La prison des figures
de Valerie MUSSET
Chapitre 1 - Versailles
À Versailles, les courtisans étaient nombreux à vivre entassés dans de petits appartements, à l'étroit. Pourtant, il ne leur serait jamais venu à l'esprit d'en partir et de s'en retourner vivre chez eux.
Pourquoi, me direz-vous ? Parce que chaque matin en se réveillant, ces flatteurs avaient le sentiment inégalable d'appartenir à une classe privilégiée. Et ils l'étaient, assurément. Menant une vie de plaisirs et de débauche au quotidien, au sein des nombreuses résidences royales, loin de ceux qui s'épuisaient au travail et mouraient de faim à la tâche. Et comme cela semblait encore insuffisant, ils bénéficiaient également d'une pension annuelle allouée par les caisses du Royaume, sous certaines conditions. Sans parler des gratifications financières, réservées à leurs « menues dépenses » personnelles, alors même qu'ils étaient déjà nourris et blanchis aux frais du roi Louis XIV, du Royaume, donc du peuple.
Car en vérité, ce tiers état situé au bas de l'échelle des privilèges, suait sang et eau pour assurer à sa Majesté ainsi qu'à sa Cour tout le luxe dispendieux indispensable aux gens de qualité. Pas un de ces nantis n'aurait pu imaginer à ce moment-là, que cette vie oisive et dorée prendrait fin un jour.
Néanmoins, les premiers temps de cette cohabitation forcée ne furent pas si simples. En effet, certains de ces nobles appelés par le roi, se virent alors obligés de confier à d'autres le soin de gérer leurs fiefs et leurs terres et de mettre de côté l'attachement qui les liait à leurs racines ancestrales, pour s'en aller vivre loin de chez eux, à Versailles, dans cette prison dorée. Gare à celui qui refusait de se plier aux désirs du monarque ! Mais ce sacrifice ne fut rien, comparé à ce qui les attendait. Pour la simple et bonne raison, qu'à la Cour du roi Louis XIV, le soleil, son égal, ne brillait que pour lui. Et ceux qui osaient s'en approcher de trop près, risquaient fort de se brûler les ailes, tel Icare en son temps. Et une fois que l'on avait appréhendé cet état de fait, restait encore à suivre l'étiquette, ce qui n'était pas une mince affaire.
Alors que certains parlaient déjà de « Toute la France regroupée autour du roi », la réalité était quelque peu différente. On estimait entre trois et dix mille, le nombre de personnes évoluant à Versailles, et à seulement la moitié, la catégorie très enviée de « logeants ». Tous ensemble, ils formaient une société hautement hiérarchisée et hétéroclite, tout comme les raisons de leur présence en ces lieux. Quand certains y voyaient un droit de naissance inaliénable ou d'obligation sociale, d'autres en revanche y venaient par simple curiosité ou pour y gagner leur vie. Versailles devenait alors le théâtre de représentations, où se mêlaient habilement intrigues et jeux de pouvoir.
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