Nicolas Völva ou l'avenir à portée de main (Nouvelle)
de Lange
Pour son premier jour, Victor s’était acheté un costume taillé sur mesure. Bien que l’habit ne fasse pas le moine, pour lui, être pris au sérieux passait par la couture.
Par ses relations, son père lui avait obtenu un poste dans une société d’investissement lyonnaise qui avait le vent en poupe. Il incarnait la réussite de la famille. Petit dernier d’une fratrie de quatre enfants, il était premier en tout. Rien ne lui résistait : charmeur, sportif, téméraire et travailleur, il avait développé une personnalité de fonceur et une soif de réussite professionnelle. Travailler au sein de la « Future-invest » était pour lui une étape plus qu’un aboutissement.
On lui attribua un bureau dans l’espace jouxté à la salle de reprographie. Il le partagerait avec Xavier, l’assistant personnel de Nicolas Völva, fondateur et directeur général de la société.
À dire vrai, son orgueil en fut piqué.
Son ambition n’en fut que décuplée. Il devait faire ses preuves pour gagner un bureau solitaire avec vue sur la Saône.
En jeune loup, il observa son environnement pour mieux en prendre possession.
Méthodiquement, il commença à prendre connaissance des dossiers que Xavier lui avait transmis.
À l’heure du déjeuner, il partagea sa pause avec son colocataire de bureau. Victor amorça la conversation
- M. Völva est-il présent ? Je n’ai pas encore eu l’occasion de le saluer.
- Il est en voyage. Il rentre demain. C’est un vrai globe-trotter. Il court le monde pour les affaires et en revient toujours avec des breloques. Tu verrais son bureau, c’est un vrai cabinet de curiosité ! Des objets en tous genres, pas toujours beaux mais qui semblent lui procurer beaucoup d’enthousiasme !
Le lendemain, Victor se rendit au travail avec empressement. Il était impatient et intrigué par sa rencontre prochaine avec M. Völva. En se rendant à son bureau, il passa devant la salle de réunion vitrée où il put apercevoir toute une équipe attablée, mine soucieuse et tournée vers un homme en bout de table. Victor pensa que ce devait être lui.
À cet instant, l’homme se leva brusquement, sortit de la salle de réunion pour s’engouffrer dans son bureau. Il en ressortit triomphant quelques minutes plus tard et retourna à la salle de réunion en signalant son acquiescement par un signe de tête franc. Pendant que les collaborateurs organisaient le tour de signature, Victor observait la scène avec minutie.
Il s’était imaginé un homme au physique égal à sa stature professionnelle. Il n’en était rien. Il en fut presque déçu. Völva, souffrait d'un physique insignifiant. Le genre d’homme à côté de qui on aurait pu passer sans même s’en rendre compte.
En sortant de la salle, M. Völva, vint au bureau de Victor, et l’apostropha ainsi : Bienvenue le petit nouveau !
« Le p’tit’ nouveau ? » pensa Victor, je n’ai même pas le droit à un prénom ?
Il se redressa et d’un geste assuré, tendit une poignée de main à l’homme. Il ponctua ce geste par « Victor, Monsieur, je suis enchanté de rejoindre votre équipe ».
Victor dépassait bien d’une tête M. Völva.
Les deux hommes se toisèrent du regard, comme deux loups au sein d’une meute.
Les jours suivants, Victor observa le petit manège de Nicolas Völva à chaque réunion. Ses collaborateurs exposaient une situation, parfois épineuse. Une décision devait être prise, l’homme se levait, restait quelques minutes dans son bureau, seul et en revenait. Parfois avec une mine grave qui signifiait que l’investissement ne se ferait pas, parfois avec une mine glorieuse qui validait l’affaire en cours.
Victor questionna Xavier.
- Que fait-il dans son bureau ?
- Ah ça, je ne sais pas, c’est toujours comme ça ! Il part, il revient et le contrat est jeté ou signé ! C’est sa fantaisie, on l’accepte parce que ça fonctionne à chaque coup. Il a un flair incroyable, c’est admirable !
Ceci éveilla la curiosité de Victor. Il devait savoir ce que faisait cet homme pendant cet intermède solitaire.
- Tu n’es pas curieux de savoir ce qu’il y fait ?
- Moi ? Pourquoi ? du moment que ça fonctionne et que ça me permet d’avoir mes primes d’intéressement, je m’en fiche. Il pourrait se branler que ça ne me ferait ni chaud ni froid.
- Mais, enfin tu es son assistant, tu pourrais rentrer dans son bureau à ce moment-là et tu y verrais ce qu’il fabrique ?
- Ça m’est interdit ! Je n’ai pas envie de perdre ma place !
Victor pensa alors qu’à lui aucune interdiction n’avait été formulée. Il pourrait user de son statut de « petit nouveau » pour surprendre l’homme.
La messe était dite ! Dès demain, il prétexterait la signature urgente d’un document pour l’interrompre.
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