Fabien Sansterre
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de toujours
Texte se voulant - pour une fois - humoristique qui sera publié en plusieurs livraisons.
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Défi
Je pense qu'à la fin de cette histoire je pourrais rajouter un VDM.
Pour rendre hommage à ce site hilarant.
Et vous de me répondre "Tu l'as bien mérité".
Et je ne pourrai qu'acquiescer à cela.
:D
Pour rendre hommage à ce site hilarant.
Et vous de me répondre "Tu l'as bien mérité".
Et je ne pourrai qu'acquiescer à cela.
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Défi
Ma chère Maman,
Ce que je m'apprête à te raconter par cette lettre est un voyage qui, bien que tant d'années se soient écoulées, me pèse toujours sur le cœur. C'est celui du vingt-huit décembre deux mille quinze. C'est de ce jour qui a marqué nos vies dont je vais te parler. Je veux te confier, outre les faits que tu connais déjà, comment tout cela s'est passé. T'en dire les détails, les petites lignes. Car jamais je n'en ai été capable. Et pour cause... Tu m'excuseras d'employer l'écriture. Face à face, je ne pourrais pas.
Très tôt ce matin-là – il était dans les environs de six heures - j'ai sonné au perron d'Aline. Patrick, son mari – tu te souviens de lui ? - m'a accueilli, souriant. « C'est le grand jour » a-t-il dit. J'ai acquiescé poliment. Derrière lui, ma chère sœur, tout en descendant l'escalier du corridor, m'a salué avec un petit geste de la main puis a disparu par la porte du séjour. Nous avons entendu quelques bruits de succion – elle embrassait leur fille, l'adorable petite Laura - puis un « Bonne journée mon cœur ». De la poussière flottait indolemment dans l'air tandis que nous attendions. Lorsqu'Aline est reparue elle a lancé : « Alors, on y va ? ». J'ai hoché une nouvelle fois la tête et nous avons laissé Patrick sur la marche de l'entrée. Nous nous sommes alors rendus à cet ignoble immeuble social de Court Saint Etienne, l’appartement de Mémé. Radieuse, elle nous a ouvert : « Je suis déjà prête mes petits chéris, je me suis faite toute belle pour vous ». Nous l'avons regardée. Elle portait une blouse jaune avec quelques fleurs. C'était désuet, suranné et en même temps très doux. Rassurant, d'une certaine façon. Ses cheveux blanc tenaient dans un élégant et complexe chignon. Elle était allée chez un coiffeur. « Tu es magnifique Mémé » s'est exclamée Aline. «Allez, on est parti ! », me suis-je écrié avec une intonation un brin trop aigue. Nous l'avons prises par les bras et l'avons installée sur le siège avant de mon véhicule – une vieille Peugeot 207. « Ça va, tu es bien installée Mémé ? Tu as de la place pour tes jambes ? Je peux reculer le siège sinon », a lancé Aline d'une traite. Il y avait de l'excitation dans sa voix, je la sentais bouillir d'impatience. « En avant ! À St Idesbald ! », ai-je fait, une fois Aline assise derrière moi. Je simulais la bonne humeur, voulant partager un peu de l'enthousiasme régnant à bord.
La route a été calme. Après un peu de bavardage, elles se sont toutes deux endormies. D'abord Mémé, bien sûr. A son âge, on ne tient pas d'aussi long trajet et il lui fallait économiser ses forces pour la journée. Puis Aline, bercée par les plages relaxantes de la station radio matinale. Seul éveillé je scrutais la route hypnotisante qui filait sans fin au milieu d'un paysage plat de prairies et de champs. Au bout se trouvait le village de Mémé, celui où elle avait grandi. La chaleur dans l'habitacle, la musique, le morne sillon de bitume, les souvenirs, tout a contribué à me plonger dans un engourdissement – qui, ma foi, n'était pas désagréable - et lorsque le panneau annonçant l'entrée de la commune a surgi j'ai été surpris. Doucement, j'ai réveillé Aline qui s'est occupée de Mémé tandis que je cherchais une place aux alentours de l'église - la première étape de notre expédition. Cet édifice roman avait été le site du baptême, des communions et du mariage de la vieille dame. Ainsi que de quelques tristes événements. A l'intérieur, Mémé s'est assise sur l'un des bancs de prière et s'est recueillie dans le silence solennel pendant qu'Aline et moi la regardions quelques rangées de banc plus loin. Debout, comme les athées que nous étions. Malgré notre incroyance, l'image pieuse nous a émue - j'ai toujours aimé les atmosphères graves et éternelles des sanctuaires. En second lieu, nous sommes allés contempler la mer depuis la plage. Pendant une minute nos pensées se sont noyées et nos esprits ont vogué par-delà la ligne d'horizon. Un beau moment, oui, où nous avons été un, où nous avons partagé la même sensation, le même infini et – oserais-je ? - la même conscience. Nous nous sommes arrachés à l'influence répétitive et fascinante des vagues lorsque le ventre de Mémé a gargouillé. En conséquence de cela, nous nous sommes dirigé vers « Bij Leon ». Tu te rappelles, ce restaurant – peut-être le seul de la commune - qui ne se trouve pas écrasé sous les gratte-ciel, cette villa à l'ancienne au milieu des dunes. Naturellement, nous avons pris des moules au vin blanc avec des frites. Mémoire de jeunesse où chaque année nous venions à la côte et où, à chaque fois, nous nous attardions autour d'une table de mollusques arrosés. Souvenance d'une partie de vie, d'une maison, d'une école, d'un territoire presque vierge d'immeubles, un pays de sable et d'eau salée. Réminiscence de ses parents – tes grands-parents, ces personnages qu'Aline et moi n'avons jamais connu. Un pêcheur portant le prénom de Jerom et Alix la timide mère au foyer. Le récit a continué le long d'une lente promenade digestive au bord de l'écume. Mémé a invoqué l'ancienne Flandre du littoral, la mer et ses héros, ses frères et sœurs, la guerre qui en enleva quelques uns, leurs directions, leurs mariages, les décès... Elle a poursuivi avec son mari, pépé Bonfilius, dont elle fit la connaissance dans les joyeux dancings des années de l'après guerre. Elle nous dressa le portrait d'un gentil zouave, un dessinateur de publicités qui lui donna oncle Joseph et toi, ma chère maman. Après, elle a raconté les années gantoises : le déménagement provoqué par un poste dans une usine de textile – emploi qui lui avait été proposé par les relations de son frère Benoot -, le difficile labeur qui lui usa les yeux et le dos, le vélo et les vingt kilomètres a pédaler quotidiennement, le petit appartement où ils vécurent tant d'années - un petit trois pièces au cinquième étage d'un quartier travailleur – et vos naissances. Elle nous a retracé ton enfance : une petite pile électrique boulotte qui refusait de prononcer un seul mot en français et qui se présentait toujours comme Maria. Apparemment tu n'aimais pas la consonance francophone de Marie - pas plus que son origine catholique mais, à ce qu’elle nous a dit, tu n’as pas osé aller jusqu’à trop le modifier. Ce dédain pour le français a bien changé quand l'étudiante infirmière de 23 ans que tu étais a fait la connaissance d’un certain jeune professeur de français qui avait décroché un contrat - temporaire - à l’école primaire Oc Nieuwe Vaart. C'était l'un de tes amis les plus francophile, Mike – si je me souviens bien du prénom que Mémé a employé - , qui avait introduit Arnaud dans votre cercle d'amis. Lorsque son engagement est arrivé à son terme, tu as suivi Arnaud à Bruxelles. Au début, Mémé ne l’aimait pas beaucoup, son gendre. Elle nous l’a décrit comme un garçon sérieux et mélancolique qui ne s'exprimait que très moyennement en flamand et qui, en plus, t’a emportée loin de la famille, loin des terres flamandes. Elle l'a un peu plus apprécié le jour où il a déposé dans ses bras le petit corps d'Aline, faisant d’elle une grand-mère. Ce moment est resté gravé dans son esprit comme l’un de ses plus beaux souvenirs. Mais même malgré ce lien, ils ont toujours eu du mal à communiquer : le néerlandais inconstant d'Arnaud et le patois flamand de Mémé ne s'accordant pas plus que leurs caractères. Ensuite, elle nous a narré quelques éléments de la vie d’oncle Joseph – le fils difficile –, l'échec de ses études de droit, son implication dans le Taal Aktie Komitee puis son emploi d'employé communal.
Lorsque Mémé est arrivée au bout de ses mots l'essentiel de sa vie avait été tracé et nous avions atteint la crique. C’est un lieu spécial Maman : une éminence rocheuse parmi les dunes, un mur d’enceinte sédimentaire haut de quelques trois mètres avec, en son cœur, une petite plage. Nous avons grimpé l’abrupte façade par un raidillon puis, très précautionneusement – afin que Mémé ne tombe pas -, sommes descendus de l’autre coté. Une fois au centre du petit amphithéâtre, nous nous somme pris par la main et, silencieusement, avons admiré le sac et le ressac. Nous n’avions plus rien à dire. Et lorsque l’eau montante nous a chatouillé les pieds, nous nous sommes avancés. Jusqu’à ce que le torse de Mémé soit immergé. Là, nous nous sommes arrêtés, à quelques mètres du rivage, et nous nous sommes embrassés. Ensuite Mémé s’est couchée dans l'eau. Visage vers le ciel. Semblable à un fragile esquif. À ma grande surprise, Aline l'a suivie. La figure sombre, elle s’est allongée sur les vagues et a pris la main de Mémé. Alors, très délicatement, je les ai poussées. Aussi loin que j'ai pu. Elles ont dérivé lentement vers l'horizon. Ensemble, comme liées par leur affection. Au bout d'un moment, elles se sont lâchées. Peut-être à cause de l'épuisement ou peut-être par lassitude. Est-ce que cela a une importance? De toute manière, jamais je ne le saurai. Mais c'était avant la ligne. Celle qui marque la frontière entre le fini et l'infini. L'infranchissable bord. Les éléments les ont emportées, chacune d'un coté, vers leur solitude. Elles n'étaient plus que deux frêles silhouettes s'éloignant l'une de l'autre et... de moi... Longtemps je les ai observées. Jusqu'à ce qu’elles disparaissent. Jusqu'à ce que mes larmes naissent. Jusqu’à ce qu’elles se tarissent. Jusqu'à ce que le jour soit tombé et que l'obscurité efface le chemin. Alors j’ai erré des heures. Scrutant le noir des flots. Jusqu'à ce que je retrouve les lumières de la ville et mon véhicule. Je suis alors retourné chez moi.
Voilà Maman, c’est ce voyage qui me poursuit.
C'est lui qui me ronge et me hante.
C'est lui qui m'écrase.
Cela n'aurait pas du se passer ainsi.
Aline n'aurait pas dû partir avec elle.
Elle a toujours été trop sensible.
Trop pour son propre bien.
Et elle aimait tant Mémé.
Tous les jours, une voix dans ma tête me susurre que j'aurais dû la retenir... L'en empêcher...
Je lui répond : "Mais c'était son choix! Comment pouvais-je aller contre?"
Et elle s'exclame :"Ce n'est pas vrai! Tu aurais pu! Tu le devais!"
Mais si toi, tu avais été là, Maman, toi, tu aurais pu!
Et peut-être pas...
Parce qu'Aline l'a voulu...
C'était sa décision.
Néanmoins j'aurais dû!
Et pourtant... ce moment-là s'est passé tellement naturellement, tellement paisiblement...
C'était... surnaturel.
Ton fils devient fou Maman.
Tu ne peux pas imaginer ce que c'est de revoir tous les jours Aline et Mémé s'étendre dans la mer, de me souvenir de moi en train de les pousser et de me rappeler leurs corps disparaissant.
Aujourd'hui, ce que je souhaite par dessus tout, c'est que le jour où, fatalement, quelqu'un frappera à ta porte pour te proposer une excursion au pays de tes souvenirs cette personne ne soit pas moi.
J'ai trop donné.
Ton fils aimant,
Romain
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Défi
Dans ce tram se trame un drame : une moche cloche s'approche de ma poche. Pourtant personne ne sonne, ne grogne, n'ânonne. Il pourrait me planter un serin dans le rein que rien ne se passerait, tous sont sereins. Est-ce Seraing? me serinnai-je. Mais non, c'est Liège et ses pièges. De mon siège - en liège - je me lève et, glaive de toutes les Eve, je sors les crocs : cet escroc ne croquera point! Du poing je le pointe et hurle "dans ton coin, sale coing!". Le malandrin me tend une main, pleine de dédain, serrant un daim. Mon portefeuille! Ce n'était donc pas un larcin! C'est malin! Sauf que... ce n'était pas le mien?! Sur ce le perfide sortit car, évidemment, il était vide.
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Défi
Comment présenter ce texte ? Je me rends compte que je suis très mauvais présentateur et qu'au moment où il faut en dire quelque chose, je n'y arrive pas. Je dirais que j'espère avoir porté le thème assez loin, que le style n'est pas trop mauvais et que ce soit bien horrible. Cela ne vous dit rien sur le texte... oui, je m'en rends compte :)
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Défi
Oyez, oyez!
Oyez la tragique histoire de Maurice et de son clan.
Maurice était une loutre issue d'une vénérable souche hongroise, d'un clan prospère du Danube. Mon clan. Celui-ci, bien avant la naissance de Maurice, vivait de pèche et d'amour et s’était épanoui jusqu'à compter quelques milliers d'individus. Il aurait continué de croître si le petit bourg en amont, Ofen Pesth, ne s’était agrandi et n’était devenu trop important. Ce fut le début des malheurs. Les hommes empiétèrent sur le territoire des mustélidés et, étant des prédateurs ethnopathes, ils ne purent cohabiter avec nous. Ils nous chassèrent donc. Autant pour notre fourrure, que pour notre graisse ou simplement pour notre viande. Leurs trappeurs et leurs affamés firent d'innombrables victimes parmi mes ancêtres. Ils exterminèrent de nombreux clans. La menace d'extinction fut si alarmante que le clan abandonna ses tanières et descendit le fleuve. Cependant cette maudite ville, maintenant appelée Budapest, connut de très fréquentes poussées de croissance qui contraignirent tous les mustélidés à s'exiler au loin, toujours plus au sud. Par la suite d'autres cités émergèrent le long des rives, nous repoussant toujours plus loin. Après bien des générations et bien des exodes, le clan renonça au Danube et partit en quête d'autres cours d'eau. Mes prédécesseurs entreprirent alors un long chemin gris sur lequel bien des loutres trouvèrent la mort. Les anciens racontaient que sur cette voie de gigantesques créatures de métal surgissaient et qu'à peine les entendait-on la mort frappait. Elles ne laissaient, comme traces de leur passage, que des cadavres écrasés. Le clan s'éloigna donc de cette dangereuse zone. Après une longue pérégrination, il arriva à une gigantesque étendue d'eau. Le lac Balaton. Là, les anciens crurent avoir trouvé leur Eden. Ils contournèrent les secteurs humains et s'enfoncèrent dans la forêt. Le territoire fut marqué et les individus se dispersèrent pour établir les tanières. Maints accouplements se produisirent alors. C'est durant cet automne fécond que Maurice, mon père, naquit. De Napoléon, la loutre à la patte plate et de Joséphine la jeune loutre au nez fin. Ce ne fut pas un enfant de l'amour mais un rejeton de la survie. Je m'en rends bien compte. Mon père me raconta que mon grand père abandonna ma grand mère aussitôt la saillie terminée. Nécessité oblige, il fallait bien repeupler le clan. De toute façon, je ne connu pas mes aïeuls. Ils disparurent avant que je ne survienne. Comment? J'y viendrai. Une saison passa et la nouvelle génération vint au monde. La terre était douce et le lac plein de poissons. Ce fut un temps heureux et prodigue. Mais malheureusement bien trop court. L'hiver arriva. Heureusement, mes ancêtres s'y étaient bien préparés : ils avaient creusé de profonds abris collectifs dans lesquels les mustélidés se blottirent les uns contre les autres et au fond desquels des vivres purent être stockés. À leur très grande surprise, la saison fut douce et clémente. Le froid n'emporta personne. Ce fut seulement quand le printemps lui succéda qu’un nouveau revers survint. En effet, en seulement quelques jours, des milliers d’hommes affluèrent. La forêt pullula de marcheurs et le lac fut submergé par des nageurs et d’étranges structures flottantes – vrombissantes ou non. Le clan, préférant prévenir toute perte, déserta les lieux. Seuls quelques uns choisirent de rester. Nous ne sûmes jamais ce qu’il advint d’eux. Une fois encore l’errance reprit. Mon père, ma grand-mère et tous les autres mustélidés marchèrent vers le sud à la poursuite d’un – du - fief providentiel. Après plusieurs lunes, ils réalisèrent, à la sortie d’une forêt, que le terrain les avait trompés. Ils avaient suivi une douce déclivité qui les avait menés non pas vers le sud mais vers le nord-ouest, vers une petite rivière sauvage. L’homme semblant absent de ces parages, le clan s’installa provisoirement. Juste le temps nécessaire à la nouvelle génération pour grandir et forcir, ainsi que pour envoyer quelques audacieux en éclaireur, à la recherche de pistes prometteuses voire – si la fortune avait été de leur coté – du coin idéal : un lac comme le Balaton libéré de toute activité humaine. Chacun d’entre eux, ayant porté les espoirs de tout le clan, fut, à son retour, loué tel un héro. Leurs noms furent scandés et les mustélidés se pressèrent pour les saluer, les toucher. Tous attendaient avec impatience le récit de leurs repérages. Mais malgré tous les kilomètres qu’ils avaient sillonnés, ils étaient bredouilles. Ils déclarèrent tous ne pas avoir trouvé meilleur endroit que celui-ci. La rivière Marcal. De l’eau, des bois, des proies et pas d’hommes, que désirer de plus ? Le temporaire devint donc durable. Maurice devint une jeune loutre vigoureuse, il rencontra ma mère, Lotréa, et de leur union je vis le jour. Vous pourriez croire que l’histoire s’arrête ici, à ma naissance au bord du Marcal. Mais tel n’est pas le cas. Un jour funeste – encore un - , la rivière prit une inquiétante teinte rouge. Nous pensâmes d’abord à du sang, que quelques créatures s’étaient fait massacrer en amont. Mais ce n’en avait ni l’odeur, ni le goût. Graduellement, la couleur fonça, s’épaissit et gagna la terre. Les rives se transformèrent en une boue écarlate. L’eau devint imbuvable et les premiers symptômes de maladie se manifestèrent. Les loutres touchées dégorgèrent le liquide absorbé, furent prises de contractions ainsi que de vives douleurs au ventre et à la tête. Tous devant boire, le mal se propagea instantanément. Presque personne n’y échappa. La rivière fut interdite. Chacun dû chercher une source d’hydratation : flaques ou sources. La pêche le fut aussi. Nous vîmes les poissons remonter à la surface. Morts. Des loutres ne tardèrent pas à partager leur sort. Nombreuses furent celles qui ne trouvèrent pas d’autre point d’eau ou/et qui devinrent trop faibles pour chasser. Ma mère fut des victimes. Mon père, bien que souffrant lui aussi, fit tout pour la sauver. Il nous tira l’un et l’autre jusqu’à une petite poche d’eau à quelques mètres de notre tanière et nous apporta des insectes. Ses efforts n’y firent rien. Ma mère succomba dans une horrible agonie. Telle que ses cris hantent encore mes nuits. L’empoisonnement emporta une grande partie de notre communauté. Comme il ne restait plus que quelques centaines d’individus et que ce nombre allait diminuant mon père se leva. Il prit la tête du clan et organisa un nouveau départ. Vers le sud. Quoique l’on puisse trouver là-bas. C’était demeurer et mourir ou aller de l’avant. Une caravane de moribonds s’ébranla et ainsi nous entamâmes notre dernier voyage. Le plus long. Un sillage de dépouilles marquait nos pas. L’affliction continuait sont carnage parmi les moins vigoureux. La moindre surface liquide que nous rencontrâmes devint un oasis et les plus résistants se chargèrent de récolter des provisions. Des semaines s’écoulèrent sans que rien n’apparaisse. Soit il y avait des traces humaines, soit il manquait un plan d’eau. Le clan s’amoindrissait aussi vite que notre espérance. Nous ne comptâmes bientôt plus qu’un peu plus de deux cents mustélidés purgés de tout poison. Ceux qui avaient été les plus solides. Un matin, dans une région déserte de tout signe humain, Maurice, éveillé avant toutes les autres loutres, était parti en reconnaissance. Ayant grimpé une éminence, il découvrit, au loin, une magnifique vallée boisée traversée par un cours d’eau. Le Koros. Maurice s’empressa d’apporter la bonne nouvelle à ses compagnons. Les deux cents survivants reprirent courage et marchèrent deux jours pour joindre la rivière. Le val leur arracha des exclamations de soulagement. Cela semblait magique, idyllique. Peut être même un peu trop. Au fur et à mesure que nous approchions du Koros notre joie grandissait. La nature semblait généreuse. Des mulots gambadaient, des écureuils grimpaient les troncs, des volatiles pépiaient et les embruns venaient nous chatouiller les vibrisses. Rien ne semblait pouvoir entacher notre félicité. Sauf, à deux mètres de la rivière, un groupe d’une vingtaine de créatures à queue plate se tenait devant un rempart de branchages et de rondins. Maurice et quelques loutres s’avancèrent, méfiants mais sans agressivité, décidés à apaiser l’animosité. En réaction, ces créatures, hostiles, levèrent de petites branches – qu’elles tenaient dans de petites pattes courtaudes -, montrèrent d’impressionnantes incisives et se mirent à siffler. De derrière les fortifications une vingtaine d’autres gueules apparurent. Le message était clair : vous n’êtes pas les bienvenus, vous n’irez pas plus loin. Mon père regarda ses compagnons. Fallait-il s’en retourner, queue entre les jambes, et perdre cette occasion unique ou tenter diplomatiquement de les convaincre de nos bonnes intentions ou, au pire, utiliser la force ? Quelques mustélidés affamés, assoiffés, épuisé par la longue marche et poussé par l’abattement n’attendirent pas l’ordre et se lancèrent à l’assaut de cette bande somme toute modeste - seul obstacle entre nous et la promesse d’abondance du val. L’escarmouche fut impressionnante. Nos adversaires bastonnèrent furieusement et égorgèrent de leurs terribles dents quelques malheureuses loutres. Cependant notre supériorité numérique prévalu et nous les criblâmes de morsures. Quelques uns de leurs combattants tombèrent, mortellement blessé. Au bout de quelques minutes d’affrontement, ils furent débordés et prirent la fuite. Après ce moment de folie meurtrière, mon père reprit le commandement et dispensa des instructions. Nous achevâmes leurs mourants et jetâmes les corps dans le Koros. Un campement fut établi au milieu de leur fortin de bois et les parois furent consolidées avec des fagots, des pierres et de la boue. Ensuite nous dinâmes de quelques poissons tout justes pêchés. Pour la nuit, des guetteurs furent désignés. Malgré cette mesure de précaution, personne ne parvint à dormir. Nous veillâmes silencieux et inquiets. L’attaque survint à l’aube. Lorsqu’un guetteur cria, la tension explosa et nous nous ruâmes aux murs. De cette hauteur, nous vîmes une armée : plusieurs centaines de ces créatures, aux aguets, de tous les cotés, même du Koros. Nous étions encerclés. Soudain un signal retentit et ils s’élancèrent. Une marée brune de poils, de dents et de queues déferla. L’enceinte fut submergée, balayée. Soit ils la grimpaient avec une agilité impressionnante pour des bêtes aussi rondouillardes, soit ils la démontaient ou, aux endroits les plus faibles, la défonçaient. Nous tentâmes bien de résister, de leur lancer des brindilles et des cailloux. Ce fut inutile, ceux-ci ricochèrent sur leur fourrure sans même les ralentir. Le contact fut brutal, âpre. Pour chaque loutre il y avait trois assaillants. Nous nous défendîmes griffes et crocs mais rapidement nous fûmes acculés, les uns contre les autres. Ce fut un carnage. Leurs grandes incisives déchiraient les chairs des miens, leur arrachait la vie. Le sang pleuvait, les corps tombaient. Je vis mon père être la proie de deux de ces monstres. Ils lui donnèrent des coups de queue. A tour de rôle. Comme pour jouer. Jusqu’à l’estourbir. Jusqu’à le tuer. Aucune loutre du clan ne survécu au massacre. Sauf moi. Parce que j’avais été au centre du cercle des miens, j’avais été protégé, puis au fur et à mesure qu’ils succombaient je me suis simplement retrouvé enseveli sous leurs corps. Lorsque je suis parvenu à me dégager, j’ai rampé dans une boue ensanglantée jusqu’à une ramée sous laquelle je suis resté caché. J’ai attendu, terrifié, que l’effroyable passe. Une fois que ce fut terminé, les créatures disposèrent des morts. Tout comme mon clan, ils les balancèrent dans le Koros. Puis ils se dispersèrent, ne laissant que quelques individus sur place. Lorsque l’obscurité se fit, je sortis furtivement de ma cachette et je me glissai jusqu’à la rivière. Là je me laissai porter par les flots et je sombrai dans l’inconscience. Je m’éveillai une masse froide et molle contre ma figure. Je n’avançai plus. Quelque chose bloquait le courant. Je pris un peu de recul. C’était des macchabées, des centaines de macchabées ! Les restes de la bataille, les loutres de mon clan… Mes amis, mes compagnons, ma famille. Un barrage les retenait en un charnier flottant. Je les contournai pour joindre la berge. Elle était trop haute. Je dus me frayer un chemin parmi les défunts jusqu’à la barricade. En la grimpant, je me blessai. Quelque chose m’avait entaillé la patte. Je regardai. Un objet pointu d’un métal gris dépassait de l’enchevêtrement de bouts de bois. Je le pris. Une fois la terre regagnée, je l’examinai plus attentivement. Cela ressemblait à un surin. Qui seyait parfaitement à ma poigne. Ce signe me résolu. Je remontai le Koros jusqu’aux abords de l’avant-poste des créatures. Je les observai. Il y en avait seulement trois. La nuit venue, ils gagnèrent une hutte de branchages. Je patientai jusqu’à être sûr qu’ils soient endormis. Lorsque leur respiration se fit plus lente, je m’introduisis dans l’habitation et je les poignardai. Je me jetai sur le cou du premier. Le temps qu’il réagisse il se vidait déjà tandis que ma pointe pénétrait le col du second. Ils tentèrent de m’attraper, de me frapper, mais leurs forces déclinèrent bien trop rapidement. Le rouge coulait abondamment de leurs plaies. J’eus plus de mal avec le troisième. Car il eut le temps de reprendre quelque peu ses esprits. Cependant le chaos et la confusion jouèrent en ma faveur et, seriné, il s’effondra. Ce fut ma première victoire.
Oyez, oyez !
Voilà comment finirent ma famille et mon clan.
Et comment ma légende naquit.
Celle de la loutre de fer.
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Défi
Deux cent cinquante mots, je ne sais pas vraiment comment faire, toi là qui passe, j’en appelle à toi, aide-moi s’il te plaît, envoie moi de la substance, de la matière pour poursuivre, ce serait stupide que je m’arrête déjà, je n’en suis qu’au début, qu’à la naissance, prends cela comme une course qu’il nous faudrait tenir sur la longueur, une épreuve où il faut être deux à l’arrivée, un travail d’équipe, une symbiose ; envoie moi, s’il te plaît, des idées, des mots, des phrases, j’en ai besoin, j’en suis avide, je me sens comme Shéérazade, je raconte une histoire, le récit de ma vie, et comme dans le conte, la narration doit continuer à tout prix, bien que je n’ai rien de spécial à dire, je peux - nous pouvons - fantasmer, créer une fiction merveilleuse, pleine d’incroyables rebondissement, cela nous emplirait, un moment, d’une illusion de sens, je ne crois pas que le mensonge puisse durer longtemps, nous sommes trop rationnels, déjà je sens que je m’essouffle et pourtant il faut que je tienne, je t’en prie, envoie moi de l’esprit, je t’en supplie, c’est que, malgré tout, malgré son inanité, malgré son inutilité, j’y tiens à cette existence, je ne veux pas qu’elle se termine à deux cent cinquante malheureux mots, je ne veux pas qu’elle se finisse, je veux, comme dans la fable, tresser des destins, des chimères, repousser la fatalité, je suppose que c’est l’instinct, la volonté de survivre même si c’est pour répéter indéfiniment, futilement, les mêmes termes, les mêmes verbes, tiens nous voilà au-delà, si je ne m’abuse, j’ai donc gagné, j’ai survécu plus loin que la limite et je n’ai rien dit ; j’aimerais que cela se prolonge à tout jamais mais tu vas partir, tu vas m’abandonner, je le sens, et sans toi je ne suis rien, déjà se profile le point, la chute, la mort, non, je t'en conjure ne me laisse pas, mais il n'en sera rien, tu vas te défiler, ce qui me console c’est qu’au bout de ton histoire il y aura aussi un point fatal, maudit auteur.
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Défi
Ce matin là, après une pénible nuit de tempête et de cauchemars, en allant chercher le courrier, je trouvai une boîte sur la paillasse de l'entrée. Un carton à chaussure noir et trempé.
Du bout des doigts, je le pris - il ne pesait rien - et je l'examinai.
Aucun motif, aucun logo, aucune inscription ne troublait l’uniformité de sa couleur. Aucun mot ne l’accompagnait. Je le secouai doucement près de l’oreille. Pas un bruit.
Perplexe, je rentrai avec l'objet, le posai dans la cuisine et fis du café.
Je pensai - à cause de l'absence de mention d'expéditeur et de destinataire - que le colis n'avait été livré ni par la poste ni par aucun autre service de livraison. Un individu avait bravé l'orage et - peut-être - la nuit juste pour venir le déposer. Pourquoi?
Lorsque mon épouse descendit je lui versai une tasse et interrogeai ses yeux touts embrouillés. "Tu as commandé quelque chose sur Internet?", dis-je, tout à trac, en montrant la boîte. Elle bailla et me répondit laconiquement "non". Et après quelques instants : "Qu'est ce que c'est?". "Je ne sais pas", répondis-je, perdu dans mes pensées. "Ouvre, on verra bien". La logique même. Cependant, sur le point d'obéir, je m'arrêtai. Je songeai à la nouvelle "Le jeu du bouton" de Richard Matheson dans laquelle un couple reçoit une étrange boîte contenant un funeste bouton. "N'importe quoi" me dis-je silencieusement en secouant la tête et je soulevai le couvercle. Une surface sombre. Vide, elle était vide. Je lui fis voir, elle haussa les épaules et nous restâmes sur cette énigme.
Un peu plus tard, vers dix heures, tandis que je sortais mon border collie, un vieil homme m’accosta sur le pas de ma porte : « Bonjour, je me nomme Schrödinger, n’auriez-vous pas vu mon chat ? ». Je lui répondis non et le laissai-là.
Au retour de la promenade, un gamin était assis sur la première marche du perron. Me voyant approcher, il se leva, me toisa un instant et me lança : « L’avez-vous ouverte ? ». Surpris, je hochai la tête. Il prit un air désolé et soupira : « Oh non, vous n’auriez pas du… vous avez laissé filer le mystère… ». Il me planta ainsi.
« Non mais tu as vu ? », fis-je des yeux à mon chien. Il sauta sur mes cuisses et mit sa truffe dans ma main, me quémandant une caresse. Je la lui donnai.
Quelque part, une grosse voix grave s’éleva, comme pour répondre à mon interrogation muette : « C’est l’espoir que vous avez laissé filer ! ». Je me tournai. Un homme se tenait de l’autre coté de la rue et il me fixait furieusement. A sa droite, se trouvait le garçon, tout aussi colère. « Inconscient ! », me cracha-t-il. Ne comprenant pas mais me sentant pourtant écrasé par leurs accusations, je gagnai, coupable, mon domicile. Je me réfugiai derrière l’huis, me collai à lui et attendis, guettai, fébrilement leur départ. Un indistinct « Notre futur… non, ton futur… par cet imbécile… » me parvint encore. Puis un moteur s’emballa et ce fut tout. J’entrebâillai la porte afin de m’assurer qu’ils soient bien partis. Et en effet, il n’y avait plus personne en face. Je soufflai. Cependant je remarquai une feuille blanche à terre. Une note. Il était écrit : « Dans cette boîte se trouvait la vie, un monde, notre monde ! ».
Je fermai lorsque ma compagne m'appela, inquiète : « Luc, peux-tu venir au salon ? ». Je libérai le chien, et la rejoignis. Elle était debout à coté du combiné téléphonique. « Il y a quelque chose de bizarre qui se passe. », me dit-elle. J'étais bien d'accord. « Pendant que tu es parti, on nous a téléphoné sur le fixe. Quand j'ai décroché, une femme m'a reproché d'avoir ouvert cette boîte. Elle m'a dit quelque chose de bizarre, qu'à cause de nous les rêves avaient filé. J'ai raccroché bien sûr, ce n'avait pas de sens, mais quelques temps plus tard elle a rappelé. ». « C'était une femme ? », l'interrompis-je, surpris. « Oui. Et elle a continué sur le même registre délirant. La vie, le hasard, la mort et je ne me souviens plus combien d'autres choses qui se seraient carapatés de ce foutu carton ! Je ne parvenais pas à en placer une. J'ai à nouveau raccroché et je n'ai plus répondu. Et pourtant cela a encore sonné pendant longtemps encore. Cela s'est seulement arrêté il y a peu.». « Faut que je te raconte ce qui m'est... », tentai-je de lui dire lorsqu'un bruit strident me coupa. Nous nous regardâmes. La sonnette. Un deuxième coup vrilla l'air. Longuement. « Tu y vas ? ». J'hésitai et je tentai un timide « Nous ? ». Un troisième appel nous décida. Nous allâmes ouvrir.
« Bonjour, je m’appelle Pandore. », nous salua une jeune fille en jean et en chemise de bûcheron. « Je suis venue vous dire que le monde s'achève avec vous. Que de votre faute c'est la fin du monde ! ». Je lui claquai la porte au nez avant qu'elle n'ait pu ajouter quoique ce soit. Pris d'une incontrôlable rage, je me précipitai à la cuisine, saisis la maudite boite par les coté et la déchirai. Le sol et le toit se rompirent. Une formidable faille cisailla les murs. Toute la pièce, non, toute la maison trembla. Terrorisé, mon border collie courut se mettre entre mes jambes. J'arrachai un autre morceau. Une partie de la pièce explosa. Une conduite d'eau éclata, des débris volèrent dans toutes les directions. Miraculeusement aucuns d'entre eux ne m'atteignit. Je parvins à déchiqueter cette satanée boîte à chaussure en encore une dizaine de morceaux avant qu' un abîme s'ouvre sous mes pieds et que je tombe.
« Tous les êtres vivants, sans aucune exception, sont des boîtes vides », entendis-je en m'éveillant sur une surface froide. Dans mon champ de vision, deux formes floues se penchaient au-dessus de moi. « Ha, il se réveille ! Cher monsieur, nous sommes ici, mon collègue et moi, en pleine interrogation. Si vous vouliez avoir l'obligeance de nous aider. Nous nous demandons que vous mettre.». Je baissai les yeux afin de voir ce qu'ils scrutaient avec tant d'attention. Je vis, avec horreur, ma cage thoracique ouverte. Elle semblait vide, je ne voyais qu'un grand espace sombre. « Que voudriez-vous que l'on mette dans votre boîte noire ? Des souvenirs ? De l'expérience ? Des émotions ? Des entrailles ? Des viscères ? Des circuits ? Du métal ? ». Je retombai dans l'inconscience.
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Nouvelle qui devait répondre au défi d'Amaury : "Ecrire une nouvelle fantastique". Malheureusement, j'ai pris beaucoup trop de temps pour la rédiger - alors que c'est la réécriture d'un texte commis plus jeune :(
Elle rentre dans la même catégorie de thème que : deux films : le très très moyen Mirrors et le très bon Oculus ; et l'anthologie "Histoires de doubles" publiée chez Pocket et France Loisirs. Touts commentaires, remarques, corrections stylistiques et orthographiques, critiques sur l'intrigue, le thème - bref sur tout ce que vous voulez - ... sont plus que les bienvenus!
Elle rentre dans la même catégorie de thème que : deux films : le très très moyen Mirrors et le très bon Oculus ; et l'anthologie "Histoires de doubles" publiée chez Pocket et France Loisirs. Touts commentaires, remarques, corrections stylistiques et orthographiques, critiques sur l'intrigue, le thème - bref sur tout ce que vous voulez - ... sont plus que les bienvenus!
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Défi
Quelque part dans la nuit de l'Océan Atlantique Nord, au milieu d'une zone de débris et de corps, flotte une planche sur laquelle s'agite une silhouette.
"- Jack, s'il te plaît, monte!
- Non, ma douce, je ne peux pas.
- Jack, j'insiste!
- Si je me hissais, mon aimée, cette pièce de bois se retournerait et tu tomberais.
- Jack, tu vas mourir!
- Seule ta vie importe, mon trésor.
- Jack, j'espère que tu ne dis pas cela parce que je suis - j'étais - de la première classe? Tu réalises combien, dans une situation comme celle-ci, les distinctions de classe sont absurde, non?
- ...
- Non?
- Mon adorée, il n'y a de place sur cet esquif de fortune que pour une seule âme.
- Mais enfin, Jack, il y a de l'espace pour au moins trois personnes!
- Mon coeur, je t'en supplie, laisse-moi vivre pleinement ma grande scène de sacrifice. De ma misérable existence de vagabond de troisième zone, cela sera certainement la seule occasion que j'aurai d'accomplir une belle action au nom de l'amour.
- Mais Jack cela n'est pas nécessaire !
- ...
- Jack, arrête de faire l'enfant!
- ...
- Si tu ne grimpes pas à mes cotés le froid me tuera!
- D'accord ma chérie, mais je ne cède que pour sauvegarder ce joyau qu'est ta vie."
Au terme de cet échange, Jack monte sur l'embarcation improvisée et, romantiquement, enveloppe Rose de son corps. Ils dérivent ainsi enlacés quelques temps jusqu'à ce qu'un canot survienne. L'éclat violent d'un projecteur les éblouit.
"- Ohé du radeau! Ici le Carpathia. Vous êtes sauvés. Montez donc! Ha... Vous êtes deux... Je n'avais pas vu... Malheureusement nous avons un petit problème : il n'y a qu'une seule place...
- Adieu ma vénérée, je reste-là. Messieurs, je vous en prie, faites-la-monter en douceur. Mon soleil, souviens-toi toujours de notre amour. Tu as éclairé ma vie, je n'ai aimé que toi...
- Jack, arrête ton cinéma! Si on se serre tous un peu tu pourras t'asseoir. Au pire, je me mettrai sur tes genoux.
- Ma déesse, ne sois pas naïve, c'est impossible, tu le vois bien. Ma dernière heure est venue, c'était inscrit dans mon destin : il me faut mourir pour que tu puisses vivre.
- Mais quel boulet! Mais quelle cruche j'ai été de m'amouracher d'un lourdaud pareil! J'aurais été plus inspirée d'aller jusqu'au bout de mon geste et de sauter du pont, tiens! "
Mortellement vexé, Jack refuse de grimper.
Des mains tentent de le saisir, mais le bougre se débat comme un beau diable. Il s'échappe et prend, à la nage, la direction des restes du navire.
La barque le suit, le responsable et les passagers le hèle mais rien n'y fait.
Soudain Rose, autoritaire, s'exclame : "Si cet imbécile tient tant à mourir, laissons-le! On ne peut forcer aucun homme, qu'il soit idiot ou savant, à vivre et encore moins à survivre!".
La barque de sauvetage fait demi-tour et s'éloigne vers le paquebot, abandonnant Jack au milieu de son cimetière marin.
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Défi
Ce soir, je ne peux fermer l’œil.
C’est à cause d’Halloween.
Ne vous méprenez pas, je n’ai pas peur.
Je n’aimerais pas que l’on me pense froussard - il y a bien longtemps que je ne crois plus aux monstres.
Mais ce cortège de bruits, de cris et de pétards !
C’est agaçant, horripilant, cela me porte sur les nerfs.
Et, bien que j’aie mis des bouchons dans mes oreilles, le tapage, dans mon cerveau, va croissant - c’est angoissant.
Car en plus des gamins qui hurlent dans la rue, les voisins dans leurs foyers festoient à tue-tête.
Dead can dance, à gauche, chez les Dansaert ; Killing in the name of, à droite, chez les Namaert.
Entre les deux c’est l’insomnie.
La mienne.
Ce ne sont plus des maisons mais des boîtes à sons.
Je me crispe dans mon lit, l’oreiller sur la tête et l’ensemble sous les draps.
Rien n’y fait.
Entre mes tempes résonne un brouhaha cacophonique.
Une heure, deux heures, trois heures de ce tohu bohu rythmique et mon esprit n’est plus qu’une bouillie sonore, un spectre binaire en ram et en dam.
C'est bon, ils ont réussi.
Ils m’ont emporté jusqu’au bout de ma nuit.
De ce tintamarre, j’en ai marre !
Alors, je me lève, colère, et sors, vociférant.
A mon tour le barnum !
Du squelette la tête vola ; les petits fantômes dans l’au-delà furent renvoyés ; les zombies outre leur tombe ; le loup-garou, je le pris par la queue et en fis du boudin ; les vampires avalèrent leurs canines ; les sorcières leur bâton ; les bandelettes des momies virèrent au rouge ; et ce que je n’identifiai pas devint de la pulpe de potiron.
Oh mon dieu quel sabbat !
Quel régal !
L’espace vidé, mon barouf continue : cap chez les Dansaert !
Je fends l’huis et m’invite sur la piste.
Dans un metal endiablé – Nothing else matters - , je tranche bras, pieds, troncs, bassins et que sais-je encore ? Je ne suis pas boucher, moi. Je ne fais pas dans la dentelle !
Le dernier coup est pour l’infernale machine qui enfin, dans un ultime crachotement, se tait.
Je prends un moment et savoure ; il faut bien que je l’avoue : je m’amuse follement !
Plus qu’une étape !
Ces chers Namaert !
Hache dans le dos, sourire grimaçant de circonstance, je frappe à leur porte.
Des bonbons ou la vie ?
La vie, bien sûr !
Le sang gicle et les corps tombent.
Tandis que j’abats mon outil sur la fille de la famille, je reconnais Sympathy for the devil.
Je l’aime bien celui-là - mais il est beaucoup trop tard pour être sympathique.
Je poursuis donc mon carnage jusqu'à ce qu'ils soient tous en morceaux.
Voilà, c'est fini.
Il ne reste des Namaert que des petits bouts épars.
Quelque peu ému, je contemple mon oeuvre sur les mesures de Sweet Dreams ; puis, cérémonieusement, j'éteins le lecteur et regagne mes pénates, emportant leur panier de chocolats.
Je me recouche encore quelque peu fébrile, excité, la tête pleine de morts.
Heureusement, au bout de quelques minutes, mes muscles se délassent et le sommeil me borde.
Haaaaaaaaaa quel délicieux silence…
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Défi
Partout sur mon corps poussent des traits de jais.
Il y en a tant et tant que je pourrais en faire des lettres, des mots, un poème.
Cependant cela m'est impossible, car, à l'instar de mon esprit, ils manquent de longueur.
Finalement, leur seule expression est de souligner ma bestialité.
Oui, oui, je parle bien de poils!
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