« Je suis le diable, et je suis venu ici faire le travail du diable. »
Charles Manson
L'inspecteur Plantin frappa à la porte de la maison de Mademoiselle Morisset. Trois coups brefs, comme à son habitude.
Aucune réponse.
Il appela l’habitante des lieux mais seul un silence angoissant lui répondit.
Cela ne présageait rien de bon.
Le matin-même, il avait reçu un appel anonyme indiquant qu’une jeune femme venait d’être assassinée à son domicile. Durant la conversation téléphonique, le « corbeau » avait invité l'inspecteur à se rendre sur les lieux en personne — il avait bien insisté sur ce point. D’une voix semblant venir d’outre-tombe — l’assassin utilisait un simple mouchoir pour étouffer sa voix —, l’inconnu avait précisé le nom de la victime et l’adresse d’un petit pavillon en banlieue parisienne. « N’oubliez pas le serrurier, il faudra forcer la porte » avait-il conseillé, pour finalement conclure l’appel sur des considérations spirituelles : « Dans la vie, les événements importants sont des séparations : la naissance est la séparation de l’enfant et de sa mère. Le jour naît de la séparation avec la nuit. La mort est la séparation du corps et l’esprit ». Cette énigme, le policier l'avait tournée dans tous les sens dans sa cervelle, en vain. La seule conclusion qu'il en avait tirée, c'était que la voix mystérieuse ne plaisantait pas et qu'il fallait se rendre sur place, pour vérifier.
Plantin, constatant que l'entrée était bien vérouillée, demanda au serrurier de procéder à l’ouverture. Ce dernier s’exécuta et en quelques secondes, la porte s’ouvrit sur un long couloir sombre et étroit. Au fond, un rai de lumière blanche se dessinait sur le sol. L'inspecteur demanda au serrurier de rester à sa disposition sur le palier comme le veut la procédure, puis pénétra dans la maison en avançant prudemment le long du corridor. Arrivé au bout, face à une porte close, il fut alors assailli par une odeur pestilentielle. Les flics la connaissent bien, ils sont tous confrontés un jour ou l’autre au parfum aigre de la mort.
De l’autre côté, un cadavre l’attendait.
Il posa sa main sur le bouton de la poignée et le tourna lentement. La porte s’ouvrit en grinçant, offrant un spectacle d’une beauté macabre : face à lui, au milieu de la chambre aux volets clos, une jeune femme gisait sur la moquette gorgée de sang. Coupée en deux. De la tête jusqu’à l’entrejambe. Les deux moitiés de Mademoiselle Morisset étaient bien séparées l’une de l’autre : le corps avait été scié dans la longueur avec un instrument précis et tranchant. Une scie circulaire, supposa l’inspecteur — le médecin légiste, lui, se reconnaîtrait incapable de comprendre par quel prodige le corps avait pu être découpé si proprement sur place. Une chose était certaine : c’était un travail de professionnel. Plus étonnant encore, la scène d’horreur faisait l’objet d’un éclairage très particulier : une lampe halogène illuminait la partie gauche du corps, laissant la moitié droite dans l’ombre. Le judicieux jeu de lumières, appuyé par le rouge vif des organes sanguinolents s’échappant de part et d’autre de Mademoiselle Morisset sublimait la scène en une œuvre d’art torturée — d’un écorché plus précisément — orchestrée avec soin par un meurtrier inspiré. Mais inspiré par quoi ? A quoi rimait cette mise en scène ? Pourquoi ce corps pourfendu et cet éclairage si particulier ? se demandait l’inspecteur, dérouté — seul l’assassin pouvait lui offrir la réponse.
Le policier réprima une envie de vomir. Toute cette scénographie le dépassait complètement, il n'avait jamais été confronté à un crime de cette envergure. Seul, il se sentait désemparé, démuni. Il appela du renfort et attendit sur le palier pour fumer une cigarette, une sale habitude qu’il essayait d’abandonner, en vain. L'assassin, accompagné d’un chien laineux, passa sur le trottoir, les mains dans les poches. L’officier, trop occupé à cogiter sur cette affaire hors norme pour se laisser distraire, le salua machinalement d’un geste de la main. L'autre répondit d’un bref mouvement de la tête.
La police scientifique arriva sur les lieux quelques temps plus tard pour procéder aux analyses, récupérer les indices, photographier chaque élément susceptible d’éclairer l’enchaînement des événements qui avait conduit à cette boucherie. Et qui permettraient de trouver l’auteur de ce crime si spectaculaire.
Le criminel — doté d'un talent certain — avait focalisé l’attention des enquêteurs sur le tableau magistral laissé derrière lui. Il s'offrait ainsi un petit plaisir coupable en laissant un livre recouvert de peau de chamois, bien en évidence sur la table de nuit et qui passa pourtant inaperçu. Sa véritable signature, la preuve de sa toute-puissance.