J’avais pas compris.
J’avais pas compris que ton corps ne faisait plus partie du décor. Il était là mais moi je n’y étais plus. Tu étais avec moi et je te croyais perdu. Toi, c’est bizarre. C’est un mot qui n’avait aucun sens. Mon cœur faisait des bonds, avant, quand je le dessinais dans ma tête. Maintenant plus. C’est juste une suite de trois lettres, 1-2-3, toi. Ça n’a pas de sens, trois lettres comme ça, l’une à côté de l’autre, qui se suivent mais ne se regardent pas. D’ailleurs, tu ne me regardes pas. Tu me contemples, parfois. Tu me remarques, à la rigueur. Non, tu m’ignores. Ou bien c’est moi ? Peut-être que si je n’existe pas pour toi, c’est qu’en fait, c’est toi qui n’es pas là pour moi. Je veux dire… c’est moi qui ne te vois pas. Peut-être, tu crois ?
Ah non.
Tu ne m’écoutes pas, c’est vrai. J’avais oublié. C’est facile avec toi, d’oublier d’exister. Il suffit de s’assoir et te regarder parler, parler, parler… je veux dire : râler, grogner, crier. Tu vis tes mots. C’est bête, et c’est ridicule. Tes mots sont comme des flots sur le bitume ; ils ne coulent pas, ils stagnent. Ils sont monotones et infâmes. Toujours les mêmes. Morts : demne. Pourtant, tes mots, ils vivent. Quand ils commencent, ils ne s’arrêtent plus ; ils charrient plein d’images qui embaument la pourriture. Un vrai carnage. Je veux dire. Non, je ne veux rien dire ; d’ailleurs, je ne te dis jamais rien. C’est peut-être pour ça que tu ne m’écoutes pas ? Il n’y a rien à comprendre dans ce que je ne dis pas.
Tu parles (enfin, tu m’as compris) ; je silence.
Non, non, ne dis rien. De toute façon, j’aurais oublié demain. C’est pas grave, tu répèteras. Tu radotes. C’est peut-être ma faute. Pourquoi je te parle déjà ? Ah oui, tu es là. Enfin, je crois. C’est ton corps qui se tient présent et qui me garde éveillé. Pas endormi. Pas mort, tu dis. Pas encore. Pourquoi je reste là ? Je ne te comprends pas. Toi aussi, tu dois te poser la question. On tourne en rond, tous les deux, comme des cons. Deux cons qui se voient tous les soirs. Enfin, pas loin. C’est que ça fini par faire long, mine de rien. Ça fait quoi, des mois ? Si on avait su, sûr qu’on se serait jamais embarqués là-dedans. Enfin, dis-moi : t’aurais voulu ça toi ? Après tout, on est côte à côte là ; moi j’écris, toi tu lis. Moins je t’oublie, plus tu m’ennuies. C’est dur d’être deux paumés dans un monde où on n’a pas le droit d’être seul. Alors forcément, comme on n’aime pas les gens, on n’avait pas le choix : c’était toi et moi.
Entre asociaux, on se comprend.
Moi je t’attends, toi tu t’éprends. Non, faut pas. C’est pas grave, tu me diras : on s’aime pas. Alors pourquoi on se voit tout le temps ? Ça s’appelle tromper son ennui. Ou sa solitude. Ça rien-du-tout je te dis ! Moi, je suis fidèle ! Tu peux tromper qui tu veux mais pas moi. Ben oui : pour ça, faudrait qu’on soit ensemble, non ? Et on n’est pas. Je voudrais pas que tu te méprennes, hein ! C’est pas que je t’aime pas - en fait, c’est ça, mais bon, tu m’as compris ! C’est juste que nous, c’est pas un concept. C’est pas quelque chose de fiable.
C’est quoi toi x moi, au fond ?
Juste trois lettres au carré qui tournent pas très rond.
Enfin, il faut. Parce que sinon…