Il ne le sait pas, ne l’a jamais su… Il a dynamité l'ingénuité de mes douze ans. C’est avec lui que je suis née au désir de séduire bien avant cet après-midi là, cet après-midi de la défloraison, dans la chaleur du mois de Juillet… Jusque-là, il n’y avait eu que mon père et la volonté de plaire. Je me souviens trois ans auparavant, la première fois où j’ai vu ce garçon près de la rivière, c’était sur une petite île, de l’autre côté de la berge, il m’a foudroyée en plein cœur. Je me souviens de ce moment d’éternité, moi flottant dans une bulle de savon, les jambes délitées, les yeux captivés, aimantés, hypnotisés. J’étais déjà, intuitivement, pétrifiée à l’idée qu’il disparaisse... Je suis sur la berge en balade avec mes parents, lui avec une nébuleuse de petits boy-scouts. Ils n’ont pas plus de quinze ans et sont habillés en uniforme beige et bleu, affublés d’un foulard de louveteau. Lui est déjà déserteur, il est libre et différent. C’est encore un enfant au visage poupin. Le torse est nu et je le caresse du regard avec toute l’innocence et la surprise des premiers émois, du premier désir de toucher la chair. Pour la première fois de ma vie je caresse, des yeux, l’absence totale de pilosité, imberbe, on dirait un chérubin, les traits sont fins, les cheveux d’ébène bouclés, épais et souples, la courbe de la nuque est rasée, la peau halée, les lèvres charnues. Une infinie tristesse trahit le regard immense et sombre de l’enfant qui sourit. Le regard ? Une supplication, un appel désespéré à un besoin de consolation. Son regard est un hublot ouvert sur une mer abyssale de souffrances et de mystères incorporés qui pénètrent les entrailles de ma terre vierge. Il me touche si violemment que je sais à cet instant que c’est à lui que je confierai ce désir immaculé dans le sang de ma virginité. Je le sais comme le jour succède à la nuit, comme la mort succède à la vie, comme la fleur s'épanouit et fane.