Avertissement : comme je n'ai pas eu le temps de finir le précédent défi de "Quelques mots sur un piano", je présente ici un mélange du défi de la semaine passée et du défi de cette semaine.
Elle s'appelait Flore. Je l'aimais car elle aimait les hommes qui aiment les femmes pour leur intelligence. Ou plutôt parce qu'elle aimait les hommes qui aiment les femmes qui aiment ...enfin je ne sais plus trop, mais c'est un truc comme ça. Nous étions botanistes, et chaque jour de la semaine nous travaillions ensemble, mais me déclarer me semblait parfaitement ridicule. Tous les signes montraient qu'elle recevrait, certes gentiment, en parfaite femme douce et pleine de classe qu'elle était, mais fermement, une quelconque demande sentimentale de ma part.
En fait je crois que je n'étais pas très pressé : la voir chaque jour, pouvoir lui parler amicalement, comblait l'essentiel de mes souhaits, et pour le reste, je n'en étais pas encore arrivé au point où la situation devenait plus ou moins incontrôlable.
Un jour, nous eûmes une discussion qui me marqua, car pour la première fois, elle montra des signes de passion et d'enthousiasme. D'ordinaire, elle se montrait essentiellement calme, souvent fatiguée, voire éteinte par les longues journées de travail. Mais quand nous abordâmes, je ne sais plus par quel cheminement, le sujet des Jardins Suspendus de Babylone, son œil (et même les deux) s'éclaira d'un éclat qui me surprit tout d'abord.
Son ton habituellement monocorde, et même pâteux à l'occasion, prit des inflexions très expressives, qui me firent penser à mon cousin quand il parle voiture. J'étais d'autant plus étonné qu'elle ne se comportait jamais ainsi. Je sortis de cette conversation avec une idée fixe en tête : recréer pour elle l'equivalent des Jardins Suspendus. Dans la passion de l'instant, cela me parut parfaitement possible. Réussir ce tour de force végétal, j'en étais sûr, me ferait apparaître à ses yeux comme un parti idéal, les signes tourneraient alors en ma faveur, les planètes s'aligneraient, me permettant de me déclarer, et d'emporter la décision.
Mais le lendemain matin, au réveil, un mal de crâne carabiné vint me replonger dans la réalité. Les Jardins Suspendus de Babylone ! Et pourquoi pas le colosse de Rhodes, pendant que j'y étais, ou bien le Phare d'Alexandrie ! Comment cette idée folle avait elle bien pu germer dans ma tête malade ? J'eus une nouvelle confirmation que la passion nous fait parfois complètement dérailler. Et que, tout homme raisonnable que je me considérais être, je n'étais pas à l'abri de sorties de route brutales hors de la modestie et de la réalité.