Pieds nus, une femme s’avança en s’appuyant sur un bâton. Elle avait les cheveux longs, bruns entremêlés et couverts d’une pâte noire et blanche. Son visage était peint en blanc avec de grands traits noirs qui lui descendaient jusqu’au cou. Elle portait une cuirasse étroite sur le buste, peinte de multiples symboles. Sur ses épaules, deux têtes de lynx se faisaient face. Une jupe en toile marron, déchirée par endroits, tachée de sang lui retombait jusqu’aux pieds. Une ceinture en cuir lisse portait des petites sacoches. Elle posa ses mains sur la rambarde de son balcon et leva les yeux au ciel. Sur chacun de ses doigts de la main gauche, des pointes en fer crochu grattaient le bois vermoulu. Elle plongea sa main dans un seau et en sortit des morceaux de viande qu’elle distribua à ses corbeaux.
Un garde s’approcha d’elle tout en gardant la tête rivée au sol.
- Vous m’avez fait demander ?
- Va me chercher un nouveau-né. Lui répondit-elle d’une voix graveleuse.
- Bien Mériel !
Mériel entra dans sa tour. Une grande pièce dotée d’un grand feu central. Sur tous les murs, des peaux d’animaux et des sculptures en bois de divers dieux. Sur une grande table étaient éparpillés des tas de pots, bougies et caisses en bois. Un autre âtre, beaucoup plus petit, brûlait avec un chaudron suspendu d’où une odeur nauséabonde s’en dégageait.
Elle fit de la place en poussant les pots remplis de potions étranges. Elle sortit une fine dague en argent, l’affûta et prit place dans un gros fauteuil recouvert de peaux de loup où elle attendit.
Deux hommes se présentèrent devant la porte, le visage baissé. Elle leur fit signe d’entrer, les deux hommes s’exécutèrent immédiatement.
- Si vous ne m’apportez pas de bonnes nouvelles, vous pouvez ressortir ! Fit-elle dans un ton désagréable.
- Mériel, les Atrébates sont à Vesontio. Apparemment, ils se sont ralliés avec les Séquanes.
- Quoi d’autre ?
- Des guerriers Eduens ont étés vus dans le fort.
Mériel se leva, grimaçante à cette nouvelle qui la chagrinait. Elle s’approcha de son garde tout en se tenant sur son bâton à l’allure de racine. Elle se dressa devant lui et lui planta ses griffes dans la gorge. L’homme suffoqua et tomba lourdement sur le sol. Le deuxième homme baissa ses yeux sans broncher.
- Rassemble les troupes et rallie les hommes des villages voisins.
- Bien Mériel !
L’homme salua de la tête et sortit aussitôt.
Des pleurs d’enfants résonnaient dans tout le fort. Un garde montait les escaliers qui menaient à la salle de Mériel, un bébé dans les bras. L’homme le serra contre lui et entra dans la grande salle. Il s’agenouilla devant sa maîtresse et lui tendit l’enfant.
Mériel le regarda longuement puis le prit par un bras. Le petit hurlait, pendu à la main de la sorcière. Elle se dirigea vers sa grande table et sortit sa dague en brandissant le nouveau-né.
- Cérumno ! Voici un nouveau-né en sacrifice. Donne-moi les pouvoirs de terrasser ces intrus. Donne-moi le pouvoir suprême.
Des fumées bleues s’élevèrent au-dessus de son chaudron. Des nuages noirs envahirent le ciel. Tous les hommes du fort savaient ce qui était en train de se passer. Ils s’agenouillèrent face à l’antre de leur maîtresse.
Elle posa le petit, complètement nu, sur la table, se sectionna une veine et fit couler un peu de son sang dans son chaudron. Elle attrapa l’enfant par la tête, le souleva puis posa sa lame sur sa gorge.
- Cérumno, protège mon peuple de ces envahisseurs. Donne-moi la force de protéger les miens et donne-moi les pouvoirs des druides, afin que je puisse faire glorifier ton nom.
D’un geste brusque, elle trancha la gorge et fit couler le sang dans sa marmite.
Les fumées bleues dansaient autour, un grondement retentit dans toutes les montagnes environnantes. Le sol se mit à trembler. Au loin, des corbeaux croassaient en s’arrachant les plumes. Mériel posa l’enfant mort sur la table, remua sa mixture, plongea une louche dedans et but quelques gorgées. Elle fit quelques pas en arrière, le regard dément. Elle tomba à genoux en se prenant la tête entre les mains. Elle suffoqua un instant puis se releva. La tête basse, le regard noir droit devant, le mal avait pris possession de son âme. Elle grommela dans un langage étrange, les dents pleines de sang.
Elle s’approcha de son garde qui était resté à genoux, lui empoigna la gorge entre ses crochets.
- Débarrasse-moi de ce résidu d’être humain. Donne-le en pâture aux corbeaux.
- Bien Mériel.