par contre, elle en a à revendre. Couillon de la lune, je me laisse attendrir. Faut dire qu'elle se cramponne ! Puis si c'est vrai son histoire d'or, ça vaut le coup d'aller y faire un tour. Cette fois, elle me l'emballe pas dans du papier cadeau. Un ancien temple à elle est enterré plus loin, sous le goudron. Faut creuser. Elle est pas taillée pour ce genre de boulot. Moi par contre... Là-dedans, elle a planqué tous ses trésors du temps où elle était encore puissante et surtout, elle y a laissé son sceptre et sa couronne. Paraît que ça lui rendrait tous ses pouvoirs si elle remettait la main dessus. Moi je veux bien, du moment que j'ai ma part du gâteau... Seulement là, elle se met à pinailler. Pas possible, elle doit être écossaise ! La garce ne veut pas lâcher un écu. Qu'elle aille se faire voir ! Je donne une tape sur mon épaule et elle finit le cul par terre. Furax. Elle commence par gueuler et par me brailler des saletés. Je lui tourne le dos et je m'éloigne. Elle se ravise. Le ton a changé. Elle a la voix qui cajole. Ok, elle me donnera une quart du trésor. Je ne la regarde même pas. La moitié alors ! Je ralentis un peu. La moitié, la moitié, ça dépend la moitié de quoi ! A l'entendre, ça va être Byzance. Je suis sûr qu'elle exagère. Enfin, je n'ai rien à perdre et pour le moment, rien de mieux à faire non plus.
Primo, fallait du matériel... sûr que j'allais pas creuser à mains nues ! On est retournés à ma voiture. Elle était pas belle à voir ! Le bout du nez en accordéon, les jupes retroussées sur les bords, elle ressemblait à une épave. La fée a cru bon de siffler. "Bah mon cochon, tu t'es pas loupé. Je comprends mieux pourquoi tu veux me dépouiller, ça va te coûter bonbon pour la retaper !" Je lui ai fait un regard style assassin. Elle a pigé, je ne l'ai plus entendue. C'était le bazar dans mon coffre. Des outils traînaient sans dessus dessous, des pinces, des tenailles, des tournevis, un marteau, des clous jetés en vrac, comme ça, au milieu des bidons, des vieilles chaussures et d'une couverture que j'avais dû mettre là en cas d'accident. On n'a pas trouvé de pelle dans ce capharnaüm... quelle pitié ! Mais il y avait quand même une chose utile, un pied-de-biche. Si je m'y prenais bien, je pourrais creuser avec. Après j'ai fouillé dans la boîte à gant. J'étais sûr d'avoir une lampe torche là-dedans, mais j'ai vite déchanté. Une vraie poubelle. A part des mouchoirs froissés et des gobelets vides, j'ai rien trouvé. J'ai ouvert toutes les boîtes, tous les compartiments que je voyais. Pouvait pas être bien loin cette satanée lampe ! En me penchant je l'ai trouvée. Elle avait roulé sous le siège conducteur. Les doigts en pinces, la langue sortie, comme quand j'étais gosse pour m'appliquer, je la repêche. Faudra l'économiser, les piles sont un peu faiblardes. Pas grave, comme loupiote j'ai la fée ! Elle me guidera sur la route. Pas mécontente qu'on se mette en route, elle clignote dans ma paume tendue. d'un geste impérieux, elle me désigne la direction à prendre : bon sang ! J'ai l'impression d'être un canasson. Heureux qu'elle n'aie pas de cravache !
Elle m'a fait prendre un itinéraire à travers champs. Transi jusqu'aux os, je ne me marrais pas. Elle comptait les pas. Le ciel poisseux s'était remis à nous dégouliner sur la tête quand elle m'a pincé, l'affreuse petite teigne. Ca y était, elle avait retrouvé l'endroit. Pas facile de creuser avec un pied-de-biche. Han ! Han ! Le goudron se fend. Je remets ça. Je finirais bien par arriver en dessous ! Me voilà tout dégoulinant, les mains en sang, penché sous la pluie à chercher un vieux trésor. Tellement occupé que je n'entend pas la voiture qui arrive et qui s'arrête. "Gendarmerie nationale !" gronde une voix. La fée s'est éclipsée. Un instinct curieux me fait lever les mains. Le pied-de-biche tombe. "Gling !" Gros silence... On me détaille. Un examen pas à mon avantage. D'ailleurs, ils ont croisé ma voiture, alors ils me font souffler dans le ballon. Apparemment, l'alcool a pas eu le temps de se dissiper. Ils m'embarquent au poste. Je me demande ce qu'est devenue la fée. Pauvre petite chose, toute seule dans la nuit, sous l'eau, sans refuge. Bon, elle m'a lâché, mais j'ai un peu pitié. Ses derniers espoirs se sont envolés. J'en ai les larmes qui me montent aux yeux. Pourtant, j'ai mes propres soucis. Après ma déposition, je suis dans le pétrin. Déjà, je suis fiché... mais merde, le pire c'est qu'avec tout ce que j'ai dans le sang, pas sûr qu'on ma laisse mon permis ! Comment je vais faire pour aller au boulot ? Pour payer ma contravention ? Et s'ils me mettent en tôle ? Je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais cette nuit, enfin ce qu'il en reste, je dormirai au trou.
Je suis tellement trempé qu'on m'a filé une couverture. Heureux comme un lézard sur un caillou, je m'enroule dedans. Il fait bien chaud ici. Dommage que ça pue autant. Je suis pas le premier soûlard qui dort là. Le mélange "pisse / dégueulis/ détergeant me fait gerber. Juste le temps de me pencher et mon estomac se vide. En plusieurs vagues. L'attaque me laisse sec comme un pruneau, les tripes en ébullition. Une lumière danse devant mes yeux. Un malaise ? Non, c'est la fée. Elle est revenue. Elle profite que je sois déjà à terre pour me frapper. Tout ça, c'est de ma faute, elle retrouvera jamais ses pouvoirs. Elle hurle à pleins poumons sans ameuter personne. Je l'avais pas bien regardée avant ou j'étais trop bourré mais... qu'elle est vilaine ! Rien à voir avec la fée clochette : ce serait plutôt la mère Michelle, le sourire en moins. Elle se met à couiner. Paraît que je l'ai assassinée. C'est vrai qu'elle a pas bonne mine. Elle se décompose à vue d'oeil. Sa peau se fane, verdit. On dirait une pomme moisie. Après c'est insoutenable. Ses yeux glissent des orbites, elle se liquéfie. Je me pâme comme une donzelle. Le noir total. La fée me poursuit dans mon sommeil. Morceau de chair pourrie, suintante, schlinguant la mort, elle avance vers moi, la main tendue comme un crochet. Elle veut m'arracher les yeux. Je me protège le visage, les doigts écartés... puis je hurle comme un damné.
Je me réveille dans mes vomissures. Je suis toujours chez les gendarmes. Le jour se lève. Avec lui disparaissent les illusions de la nuit. Ca pour sûr, c'était une sacrée cuite ! Le con ! Ah j'en ai fait de belles avec mes hallucinations : bousillé ma voiture, cassé la route, embarqué par les flics, perdu sûrement mon permis. .. Le pire dans cette histoire, c'est qu'il me reste encore vingt-neuf jours avant de toucher mon prochain salaire... et jusque là, l'alcool ce sera tintin !
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C'était arrivé pendant le cours d'éducation physique. Je savais que le prof était un sadique, mais j'ignorais que c'était aussi une grosse brute. J'étais plutôt sportif alors, une fois sur deux, j'étais désigné pour la démonstration de l'exercice à exécuter. Ce jour là, mon partenaire était le prof. Il devait nous montrer comment réceptionner un ballon au volley-ball.
Le cours avait lieu dehors car une autre classe occupait le gymnase. Je le vis esquisser le geste qui allait m'expédier au tapis, mais une fois que le ballon se fût envolé, je ne me souvins plus de rien. J'avais dû le prendre en plein visage. Quand je revins à moi, plusieurs paires de pieds étaient assemblées autour de ma tête.
Je me redressai lentement. La voix de l'infirmière, venue en catastrophe, me conseilla de prendre mon temps. Tandis que je recouvrais peu à peu une vision normale, une image singulière se présenta à moi. Un homme vêtu d'un manteau et d'un chapeau noirs traversait le terrain de tennis. Il tenait d'une main son col serré comme s'il avait froid, bien que l'air fût doux. Mais le plus étrange, c'est que ses pieds ne semblaient pas toucher le sol... Soudain, il se volatilisa !
Personne d'autre que moi n'avait réagi, aussi ai-je compris que j'étais le seul à l'avoir vu. Etait-ce dû au choc que j'avais reçu ? Ce devait être une hallucination... Je préférai garder ça pour moi.
Je n'y repensai plus jusqu'à l'été suivant.
Je passais mes vacances chez mes grands-parents, à la campagne. J'y avais mes habitudes, mes amis, car c'était un endroit où je venais régulièrement. D'année en année, nous prenions plaisir à nous redécouvrir, à confronter nos expériences. Le plus âgé d'entre nous, Vincent, était aussi celui qui avait les meilleures idées... enfin, les plus délirantes !
Il nous entraîna jusqu'à un pont qui enjambait une crevasse. Nous nous trouvions à une hauteur vertigineuse et tandis que nous étions penchés au-dessus du vide, il nous mit au défi de faire un saut à l'élastique du haut du pont. Je ne résistais jamais très longtemps à un défi : évidemment, je me portai volontaire. Vincent avait apporté tout un équipement dans son sac à dos... il savait bien que je me jetterais à l'eau !
Une fois harnaché, je montai sur la rambarde. Surplomber le vide, voir le paysage à des kilomètres à la ronde, sentir le vent dans mes cheveux... tout cela me grisait. Mais alors que je m'apprêtais à me lancer, il apparut. L'homme du terrain de tennis, toujours vêtu de la même manière. Il se tenait en suspens, face à moi. Il me regardait paisiblement, comme s'il était naturel qu'il se trouve là. Mes copains continuaient à plaisanter entre eux. J'étais donc, une fois de plus, le seul à détecter sa présence...
Je ne sais pas pourquoi, mais tout d'un coup, je ressentis de la peur. Ca ne venait pas de l'homme... Après tout, il n'était sûrement que le fruit de mon imagination. Non, brusquement j'étais pris de vertige. Je n'avais plus envie de sauter à cause de cette certitude qui accaparait mon esprit : j'allais me louper. Je renonçai sous les moqueries de mes camarades. En me débarrassant de mon harnachement, je me sentais honteux. Sentiment qui disparut lorsque Vincent s'exclama en récupérant son bien : "Merde, mon vieux ! Heureusement que tu n'as pas sauté... Regarde cette sangle, elle est complètement pourrie !"
La rentrée arriva trop vite, comme toujours. J'avais du mal à reprendre le rythme... surtout le matin quand mon réveil sonnait. A la fin du mois de septembre, je me traînais encore. Comme de juste, ce matin-là, j'étais de nouveau en retard. Le prof principal m'avait averti que la prochaine fois que je ne serais pas à l'heure, il me mettrait en retenue. Alors, je me mis à courir.
Le lycée se trouvait à moins d'un kilomètre, mais il fallait traverser une partie du centre ville, ce qui impliquait de nombreuses pauses à cause des feux de circulation. J'avais été patient pour les premiers, mais ensuite, je n'avais plus le temps. Je me jetais devant les voitures, bien obligées de freiner pour me laisser passer.
Pendant que je m'engageais sur une nouvelle voie, je revis l'homme en noir, sur le trottoir d'en face. J'en restai pétrifié... et je ne vis pas le camion arriver. Il devait rouler très vite, car presque aussitôt après l'avoir entendu, je passai sous ses roues.
Je n'avais pas eu mal. Je me relevai doucement. Les gens commençaient à accourir. L'homme en noir me fit un signe de la main. Je m'approchai de lui et il ôta poliment son chapeau : "Bonjour, me dit-il. Heureux de faire votre connaissance... Je suis votre mort !"
Je regardai derrière moi. Sur la chaussée, une femme déployait de vains efforts pour ramener mon corps à la vie.
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Défi
Il était parti joyeux, sûr de sa force et de sa jeunesse. Le combat qu'il s'en allait mener était juste. A son retour, il serait devenu un héros. Sa mère avait un peu pleuré bien sûr et elle avait voulu le retenir, mais son père, lui, ne cachait pas sa fierté. Il était heureux que son fils ait suffisamment de courage pour aller défendre sa patrie... car il était volontaire, comme l'était l'ensemble de ses futurs compagnons d'armes.
Tous ces jeunes gens s'embarquèrent, sourire aux lèvres. Ils allaient lutter pour la liberté et la victoire, on le leur avait assuré, ne faisait aucun doute. Mais ce qu'on ne leur avait pas dit, c'est que face à eux, il n'y aurait pas que des soldats. Nul ne les avait préparés à combattre des femmes et des enfants... On ne leur avait pas décrit la misère de ceux qu'ils allaient affronter ni la peur, ni la faim qu'on lisait dans leurs yeux, habitués à contempler toutes sortes d'horreurs.
Les attaques désespérées de ces gens qui n'avaient plus rien à perdre, les avaient pris par surprise et leur avaient à jamais ravi leur sourire et leur bonne humeur. Certains y avaient laissé leur vie. Lui, que l'on prétendait chanceux, avait perdu la vue, soufflée dans l'explosion d'un bombe artisanale.
Son retour au pays avait été discret. Il s'était fait en catimini et personne n'était venu saluer le héros... il n'était plus qu'un indigent comme il en revenait tant. Parfois, il se demandait si ses parents n'avaient pas été déçu de le voir revenu en vie... Ceux qui avaient perdus leurs enfants à la guerre en tiraient des honneurs, mais lui, diminué comme il l'était, il deviendrait un poids pour les siens. Sa mère avait gémi en voyant le gros pansement qui bandait ses yeux. Elle s'était accusée de n'avoir pas su l'empêcher de partir et lui en avait demandé pardon.
Cela l'avait agacé. C'était sa souffrance ! Elle lui appartenait... Voilà ce qu'il avait gagné à la guerre ! Ne pouvait-elle pas comprendre que c'était le tribut qu'il payait à la nation ? Ne pouvait-elle l'honorer pour cette blessure si durement acquise ? Il ressentait ses sanglots et ses jérémiades comme autant d'insultes. Il ne souhaitait qu'une chose : être seul pour qu'on lui fiche la paix !
Il avait été exaucé. Ses parents n'étaient pas revenus. Ils prenaient peut-être de ses nouvelles auprès des médecins, mais ils n'osaient plus entrer dans sa chambre. Quoiqu'il n'en était pas sûr ! A plusieurs reprises, il lui avait semblé sentir l'effluve du parfum porté par sa mère. Ses parents étaient-ils là, assis sans rien dire, à le regarder ? Il aurait voulu s'excuser pour ce qu'il avait déclaré : il ne le pensait pas. Il aurait aimé leur dire combien leur souvenir lui avait été précieux au coeur des combats, mais il avait peur, en brisant le silence, de les meurtrir davantage.
Pendant plusieurs jours, il trouva du réconfort dans cette odeur de lilas qu'il associait à sa mère et à des temps plus heureux, lorsque petit garçon, il se réfugiait dans ses bras. Le parfum se faisait quelquefois très fort, comme si elle était toute proche de lui. Un soir, n'y tenant plus, il lança sa main et saisit un bras...
Ce n'était pas sa mère. C'était une infirmière. Sa voix était aussi douce que son parfum. Lui qui s'était muré dans un silence têtu depuis son arrivée, prit plaisir à discuter avec elle. La guerre lui avait pris un fiancé et un frère. Au lieu de rester chez elle à les pleurer, elle avait choisi de se rendre utile. Il découvrit soudain que le courage était aussi du côté de ceux qui étaient restés au pays. Eux aussi, à leur manière, avaient dû lutter...
Finalement, ce fut à elle qu'il avoua son remord d'avoir rabroué si durement sa mère et sa crainte d'avoir déçu les siens. Elle rit et lui demanda d'attendre quelques instants. Une main se glissa dans la sienne. Des lèvres se posèrent sur sa joue.
-Maman ? dit-il ému.
-Oui mon grand, je suis là.
-Et l'infirmière ?
-Elle est dans le couloir. Elle ne voulait pas déranger.
-C'est elle qui est venue te chercher ?
-Oui, elle est gentille cette petite. Nous avons sympathisé avec elle à force de venir tous les jours. C'est grâce à elle que nous avons eu de tes nouvelles quotidiennement et que nous avons réussi à tenir le coup. Je lui ai même fait un petit cadeau : une bouteille de parfum. Tu sais, celui au Lilas que ton père et toi vous aimez tant ?
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Erwan abattait les coups de hache sur le tronc avec rage. Couper cet arbre énorme, sans l'aide de personne et ce, avant la tombée de la nuit, c'était la punition imaginée par son père. Le jeune homme ne se sentait pas coupable. Pourquoi devrait-il éprouver des remords pour une chose que son père avait probablement fait avant lui ? Etait-ce mal d'aimer les filles quand les filles vous le rendaient bien ? Sûr, il avait été bien bête de se laisser attraper avec la fille du forgeron... mais celle-ci était loin d'être innocente et il n'était pas son premier galant ! Aussi ne voyait-il pas pourquoi on en faisait toute une histoire !
Il redoubla les coups sur l'arbre en repensant à la rossée que lui avait administré le père furieux de son amoureuse. C'était un grand gaillard, tout en muscles et il l'avait frappé comme il frappait son enclume : de toutes ses forces, comme une brute. Ensuite, c'est son propre père qui lui était tombé dessus, après que le forgeron l'aie ramené chez lui en le tenant par une oreille. Il avait entendu les pires insultes de sa jeune vie et sa mère avait dû s'interposer pour que son père, ivre de colère et de honte, ne l'achève pas.
Des bruits de sabots attirèrent son attention. Il s'accorda une pause pour regarder les cavaliers passer. Son coeur fit un bond dans sa poitrine quand il vit que ce n'étaient pas de simples voyageurs. Il s'agissait d'authentiques chevaliers de la table ronde. La mine grave, ils passèrent fièrement devant Erwan qui contemplait avidement leurs armures brillantes et leurs armes. Que n'aurait-il donné pour être à leur place ! Il rêvassa un moment en imaginant vers quelle quête leur roi, le célèbre Arthur Pendragon, avait pu les envoyer. Et pendant quelques minutes, des images de trésors, de batailles et de dragons défilèrent dans sa tête. Puis il revint à la réalité et en soupirant, il reprit son travail.
L'arbre finit par s'effondrer. Il bascula en grinçant et Erwan le regarda avec une certaine satisfaction. Il en était finalement venu à bout ! Maintenant, il était temps de rentrer. L'après-midi touchait à sa fin et le soleil jetait ses derniers feux. S'il passait par la route, il ne serait pas rentré avant la nuit, mais en traversant la forêt, il gagnerait une bonne demie-heure. Bien sûr, ce n'était pas n'importe quelle forêt, c'était Brocéliande. On la disait magique et peuplée de créatures fantastiques, mais Erwan n'en avait jamais rencontré aucune et il n'était pas superstitieux. C'est donc sans crainte qu'il suivit le sentier forestier.
Mais à quelques pas de là, il aperçut une silhouette. En se rapprochant, il vit qu'il s'agissait d'une jeune fille. Elle avait à peu près son âge, des mèches blondes s'échappaient de sa coiffe et ses beaux yeux bleus étaient noyés de larmes. En regardant mieux, Erwan s'aperçut que sa cheville était gonflée. Elle avait dû se la fouler et voilà qu'à présent, elle avait le plus grand mal à marcher pour rentrer chez elle. Elle s'appuyait sur un gros bâton ramassé dans un fourré et chaque pas lui arrachait une grimace de douleur. Elle s'arrêta net en voyant le jeune homme et sa mine indécise révélait ses pensées : qui était-il? Que faisait-il là ? Allait-il lui faire du mal ?
Erwan lui sourit et cela sembla la rassurer car elle cessa de pleurer."Puis-je vous aider, demoiselle ?" demanda-t-il en s'avançant vers elle. Elle lui jeta un regard timide et acquiesça. Il la fit monter sur son dos et la douce chaleur qui émanait d'elle le grisa comme un alcool. Elle s'appelait Marguerite et Erwan songea que ce prénom lui allait bien car elle était belle comme une fleur. Aussitôt, la fille du forgeron sortit de son esprit et il se mit à raconter sa vie, enfin une partie, à sa nouvelle amie.
Son rire, le son de sa voix faisaient battre son coeur un peu plus rapidement. A moins que ce ne fût la fatigue... Il avait proposé tout à l'heure de la ramener chez elle, mais il ignorait à quel point c'était loin ! Ils n'en finissaient plus de traverser des clairières, de gravir des collines parsemées de rochers, d'enjamber des buissons et d'éviter les ronces. A ce train là, quand il retournerait dans son propre logis, il ferait déjà nuit noire ! Il osait à peine imaginer ce qu'allait lui faire son père pour le récompenser de lui avoir fait attendre son retour...
Le jeune homme commençait à avoir des crampes. La fille était fluette certes, mais elle pesait son poids ! Et puis, ses doigts cramponnés à ses épaules lui faisaient mal... mais il n'osait pas le lui dire de peur de la vexer. De toute manière, il s'était engagé à l'aider, il était trop tard pour revenir là dessus. Il serra les dents et continua donc à suivre ses indications. Jamais il n'avait vu itinéraire si compliqué ! S'il n'était pas passé par là, vu l'état de sa cheville, comment aurait-elle fait pour rentrer chez elle ? La pensée qu'il lui avait peut-être sauvé la vie le ragaillardit. Il portait secours à une demoiselle en détresse : voilà un exploit qui était digne des chevaliers de la table ronde !
Il faisait de plus en plus sombre et il n'y avait toujours aucune habitation en vue. Erwan commençait tout de même à se demander si sa compagne connaissait vraiment le chemin du retour et s'ils ne s'étaient pas perdus... Il tourna la tête par dessus son épaule et fut ébloui par le sourire de la jeune fille. Ses cheveux brillaient doucement dans l'obscurité. "Tu ne devines pas qui je suis ?" demanda-t-elle en posant le pied au sol. Il la contempla en silence, incapable de répondre. D'ailleurs, qu'aurait-il dit ? Il se doutait bien qu'elle n'était pas ordinaire : ses vêtements de fille de ferme avaient soudain fait place à une robe brodée d'agent ! Mais il n'était qu'un humble mortel, il se contenta de bafouiller
-... Une fée ?
La jeune fille rit.
-Oui, une fée ! Et pas n'importe laquelle : Je suis Viviane, la Dame du Lac. N'as-tu jamais entendu parler de moi ?
Elle lui caressa la joue avec douceur. Le jeune homme frémit. On racontait tant de choses sur les fées ! Comme elles pouvaient être cruelles parfois, si vous aviez le malheur de leur déplaire, mais aussi comme elles pouvaient se montrer généreuses avec ceux qui avaient su s'attirer leurs bonnes grâces!
-Veux-tu que je réalise ton souhait le plus cher ? susurra-t-elle. Tu m'as aidée sans savoir qui j'étais et sans rechigner : cela mérite une récompense ! Ne parle pas ! Laisse moi deviner ce qui te ferait envie... De l'argent ? Des bijoux ? L'amour ?... Non, ton destin est plus noble que cela. Sais-tu que je suis la marraine de Lancelot du Lac ? C'est moi qui aie fait de lui ce qu'il est ! Aimerais-tu lui ressembler ? Voudrais-tu devenir un chevalier ?
Devenir chevalier ? Ne pas finir paysan comme son père, toujours les pieds dans la boue ? Il n'avait pas besoin de réfléchir avant de donner sa réponse ! Il la suivrait jusqu'en enfer si elle le voulait ! Il saisit la main qu'elle lui tendait et se laissa entraîner par elle à travers les bois. Sa fatigue s'était envolée et il courait derrière elle, ses pieds touchant à peine le sol. Elle le mena au bord d'un lac. Les eaux en étaient si sombres que les étoiles ne s'y reflétaient pas. "Voici mon royaume, dit-elle. Suis moi, sois sans crainte. En tenant ma main, tu pourras traverser les flots sans dommages. Grâce à mon pouvoir, tu pourras respirer sous l'eau. Veux-tu toujours m'accompagner ? Pour toute réponse, Erwan serra sa main plus fort et commença à s'avancer dans l'eau. Il lui sourit avec confiance avant d'entrer tout entier dans le lac.
La fée eut un affreux ricanement en émergeant seule des flots. Ses cheveux raccourcirent, perdirent de leur fluidité, jusqu'à ne plus former que des pics rêches sur le sommet de son crâne. Ses yeux s'étrécirent, changèrent de couleur devenant aussi rouges que la braise, sa taille diminua et ses traits si charmants et si féminins s'évanouirent pour ne plus laisser la place qu'à la face cruelle du plus vilain des korrigans. Le jeune mortel avait détruit son habitat, ce chêne séculaire du haut duquel il jouait ses plus méchants tours aux passants imprudents... mais l'outrage était réparé puisqu'à présent, il nourrissait les poissons ! Il rit encore en repensant à la naïveté du gamin et le coeur joyeux, il partit à la recherche d'un nouvel abri d'où accomplir ses méfaits...
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