Elle était là, cette bête fière, dont les yeux si clairs révélaient à mon coeur sa véritable nature. Elle était là, cette créature pure, dont la majesté rendait ridicule chaque roi osant se tenir à ses côtés. Ses naseaux d'une incomparable douceur, son poil d'une admirable couleur, rien ne pourra plus jamais être mon malheur. Maintenant que j'ai vu cette beauté, sa brillante aura de liberté s'est ancrée en moi. Le coeur de cet être est bien plus empli de grandeur et d'honneur que celui des vainqueurs de luttes acharnées. Car c'est par son élégance noble, ses magnifiques pas de danse lorsqu'il sort dans les vignobles qu'il prouve au monde entier que nul n'est plus ignoble que l'être humain. Ses longues jambes agiles et fluettes, bien plus fortes que nos allumettes, peuvent porter sa gracieuse silhouette bien plus loin, bien plus haut que les cimes muettes, traverser les plus vastes steppes et s'envoler d'un seul geste. Par la force de ses épaules, de son poitrail saillant, par sa force de géant et son regard si charmant, il pourrait s'échapper, s'enfuir, franchir les minables battants des portes et, vaillant, se jeter vers l'avant. Là, la crinière au vent, il pourrait en s'enfuyant, retrouver son amant et partir en hennissant. Mais non. Le brave, le bel animal, s'accomode d'une vie docile, lui dont le poil brillant réfléchissait les puissants rayons du soleil de midi, lui dont les fiers sabots claquaient contre la roche et la terre des pays lointains, lui dont les crins flamboyaient au vent du nord, du sud et même des pays célestes. C'est ce corps à la finesse légendaire qui l'a fait meilleur ami de l'homme, bien plus loin que le chien ou le chat, simplement décoratifs à côté de ce superbe modèle de perfection. Il accompagnait autrefois les hommes jusqu'au coeur des batailles, jusque dans leur tombe, au plus près de la mort. C'était là sa force, c'était là sa beauté. Maintenant, simplement cloîtré dans son box, il piaffe, il mord, il veut retrouver sa liberté. Il veut rendre honneur à ses créateurs, leur montrer sa vigeur, tout ce qu'il garde dans son coeur. Alors il s'échappe et frappe, encore et encore, de tout son corps, sans pourtant parvenir à briser ces murs qui l'ont désormais enfermé. Car là, il n'est qu'une pâle imitation de ces maudits canassons, ces bêtes abruties par l'homme pour en faire un jouet, un simple objet d'apparat. Ils sont tellement plus que ça. Ils sont des chevaux, pas des rats. Leur liberté est la source de leur joie, et pour nous ce devrait être une loi. Vivons libre, suivons leurs pas.