Bradbury déconfiné" 2020/2021

de Image de profil de Raphaël :)Raphaël :)

Apprécié par 24 lecteurs
Image de couverture de Bradbury déconfiné" 2020/2021

Sa besace à son côté semblait lourde, presque encombrante. Pourtant, elle ne contenait que... Que contenait-elle, déjà ? Il ne savait plus. Pourtant, il se souvenait très bien avoir pris quelque chose, quelque chose de léger, un petit paquet sûrement, et l'avoir mis à l'intérieur. Ça lui paraissait si loin. Quand était-ce ? Hier ? Ce matin ? Le mois dernier ? Le temps avait échappé à son contrôle, et les horloges se jouaient de lui. Une année était pour lui une minute, et une heure une semaine. Le temps n'était plus linéaire, mais formait des boucles, des virages, et des retours en arrière, comme un prétendu chemin dans un labyrinthe. Seul l'espace demeurait clair à ses yeux. Il marchait dans une immense plaine, bordée d'un côté par un fleuve rendu éblouissant par le soleil, de l'autre par une chaîne montagneuse déchiquetée. Il connaissait cet endroit, il était certain d'y être déjà venu. En revanche, comment et pourquoi aujourd'hui il y était allé, il l'ignorait.

Il avançait donc sur un sol inégal, caillouteux et aride, cheminant entre des plantes faméliques et des squelettes d'arbres calcinés par le Zenith comme après un incendie. Le ciel exempt de nuages était presque rendu blanc par l’astre brillant. Aucun oiseau ne chantait et un silence pesant régnait en maître, démultipliant chaque son. Aux battements de son cœur se rajoutait le tapotement régulier de sa besace contre sa hanche et cela créait à ses oreilles un tintamarre pareil à une dizaine de tam-tam. Parfois il se passait la main dans les cheveux et la ressortait poisseuse de sueur. Celle-ci lui brouillait la vue et troublait l’horizon comme s’il le regardait à travers de la fumée. Sa respiration était saccadée, il haletait, croulait sous la chaleur. Mais il continuait à marcher inlassablement.

Souvent il voulut s’arrêter et regarder ce que contenait sa besace. Qu’avait-il mis dedans ? Et pourquoi était-il ici ? Il avait l’intime conviction qu’il trouverait des réponses à l’intérieur. Pourtant, alors qu’il tendait des mains avides pour l’ouvrir, ses jambes refusaient de se stopper et continuaient à le porter, comme s’il en eut perdu le contrôle. Alors il comprenait qu’il ne devait pas, laissait retomber ses bras et les laissait ballant. Et il marchait, il marchait, encore et toujours.

Il connaissait ce lieu pour y être déjà allé. Mais il ne savait pas où et ce que c'était. Ses pieds suivaient un chemin invisible et pourtant bien présent, et il cheminait habilement. Il continua des heures durant, sans que le paysage ne se modifie, avec pour seul changement la course de l’astre dans le ciel et l’agrandissement des ombres. Il avait toujours à sa gauche le fleuve, qui se parait maintenant de pourpr, et à sa droite le même chaos rocheux, pics effilés, blocs erratiques et aêtes tranchantes. Alors que le firmament délaissait sa robe flamboyante pour arborer ses tissus nocturnes aux mille bijoux étincelants, il changea de direction. Il se dirigea vers l’ouest, comme pour rattraper le soleil, et il avait à présent les montagnes couronnées d’or devant lui. Et il marchait, déterminé à atteindre un but inconnu.

Il quitta le terrain plat pour monter sur un chemin escarpé bordé de précipices. La température avait chuté depuis le crépuscule, mais il suait toujours dans l’effort. Par deux fois il faillit tomber dans le ravin lorsqu’une pierre roula sous ses pieds. Il se rattrapait de justesse et voyait le caillou se précipiter dans le vide, ricochant sur les parois pour finalement toucher le sol et se fragmenter sous le choc. Il frémit en imaginant ce que serait devenu son corps après une pareille chute. Il se serait sûrement disloqué et fondu dans le décor à l’atterrissage, servant de prochain repas aux charognards, si tant est qu’il y en ait eu. Peut-être n’aurait-il même pas poussé un cri. Cependant, il marchait, bravant la mort et le danger.

Bientôt la pente diminua : il était arrivé sur la cime des crêtes, tutoyant les étoiles. Il se tenait sur un plateau rocheux illuminé par la lune et dominait la plaine entière. Il était entouré par le vide et cerné par la roche. Devant lui une falaise, derrière lui le chemin par lequel il était venu. Au centre de ce plateau se trouvait une sorte d’autel de pierre sur lequel était posé une urne. À côté de celle-ci, un marbre sur lequel était gravé un nom : Erina. Tout d’un coup, il se mit à pleurer. Il savait pourquoi il était ici, quel était son but et ce qu’il transportait. Tout lui était revenu. Et il marcha jusqu’au bord du plateau.

Là, il ouvrit enfin sa besace. Il en sortit une boîte en bois finement sculptée. Il la contempla dans un rayon de lune. Elle luisait d’un éclat surnaturel et semblait lui parler. Enfin, il la porta à sa bouche, la baisa tendrement et l’ouvrit à son tour. Dedans se trouvait une fine poussière grise. Des cendres. Une larme tomba dedans, laissant une auréole sombre. Il la brandit au-dessus de sa tête. Comme en réponse à ce geste, le vent se leva. Il resta quelques temps ainsi. Puis, soupirant, il jeta les cendres au-delà de la falaise, les laissant se faire emporter par la brise. Elles tourbillonnèrent, semblant lui dire au revoir, puis disparurent. Le visage baigné par la lune et par ses larmes, il murmura « Adieu, papa ! ». Puis il marcha, posa la boîte sur l’autel et s’en alla comme il était venu.

Science-fictionHumourAmournouvellesBradbury des confiné(e)sbradbury challengeDéfi
Tous droits réservés
9 chapitres de 5 minutes en moyenne
Commencer la lecture

En réponse au défi

"Bradbury déconfiné" semaine 6 (du 18 mai au 24 mai 2020)

Lancé par korinne

Votre mission, si vous l'acceptez, consistera à écrire une nouvelle par semaine jusqu'au 12 avril 2021 (pas à ressortir des textes de vos tiroirs, hein.)

- Écrire une courte nouvelle (à chute si possible) de 5 minutes de lecture maximum.

- Sujet libre.

- Publication au plus tard dimanche à minuit.

C'est un exercice d'écriture enrichissant, pas facile mais formateur, et où l'esprit d'équipe est un puissant moteur, cela implique donc d'aller se lire les uns les autres :)

Voilà comment procéder :

- Chaque dimanche un défi sera lancer (vu qu'on ne peut en lancer que 3 par mois, on le fera à tour de rôle en gardant le même titre, et en modifiant le n° de la semaine, afin de le trouver facilement.)

- Chacun des participants accepte le défi et dans sa réponse met un lien sur le chapitre de l'oeuvre créer dans son profil pour le Bradbury déconfiné ou met un lien dans les commentaires du défi.

Le but est de ne rien lâcher et d'arriver au bout, mais le plus important est de participer, donc n'ayez pas peur ;))

Pour lancer un défi merci de vous signaler ici :

https://www.scribay.com/talks/19022/partant-pour-un-bradbury-jusqu-a-la-liberation--#comment_134844%22

(discussion à l'origine de ce challenge commencé pendant le confinement :)

Commentaires & Discussions

La mandoline - Semaine 7Chapitre22 messages | 2 ans
Noir carnetChapitre14 messages | 2 ans
La besace - Semaine 6Chapitre19 messages | 3 ans
Pipe, boisson et conversationChapitre6 messages | 3 ans
SecretChapitre29 messages | 3 ans
Meurtre au clair de luneChapitre3 messages | 4 ans
Semaine 12 - 1985Chapitre10 messages | 4 ans
C'est bizarre - Semaine 11Chapitre13 messages | 4 ans
Semaine 10Chapitre0 message

Des milliers d'œuvres vous attendent.

Sur l'Atelier des auteurs, dénichez des pépites littéraires et aidez leurs auteurs à les améliorer grâce à vos commentaires.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0