Sous les combles, étendue sur la toile moite, Ada veilla les ténèbres — jusqu'à l'aube. Morphée n'avait délaissé l'allemande que pour mieux ravir Bernadette, l'aînée des Mainemer, que la divinité plongea dans un profond sommeil. Le chant du coq tira Bernadette de ses rêves brumeux. Le volatile s'égosillait depuis de longues minutes quand la jeune fille se précipita à la fenêtre. La Kübelwagen avait disparu. La boche avait filé !
La permissionnaire avala presque d'une traite la distance séparant la ferme isolée des rivages houleux de l'océan Atlantique. Sa ruée vers le sud-ouest se déroula sans anicroche hormis cet accrochage avec l'équipage d'une motocyclette Zündapp de la Wehrmacht.
Deux soldats entrainaient de force une femme et deux fillettes dans les fourrés. Pour la seule fois de la guerre, Ada fit chanter son Luger. Elle abattit le sergent, ogre vert à la queue frétillante. Les vociférations de son acolyte cessèrent quand un projectile perfora sa tempe. Délivrées de la poigne du caporal, les fillettes s'élancèrent vers leur mère.
L'inconnue aux yeux sombres déclara s'appeler Béatrice.
Pourquoi pas Ruth ? Ou bien encore Esther, pensa Ada. Mais, peu importait. Ada redémarra. Assise à l'arrière avec sa famille, la brune contemplait en silence les paysages bucoliques.
Une fois en ville, Ada déposa Béatrice et les siens non loin du port de pêche. Dans la rade manoeuvraient en silence de graciles langoustiers. Béatrice caressa la Kübelwagen du regard jusqu'à ce que l'automobile disparaisse au coin de la rue. À jamais.
Ada consulta sa carte. Elle longea le littoral balayé par les embruns jusqu'à son lieu de villégiature : un chalet marin perdu entre dunes et océan Atlantique. Ada frappa à la porte.
Durant les années soixante, Laura, unique survivante du trio familial tenta d'identifier et de retrouver la souris grise qui en 1942 avait permis à une mère et ses filles de vivre ensemble quelques jours de plus. En vain.