Les cicatrices s'envolent, les souvenirs restent
de Vaf
J’ai attendu ce moment toute ma vie. Je l’ai imaginé des centaines de fois et je flippe complétement. Je me focalise sur le décor. Je ne sais pas lequel choisir. J’en ai sélectionné trois. Je veux qu’elle se sente à l’aise. Astride. Son nom est Astride et je ne dois pas faire de gaffe. C’est la première fois qu’une Revenue demande son examen final. Comme si je n’avais pas eu assez de premières fois ces derniers mois. Mes mains tremblent. J’ai bu trois cafés et ma tension est déjà à son max depuis hier. Foutu piratage.
Quelqu’un frappe à la porte.
— Donnez-moi deux minutes.
Je n’ai toujours pas choisi le décor. Je dois le faire rapidement. Bordel, mon cœur veut sortir de ma poitrine. Le paysage de forêt m’apaise un peu. Espérons qu’il en sera de même pour Astride. On allait en forêt. Papa nous a initiés à la cueillette de champignons. Après toutes ces années, nous continuons d’y aller. Cela reste notre truc à nous.
— Vous pouvez les faire entrer.
Astride entre la première. Son aspect est négligé. Elle qui a toujours pris soin de son apparence, la voir porter une simple chemise longue m’attriste. Cynthia est l’opposée. Pour une fois qu’elle peut laisser tomber l’uniforme, elle l’a probablement fait avec envie et appréhension. Astride s’assoit face à moi avant que je l’y invite. Elle n’a rien dit à Cynthia depuis le piratage d’hier. Elle a seulement demandé cette entrevue en disant qu’elle voulait être libre. Astride ne me regarde pas. Ses yeux fixent la fenêtre sur sa gauche. Cynthia, assisse plus loin, m’encourage d’un signe de tête.
— Bonjour, Astride. Je suis le directeur de ce centre. C’est moi qui dois vous faire passer ce dernier examen. Votre marraine vous a-t-elle expliqué les modalités du jour ?
— Cynthia m’en a longuement parlé. Je veux seulement sortir aujourd’hui.
Les pouces d’Astride sont enfouis dans ses poings. Je ne l’ai jamais vu comme ça.
— Nous devons nous assurer que nous n’avons plus de raison de vous garder. Puis, nous allons discuter de votre vie d’après.
— Je veux juste sortir.
— Votre mari est ici.
Première réaction. Astride se cambre et se réinstalle. Je n’arrive pas à savoir quelle émotion l’anime en cet instant. Pour le reste, il est clair qu’elle est en colère.
— Mon cher mari est là ?
— Nous en reparlerons plus tard.
Astride garde la tête fixe. Je n’arrive pas à voir ses yeux.
— Avant toute chose.
— Il souhaite me rencontrer ? me coupe-t-elle. Je sais qu’il s’est passé du temps. Il pourrait ne pas vouloir me voir. Je crois que je comprendrais.
Sa voix s’étouffe. Elle baisse la tête, mais son émotion est palpable. Je dois savoir ce qu’elle a appris hier.
— Avant toute chose, pouvez-vous me parler de votre séjour ici ? Depuis votre arrivée ?
— Sans déconner ? C’est ça votre première question ? Après ce qui s’est passé hier ?
— Nous en parlerons en temps voulu. Il y a un protocole à respecter. Voulez-vous bien commencer ?
Elle a légèrement relevé son visage. Derrière elle, Cynthia me brandit un pouce d’encouragement.
— C’était un mardi, commence-t-elle.
Elle secoue la tête de gauche à droite.
— C’est tellement idiot ce que vous me demandez de faire. Vous savez tout. Vous étiez là depuis le début.
Volcanique. J’en avais entendu parler, mais je n’avais jamais eu l’occasion de le voir de moi-même.
— Rien n’est idiot ici. Insensé, serait un terme plus judicieux.
Elle souffle, puis finit par obtempérer.
— Je me suis réveillée en bas. Dans le quartier des Revenus.
Elle accompagne sa phrase d’un geste du bras. Mon bureau surplombe en effet cet étrange secteur.
— Comme tous les pensionnaires ici. J’ai repris connaissance d’un coup. Dans ces rues immaculées et froides. J’étais seule avec au-dessus de ma tête cette immense sphère noire. Il n’y avait que nous deux, elle et moi. Je crois avoir marché quelques minutes, je ne sais plus, mes sensations étaient bizarres. Je commençais à paniquer. J’appelais à l’aide. Il y eut un bruit. Quelque chose venait vers moi, je ne compris pas tout de suite. Un objet me survolait. Puis, mon visage apparut sur les murs autour de moi. Je me reconnus bien que ce n’était pas vraiment moi. J’étais comme, rajeunie.
Astride arrête son récit et rit. Je ne sais pas si c’est un vrai rire. Elle est revenue plus jeune de dix ans. Rares sont ceux à en être satisfait.
— Une sirène se fit entendre. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Puis, des portes s’ouvrirent et plusieurs personnes s’approchèrent de moi. Ils portaient tous un uniforme blanc. Un homme leur demanda de faire attention à moi. Plusieurs personnes me proposèrent de les suivre. Ne sachant que faire, je m’exécutai.
Elle fait un nouvel arrêt. Elle est atone. Je vérifie dans son dossier si elle a eu une médicamentation aujourd’hui. Ce n’est pas le cas. Mon regard croise celui de Cynthia. Nous assistons inquiets au même spectacle.
— Je ne sais même plus si ce sont de vrais souvenirs. Cynthia m’a dit que tous mes souvenirs le sont, mais je ne les comprends pas tous. Malgré les exercices, je n’arrive toujours pas à les interpréter.
— Votre récit correspond à ce que l’agent vous ayant réceptionné a indiqué.
— Réceptionné ? Comme un colis ?
— C’est en effet le terme que nous utilisons. Il n’est pas de ma conception.
Je m’étonne de mon besoin de justification.
— Et quel mot utiliserez-vous pour un colis défectueux qui arrive avec trente ans de retard ?
— Pouvons-nous reprendre la procédure voulez-vous ?
Elle n’a pas bougé. Son regard est sur la fenêtre. Je comprends que non. Je ne suis plus habitué à l’observer. Astride regarde la sphère. Seules ses épaules se sont haussées lorsqu’elle a posé sa question. Défectueux. Ce terme me brise le cœur, mais pas autant qu’à Cynthia. Elle a du mal à se contenir. Heureusement, Astride ne la voit pas.
— J’avais une certitude. Une étrange certitude. Je n’avais pas entendu une voix depuis une éternité.
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