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Salvard

Salvard
Nous aimions mes sœurs et moi, nous étendre sur les berges de la Loire pour écouter battre le pouls de la vie. Nous emportions toujours avec nous quelques vers de Racine, Molière ou bien Corneille, que nous déclamions à l'heure où le marais se parait de brume et de mystère. Le soir moribond empourprait alors le fleuve et faisait danser au-dessus des ondes calmes des lucioles de fraicheur. La campagne alentour, libérait ses parfums suaves de terre humide, de roseaux et de mousse épaisse et verte. Nous nous régalions des chants nocturnes qui naissaient de-ci, de-là donnant un concert étrange et enchanteur. Nous jetions dans les flots nos rêves de jeunes filles et les regardions partir au loin, contourner les rochers saillants, se perdre dans l'écume bouillonnante des petites cascades qui se formaient au pied du pont. La douce mélodie des eaux profondes et noires, embrasait nos esprits d'une curieuse folie où se mêlaient à la fois l'envie de connaître d'autres cieux et celle de rester à jamais sur ses rives familières. Nous communions toutes ensemble et nos prières à l'unisson aspiraient au même vœu. Nous étions unies par de semblables espoirs que nous confiions à la nuit qui, accompa
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Le vent tomba, la tempête était passée. La plage,malmenée jusque-là, retrouva son calme et l'océan serein, se remit à battre le rivage de ses vagues légères. Le ciel se déchira délicatement faisant naître des rayons teintés de bleu et de rose qui balayèrent le paysage marin. Sur la surface de l'eau se refléta alors la lumière suave de cette journée estivale. Nous marchâmes un long moment, silencieux, côte à côte. Gustave, les mains dans le dos, les yeux tournés vers le lointain, semblait en suspend tout comme l'air que nous respirions.
Je remplis mes poumons de la brise salée qui venait du large puis, prenant courage, je lui proposai de devenir sa femme pour qu'enfin nos solitudes respectives de veufs, se sentent allégées.
Il fit une halte, contempla encore un long moment l'horizon, alors ses yeux profonds se posèrent sur moi. - Pensez-vous qu'il faille nous marier pour apprécier nos compagnies mutuelles ? Je restai interdite, doutant du bien fondé de ma proposition et fis un pas de côté. - Non, certes, le mariage n'est pas une obligation, mais il aurait l'avantage de couper court aux rumeurs qui nous unissent dans le même lit. Expliquai-je quelque peu décontenancée.
Il redressa son buste fièrement, passa son bras sous le mien et d'un ton soudainement amusé me dit : « Et bien mon Amie, courons vite à la mairie officialiser nos batifolages ! »
Les embruns formaient au loin de beaux chevaux blancs et mousseux qui rejoignaient le ciel.
- Gustave, je ne vous parle pas d'amour, mais de bienséance. Insistai-je blessée. - Vraiment ? Je crus comprendre le contraire ! Fit-il me fixant de toute sa hauteur, un sourire aux lèvres. Je rougis comme une jeune fille de vingt ans, il avait fait mouche.
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Mon voyageur,

La lumière de milieu d'après-midi éclaire le salon avec une étrange délicatesse. La maison est calme, seuls les bourdonnements venant du jardin s'invitent par petits sons dans le salon. La Loire aux eaux vives, apporte sa fraîcheur, j'entends ses clapotis contre la barque amarrée. Mireille, en revenant de Villars, a déposé un bouquet de glaïeuls sur le guéridon, il me faut lui trouver un vase. La maison Adélaïde est louée jusqu'à fin septembre, je pense rendre visite aux locataires demain en fin de matinée; Il paraît que ce sont des Parisiens. J'ai fini la bergeronnette que tu m'as commandée, elle partira par colis vendredi, Gaston m'a promis qu'il passerait me chercher pour me conduire à la poste. C'est un beau mois de juillet que nous avons là. Si tu voyais les orangés qu'il nous offre quand le soir se présente, je suis certaine que tu les savourerais autant que moi. Désirée et Henry se marient en octobre, il m'ont annoncé l'heureuse nouvelle hier au soir par télégramme. Peut-être nous donneront-ils un bébé pour l'an prochain ? Le rosier près de la remise est magnifique et ses fleurs très odorantes, elles me rappellent nos jours heureux. La Tranquille t'attend le sais-tu ? Aussi, pour tuer le temps, pour duper l'absence, elle écrit, se promène, et rêve à ton retour. Ne tarde pas trop.

Très affectueusement,
Michelle
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Lucien vint me voir et je l’embrassai avec ferveur, nous ne nous étions pas vus depuis 6 ans. Il me raconta son voyage, je pleurai en le regardant, il avait grandi, mûri, était devenu un homme, - la vie se joue de nous pensai-je alors, écrasant une larme. Nos retrouvailles consommées, nous montâmes voir notre mère qui, entendant nos pas, nous attendait déjà , droite, pleine de dignité, assise sur son lit; La maladie la retenait depuis quelques semaines dans sa chambre.
Lucien s’approcha d’elle avec empressement et c’est avec autant d’ardeur qu’elle le serra contre elle. Elle tenait à nouveau sa chair, son enfant, au creux de ses bras. Elle lui caressa le front, les cheveux, le redécouvrit avec douleur, la séparation lui ayant fait croire que jamais, tous deux, ne se reverraient.
Il s’assit près d’elle, lui prit la main, la baisa avec affection, puis lui conta sa vie sous les tropiques, je me retirai, désireuse de les laisser seuls. Je descendis à la cuisine, demandai à Jeanne notre cuisinière quelques plats préférés de mon frère, me proposai de l’aider, et ce fut ainsi que, nous entamâmes une collaboration dynamique et joyeuse.
Un peu plus tard dans l’après-midi, Lucien et moi fîmes une petite marche dans le parc, je retrouvai avec bonheur l’ambiance de ces heures de complicité dont l’éloignement nous avait privés.
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Chaque jour Marghareta gardait espoir et chaque jour, elle se disait que la guerre ne durerait pas, que Piet reviendrait très vite. Pour se donner du courage, pour ne pas sombrer dans la mélancolie, elle habillait la maison de bouquets qui changeaient de couleurs et de formes au gré des saisons.
Ses cousines de Kinissburg venaient souvent lui rendre visite pour l'emmener au bord du lac, ou bien à l'auberge du vieux Henzel mais elle préférait de loin sa maison et sa fenêtre derrière laquelle, elle guettait le retour de son époux. - Je pourrais manquer son arrivée. Disait-elle en guise d'excuse. Personne n'était dupe, mais personne ne pensait à briser l'espoir qui l'habitait.
Pétrie d'une tendresse toute naïve, elle s'accrochait à ses rêves comme d'autres s'accrochaient à la vie, au travail, pour ne pas abdiquer.
Jamais dépourvue d'idée, elle inventait une façon inédite à chaque lever de soleil pour accueillir Piet dont les nouvelles arrivaient lentement. Coquette, elle changeait sa toilette à chaque instant ne se trouvant jamais assez belle, couvant secrètement le désir de le voir apparaître à l'angle du portail.
Les gens du bourg la saluaient avec gentillesse, lui adressant quelques mots d'encouragement et de soutien. Elle leur répondait toujours par un large sourire, gardant pour elle, les peurs qui lui tenaillaient le ventre.
Mais le soir, quand ses volets fermés, elle retrouvait sa triste réalité, sa profonde solitude, et que l'attente se faisait trop longue, trop insupportable, elle laissait couler des larmes acides sur sa table joliment garnie sous les pétales des fleurs fraiches et indifférentes à ses tourments.
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- Aimez-vous les courses hippiques ? lui demande-t-il.
- Il m'arrive oui, parfois, de me rendre aux champs de courses. Répond-elle étonnée.
- Bien, bien. Souligne-t-il aussitôt.
Elle décèle alors chez cet homme quelque chose de félin, quelque chose à la fois attractif et repoussant. Ce n'est pas vraiment de la peur, mais davantage une crainte qu'elle ressent. La crainte qu'un piège ne se referme, la crainte que ses mots ne soient mal interprétés. Alors qu'il balaye la salle de ses yeux noirs intenses, elle le juge dans son entier et sent en elle, comme un grand frisson. Rompu aux affaires de guerre, aux ordres et aux commandements, Gervais Odier est un homme qui a une carrure, et bien des histoires à raconter. Elle observe ses mains blanches totalement en contradiction avec son corps large et brut, jouer avec l'étui à cigarettes et se demande comment cela est possible une telle opposition en une même personne.
- Pourquoi cet intérêt soudain pour les courses ? L'interroge-t-elle alors qu'il se tourne vers elle.
- Vous semblez vous ennuyer dans ce salon doré, avec toutes ces dames agréables je vous le concède mais si tristes ! Lui adresse-t-il tout naturellement la laissant sans voix.
- Vraiment ? Fait-elle vacillante.
- Je vous l'assure, vous n'allez pas avec le décor. Ajoute-t-il allumant une cigarette.
Incontinent, elle balaye à son tour la salle, où s'entrecroisent des hommes et des femmes de tous âges et dont beaucoup, ont le visage figé, et réalise combien il a raison.
- Je devine en vous, une battante, une téméraire, une audacieuse. Continue-t-il tirant sur sa cigarette.
- Et pourquoi donc ? Le questionne-t-elle un peu vexée d'avoir été mise à jour sans être prévenue.
- Votre allure, la distance que vous mettez entre eux et vous, le détachement que vous avez pour ce qui se passe ici. Déclare-t-il avec une assurance déroutante.
Interdite, elle le regarde et se dit que Charles lui a présenté un bien curieux ami.
- Vous vous méprenez je crois. Fait-elle regardant si Charles parti présenter ses hommages à une vieille connaissance, ne revient pas.
- Allons, allons, vous vous mentez ! Lui dit-il un petit sourire aux lèvres. -Accompagnez-moi demain à Longchamp et nous verrons bien qui de nous deux fait erreur. Reprend-il saisissant un verre sur le plateau du serveur qui passe à leur hauteur.
- Je ne sais que vous dire ! Llâche-t-elle entièrement destituée.
- Oui, tout simplement. Riposte-t-il.
Les yeux toujours fixés vers le fond de la salle où Charles a disparu il y a plus de vingt minutes, elle se représente soudain le capitaine Odier dans quelques contrées sauvages, criant ses instructions à des hommes en sueur, accablés de fatigue mais cependant animés par une inexplicable mobilité, ou bien organisant un camp de fortune pour une nuit ou pour quelques heures sous un ciel moite. Le frisson qui l'étreignait quelques minutes avant la saisit à nouveau et Charles lui semble tout à coup pâle et fade. - Quel homme étrange que celui-là ! se dit-elle sentant sur elle son regard.
- Parlons-en à Charles dès qu'il nous rejoindra. Répond-elle enfin.
- Je crois bien que nous sommes seuls. Les affaires, ces maudites affaires, ont englouti Charles pour la soirée, ou peut-être même pour la nuit qu'en dites-vous ?
Elle n'en dit rien et constate avec effroi qu'une fois de plus il a vu juste.
- Venez ma chère, dansons, autrement, vous allez penser que je suis un goujat et un bien piètre amuseur. Lui adresse-t-il lui prenant la main pour l'entraîner dans un "slow fox" pour le moins inattendu.
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L'autocar grimpe la montée, de sa chambre, elle le voit prendre péniblement le grand virage, le vrombissement de son moteur vient mourir aux portes du village, d'impatience, elle joue avec son collier de perles. Enfin, sous un soleil de plomb, il s'arrête sur la place, et vomit ses passagers harassés de fatigue et de chaleur. Ils s'en vont au bras d'un époux, d'une sœur ou d'un ami venu les chercher, disparaissent dans l'ombre de l'église ou des ruelles rendant la place à sa monotonie.
Seul demeure immobile, sa valise à ses pieds, un jeune garçon d'une dizaine d'années à peine, à qui le chauffeur demande son nom, elle distingue sa tête dodeliner en guise de réponse.
- Voilà donc Germain. Se dit-elle lâchant son collier et se penchant plus avant par la fenêtre. - Que vais-je bien pouvoir faire de lui ? Soupire-t-elle, maugréant contre elle-même d'avoir cédé aux supplications de sa belle-sœur qui, raison de période financière difficile, se voit l'obligation de se séparer momentanément de son fils.
- Le petit est là Louise. Vient lui annoncer sa voisine et amie, Emma Desportes.
- Je vois, je vois, répond-elle peu encline à descendre.
Elle aventure à nouveau un œil en direction de l'enfant, celui-ci, sa valise au bout du bras, suit docilement le chauffeur qui l'installe à la terrasse du café Grandjean.
- Louise, tu ne peux pas le faire attendre ! S'irrite Emma.
- Non tu as raison, allons voir de plus près. Réplique-t-elle fermant sèchement la fenêtre.
- Il n'a pas l'air bien méchant.
- Ils le sont tous quand ils ne connaissent personne.
- Louise !
- Chut.
Madame Grandjean et sa belle-fille, encadrent le petit Germain lorsqu'elles se présentent toutes les deux devant la terrasse.
- Il avait soif, alors, on lui a offert une grenadine.
- Je vois.
- Voilà ta tante mon petit. Fait madame Grandjean, lui posant amicalement la main sur l'épaule.
- Bonjour, avance-t-il timidement.
- Tu as peut-être faim ? Lui demande Emma s'asseyant près de lui.
- Oui, un peu.
- Bon, ici, il n'y a pas grand chose à faire, si ce n'est se baigner, courir la campagne, attraper des sauterelles et faire de la bicyclette. Déclame Louise s'asseyant à son tour.
- Aimes-tu la bicyclette ? L'interroge Emma.
- Je ne sais pas, je n'en n'ai jamais fait. A Paris, je marche ou je prends le bus ou le métropolitain.
- Et bien, il va falloir apprendre à pédaler maintenant. Déclare Louise commandant une assiette de charcuterie afin qu'il se restaure.
Germain, un peu tendu, examine le village, embrasse d'un regard inquiet la place dont les maisons aux volets croisés, semblent endormies. Madame Grandjean et sa belle-fille, dressent rapidement une table, l'installent confortablement, et l'invitent gentiment à se servir. Louise, songeuse, le regarde manger, boire, reprendre son souffle, sourire aux uns et aux autres.
- Nous t'avons préparé la chambre de ton père, tu verras, tu seras bien.
- C'est ce que m'a dit maman.
- Et bien elle a bien fait.
Germain a fini, Louise remercie madame Grandjean et sa belle-fille pour leur hospitalité, salue les voisins venus en curieux puis, prenant d'une main la valise du garçonnet et de l'autre sa vareuse, rallie sa maison.
- Voilà, c'est ton nouveau chez toi. Dit-elle, déposant la valise au pied des escaliers.
- Qu'en penses-tu ? Demande Emma.
Germain, muet, les yeux bien ouverts, ne sait quoi répondre, Paris et ses copains sont si loin, son cœur vacille, la gorge lui pique.
- Une bonne nuit, et demain, en allant à la rivière, nous te montrerons ton école.
- Oui, fait-il avec la tête, ne souhaitant pas contrarier son hôte.
- Suis-moi, je vais te montrer ta chambre à l'étage, je suis sûre qu'elle va te plaire. Oh elle
n'est pas très grande mais elle sera bien à toi.
Germain, intimidé, s'avance, fixe les persiennes par lesquelles le soleil cherche à entrer, scrute les maquettes d'avions qui occupent les trois étagères murales, et se tourne vers sa tante.
- Te plaît-elle ? Lui demande cette dernière
- Oui, beaucoup. Répond-il souriant.
- Parfait. Et bien maintenant, Emma et moi, allons te préparer un bain pour ôter la poussière du voyage, et ensuite, tu nous diras comment tu vois l'été qui arrive. Lui annonce-t-elle lui caressant doucement le menton.
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Je crois que Malthilde sait tout, je crois lui avoir tout dit, tout raconté; le bruit de l'océan, l'odeur du sable le soir, les géants des mers aux longues fumées dans la nuit, les lampions sur la jetée, les falaises de craie, le soleil nimbé de pluie, Equihen, les dunes, l'après-saison. Qu'ai-je donc oublié? Rien il me semble. Je lui ai même parlé du rose sur les joues quand on a vingt ans,de cette attente qui nous tenaille le coeur et le corps et nous tient jusque tard dans la nuit, de ces mots susurrés au soleil couchant, de cette épaule amicale importante à nos yeux et si chère à notre âme, de ces doutes quand l'amour se fait attendre ou ne veut pas de nous, de cette exaltation qui nous anime et nous rend bête. Que pourrais-je lui dire de plus? Puis-je lui souffler qu'en fermant les yeux, mes seize ans me reviennent, Gaston est là, mais je ne sais pas encore que je l'aime d'amour? Puis-je lui décrire la véranda, nos fous rires, nos après-midi sur le chemin côtier, la petite crique, le phare des Grenadiers, toutes ces cartes postales qui ont gardé le souvenir des jeunes gens que nous étions ? Oui, je pense qu'elle connaît tout de mes secrets, de mes songes, de mes voyages au pay
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Il referme son livre, le pose sur le bureau et ouvre la fenêtre. La rue est déserte, la ville glisse vers la nuit, il s'accoude, perd son regard du côté de la chapelle Saint-Georges, tout comme de Nerval, il a lui aussi ses chimères. Elles courent dans sa vie comme elles courent dans la ville, légères, mystérieuses, inquiétantes, envoûtantes se nommant indifféremment, amour, désir, solitude, joie, abattement mais n'ayant qu'un seul visage, celui de Claire. Une jeune collègue à laquelle il porte une attention toute tendre mais qu'il n'ose exposer au grand jour. Les autres auraient tôt fait de le railler et par ailleurs, il ne souhaite pas que cette jeune femme se retrouve le sujet de conversations de jeunes gens effrontés qui ne prêtent à l'amour, qu'une place secondaire dans leur volage existence; Claire mérite mieux, c'est évident. Elle est son jardin secret, cette part de lui-même qu'il garde dans l'ombre, qui ne s'éclaire que lorsque la nuit tombe, quand les fenêtres s'illuminent les unes après les autres. Il rêve alors qu'il l'emmène à l'opéra, que la beauté de la musique lui tire quelques larmes qu'il s'empresse d'interrompre par un pressement de mains, une sourire affectueux, un regard compréhensif.
Il respire fortement la ville, ses odeurs, la bise fraîche qui agite doucement les branches des tilleuls et des marronniers. Saint-Georges est à présent tout en lumière, quelques mouettes virevoltent au-dessus de son dôme formant une étrange farandole au milieu de laquelle, la folie semble s'inviter. Les volets de Claire doivent être clos et la rue Barthélémy, à l'instar de la cité, s'endormir paisible, indifférente. Il en connaît par cœur chaque façade, chaque numéro, il lui suffit de fermer les yeux pour se la représenter exactement. Un soir, tandis qu'il attendait le bus, il a vu Claire remonter seule le cours Gambetta et disparaître à l'angle de la rue des Augustins. L'envie de la suivre le prit soudainement et, abandonnant son arrêt de bus, il remonta prestement le cours Gambetta, se retrouvant à une distance raisonnable derrière sa jeune collègue. Ce soir-là, il resta longtemps devant le 24 de la rue Barthélémy à s'imaginer l'intimité de la jeune femme, les amis qui partageaient sa vie, ses lectures et toutes ces choses qui rendent un quotidien bien agréable.
Il se retourne, observe sa chambre qui respire l'ennui, le célibat, et trahit un vide immense. Il réfléchit, analyse, mais il voit bien qu'il ne peut offrir cette désolation à Claire, elle, si radieuse, si vivante. Bien mal à l'aise dans ses sentiments, perdu dans ses réflexions mystiques, il marche aveugle, les bruits de la foule ne l'atteignent que faiblement. Mille et une mains se tendent vers Claire, mille et un visages lui sourient, il voudrait les surpasser mais il reste en arrière, pendant que Claire s'évapore, emportée par un autre.
La nuit est maintenant intense, aussi, comme chaque soir, méthodiquement, il range son bureau, enfile son imperméable, éteint la lampe et sort. Habitués à cet exercice maintes fois répété, ses pas s'engagent sur le boulevard Macé, empruntent les rues Gaillard et Fontange, passent devant les halles, pour terminer à l'entrée de la rue Barthélémy. Bien évidemment, comme tous les autres soirs, il ne sonnera pas au 24. Comme tous les autres soirs, il restera sous la lumière du réverbère, fixera les fenêtres du deuxième étage, et quand son âme et son corps fatigués de cette attente inutile lui intimeront de partir, il rentrera par la ville déserte en se disant - Demain, j'oserai demain.
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Christine est assise dans le fauteuil près de la fenêtre, elle le regarde venir à elle, il sent dans ses yeux, toute l'assurance de la femme qui commande, ordonne, exige. C'est une lumière de fin d'après-midi qui illumine la pièce, ils sont seuls,il ne voit qu'elle et toute sa beauté.
- Venez Scott, venez vous asseoir près de moi. lui dit-elle fermement. Les autres nous ont abandonnés pour je ne sais quelle promenade le long de la falaise et tant mieux. Mildred est adorable mais je n'aime pas marcher dans le sable et la poussière. Lui confie-t-elle caressant Dorky son épagneul allongé à ses pieds.
- Aimez-vous l'opéra Scott ? Lui demande-t-elle soudainement tandis que le chien d'affection s'endort.
- Je n'ai pas le temps d'y aller, la terre n'attend pas. Répond-il embarrassé.
- N'avez-vous donc point de vie, là-bas en Australie ?
Il se tortille dans son fauteuil et ne sait comment lui expliquer sans l'effrayer, la vie rustique qu'il mène.
- Disons que l'opéra ne fait pas partie de mes loisirs. Finit-il par avouer.
- Vraiment ? S'exclame-t-elle. - Alors il faut que je fasse votre éducation. Déclare-t-elle le dévisageant dans son entier. - je vais vous faire découvrir notre vieux continent, notre belle Côte d'Azur et vous verrez, vous ne voudrez plus repartir. Argumente-t-elle saisissant un programme radiophonique.
- Voyons, que joue-t-on ce soir ? Oh, voilà qui est parfait ! Lance-t-elle levant sur lui des yeux vifs et pleins de charme. -Madame Butterfly ! Je suis sûr que vous aimerez. Insiste-t-elle examinant avec soins les horaires de retransmission.
- Je ne suis pas trop au fait de ces choses-là. S'empresse-t-il de dire voyant le piège dans lequel elle souhaite le faire tomber. Elle pose alors le programme, lève les yeux vers le jour déclinant, et se perd dans une longue réflexion.
- Je vous aiderai, je vous expliquerai et la musique fera le reste. Dites-moi oui. Le suplie-t-elle reprenant le programme.
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Elle surgit dans la pénombre, les bras chargés de fleurs fraichement coupées. Nos regards se croisèrent un bref instant et pourtant, je garde de cette rencontre, un souvenir indélébile. Je revois avec perfection sa chevelure rousse ramassée en un chignon épais et désordonné dont quelques mèches s'échappaient formant autour de son visage, de jolies boucles lumineuses. Nous restâmes quelques temps immobiles, muets, avec pour seuls compagnons les bruits de la campagne ensoleillée, le frémissement léger dans les peupliers, et le silence contradictoire de la maison. Nous étions si proches sur ce seuil de porte qu'il me fut aisé de sentir son parfum de menthe et de verveine. Revenant à elle, elle me proposa une tasse de thé que j'acceptai volontiers. - J'ignorais qu'il restait quelqu'un. Me dit-elle un peu gênée. - Les bords de l'Allier ne me disaient rien qui vaille. Lui répondis-je alors qu'elle servait le thé. Je vis ses mains trembler de confusion et je regrettai amèrement de la mettre ainsi à défaut. - J'avoue que moi-même je ne peux admirer l'Allier qu'à la tombée du soir, quand remonte des eaux, toute la fraîcheur de la terre. M'avoua-t-elle me tendant ma tasse. Et je l'imaginai a
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Je me suis enivrée de Vous mon Ami,et de cette folle passion que vous me proposiez.
Me laissant aller au gré de mes fantaisies, je me suis enchaînée à votre tourbillon, sans voir
que mon cœur était malade. Offenbach nous offrait des nuits d'enchantement où nous nous saoulions
de l'un et de l'autre, une légèreté presque insolente comme écrin.
à la lumière des grands lustres de bronze et des torchères, nous brûlions nos ailes et nos âmes, et dans vos yeux, se dessinait un bel horizon.
La jeunesse rivée à nos corps fougueux et impatients, nous allions tels de braves soldats, à nos champs de bataille au milieu desquels, se mêlaient dentelles, rubans et fumée de cigares.
Votre ovale parfait sous vos boucles à peine brunes, me tournait la tête , je n'avais que vous comme
accroch-cœur, et à votre cou, je me pendais comme un collier de perles, étincelante, animée d'une douce folie.
Grand monsieur à l'élégante silhouette, vous dominiez la foule et ma raison, ô comme je vous admirais!
Comme j'étais fière de vous aimer et de vous avoir tout à moi.
Oui, de Vous, je me suis grisée et, emplie d'exaltation, je trouvais la vie belle et l'amour délicieux.
Offenbach ne joue plus, mais il m'arrive parfois d'entendre ses notes et me reviennent alors nos belles soirées de gala.

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